Tokyo Correspondant
Alors que le Conseil de sécurité des Nations unies reste divisé sur l’adoption d’une résolution sanctionnant la Corée du Nord pour le tir, le 5 avril, d’un lanceur de satellite - ou d’un missile expérimental -, le régime de Pyongyang donne de lui-même une image de solidité et de cohésion.
La réapparition lors de la session inaugurale de l’Assemblée suprême du peuple, le 8 avril, du dirigeant Kim Jong-il, absent depuis août de toute manifestation publique, témoigne de son retour officiel aux commandes, après des mois de spéculations sur son état de santé. Il a été reconduit pour cinq ans à la tête de la Commission de défense nationale.
La promotion de son beau-frère, Chang Song-teak, au sein de cette commission de treize membres, est perçue par les experts sud-coréens comme un renforcement de l’instance dirigeante du pays : en cas de vacance du pouvoir, elle ferait office de direction collégiale et gérerait la transition.
Une révision de la Constitution a en outre été votée par l’Assemblée. On en ignore le contenu, mais ces mesures pourraient porter sur le processus de succession, comme ce fut le cas en 1992 lorsque fut entériné, au fil d’amendements constitutionnels, le transfert du pouvoir de Kim Il-sung à son fils.
Victime d’une hémorragie cérébrale en août - qui n’a jamais été annoncée officiellement -, Kim Jong-il n’était plus apparu en public. De rares photographies de ses visites à travers le pays avaient été diffusées à l’automne.
Assis à la tribune sous une gigantesque statue de son père, Kim Jong-il, 67 ans, est apparu frêle (il a perdu son embonpoint), les traits marqués, la chevelure éparse et grisonnante, vieilli, mais apparemment en bonne santé.
Des images l’ont montré applaudissant des deux mains en réponse aux ovations alors que, selon la rumeur, il aurait été paralysé d’un bras. Montant à la tribune, il boitait cependant légèrement de la jambe gauche. « Bien qu’il ait perdu de sa vigueur, il apparaît en mesure de diriger le pays », estime Yang Moo-jin de l’université des études nord-coréennes à Séoul.
La promotion de Chang Song-teak est perçue comme le signe de la volonté du régime de renforcer le cercle dirigeant. Marié à la soeur cadette de Kim Jong-il, Chang Song-taek est à la tête du puissant département de l’organisation du Parti du travail, qui contrôle les services de sécurité et la justice. Depuis l’accident de santé de Kim Jong-il, son influence dans la gestion des affaires courantes s’est accrue.
Ce technocrate lié à la famille Kim, puissant dans le parti, présenté comme affable et pragmatique, dispose de connexions dans l’armée par l’un de ses frères, général. A 63 ans, c’est le plus jeune membre de la Commission de défense nationale.
« ACTIONS D’ÉCLAT »
Les experts sud-coréens estiment qu’il est le mieux placé pour assurer la pérennité du régime. Le scénario retenu pour l’instant est une direction collégiale avec pour symbole de continuité un des trois fils de Kim Jong-il. Selon Ko Yu-hwan, expert de la RPDC de l’université Dongguk à Séoul, « la promotion de Chang Song-taek vise à parer à toute éventualité ».
Les manifestations de « jubilation » socialiste sur la place Kim Il-sung, à Pyongyang, pour célébrer le « succès », selon le régime, de la mise sur orbite d’un satellite de communication incitent à penser que ce tir effectué avant la session de l’Assemblée avait, au-delà du défi adressé aux Etats-Unis, un enjeu de politique intérieure.
Il s’agissait d’infirmer les rumeurs propagées à travers le pays sur la détérioration de la santé du « Dirigeant » en montrant qu’il est aux commandes et mène des « actions d’éclat » destinées à stimuler la fierté nationale. Celle-ci peut-elle « compenser » les souffrances endurées par la population ? Saluant l’« exploit », l’organe du Parti du travail, Rodong Sinmun, a fait état, dans une rare expression de commisération du régime, des « regrets » du « Dirigeant » que les ressources mobilisées pour ce tir ne l’aient pas été « pour améliorer les conditions de vie ». Ajoutant que « le peuple le comprendrait ».
