● Peux-tu nous présenter le magasin dans lequel tu travailles ?
Il y a une quinzaine de salariés, quatre responsables, un manager et un superviseur. Quasiment tous les employés ont un « petit contrat », entre dix et quinze heures. Moi, je suis livreur ; je travaille le mercredi soir, le samedi midi et le samedi soir, par tranche de trois heures (c’est à 25 minutes de mon domicile). Comme j’ai un loyer à payer et que je ne touche pas assez avec mon BTS en alternance, je suis bien obligé de travailler en plus. Il y a une très bonne ambiance avec les collègues : avant, on ne se connaissait pas ; maintenant, on est tous devenus amis.
● Quelle est l’origine de votre mouvement ?
Le soir du 21 décembre 2008, le magasin a été braqué. Deux personnes, armées, ont ligoté la responsable et un employé, qu’elles n’ont pas hésité à frapper. Le braquage a été rendu possible à cause de la porte du magasin. Elle était complètement pourrie et elle s’ouvrait très facilement : il suffisait de la pousser un peu fort. Le problème avait déjà été signalé plusieurs fois, et on avait demandé à ce que la porte soit changée. Le lendemain, la direction n’a mis aucun employé au courant – alors qu’on reçoit très souvent des notifications pour toutes sortes de choses – et tout le monde a travaillé comme si de rien n’était. Jusqu’à ce que Mohammed, un livreur, l’apprenne et informe immédiatement les autres. Spontanément, considérant que la sécurité n’était pas assurée, tout le monde a utilisé le droit de retrait.
● Comment a réagi la direction ?
Pendant la semaine où le droit de retrait a été exercé, ni le manager, ni le superviseur n’ont été joignables. C’est vrai que, du 22 au 28 décembre, c’était la semaine de Noël, mais quand même !
● La direction a refusé de vous payer les jours où vous exerciez votre droit de retrait. Le début de l’année a donc été chaud…
Dès le 3 janvier, j’ai appelé Abdel [Mabrouki, NDLR] de la CGT, pour lui demander des conseils. Mardi 6 janvier, avec les employés et les délégués syndicaux, on a établi une liste de revendications : le changement de la porte, le paiement des jours de retrait, une prime de risque, des caméras de surveillance, un treizième mois, des vêtements contre le froid (pour les livraisons)… On a alors fixé un ultimatum au superviseur : si, le 9 janvier, nous n’obtenions pas satisfaction, nous nous mettions en grève. Le 9 janvier, le superviseur a accepté de changer la porte mais, cinq jours plus tard, rien n’était fait.
● Quel impact a la grève et comment s’organise-t-elle ?
En fait, les responsables, qui ne font pas grève, essayent de tenir le magasin. Mais seul un livreur ne fait pas grève. Du coup, certains soirs, ils ne font même pas 60 euros de chiffre d’affaires ! On reste devant le magasin pour parler avec les gens et leur expliquer les raisons de notre mouvement. On se relaie pour assurer une présence, en fonction de nos disponibilités. Par exemple, pour moi, le midi, en semaine, ce n’est pas possible, parce que j’ai cours. À certains moments, le magasin ouvre ; à d’autres, il ferme : c’est peut-être pour nous démoraliser. Le manager était assez humain, mais il avait le cul entre deux chaises : les employés se sont tournés contre lui et le superviseur aussi. Alors, dès le début de la grève, il a dit : « J’éteins mon portable, et je me barre. » Depuis, plus de nouvelles ! La direction a rappelé un ancien responsable, qui avait des affinités avec les livreurs, selon une vieille méthode un peu paternaliste de l’enseigne (engager des amis, etc.). Il était là, sept jours sur sept, en contact permanent avec la direction pour l’informer de nos moindres faits et gestes. Je pense qu’en fait, il n’a qu’une seule envie : prendre la place du manager…
● Des choses ont-elles avancé depuis le début de la grève ?
La porte du magasin a finalement été changée le 16 janvier, sans que nos jours de retrait n’aient été payés. On a contacté l’inspection du travail, qui a vu les délégués syndicaux, les employés et le superviseur. On nous dit désormais que l’enquête est en cours. On a maintenant, en plus de la CGT, le soutien de SUD. Le 28 janvier, on a vu la direction (le superviseur et des conseillers relations humaines), qui nous a dit qu’elle réfléchissait au paiement des jours de retrait, mais pas à celui des jours de grève…
● Comment considères-tu l’attitude de la direction ?
Elle reste sourde et méprisante. Il y a quand même eu une personne en arrêt de travail, d’autres contraintes d’exercer leur droit de retrait… Il n’y aucun respect et ça fout la rage. On s’investit dans le magasin, on donne mais, en échange, on n’a rien.
● Financièrement, cela doit commencer à devenir compliqué…
Pour moi, ça va, je m’en sors. Mais il y en a pour qui c’est la seule source de revenu et là, c’est plus dur… Un gréviste a dû reprendre, mais comme le magasin ferme parfois plusieurs jours de suite, c’est comme s’il était avec nous.
● Est-ce que vous êtes allés manifester le 29 janvier ?
J’aurais bien aimé qu’on organise un truc pour la manifestation interprofessionnelle du 29 mais, finalement, j’ai été le seul à y aller. Il y a un fossé entre une partie de la jeunesse et les syndicats. C’est cela qui est fou : les jeunes issus de l’immigration ne se sentent pas héritiers du mouvement syndical français. Les jeunes qui subissent le plus le capitalisme ne se sentent pas représentés. Moi, j’ai de la chance, car je viens d’une famille de gauche et je connais un peu les choses. Mais, ici, par exemple, certains ne connaissaient ni SUD, ni Rouge, ni la LCR… Mais la grève va favoriser la prise de conscience.