Le président du Sri Lanka, Mahinda Rajapakse, exclut un cessez-le-feu avec les Tigres tamouls acculés dans le nord-est de l’île. « Nous n’avons aucun projet de cessez-le-feu avec les Tigres, mais il leur reste juste un peu de temps pour déposer leurs armes et se rendre, même si nos opérations militaires s’achèvent », a déclaré le chef de l’Etat, jeudi 30 avril, dans un discours en direct à la télévision. Les Tigres tamouls ont pour leur part annoncé qu’ils ne se rendraient pas aux forces sri-lankaises, demandant à la communauté internationale d’accentuer ses efforts pour imposer un cessez-le-feu.
En visite mercredi au Sri Lanka, les ministres français et britannique des affaires étrangères, Bernard Kouchner et David Miliband, n’ont pas obtenu de Colombo une trêve « humanitaire » dans sa guerre contre les rebelles tamouls, ni même un accès humanitaire aux 50 000 civils piégés dans les combats.
M. Rajapakse, élu en novembre 2005, est l’architecte d’une guerre à outrance et populaire contre les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Persuadé d’être tout près de la victoire militaire et extrêmement sourcilleux sur sa souveraineté, le Sri Lanka reste sourd aux critiques internationales, surtout venues des Occidentaux, quant à sa manière de conduire son conflit contre les Tigres. Colombo a assuré cette semaine avoir cessé de tirer à l’arme lourde contre l’enclave rebelle pour épargner les civils. Le LTTE assure que les bombardements continuent.
* LEMONDE.FR avec AFP et AP | 30.04.09 | 11h38 • Mis à jour le 30.04.09 | 12h07.
A Vavuniya, le drame des Sri-Lankais déplacés par la guerre s’aggrave
VAVUNIYA (SRI LANKA) ENVOYÉ SPÉCIAL
Le district de Vavuniya, au nord du Sri Lanka, au cœur de terres ocre et vertes, était, voilà un an, un fief des rebelles tamouls, en guerre depuis plus de 25 ans avec le régime de Colombo. Les routes y sont jalonnées d’anciens postes de garde du mouvement des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), désormais occupés par des soldats de l’armée régulière, qui boucle la région.
Le régime sri-lankais semble en effet désireux d’y cacher l’autre visage d’une guerre qui approche de son épilogue et qui est confinée à une bande côtière de 10 km2, coincée entre une lagune et la mer, près du port de Mullaitivu. « Le district de Vavuniya concentre l’essentiel des réfugiés de ce conflit. La situation y est dramatique », assure Amin Awad, représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
Les vingt-quatre camps de Vavunyia accueillaient, jusqu’au 20 avril, 68 000 personnes ayant fui les zones de combat, selon des organisations non gouvernementales (ONG). Depuis le 21 avril, à la suite du lancement par l’armée de sa « mission secours », menée à l’arme lourde, près de 90 000 réfugiés ont grossi les rangs. « Chaque jour, les bus de l’armée déposent sur le bord de la route près de 10 000 personnes. On ne sait plus où les mettre », nous raconte un humanitaire.
Le site est saturé. L’eau, la nourriture, les toilettes et les abris manquent. Près de 45 000 personnes ont été installées dans des écoles et des bâtiments publics réquisitionnés. La surpopulation de ces lieux a été estimée par l’ONU « à 400 % ».
Le camp de Manic Farm, au sud du district, est considéré comme « un modèle » par l’armée sri-lankaise, qui « gère » cette crise humanitaire. Des maisons construites par le gouvernement hébergent, depuis quatre mois, 20 000 personnes. Mercredi 29 avril, des familles avec de nombreux enfants s’agglutinaient derrière les barbelés du camp pour apercevoir les ministres des affaires étrangères français et britannique, Bernard Kouchner et David Miliband. En visite dans l’île, ils espéraient convaincre les autorités de desserrer l’étau de l’armée autour de ces lieux. Ces camps submergés par l’afflux de réfugiés sont aussi sévèrement contrôlés par l’armée, qui en interdit l’accès à la presse et restreint de manière draconienne l’activité des ONG.
Le passage des deux diplomates occidentaux aura seulement permis d’obtenir un engagement oral de la part des autorités sri-lankaises d’ouvrir « plus largement l’accès » aux camps, « hors zone de conflit ». Ce résultat mineur au regard des espoirs formulés avant leur arrivée par les deux ministres est toutefois qualifié par M. Awad, du HCR, « de point non négligeable au regard des difficultés de travail sur place ». Il resterait, selon l’ONU, 50 000 personnes dans l’enclave encore contrôlée par les Tigres tamouls.