Philippe Pons
* Article paru dans le Monde, édition du 12.04.09. LE MONDE | 11.04.09 | 13h49 • Mis à jour le 11.04.09 | 13h49.
La Corée du Nord annonce qu’elle met fin aux discussions sur sa dénucléarisation
TOKYO CORRESPONDANT
Le régime de Pyongyang a promptement répliqué à la condamnation, lundi 13 avril, par le Conseil de sécurité des Nations unies, du tir, le 5 avril, d’une fusée balistique. Il a annoncé, mardi, qu’il quittait les négociations à six (Chine, Corées, Etats-Unis, Japon et Russie) sur sa dénucléarisation, et qu’il allait reprendre son programme de production de plutonium. Pyongyang a été jusqu’à réclamer, mardi soir, le départ des inspecteurs de l’AIEA, sommés de quitter au plus vite le territoire nord-coréen.
Ce retrait des pourparlers comme la reprise du programme nucléaire avaient été annoncés par la République populaire démocratique de Corée (RPDC) dans le cas où le Conseil de sécurité réagirait à ce qu’elle dit avoir été l’envoi dans l’espace d’un satellite de communication.
Rejetant « fermement » la décision du Conseil de sécurité, la RPDC estime que « les discussions à six n’ont plus de raison d’être ». « Nous entendons renforcer notre dissuasion nucléaire », et « nous allons prendre les mesures nécessaires pour redémarrer nos installations nucléaires », a annoncé le ministère des affaires étrangères nord-coréen. En février 2007, la RPDC avait conclu un accord avec les autres parties aux négociations à six, par lequel elle s’engageait à désactiver, puis à démanteler, ses installations atomiques en échange d’assistance et de garanties de sécurité au fil d’un processus graduel.
SÉRIE DE RÉACTIONS DIPLOMATIQUES
La centrale de Yongbyon, qui a produit le plutonium utilisé dans un essai nucléaire souterrain, en 2006, avait été désactivée en juillet 2007 en présence d’experts de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA), et sa tour de refroidissement avait été démolie un an plus tard. Depuis, les négociations se sont enlisées sur les modalités de vérification de la dénucléarisation de la RPDC.
Il faudra sans doute un certain temps pour la remise en route de la centrale. La RPDC semble de toute façon posséder déjà une bonne quantité de plutonium. Selig Harrison, du Centre international Woodrow-Wilson à Washington, l’un des rares Américains à se rendre fréquemment en RPDC, avait déclaré, à son retour de Pyongyang en janvier, que la RPDC aurait retraité 30,8 kilogrammes de plutonium. Suffisamment pour lui permettre de fabriquer de quatre à cinq bombes nucléaires.
Alors que Tokyo a salué comme un « grand succès » la déclaration du Conseil de sécurité – celle-ci est pourtant en retrait par rapport aux attentes japonaises et occidentales car elle n’est pas contraignante –, Moscou a exprimé son « regret » que Pyongyang se retire des pourparlers à six.
La réaction prévisible de Pyongyang va vraisemblablement provoquer une série de réactions diplomatiques, mais la plupart des observateurs estiment qu’elle ne ferme pas la porte au dialogue. Au lendemain du tir du 5 avril, l’ambassadeur américain Stephen Bosworth, chargé du dossier nord-coréen, avait rappelé que l’administration de Barack Obama souhaitait des pourparlers directs avec Pyongyang. La RPDC vient de « placer la barre » un peu plus haut.
Philippe Pons (avec Philippe Bolopion à New York, Nations unies)
* Article paru dans l’édition du 15.04.09. LE MONDE | 14.04.09 | 14h51 • Mis à jour le 14.04.09 | 20h02.