Que produit Euzkadi ?
Jesus Torres Nuno - L’usine d’El Salto produit principalement des pneus, bien que, durant un certain temps nous ayons produit d’autres choses, comme des tuyaux en plastique. Au début, en 1934, le patron était basque, d’où le nom de l’entreprise. Puis, après divers propriétaires, l’usine est passée dans le giron de la multinationale allemande Continental AG. À San Luis Potosi, il y a une usine General Tire, qui produit également des pneus, mais les travailleurs y sont organisés dans la Centrale mexicaine du travail (CTM), sorte de « syndicat jaune » qui maintient une forte pression sur place.
Comment est né votre syndicat ?
J. Torres Nuno - Le Syndicat national révolutionnaire des travailleurs d’Euzkadi est un syndicat d’entreprise. Ses origines remontent à 1935. Il est issu d’une fusion entre un courant du Parti communiste mexicain et un autre se revendiquant de la vierge Guadalupe, sainte censée veiller sur le Mexique. Le syndicat a connu de nombreuses luttes et a fini par gagner une réelle indépendance de classe. La lutte que nous venons de mener est sans doute la plus importante de ces 70 dernières années. Nous venons de gagner la réouverture de l’usine, contre la volonté de Continental. Avec 500 ouvriers au début, le syndicat a atteint jusqu’à 3000 adhérents.
Comment a commencé votre grève ?
J. Torres Nuno - La grève a commencé après l’annonce par Continental de la fermeture de l’usine. Notre mouvement a duré jusqu’à la réouverture du site : exactement 1 141 jours ! La multinationale savait que l’usine d’El Salto était l’une des plus compétitives d’Amérique latine, mais elle voulait la fermer, dans l’idée de détruire notre syndicat, pour ensuite rouvrir, sans syndicat et en « renégociant » les conditions de travail et de salaires. Nous nous sommes organisés sur le principe démocratique de discussions libres en assemblées générales régulières. Pour notre syndicat, l’assemblée générale a l’autorité légitime et décide des orientations du mouvement. C’est ainsi que nous avons déterminé l’organisation concrète de la mobilisation. Nous avons aussi lutté avec les collègues de l’usine de San Luis Potosi. Là aussi, ils ont menacé de fermer la boîte, mais la CTM a commencé à accepter les nouvelles conditions. Les travailleurs se sont rendus compte que les patrons voulaient toujours plus. La base s’est alors rebellée. Les délégués qui s’étaient fait licencier, avec l’aval de la CTM, pour nous avoir aidés, ont dû être réintégrés. Par la suite, nous sommes sortis du cadre strict de l’entreprise, en tentant de faire le lien avec les autres luttes du pays. Cela a joué un rôle déterminant.
Comment avez-vous pu tenir pendant trois ans ?
J. Torres Nuno - En popularisant notre grève, nous avons gagné la solidarité d’autres travailleurs, ce qui nous a permis de tenir aussi longtemps. Par exemple, une coopérative ouvrière de jus de fruits nous a versé tous les mois une aide financière, parce que nous les avions aidés, il y a vingt ans, contre leur patron. Au niveau international, nous avons également reçu le soutien d’organisations syndicales, sociales et politiques. Ce fut le cas de la LCR1 ou encore d’organisations non gouvernementales allemandes, comme Fian et Germanwatch pour ne citer qu’elles. Mais tout cela nous a seulement permis de pourvoir à nos frais généraux (voyages, téléphone, tracts, etc.). Ce fut dur. Tout en maintenant un piquet en permanence devant l’usine, nous avons dû aller chercher du travail ailleurs. Beaucoup sont allés clandestinement aux États-Unis. D’autres ont pris les emplois qu’ils trouvaient : maçon, magasinier, employé à l’aéroport. Dans certaines familles, les épouses ont dû chercher du travail, tout comme les enfants, qui abandonnaient ainsi leurs études... La pression a également été forte de la part des patrons. Ils ont, entre autres, essayé de me corrompre en me proposant beaucoup d’argent pour que je ferme ma gueule et que je signe des accords bidon. Ils ont tout essayé pour nous décourager, mais ils n’y sont pas parvenus.
Quelle est votre situation actuelle ?
J. Torres Nuno - Continental a perdu : la multinationale a dû payer 12 millions de dollars aux 600 salariés restants. Mais elle a maintenu le fait qu’elle abandonnait le site. Nous avons décidé de le reprendre à notre compte avec l’argent obtenu. Aujourd’hui, les salariés/syndicalistes du SNRTE sont propriétaires de 50 % de l’usine. L’autre moitié appartient à une entreprise mexicaine qui se consacre à la vente de pneus. Nous construisons notre coopérative : Travailleurs démocratiques d’Occident société coopérative (Tradoc). Sous notre contrôle, la réouverture de l’usine s’est faite encore mieux que ce que nous supposions. Le directeur de Continental Mexique a même dû reconnaître, lors d’une visite de l’usine, qu’il était surpris par nos avancées impressionnantes. Aujourd’hui, nous produisons en moyenne 1 500 pneus par jour et nous espérons passer à 5 000 cette année.
Que penses-tu du mouvement zapatiste ?
J. Torres Nuno - Les zapatistes ont fait une sixième déclaration, dans laquelle ils appellent tous ceux qui luttent à s’organiser dans une force anticapitaliste. Je trouve que c’est très intéressant. Cependant, si nous n’en n’avons pas ouvertement discuté dans le SNRTE, nous allons certainement organiser rapidement des actions en relation avec « l’autre campagne » des zapatistes, notamment en les accueillant lors de leur passage dans l’État de Jalisco.
1. Les députés européens de la LCR avaient, entre autres, invité une délégation de salariés lors de la visite du président mexicain au Parlement européen.