Ils ont fait le voyage de France jusqu’à Turin pour témoigner de leur « solidarité internationale » avec les victimes italiennes de la catastrophe sanitaire [1]. L’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva), qui milite pour la reconnaissance du préjudice d’anciens ouvriers d’Eternit France, estime que le procès turinois devrait « servir d’exemple à l’Hexagone ». L’Andeva, qui a obtenu, devant les tribunaux civils, l’indemnisation de milliers de victimes, se bat désormais pour la condamnation, au pénal, des responsables industriels et sanitaires. « En France, les victimes attendent depuis treize ans le procès pénal des responsables de la catastrophe sanitaire », rappelait l’Andeva dans un communiqué, le 3 avril.
Depuis son interdiction au 1er janvier 1997, l’amiante a alimenté la chronique des tribunaux français. Bien que les premières plaintes, au pénal, aient été déposées dès 1996, elles sont longtemps restées en sommeil. Un seul procès a été mené à son terme : le 6 mars 2008, la société Alstom Power Boilers était condamnée pour « mise en danger de la vie d’autrui » par la cour d’appel de Douai à 75 000 euros d’amende pour avoir exposé ses salariés à l’amiante, entre 1998 et 2001, malgré l’interdiction de la fibre. L’ex-directeur de l’usine écopait quant à lui de trois mois avec sursis et de 3 000 euros d’amende.
ETAPE DÉCISIVE
Cette affaire exceptée, les principaux dossiers liés à l’amiante sont toujours au stade de l’instruction - une trentaine d’affaires impliquant essentiellement les anciens sites de transformation ou d’utilisation de la fibre. La juge Marie-Odile Bertella-Geffroy, qui instruit l’essentiel des dossiers, a déjà procédé à des mises en examen : en juillet 2008, elle mettait ainsi en cause une ancienne médecin du travail du port de Dunkerque pour « homicide involontaire » et « non-assistance à péril » après le décès de seize dockers contaminés par l’amiante. En septembre et octobre 2007, elle mettait en examen un ancien médecin du travail de Condé-sur-Noireau (Calvados), ainsi que les sept directeurs qui se sont succédé à la tête de l’usine Ferodo, où un millier d’ouvriers ont été contaminés.
Depuis, les principaux obstacles juridiques qui pesaient sur le dossier ont été levés. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a confirmé, le 6 février, les mises en examen pour « homicides et blessures involontaires » des anciens directeurs de Ferodo. La cour d’appel a estimé qu’il existait bien « des indices au moins concordants et non hypothétiques » de l’existence d’une faute caractérisée du fait de l’exposition des ouvriers à l’amiante et de l’absence de mesures de prévention. Pour l’Andeva, il s’agit d’une étape décisive : « La décision de la cour d’appel semble ouvrir la voie à un procès pénal, que nous espérons au mieux dans quatre ans, relève Me Michel Ledoux, avocat des victimes. Mais le temps passant, nous craignons qu’il n’y ait plus guère de combattants, du côté des victimes comme de celui des responsables. »
Cécile Prieur
LA FIBRE, CAUSE DE CANCERS DU LARYNX ET DES OVAIRES
L’amiante serait responsable, outre de cancers de la plèvre (mésothéliomes) et du poumon, de cancers du larynx et des ovaires, a indiqué, jeudi 9 avril, le Centre international de recherches sur le cancer (CIRC), confirmant une information révélée par le magazine Santé et travail.
Le CIRC s’apprête à réviser sa monographie consacrée à l’amiante, estimant que le niveau de preuve de l’effet cancérogène de l’amiante est « suffisant » pour le larynx et les ovaires et « limité » pour les cancers colorectal, de l’estomac et du pharynx. Cette évolution des connaissances « devrait entraîner des répercussions sur la reconnaissance de nouvelles maladies professionnelles », estime Santé et travail. En France, l’amiante serait à l’origine de 10 % à 20 % des cancers du poumon et devrait être responsable, selon les projections épidémiologiques, de 100 000 morts d’ici à 2025.