La cour d’appel de Paris a relaxé, mardi 24 février, cinq anciens détenus de Guantanamo, condamnés en 2007 à quatre ans de prison dont trois avec sursis, pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Dans un arrêt de plus de soixante pages, la cour d’appel détaille les conditions dans lesquelles les Français de Guantanamo ont été interrogés par des agents de la direction de surveillance du territoire (DST) et constate que « la preuve de la participation des prévenus (...) a été obtenue de manière déloyale, en violation des droits de la défense ». En conséquence, elle constate que « la procédure d’enquête est irrégulière ». Le parquet général de Paris a annoncé qu’il se pourvoyait en cassation.
L’arrêt de la cour pose les limites entre les fonctions de renseignement et de police judiciaire de la DST, « qui est un service hybride comme d’ailleurs de plus en plus de services s’occupant de criminalité organisée et de terrorisme ». Pour la cour, la DST « ne peut confondre les deux procédures en agissant d’un côté en qualité de police administrative et de l’autre en qualité de police judiciaire. Elle se devait en effet d’éviter une confusion préjudiciable aux droits des personnes concernées, sous peine de violation des règles de la procédure pénale et des principes du droit international ».
La DST s’est rendue à trois reprises - en janvier et mars 2002 et en janvier 2004 - à Guantanamo pour interroger les détenus français, arrêtés au Pakistan en décembre 2001. A partir du moment où une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Paris en février 2002, « la phase administrative des investigations menées par ses soins devait prendre fin pour faire place à la procédure judiciaire impliquant le respect de son formalisme, garant des libertés individuelles et des droits des parties concernées ». Sur place, la DST a procédé à des débriefings, qui ne peuvent « s’analyser comme la recherche de renseignements en vue de prévenir une menace terroriste », mais bien comme « la recherche de preuves contre chacun des prévenus ».
Les interrogatoires des détenus à Guantanamo vont servir à établir leur infraction. « Ces déclarations ont été faites par des individus se trouvant dans un état psychologique particulier puisqu’ils ont été amenés à croire nécessaires ces déclarations pour obtenir leur rapatriement en France et qu’ils n’étaient pas ainsi en mesure de se rendre compte qu’elles pourraient être utilisées contre eux. »
De plus, ce rôle de la DST n’est apparu que tardivement dans la procédure. Les comptes rendus de ces débriefings ont été versés au dossier dans le cadre d’un supplément d’information, lors du procès en première instance, à la demande de la défense. Selon la cour, leur existence a été « dissimulée à l’autorité judiciaire ».
La cour annule l’ensemble des procès-verbaux des prévenus. Dès lors, il ne reste rien pour établir les faits et déclare que Brahim Yadel, Khaled Ben Mustapha, Mourad Benchellali, Nizar Sassi et Redouane Khalid sont non coupables. Les cinq hommes étaient libres car leur condamnation à un an ferme dépassait le temps qu’ils avaient passé en détention provisoire.
« C’est une décision courageuse, qui fait honneur à l’Etat de droit », se réjouit l’un des défenseurs, Paul-Albert Iweins. « C’est une décision historique, explique l’un des avocats, William Bourdon, qui définit ce que doit être la frontière au-delà de laquelle une démocratie ne peut pas aller. La fin ne justifie pas les moyens dans une démocratie. Il est heureux que des magistrats le rappellent. La réaction politique a été immédiate : le parquet général se pourvoit en cassation. On veut valider la déloyauté. »