Nous apprenons avec surprise et consternation l’incarcération à la prison centrale de Bamako de notre camarade Nouhoum Keita. Il a été interpellé après avoir dénoncé sur l’antenne d’une radio l’existence d’un passeport falsifié à son nom et sa décision de porter plainte contre X (lire ci-dessous un petit résumé).
Journaliste à la radio associative Radio Kayira, membre de la Coalition des alternatives africaines, dette et développement (CAD Mali), militant infatigable pour les droits et la justice sociale, Nouhoum Keita est bien connu de nombre de nos associations (notamment CADTM, Survie, ATTAC...) avec lesquelles il a participé aux forums sociaux, aux manifestations contre les privatisations des services publics, pour l’annulation de la dette, contre les nouveaux accords économiques et commerciaux…
Cette arrestation se situe dans un contexte général de pressions et d’intimidations contre les mouvement sociaux au Mali. Et ce au moment même où la population malienne subit de plein fouet les conséquences des orientations libérales de son gouvernement (privatisation du chemin de fer, de la filière coton, expropriation des paysans de l’Office du Niger…).
La mobilisation sociale s’organise au Mali pour exiger sa libération immédiate avec le soutien de l’Union des journalistes du Mali. Une marche de protestation est d’ailleurs prévue ce jeudi 5 mars. Nous nous associons à ce mouvement et, avec lui, exigeons la libération immédiate de Nouhoum Keita.
A Paris, le 3 mars 2008
Attac France
Survie
Contact : zoul / contact survie-paris.org / 06.88.93.35.71
Résumé
Il y a 6 mois, ayant appris l’existence d’un faux passeport établi à son nom utilisé dans le cadre d’une malversation financière, Nouhoum Keita est parti s’en plaindre à la police. Entendu par le tribunal, il a été soumis à une confrontation avec la personne victime de cette escroquerie qui a formellement reconnu que Nouhoum n’avait rien à voir dans cette affaire. Le tribunal a alors signé un mandat de dépôt, Nouhoum a été déféré puis relâché le même jour, sur liberté provisoire.
Le 25 février dernier, il annonce sur l’antenne d’une radio libre de Bamako qu’il entend constituer un dossier et porter plainte contre X. A 10 heures, le lendemain, il est arrêté et déféré à la prison centrale de Bamako, sans autre forme de procédures par le magistrat en charge du dossier. L’Union des journalistes a immédiatement engagé une procédure de mise en liberté provisoire. Une demande de mise en liberté provisoire a été signée par le magistrat le 28 février et remise au procureur général qui n’a fait aucune réaction jusqu’à ce moment.
Voir aussi ci-dessous l’article que consacre le journal malien Le républicain à cette affaire.
Cacophonie judiciaire : La saga d’un juge d’instruction contre un journaliste
« La République des juges ». C’est comme ça qu’on doit désormais appeler notre cher Mali après l’incarcération hier matin de notre confrère Nouhoum Kéïta de la Radio Kayira.
Ce dernier, s’est vu en effet décerner pour la deuxième fois de suite en moins d’une année un mandat de dépôt pour « complicité d’escroquerie » dans une sombre affaire de trafic de visa.
Une affaire dans laquelle il est supposé être la principale victime d’autant plus que c’est son passeport qui a été falsifié. Le passeport en question qui porte le numéro A 1263469 a été délivré le 11 mai 2004 à deux titulaires. Le vrai titulaire serait Nouhoum Kéïta, journaliste à la radio Kayira et secrétaire à la communication du parti SADI. L’usurpateur, le faux titulaire, serait un certain Abdoulaye Sissoko qui se dit commerçant, mais qui serait un escroc dangereux. Ce passeport a la particularité d’appartenir à deux personnes différentes mais avec la même photographie, celle de Nouhoum Kéïta.
Mais le hic aujourd’hui est que le faux passeport appartenant au faux titulaire, à l’usurpateur Abdoulaye Sissoko serait au centre d’une escroquerie de 14,8 millions de F Cfa au détriment d’un certain Aziz Arambathical, d’origine indienne.
C’est cette affaire relativement simple qui se trouve être la cause d’un véritable scandale judiciaire au Mali.
La justice malienne à nu
En portant plainte en juillet 2008 auprès du Procureur de la République près le tribunal de première instance de la Commune IV du District de Bamako, Nouhoum Kéïta s’attendait certainement à ce que la justice malienne fasse toute la lumière sur cette affaire de trafic de passeport mais surtout mettre fin aux activités criminelles de cette bande de faussaires. Il fut d’ailleurs conforté dans sa conviction quand ledit procureur de la République confia le dossier pour enquête à l’inspecteur Papa Mambi Kéïta du Commissariat du 3e arrondissement.
