Préambule : cet article traite de politique, en l’occurrence du Nouveau Parti Anticapitaliste de Besancenot et Krivine. Et d’écologie aussi, je vous rassure. Néanmoins, je devais vous prévenir, car d’une certaine manière, il s’agit d’une incursion. Elle en ennuiera plus d’un.
Mon Dieu ! je ne suis pas marxiste. Et je déteste tant la dictature et les autorités étatiques en général que, si j’écrivais ce que je pense, je ne sais si on me croirait. Par exemple, je vomis en grand el jefe Fidel Castro, et le régime qu’il a créé à Cuba, où l’on peut fusiller un gosse de vingt ans parce qu’il a tenté de détourner un bateau (sans blesser personne). Je vomis ce pur salaud caudilliste, qui était prêt - les faits sont officialisés par Fidel lui-même - à sacrifier le peuple cubain dans un holocauste nucléaire en 1962, à l’époque de la crise des fusées.
Pas un défenseur du régime castriste ne s’est intéressé pour de vrai à ce qu’était l’île avant 1959. Moi si. Et la réalité est loin, très loin des pauvres descriptions qui font de l’île caraïbe le bordel des Américains. Je ne veux pas dire que Rubén Fulgencio Batista y Zaldívar, la petite crapule galonnée qui régnait avant Castro était un brave homme. Mais si Cuba, ou plutôt si La Havane comptait en effet des bordels où certains Américains venaient, alors il faut dire que Cuba est aujourd’hui devenu le bordel du monde entier. Un bordel cent fois plus grand qu’avant 1959, où des petits-bourgeois bedonnants viennent baiser à couilles rabattues des gamines qui n’en peuvent mais. Ma détestation englobe évidemment Hugo Rafael Chávez Frías, qui dirige le Venezuela de la même manière caudilliste, bordels en moins pour le moment. Et qui se préoccupe d’écologie comme je m’intéresse au défunt président Albert Lebrun (ici). Témoin entre bien d’autres son projet crapuleux de gazoduc à travers l’Amazonie.
Bref. Non. Pas moi. Tout cela pour dire que la création du NPA de Besancenot et Krivine, - lesquels soutiennent peu ou prou des régimes immondes, et qui seront reconnus comme tels, tôt ou tard -, ne me conduit pas droit au septième ciel. Mais je dois ajouter quelque chose qui compte tout de même, et pèse son poids. La LCR était, a été au long de son histoire, une organisation démocratique. Étonnamment démocratique.
À ma connaissance, mais je peux me tromper, aucun autre parti de l’échiquier n’aura à ce point pratiqué une vraie démocratie interne. Laquelle ne signifie pas l’absence de magouilles et de coups bas. Mais enfin, comparons ! Songez à Lutte Ouvrière et à l’implacable autorité de ses vrais chefs de l’ombre, aux anciens maoïstes si vous avez l’âge, songez aux lamentables lambertistes chers au cœur de Lionel Jospin. Songez au parti stalinien, qui mentit en toutes choses tant qu’il le put. Songez aux truandages des votes au PS comme à l’UMP. Et reconnaissez que la démocratie, en politique, est une chose rare. Savez-vous un autre exemple d’institution qui accepte de disparaître, de fermer le journal qui lui servait d’étendard - Rouge - avant de se fondre dans un groupe bien plus nombreux qu’elle ? Si oui, je vous en prie, faites-moi signe. Sur ce plan-là, j’applaudis sans réserves.
Sur ce plan-là. Car pour le reste, bien sûr, non. La volonté affichée par ce nouveau parti de mêler - enfin ! - l’écologie au propos général sur la société de classe ne peut mener nulle part. Je ne crois pourtant pas à une ruse tactique dont userait le NPA pour attirer à lui de nouvelles forces. Non, je crois dans une certaine mesure à la sincérité des engagements, à cet ajout du mot écosocialisme au programme traditionnel.
Et c’est là que, du point de vue des idées, cela devient passionnant. Car le NPA, sans le savoir bien sûr, est la pointe avancée de l’idéologie du progrès - matériel, avant tout - qui rassemble sur le fond la totalité de la classe politique. L’héritage historique ne trompe pas. Léon Trostki, le véritable organisateur du coup d’État de 1917 - connu sous le nom de « Révolution d’octobre » - est le grand ancêtre de la LCR. Opposé à la politique de Staline dès 1926, exilé, assassiné par un tueur employé par Moscou, il est le créateur de la Quatrième Internationale, dont la LCR était la section en France. En somme, la LCR s’est toujours réclamé du trotskisme. Trostki, dans la mythologie du groupe, c’est Le Vieux.