Entouré d’une foule intriguée, Thamotiran Jeonthessavarn, un bol de riz à la main, raconte sa fuite de la zone des combats à Kilinochchi : « Les gens ont peur de parler, mais je vous dis que les Tigres nous interdisaient de sortir de la zone. Après, quand l’armée nous a mis dans les bus, certains sont morts de faim et de soif. Ici, ils nous interdisent de quitter le camp. Il y a trop de monde, alors que beaucoup d’entre nous pourraient rentrer chez eux. »
D’autres camps dits « de transit », mélange de bois et de bâches en plastique, accueillent près de 35 000 personnes dans une zone à moitié débroussaillée. « Les files d’attente y atteignent 600 mètres », rapporte un humanitaire. « Les hommes volent les rations des plus faibles, ajoute-t-il. La fin de la saison des pluies nous obligera bientôt à aller de plus en plus loin pour amener de l’eau ; au lieu des cinq à sept voyages, on ne pourra plus en faire que deux ou trois. Ce qui est insupportable, c’est qu’à la faim s’ajoute la répression. »
Le ministre adjoint des affaires étrangères sri-lankais, Palitha Kohona, justifie l’inflexibilité de son gouvernement. « Toute pause humanitaire dans la zone des combats, dit-il, permettrait aux Tigres de reconstituer leurs forces, et cela ferait encore durer ce conflit. » « Ils trouveraient le moyen de s’enfuir et poursuivraient la lutte d’un autre lieu. Une insurrection qui bénéficie d’une base arrière est imbattable, on le voit en Afghanistan », ajoute le ministre.
Le chef de la diplomatie, Rohita Bogollagama, a repris cette argumentation lorsque M. Kouchner a suggéré une mission de médiation entre les deux belligérants pour aboutir à une « pause humanitaire » déjà demandée par l’ONU. « Avec qui voulez-vous parler ?, a rétorqué M. Bogollagama. Pourquoi voulez-vous parler avec le LTTE ? Ils combattront jusqu’à la mort, cela ne sert à rien. » En signe de bonne foi, le régime de Colombo affirme avoir déjà mis en œuvre des programmes de réinsertion des soldats du LTTE, comprenant un volet particulier pour ceux ayant été enrôlés dès l’adolescence.
Les autorités sri-lankaises n’entendent rien céder aux pressions internationales. « Ce pays est dirigé par la famille Rajapakse, décrypte un responsable local d’une organisation internationale. Un frère (Mahinda) est président, deux autres sont ministres. Ils considèrent qu’ils ont rendez-vous avec l’Histoire après avoir transformé leur pays en un Etat très militarisé. »
Le sentiment d’être une citadelle assiégée conduit Colombo à considérer que l’ONU et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) sortent de leur neutralité et veulent favoriser les Tigres sous prétexte d’aider les populations. « Il ne s’agit pas de soutenir le LTTE, mais de sauver des vies », rétorque David Miliband. « S’il faut savoir gagner la guerre, il faut aussi savoir gagner la paix », a-t-il ajouté. « C’est souvent dans les derniers jours de la guerre que se joue l’avenir », renchérit Bernard Kouchner.
Jacques Follorou
* Article paru dans le Monde, édition du 02.05.09. LE MONDE | 30.04.09 | 14h27
L’isolement des Tigres tamouls
New Delhi, correspondant en Asie du Sud
Ils le veulent, ils le traqueront jusque dans ses derniers trous de jungle. Voilà un quart de siècle que les généraux de Colombo rêvent d’en finir avec le chef de la rébellion séparatiste tamoule, Velupillai Prabhakaran, ce « terroriste », ce maquisard de l’ombre qui les a tant humiliés, commandant de ce qui fut naguère la guérilla la plus puissante du monde mais qui agonise depuis six mois sous un orage d’acier.
Qu’importe les dommages collatéraux chez les civils si tel est le prix à payer pour le mettre hors d’état de nuire. Mort ? Vivant ? Fugitif, sûrement pas. Mouillant au large de Mullaitivu, langue de sable ourlant le nord de la côte orientale de Ceylan, une armada de navires de guerre veille à éviter que le chef traqué ne s’arrache à son bunker et ne s’évanouisse sur un esquif.
Moustache gourmande, embonpoint gondolant un treillis ciselé comme un costume, l’homme n’est pas aussi rond qu’il y paraît. La gueule du tigre frappant l’écusson qui orne sa casquette se charge de le rappeler à l’étourdi ou au naïf. Le tigre, voilà le fétiche de V. Prabhakaran. La force du tigre, sa férocité, sa cruauté. A 55 ans, le fondateur des Tigres de libération de l’Eelam [pays] tamoul (LTTE) livre sans doute son ultime bataille. Avec lui, le LTTE se relèvera difficilement de la mitraille des généraux de Colombo.
