Monsanto, a-t-elle introduit en Europe un ravageur du maïs, afin de mieux valoriser un OGM que la Commission européenne l’a récemment autorisé à commercialiser ? La question est posée suite à une étude publiée dans Science, révélant qu’un insecte ravageur du maïs, baptisé Diabrotica virgifera, est en train de se disperser sur le vieux continent à partir de trois, voire quatre foyers - et non à partir d’un seul comme on le pensait jusqu’à présent (1).
Mais commençons par les présentations : Diabrotica virgifera, la Chrysomèle du maïs, est un coléoptère très répandu en Amérique du Nord. Ses larves causent de grands dégâts aux cultures du maïs, dont elles rongent les racines. En agriculture biologique, on lutte contre Diabrotica par la rotation des cultures et en évitant les trop grandes parcelles en monoculture. La riposte de l’agriculture chimique consiste à enfouir un insecticide au moment du semis, pour tuer les larves, ou à pulvériser un insecticide, pour tuer les adultes. Flairant un marché juteux, Monsanto a rapidement mis au point un maïs génétiquement modifié, le MON 863, dont les cellules produisent une substance insecticide.
Diabrotica virgifera est probablement venue par avion. Les premiers spécimens ont été observés en 1992 en Serbie, à proximité de l’aéroport de Belgrade. Jusqu’à présent, les spécialistes imaginaient une dispersion à partir de cette source unique : Italie (1998), Suisse (2000), France (2002, près de Roissy et d’Orly), puis Grande-Bretagne, Belgique et Pays-Bas (2005). Or, ce schéma de dispersion est battu en brèche par l’étude de Science, qui révèle que les populations de Diabrotica appartiennent en fait à des souches génétiques différentes...
Plusieurs familles de coléoptères américains auraient-elles pour ainsi dire décidé de prendre des avions différents pour s’établir en divers points, de l’autre côté de l’Atlantique ? On ne peut pas l’exclure, mais la probabilité de ce scénario est pour le mois limitée. Gilles Séralini, biologiste et chercheur à l’unif de Caen, est plus que sceptique : « Cet insecte a mis un siècle pour traverser les USA du Sud au Nord alors que, dès les années 50, les transports de céréales par avion étaient très courants. Ce n’est donc pas normal qu’il arrive en Europe aussi rapidement et de façon aussi fréquente » (2). Certes, la mondialisation des échanges favorise le phénomène des espèces dites invasives. Mais la dispersion réussie d’un insecte sur un nouveau continent n’est pas si aisée : il faut introduire plusieurs couples, qui doivent résister au stress du voyage et trouver un milieu propice à l’arrivée. Pour la France, des chiffres sont disponibles qui montrent que le débarquement réussi de notre Chrysomèle est loin d’être banal : de 1950 à 1999, un seul coléoptère ravageur a été introduit en France, et la Chrysomèle du maïs est le seul représentant de cette catégorie d’insectes à s’être dispersé dans l’Hexagone entre 2000 et 2005 (3)...
Un entomologiste facétieux aurait-il voulu faire une surprise à ses collègues, en droppant des Chrysomèles en plusieurs points du vieux continent ? L’hypothèse ne peut être écartée, mais il en est une autre : que Monsanto elle-même ait joué les passeurs d’insectes clandestins. Incroyable ? Qui sait... En tout cas, certaines coïncidences troublantes méritent d’être épinglées : 1°) la demande d’homologation du maïs MON 863 auprès de la Commission Européenne coïncide avec l’invasion de Diabrotica virgifera ; 2°) en France, Monsanto a commencé ses essais de ce maïs en champ en 1999... trois ans avant que le ravageur ne soit signalé dans le pays ! Depuis quand teste-t-on un procédé de lutte contre un ravageur inexistant ?
France-Nature-Environnement a demandé au premier ministre d’ouvrir une enquête sur les conditions d’arrivée de la Chrysomèle du maïs en France. Cet exemple pourrait être suivi dans d’autres pays. Le jeu en vaut la chandelle, car un rapport secret de Monsanto aurait établi que le MON 863 comporte des risques sérieux pour la santé humaine (4)...