Mais, grande fut sa surprise quand il reçut le 11 août 2008 une convocation du Commissariat du 4e arrondissement sur plainte de Me Abdoulaye Bocar Haïdara auprès du procureur de la République près le tribunal de première instance de la Commune V. Dans sa plainte, l’avocat accusa notre confrère d’escroquerie, puisque sa photo avait été identifiée sur la photocopie du passeport censé l’appartenir.
Pourquoi une deuxième plainte devant le procureur de la République près le tribunal de première instance de la Commune V sachant bien qu’une première plainte était déjà pendante chez le procureur de la République près le tribunal de première instance de la Commune II et qui faisait même l’objet d’enquête préliminaire au niveau du Commissariat du 3e arrondissement ?
Et pourquoi en aucun moment le praticien du droit qu’il est n’a jamais demandé une jonction de la procédure pour une meilleure distribution de la justice et surtout pour faciliter la manifestation de la vérité ? Voilà deux préoccupations qui intriguent plus d’un juriste à Bamako.
Sans se soucier tant soit peu de ces règles élémentaires en droit pénal général, l’Inspecteur Coumaré mena comme si de rien n’était son enquête.
Excédé qu’il est et convaincu de la partialité avérée de l’officier de police judiciaire, Nouhoum Kéïta porta l’affaire au niveau du Directeur général de la Police Nationale du Mali, le Contrôleur général Niamé Kéïta.
Les responsables de l’Inspection générale après avoir étudié tous les contours de cette affaire diront en présence de l’Inspecteur Camara « qu’il n’existait aucun élément de preuve pouvant établir la culpabilité de Nouhoum Kéïta dans cette affaire et qu’à leurs yeux, il était une victime ». Ils ont trouvé en outre que « la plainte de l’avocat était floue et n’avait aucune consistance ». Voilà une sentence qui mettait à l’aise tout le monde. Le procureur de la République près le tribunal de première instance de la Commune V a été informé de la position des responsables de l’Inspection générale de la police et invité par la même occasion à relancer l’enquête.
Contre toute attente, l’Inspecteur Coumaré passa outre les instructions de sa hiérarchie en transmettant le dossier à son procureur qui le confia à un jeune juge d’instruction qui vient de commercer à peine sa carrière administrative.
Qu’est-ce qui s’est passé entre temps pour que l’officier de police judiciaire et le procureur de la République près le tribunal de première instance de la Commune V décident d’ignorer superbement les conclusions déposées par les responsables de l’Inspection générale de la police ? La réponse à cette question reste encore un mystère et une des zones d’ombre de cette affaire scabreuse.
Toujours est-il que deux semaines à peine après cette entrevue avec des hauts responsables de la police malienne, le juge d’instruction Koké Coulibaly jeta sans ménagement comme un vulgaire bandit Nouhoum Kéïta en prison. « M. Kéïta, j’ai pas la certitude que tu sois le responsable de cet acte d’escroquerie mais, je n’arrive pas à m’expliquer la présence d’une photocopie de passeport portant ta photographie dans le dossier. Pour cela, je me vois dans l’obligation de te mettre sous mandat de dépôt pour escroquerie », nous a rapporté Nouhoum Kéïta, avant son entrée dans la maison centrale d’arrêt de Bamako.
Ces propos tenus par le juge d’instruction chargé d’instruire à charge et à décharge sont scandaleux, révoltants pour tous les juristes. Comment peut-on en effet reconnaître l’existence d’un doute sur la culpabilité de quelqu’un dans une affaire pénale et le jeter après en prison ? Ne dit-on pas en droit pénal que « le doute profite au délinquant ». Et où est passée la présomption d’innocence qui est sacrée dans le droit gréco-romain ? Cette deuxième incarcération constitue aussi un cas d’école en la matière.
En effet, après une entrevue avec le garde des sceaux, ce dernier a instruit que le procureur de la République près le tribunal de première instance de la Commune II s’occupe désormais de cette affaire et l’enquête préliminaire a été confiée à la brigade territoriale de la gendarmerie de Bamako. C’est donc au moment même où cette brigade est en pleine investigation judiciaire que le même juge d’instruction a pris la responsabilité sur lui de placer à nouveau notre confrère en détention préventive. Pourquoi cet acharnement et qu’est-ce qui motive réellement le juge d’instruction dans cette affaire ? En agissant ainsi, n’est-il pas en train de faire entrave à l’action de la justice ?
Birama Fall
* Le Républicain, 27/02/2009
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