Les élections locales se sont tenues ce dimanche 29 mars en Turquie. Les scrutins des collectivités territoriales (Conseils généraux, les 16 mairies « métropolitaines », mairies, mairies d’arrondissement, délégués de villages et de quartiers-dont le nombre d’habitants peut atteindre plusieurs dizaines de milliers) se tiennent en même temps. Note importante les départements portent presque toujours le nom des chefs lieux.
La campagne a été particulièrement dépolitisée et marquée par les invectives échangés par les différents leaders des grands partis, dans le même temps chaque localité connaissait sa propre campagne, ce qui est assez logique vu le scrutin. Le décès du leader et député d’un parti de droite radicale dans un accident d’hélicoptère a également marqué la fin de la campagne.
Dans de nombreuses communes l’affiliation partisane du candidat n’a que peu d’importance (d’autant plus qu’il y a des cas de « transferts » de politiciens entre partis) comme à Adana (le maire sortant a été réélu sans problème après avoir changé de parti). En résumé des enjeux locaux mais avec une réelle influence de l’évolution catastrophique de l’économie en Turquie...
Le mode de scrutin est la proportionnelle à un tour pour les Conseils Généraux (qui ont moins de pouvoir qu’en France), et scrutin de liste à un tour pour les municipales : ainsi il « suffit » de finir 1er au 1er tour (même avec 25%) pour conquérir la mairie. Malgré ce système, il n y a quasiment aucune alliance et listes communes entre les principaux partis.
Les résultats :
De manière générale l’AKP connaît un recul, mais dans un contexte extrêmement dépolitisé ses adversaires du MHP (ultransationaliste) et du CHP (« kémaliste » qui se réclame de « gauche » mais dévelloppe un discours libéral et nationaliste, sa laicité pouvant être très ambigue) dévellopent des positions qui peinent à se distinguer fondamentalement du parti au pouvoir, il s’agit avant tout « d’écuries » de grandes ampleures (la facilité de passage d’un parti à l’autre en est une illustration). La position du DTP est sensiblement différente puisqu’il ne s’inscrit pas dans le nationalisme turc dominant mais est un parti « régional » représentant le nationalisme kurde dans le sud est.
Si l’AKP au pouvoir reste, de ,le 1er parti du pays et capable d’être présent sur l’ensemble du territoire (y compris dans le sud est kurde), ces élections sont considérés comme le premier échec relatif d’Erdogan. Si l’AKP¨a gagné quelques mairies, parmi elles Trabzon sur la mer noire, elle a perdu dans certaines communes importantes telle qu’Antalya remporté par le candidat du CHP « kémaliste » (un ancien recteur anti voile à l’université dont une nomination avait été bloquée par le gouvernement), Sanliurfa face à un indépendant ex-AKP, d’importantes villes du sud (Osmaniye) et de l’ouest (Manisa) aux ultranationalistes du MHP, certains arrondissements importants d’Ankara face aux « kémalistes » du CHP...
Surtout l’AKP a été incapable de prendre les bastions de ses opposants, au contraire ses candidats ont été largement battu comme à Izmir, d’importants arrondissements d’Istanbul (Besiktas, Kadiköy...) ou dans les communes de Thrace (bastions du CHP). De même l’AKP a clairement été battu dans le Sud est par le DTP kurde contrairement à ses espérances. Le DTP a renforcé sa position dans ses bastions d’Hakkari (78% !) ou de Diyarbakir et a ravi à l’AKP Van et Siirt (ou Erdogan s’était fait élire député) et gagné à Tunceli.
Enfin, l’AKP a gagné avec moins de marge dans des villes ou il était largement favori comme les mairies centrales d’Istanbul (ou l’arrondissement de Beyoglu base de l’ascension politique d’Erdogan a été conservé de justesse) ou d’Ankara, si bien que le CHP a dénoncé des fraudes.
Les « vainqueurs » sont donc le DTP, le CHP « kémaliste » mais surtout les ultranationalistes du MHP qui ont confirmé leur implantation et ont connu des succès inattendus dans l’ouest du pays (Manisa, Balikesir).
Parmi les 81 chefs lieux du pays, seules 2 ont élus une femme : la député-maire CHP d’Aydin, et la nouvelle maire DTP de Tunceli : Edibe Sahin.
En ce qui concerne la gauche radicale, les scores à l’échelle du pays sont très faibles (autour de 0,6 toutes les organisations cumulées) mais dans bien des endroits il pouvait y avoir des listes communes ou une absence de candidature. Cependant, la gauche radical a gagné deux mairies :
EMEP (Le Parti du Travail) issu de la mouvance pro-albanaise (et ayant récemment célébré le 100e anniversaire de la naissance d’Enver Hoxha) a remporté les élections dans son département de prédilection de Tunceli dans la commune de Mazgirt (7000 habitants).
L’ÖDP (dont fait parti la section Turquie de la Quatrième Internationale mais qui est un parti plus large traversant une longue crise, membre de la GUE et observateur à la Gauche Anticapitaliste Européenne) a perdu les 2 communes qu’il dirigeait (Hopa et Bagadin) mais a gagné à Samandag (Suwaidiyyah en arabe) 42 000 habitants (majoritairement arabophone alaouite marquée à gauche) dans le département d’Hatay (sud est) avec 34% avec le soutien d’une initiative localede gauche.
L’ÖDP a également remporté trois autre mairies de moindre importance :
* Aknehir, département d’Hatay, sous-préfecture de Samandag (également prise par l’ÖDP donc), un peu plus de 2000 habitants.
* Ağılbaşı, un village montagnard dans le département de Malatya (est) sous préfecture de Darende, quelques centaines d’habitants.
* Hasandede, département de Kirikkale, 6000 habitants.
Des candidats « socialistes » (ce qui en Turquie signifie gauche radicale) indépendants ont également remporté dans le département de Tunceli (ancré à gauche) les communes de Hozat et de Pertek. C’est également le cas à Camlihemsin (2000 habitants), département de Rize, sur la mer noire ou une importante campagne à été menée contre la construction d’une centrale nucléaire.