TOKYO CORRESPONDANT
Confrontés à des difficultés croissantes, perte d’emploi et écart grandissant entre ceux qui s’en sortent et les autres, des jeunes salariés découvrent un « dinosaure » de la politique nippone : sa plus ancienne formation, le Parti communiste du Japon (PCJ).
Après une chute du nombre des membres, les adhésions sont reparties à la hausse, en 2008, pour dépasser les 400 000. Un quart des 16 000 nouveaux membres du PCJ sont des salariés de moins de 30 ans en situation précaire. Les interventions incisives au Parlement de son secrétaire général, Kazuo Shii, lui valent des dizaines de milliers de visites sur le site Internet du PC et de nouvelles souscriptions à l’organe, Akahata.
Il ne s’agit pas d’un raz-de-marée annonciateur d’une remontée fracassante du PCJ aux prochaines élections législatives (il détient 7 sièges sur 480 à la Chambre basse et 9 sur 242 au Sénat), mais d’une évolution notable de l’image d’un parti qui semblait d’un autre âge. Il n’y a pas que les jeunes précaires dont le PC retient l’attention. Dans un pays où il est encore préférable pour un salarié de cacher son engagement communiste, M. Shii a récemment été reçu par des dirigeants du patronat et a accueilli à son siège, à Tokyo, sur lequel flotte le drapeau rouge, un directeur de Toyota.
« Nous ne sommes pas opposés aux grands groupes industriels, à condition qu’ils assument leurs responsabilités sociales. Les entreprises et les salariés ont une destinée commune, a déclaré M. Shii, le 3 mars, devant la presse étrangère, à Tokyo. Le capitalisme japonais n’a pas de règles et la plus cruelle expression de cette carence est la détérioration de la situation des salariés en situation précaire. » A la suite de réformes néolibérales, 34 % de la population active travaillent aujourd’hui en contrat à durée déterminée, a précisé M. Shii. Adoptant le langage modéré d’un social-démocrate bon teint, il n’a mentionné Karl Marx qu’une fois... pour exprimer « son profond respect des Etats-Unis », tout en prônant l’indépendance stratégique du Japon et la transformation du traité de sécurité américano-nippon en pacte d’amitié.
Le succès d’un classique de la littérature prolétarienne des années 1920, Le Bateau-Usine de crabes, de Kobayashi, et celui de la version romancée du Capital, de Marx en manga, sont par ailleurs révélateurs d’une quête de sens de leur situation de la part de jeunes qui n’ont aucune expérience des luttes sociales. Leur participation à de petites manifestions organisées par le PC - rarement rapportées par la grande presse - illustrent le malaise social.
En dépit de sa « perestroïka » à la fin des années 1990, le PCJ, premier parti en nombre d’élus locaux, n’a jamais réussi à s’imposer au niveau national. S’il a connu une avancée en 1998 avec une plateforme politique modérée - il a supprimé la « révolution socialiste » de ses objectifs -, le parti a chuté aux élections suivantes avec un taux de soutien de 3 %.
Fondé en 1922 et immédiatement interdit, le PCJ représenta une force politique au début de l’occupation américaine. Puis, sur l’injonction de Moscou et de Pékin, il se lança dans l’action violente et fut laminé pour renaître dans les années 1950. « Eurocommuniste » avant la lettre, ayant rompu avec les PC soviétique et chinois dans les années 1960, il s’était retrouvé dans la décennie suivante sur la ligne indépendante de l’« avant-garde » communiste européenne (italienne et espagnole).
Sans avoir changé son nom (qui équivaudrait à « renier le passé », notamment de résistance au militarisme), le PCJ défend aujourd’hui les « réformes démocratiques » et le « progrès social » afin, comme le dit M. Shii, de « dépasser le capitalisme comme le socialisme ».