Au vu de ce rapport, l’affaire de la Chrysomèle cesse d’être une anecdote amusante. Des rats alimentés pendant 90 jours avec une nourriture contenant 33% de maïs MON 863 présentent une série de différences significatives par rapport au groupe témoin des rats nourris avec du maïs naturel. Chez les rats nourris aux OGM :
– le poids des reins diminue de 7,1% ;
– le nombre de globules blancs augmente de 20,4% chez les mâles ;
– le nombre de lymphocytes augmente de 22,1% chez les mâles ;
– le nombre de réticulocytes diminue de 51,8% chez les femelles.
Les écarts dans la composition du sang pourraient signifier que les animaux ont développé une allergie contre laquelle le système immunitaire se mobilise. Or la croissance des allergies alimentaires est avérée. Elles peuvent s’exprimer sous forme d’asthme. Elles peuvent aussi provoquer un choc anaphylaxique, parfois mortel, surtout chez les enfants. 25% des cas d’anaphylaxie mortelle en Grande-Bretagne sont dûs à des allergies alimentaires et celles-ci touchent dorénavant 3,24% de la population française. Or, certains OGM ont déjà provoqué des problèmes de ce genre et ont dû être retirés du marché en catastrophe (5).
Le MON 863 est un OGM insecticide : ses cellules produisent une toxine qui tue la larve de Diabrotica. La production de la toxine est commandée par un « gène Bt », ainsi nommé parce qu’il est prélevé chez une bactérie du sol naturellement insecticide : Bacterium thuringiensis. Les spores de cette bactérie peuvent provoquer des réactions allergiques. En soi, ceci devrait suffire à inspirer la prudence. Mais ce n’est pas tout : il est prouvé que les gènes Bt injectés dans le génome du maïs peuvent induire une toxicité plus grave que celle induite naturellement par la bactérie : une expérience menée sur une variété de Chrysope (un insecte prédateur d’autres insectes) a ainsi montré une survie réduite et un développement retardé chez les Chrysopes mangeant des larves nourries au maïs Bt, par rapport à un groupe témoin mangeant des larves nourries avec du maïs contenant des doses encore plus importantes de la toxine naturelle.
Mais revenons à Monsanto. Confrontée à la fuite qui a révélé l’existence de cette enquête, la multinationale a fait une pirouette : elle a comparé les résultats des rats nourris aux OGM, non pas aux résultats du groupe témoin, mais à d’autres données, qu’elle a qualifié de « références » et de « valeurs historiques ». Ensuite, sur base de cette comparaison bidon, elle a décrété que les écarts observés étaient des « aberrations statistiques » attribuables à la « variabilité biologique naturelle » des rats ! La démarche totalement inacceptable sur le plan scientifique : un groupe témoin est constitué pour servir de référence et les conclusions qu’il permet de dégager ne peuvent être diluées dans d’autres données. Mais cette argumentation a suffi pour que l’Agence Européenne de la Sécurité Alimentaire donne son feu vert à la commercialisation du MON 863 en Europe...
La vérité sur les tribulations européennes de la Chrysomèle américaine ne sera sans doute jamais connue. Mais le rôle de passeur clandestin d’insectes ravageurs irait assez bien à une multinationale comme Monsanto dont tout le parcours, depuis 25 ans, est basé sur des arguments de maquignon et sur une fuite en avant permanente.
Notes
(1) MILLER N. et al. (2005), « Multiple transatlantic introductions of the Western Corn Rootworm », Science, 310 :992.
(2) Charlie Hebdo n° 705.
(3) Frédéric JACQUEMART, Article à paraître sur le site de la Fondation Franz Weber (Suisse).
(4) The Independent, 22/5/05.
(5) « GM Food & Feed not Fit for Man or Beast », The Institute for Science in Society, 7/05/04