Mais ce vieux-là, comme Castro, comme Chávez, était un indécrottable « progressiste », un adepte de la toute-puissance de l’homme. Un ennemi déclaré de ce qui pouvait contrarier le projet humain, prométhéen en diable, consistant à tout dominer, à tout écraser, à tout soumettre. Tenez, je vous offre une citation éclairante que vous ne risquez pas de trouver si souvent. Dans l’essai Art révolutionnaire et art socialiste, publié au milieu des années 20 du siècle passé (On le trouve dans le recueil Littérature et Révolution, 10/18), Trotski écrit précisément ceci : « L’homme socialiste maîtrisera la nature entière, y compris ses faisans et ses esturgeons, au moyen de la machine. Il désignera les lieux où les montagnes doivent être abattues, changera le cours des rivières et emprisonnera les océans ».
Quel joli programme, n’est-ce pas ? Mettre en taule les océans, je dois dire que la vision est grande, géante même. En vérité, elle a été presque appliquée en Union soviétique, en Chine, à Cuba dans une moindre mesure technique, partout où des marxistes ont eu à conduire les affaires d’un pays. Le NPA ferait-il mieux ? On peut au moins l’espérer. Mais au bout du compte, cela ne changerait rien. Car l’objectif final est toujours le même. Il s’agit d’assurer à l’espèce humaine une sorte d’abondance matérielle qui est parfaitement synonyme de destruction de la vie.
Le NPA ne peut ni ne veut entendre qu’il existe des limites physiques dont tout projet politique doit désormais tenir compte. Pour les raisons qui sont les siennes, il soutient ici des revendications matérielles qui sont incompatibles avec l’avenir. Au lieu que de s’attaquer à l’aliénation, à l’industrie du mensonge qu’est la publicité, à la prolifération sans fin d’objets inutiles qui sont au cœur de la crise, il préfère soutenir les « justes revendications ». Dont une augmentation des salaires et pensions de 300 euros mensuels net pour tous.
Faut-il être un salaud comme moi pour refuser cette demande-là ! Eh bien j’assume. Je refuse. D’abord, parce qu’une telle injection de fric relancerait une fois de plus la machine à tout dévorer sur terre. La masse de ces euros-là irait une fois encore vers ces productions lamentables qui laissent les gens amers, envieux, frustrés à jamais. Mais en outre, cette revendication fait fi, très exactement, de la situation générale. Le NPA, qui se prétend universaliste, ne l’est pas davantage, au fond, que les gauches social-démocrate et stalinienne. Le monde réel, son monde irréel s’arrête aux frontières de l’Occident et rejette dans les ténèbres extérieures ce milliard d’humains qui ont faim chaque jour que Dieu fait.
Le NPA ne parle pas des paysans, des oiseaux, des Pygmées, des océans que Trotski vouait au cachot, des forêts sombres dévorées par le palmier à huile, ni même, sérieusement en tout cas, du désordre climatique en cours. Car dans ce dernier cas, il faudrait mettre en question la sainte bagnole, et l’industrie, et les prolos de Renault-Sandouville à qui l’on promet 300 euros nets. À qui on les donnera demain, quand, la révolution ayant été faite, on rasera gratis.
Pour le NPA, l’écologie n’est pas et ne sera pas une vision, un cadre, le paradigme dans lequel penser le monde et ses insupportables contradictions. Elle est un élément. Subalterne. Subordonné à cette grande cause qui consiste à socialiser les moyens de production. Imaginons un instant l’opération faite. Les patrons ont disparu. Les travailleurs commandent et produisent selon le Plan. Et quel serait le plan ? Brutalement, il faudrait dire à des millions d’hommes et de femmes qu’on aurait encouragés à demander plus, à consommer davantage, à gaspiller en aveugles, de tout revoir ? De changer l’ordre des priorités ? De renoncer à la bagnole, au téléphone portable, aux vacances bon marché chez cet excellent Castro, aux stations de ski pour les plus « fortunés » ?
Allons, voyons. Toute la politique menée par le NPA démontre qu’il n’a strictement rien compris à la crise écologique planétaire. Notez qu’il n’est pas le seul. Notez que j’ai été affreusement long. Mille excuses.