Mais la cause tamoule ? Le combat pour les droits de cette minorité hindoue (15 % de la population) qui, depuis l’indépendance de l’île en 1948, s’est toujours sentie mal à l’aise dans un Sri Lanka dominé par les Cinghalais bouddhistes (74 %) ? Les Tigres et leur chef peuvent bien disparaître. La « question tamoule », elle, demeure. Le pouvoir de Colombo ne pourra l’éluder s’il veut éviter que de nouveaux enragés ne surgissent des décombres actuels.
UNE AFFAIRE DE LANGUE
Tout a commencé avec une affaire de langue. En 1956, le Parlement de Colombo adopte une loi instituant le cinghalais comme l’unique langue officielle du pays. L’ethnie majoritaire n’y voit que justice. Mais pour la minorité tamoule, qui avait dominé l’administration de l’ère coloniale en raison de sa bonne éducation en anglais, cette « cinghalisation » annonce une érosion de son statut. Le combat pour imposer la parité linguistique entre le tamoul et le cinghalais vient de commencer.
Une première génération d’hommes politiques tamouls s’y aiguisera les dents au fil de luttes tumultueuses où chaque acquis sera annihilé par un recul. Le clergé bouddhiste, qui orchestre l’avant-garde du nationalisme cinghalais, veille au grain : il se dresse dès que les Tamouls arrachent une concession. Des pogroms antitamouls, notamment ceux de 1958, conforteront l’élite déclassée dans son sentiment d’aliénation. A la dépossession linguistique s’ajoute la pression foncière de « colons » cinghalais encouragés à s’installer dans les bastions tamouls du nord et de l’est de l’île. Le décor est campé, la scène est dressée pour qu’une nouvelle génération plus radicale évince des politiciens aux vaines suppliques.
A l’époque, on les appelle les « boys ». V. Prabhakaran a 22ans quand il crée en 1976 sa formation des Tigres. L’objectif proclamé est l’indépendance du « pays » tamoul. Par tous les moyens. Le LTTE n’est alors qu’un groupe au sein d’une galaxie « révolutionnaire » aux multiples pôles. Mais il est le plus extrémiste, le plus violent.
CULTE DE LA PERSONNALITÉ
Après l’intervention de l’armée en 1979 à Jaffna (extrême nord) et les émeutes antitamoules de 1983, l’exil en Inde est inévitable. Les services secrets de New Delhi accueillent très amicalement ces apprentis guérilleros qui se forment dans des camps d’entraînement de l’Etat indien méridional du Tamil Nadu. Le LTTE est particulièrement couvé. Les stratèges indiens s’en mordront plus tard les doigts. Car le LTTE de V. Prabhakaran est en train de muer en secte militaire aux visées hégémoniques et à l’extrémisme sans limite.
Après avoir assassiné tous les chefs des groupes tamouls rivaux, le LTTE se retourne contre New Delhi. En 1987, un accord est signé entre l’Inde et le Sri Lanka aux termes duquel l’armée indienne est chargée du « maintien de la paix » dans l’île. Très rapidement, les Tigres affrontent les soldats de New Delhi, forcés à quitter l’île en 1990. Un an plus tard, le LTTE assassine le premier ministre indien, Rajiv Gandhi.
Les Tigres sont alors au faîte de leur puissance. Ils établissent un Etat de facto, régnant sur la majeure partie du nord de l’île à majorité tamoule. Forte d’une dizaine de milliers de soldats, son armée dispose d’une petite aviation (les Tigres de l’air), d’une marine (les Tigres de mer) et de commandos suicides (les Tigres noirs) qui saignent les forces de Colombo.
Mais le culte de la personnalité autour de V. Prabhakaran, l’exaltation de la violence, la martyrologie mortifère, la militarisation de la société tamoule, la dérive totalitaire et le refus de tout compromis avec Colombo sèment des germes de désagrégation. On ne compte plus les adversaires qui finissent par se liguer contre ces Tigres impossibles : dissidents tamouls, nationalistes cinghalais, Inde, Etats-Unis, Union européenne.
Les Tigres succombent aujourd’hui moins aux assauts de Colombo qu’à leur isolement général, fruit amer d’une gloire passée qui les a grisés jusqu’à l’hallucination.
Frédéric Bobin
* LE MONDE | 27.04.09 | 09h46 • Mis à jour le 27.04.09 | 10h27.