« Le pétrole a été la malédiction du Soudan », a écrit un jour l’écrivain soudanais Djamal Mahjoub, en évoquant le déclenchement de la guerre civile dans le Sud au milieu des années 80 après la confirmation de son immense potentiel pétrolier. Depuis, du pétrole a été trouvé ailleurs dans le pays, comme, par exemple, dans le Darfour. D’importantes autres découvertes pourraient être faites dans le Nord-est et le Nord-ouest. La rivalité entre les grandes puissances intéressées par le secteur de l’énergie soudanais, principalement les Etats-Unis, la France et la Chine , n’en est que plus accrue.
Mais, en attendant l’entrée en production de nouveaux importants gisements, le Soudan est déjà un « pays pétrolier ». Selon « Oil and Gas Journal », cité par le Département américain de l’Energie (DoE), ses réserves prouvées étaient estimées en 2007 à 5 milliards de barils, ce qui le classe au 5e rang à l’échelle africaine, entre l’Angola (8 milliards) et l’Egypte (3,5 milliards). Ces réserves n’étaient que de 1.6 milliard de barils en 2005, affirme le site des statistiques mondiales, « Index Mundi ». Faut-il voir dans leur quadruplement en deux ans une des raisons de l’intérêt croissant des puissances occidentales pour ce pays ?
La production soudanaise de pétrole brut ne cesse d’augmenter elle aussi. De quelque 75.000 barils en 1999 elle est passée à 414.000 en 2006, selon le DoE. Les revenus pétroliers constituaient en 2006, souligne la Banque africaine de développement (BAD), 60% des revenus de l’Etat et 95% de ceux des exportations. Fouetté par le pétrole, le PIB a fait d’énormes bonds : 5,10% en 2003, 8% en 2006 et 12,8% en 2008 (sources : Index Mundi). Le PIB par habitant a suivi, naturellement : il a presque doublé entre 2003 et 2008 (2500 dollars contre 1420).
L’ensemble de ces éléments permettent de conclure que le Soudan, au moins potentiellement, n’est plus le pays pauvre que continuent d’évoquer les mass-médias. Or, si cette vérité est tue, c’est que les grandes puissances ne veulent pas que l’opinion mondiale découvre derrière la « cause humanitaire du Darfour » une vulgaire « cause du pétrole ».
Les richesses pétrolières du Soudan sont exploitées essentiellement par les Chinois. La compagnie CNPC est majoritaire (40%) dans Greater Nile Petroleum Operating Company (GNPOC) qui exploite le bloc 1, à l’ouest du Nil blanc ; le reste des actions de la GNPOC se partagent entre Petronas (Malaisie, 30%), ONGC (Inde, 25%) et Sudapet (Soudan, 5%). La même compagnie chinoise est présente dans les blocs 3 et 7 à l’est du Nil blanc et exploite le bloc 6 qui s’étend jusqu’au Darfour du Sud. La Chine est, naturellement, le principal acquéreur du pétrole soudanais (80%), qui constitue 6% de l’ensemble de ses importations pétrolières.
La mainmise de la Chine sur le secteur énergétique soudanais autorise à penser que la campagne occidentale contre Omar Al Bachir est aussi une « campagne anti-chinoise ». Le but est de signifier aux nouveaux venus en terre d’Afrique que leur position y sera inconfortable tant qu’ils n’accepteront pas de lâcher du lest sur d’autres dossiers litigieux en négociation avec les Etats-Unis et l’UE.
Les Etats-Unis, eux, sont complètement absents du secteur de l’énergie soudanais. Ils n’y ont même pas la présence modeste du Canada ou de la Suède. Le groupe américain Chevron a dû quitter le Sud-Soudan en 1985, après le déclenchement de la rébellion de l’APLS dirigée par John Garang. Depuis, 1997, les sanctions économiques ont rendu illégaux les investissements US dans le pays. Comme ils ont soutenu l’APLS, les Etats-Unis soutiennent les rebelles darfouris, qui aspirent eux aussi à un partage des ressources pétrolières de leur province avec le gouvernement central.
La France , qui avait pris le parti d’Omar Al Bachir contre l’APLS, s’est aujourd’hui alignée sur la position américaine, ce qu’expliquent, entre autres raisons l’hostilité de Khartoum à son fidèle allié tchadien. En outre, la volonté de la CPI de juger le président soudanais annonce des développements rapides de la situation au Soudan : la perspective de la sécession du Sud pétrolier est encore une fois ouverte et les Français ne désespèrent pas de récupérer le « bloc 5 » (extrême sud), que Total–Fina Elf a dû abandonner au début de la rébellion de l’APLS.
Les appétits des puissances occidentales sont d’autant plus féroces qu’approche le référendum sur le statut final du Sud, prévu par les accords de paix signés en 2004 par Omar Al Bachir et John Garang. Lors de ce référendum, qui aura lieu en 2012, les sud-soudanais décideront s’ils désirent l’indépendance ou leur rattachement définitif à Khartoum. Une sécession signifiera que les revenus du pétrole du Sud n’alimenteront plus les caisses de l’autorité centrale. Elle signifiera, surtout, que les contrats pétroliers seront négociés avec un gouvernement APLS, plutôt bien disposé envers les Etats-Unis d’Amérique.