Un bateau chargé de 20 tonnes de Mox (mélange d’uranium et de plutonium) et son navire d’escorte, appartenant tous deux à la compagnie britannique Pacific Nuclear Transport Limited, devaient quitter Cherbourg, jeudi 5 mars, pour rejoindre le Japon - entraînant dans leur sillage les critiques des mouvements écologistes sur la dangerosité de ce combustible nucléaire. Il s’agit en effet du plus gros chargement de Mox jamais expédié par le groupe français. Au terme de deux mois de traversée, sous surveillance satellite et sous la garde de membres des forces spéciales britanniques, les navires à double coque livreront leur cargaison à trois producteurs d’électricité nippons. Un nouveau transport vers le Japon est prévu en 2010, même si aucune centrale japonaise ne fonctionne encore au Mox.
Plusieurs dizaines de véhicules des forces de l’ordre ont accompagné le convoi entre l’usine de La Hague (Manche) et le port de Cherbourg. Un parcours de trente kilomètres sur lequel Greenpeace avait placé quelques observateurs pour suivre et dénoncer ce transport. « Areva nie le fait que le plutonium issu de réacteurs dits »civils« puisse être utilisé à des fins militaires, souligne Yannick Rousselet, de l’association Greenpeace. L’ahurissant dispositif policier déployé en est un démenti évident. »
Le Mox ne contient que 6 % de plutonium (et 94 % d’uranium), mais cette quantité serait suffisante, selon Greenpeace, pour fabriquer 225 bombes. En 2007, 150 incidents en matière de surveillance des matériaux radioactifs ont été recensés par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Dans une lettre adressée à son directeur général, Mohamed ElBaradei, le mouvement écologiste réclame l’interdiction du convoi en raison des « risques de prolifération » que créerait un détournement de la cargaison.
Le transport dénoncé par Greenpeace n’est exceptionnel que par la quantité. Fabriqué dans l’usine Melox d’Areva, dans le Gard, ce combustible est en effet régulièrement acheminé à travers l’Hexagone vers les centrales d’EDF, 20 de leurs 58 réacteurs fonctionnant au Mox (soit 10 % de l’électricité française).
La cargaison en partance est issue du recyclage de combustibles usés envoyés par le Japon entre la fin des années 1970 et la fin des années 1990, indique-t-on chez Areva. Ce qui confirme que, comme les Etats-Unis, l’archipel a opté pour un « cycle fermé » permettant de recycler la majeure partie des combustibles brûlés dans les centrales et de limiter ainsi la quantité de déchets à stocker.
« Produire de l’électricité sans CO2 tout en recyclant 96 % des combustibles utilisés, c’est d’abord cela, le Mox », souligne le porte-parole d’Areva, Jacques-Emmanuel Saulnier. Quant au risque de prolifération, il s’agit là, selon lui, d’« une histoire de loup-garou ».
Au sein du groupe nucléaire, on rappelle que sur les 2 000 essais nucléaires réalisés depuis 1945, aucun ne l’a été à partir de plutonium produit par des réacteurs à eau légère. « Cela montre que c’est au moins très difficile, sinon impossible », résume Christophe Neugnot, responsable de la communication du centre de La Hague. Il faudrait en effet séparer l’uranium du plutonium, et le plutonium obtenu ne serait pas de qualité « militaire », insiste-t-on chez Areva.
Le programme « Mox for Peace » prouve, selon ses dirigeants, que le nucléaire civil contribue à la non-prolifération nucléaire. Dans le cadre de la politique de désarmement lancée dans les années 1990, les Etats-Unis et la Russie ont décidé d’éliminer chacun 34 tonnes de plutonium militaire, dont une partie a servi à produire ce combustible Mox. Areva y voit un axe de développement et possède dans ses cartons un projet d’usine intégrée transformant les combustibles usés en Mox.
Jean-Michel Bezat
Un usage non pacifique est possible, selon des experts
Le Mox, combustible nucléaire associant les oxyde d’uranium et de plutonium, pourrait-il être utilisé pour fabriquer un explosif nucléaire ? Greenpeace prétend qu’il suffirait de quelques semaines à un groupe déterminé pour y parvenir. De son côté, Areva NC, responsable du transport de Mox entre la France et le Japon, assure que le plutonium en question n’est pas de qualité militaire et que sa récupération nécessiterait un processus industriel hors de portée de terroristes. Qui croire ?
« Ce débat sur l’usage du plutonium issu des centrales avait déjà cours en 1946, au tout début de l’utilisation de l’atome », rappelle Frank von Hippel, de l’université de Princeton (New Jersey). L’argument d’Areva fait sourire cet ancien conseiller de Bill Clinton pour les questions de sécurité. Certes, les bombes atomiques conçues par les Etats font appel à du plutonium 239 (à hauteur de 93 %), car le plutonium 240, spontanément fissile, est plus susceptible d’engendrer une réaction en chaîne inopinée. Mais ce plutonium 240, fortement présent dans le Mox, peut, lui aussi, être utilisé dans une bombe atomique.
En 1990, Hans Blix, directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), estimait que « le plutonium en général, quelle que soit sa composition isotopique, peut être utilisé dans un engin nucléaire explosif ». Dans un article de 1993, J. Carson Mark, qui fut directeur de la division théorique du laboratoire atomique américain de Los Alamos de 1947 à 1972, écrivait - chiffres à l’appui - que « tout plutonium issu des réacteurs (...) est un matériel explosif potentiel ».
Mais à supposer que des terroristes s’emparent du convoi, pourraient-ils en récupérer le plutonium ? « La dissolution du Mox dans l’acide nitrique est un procédé standard, répond M. von Hippel. On pourrait le faire dans une cave – un peu grande, sans doute – et il faudrait prendre garde à ne pas l’inhaler. » Même si ces terroristes étaient incapables de maîtriser la réaction en chaîne, ils pourraient polluer durablement au plutonium un centre urbain avec une « bombe sale » utilisant des explosifs classiques - ou en faire une arme de chantage.
Jérôme Joly, directeur du nucléaire de défense à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), rappelle que, pour ces raisons, la sécurité des transports nucléaires est régie par des conventions internationales. Des dispositifs « invisibles » sont prévus, qu’il refuse de spécifier : « On se protège d’agresseurs intelligents, qui peuvent s’adapter »...
Hervé Morin