Il est assis au bout de la table, le regard inquiet, les bras nerveusement croisés autour de la taille. Il y a un mois, il était dans une prison de Bagdad mais, vendredi 15 mai, il est à Paris, à l’occasion du Congrès mondial sur les droits de l’homme, l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Assis dans la salle de réunion de la commission de la défense, à l’Assemblée nationale, à côté d’un responsable associatif salvadorien, d’un médecin camerounais et d’une militante palestinienne, il est encore stupéfait d’être là.
Anwar ne parle ni anglais, ni français, ni espagnol : les propos qu’il tient en arabe sont traduits par une responsable de Human Rights Watch (HRW) qui l’a aidé à sortir d’Irak. « J’ai été arrêté par les forces de sécurité irakiennes en février, raconte le jeune homme d’une voix blanche. J’ai été torturé et plusieurs fois violé. Les cinq homosexuels qui étaient en cellule avec moi ont été exécutés. Quatre jours après leur mort, j’ai été relâché et je me suis enfui. »
Anwar, qui a 21 ans, est parti pour le Liban, où il a été pris en charge par Helem, une association basée à Beyrouth qui lutte pour les droits des homosexuels. « Notre centre accueille les homosexuels et les transsexuels persécutés à l’étranger, qu’ils viennent d’Irak ou d’autres pays arabes, précise un responsable de Helem. Nous essayons de leur trouver un petit logement et nous les accompagnons dans leurs démarches. »
Aujourd’hui, 80 pays, principalement en Asie et en Afrique, pénalisent les relations sexuelles entre adultes de même sexe, la sodomie ou les « actes contre nature ». C’est le cas de l’Algérie, du Ghana, du Kenya, du Bangladesh, du Pakistan, de l’Inde, du Liban, de Singapour ou de la Jamaïque. Cinq Etats sanctionnent même l’homosexualité de la peine de mort : la Mauritanie, le Soudan, l’Arabie saoudite, l’Iran et le Yémen.
Dans une enquête publiée en mai, l’Association internationale des lesbiennes, des gays, des personnes bisexuelles, trans et intersexuelles (Ilga) dresse un vaste panorama de ce monde où les homosexuels sont pourchassés : en Arabie saoudite, la mort par lapidation sanctionne tout acte de sodomie commis par un non-musulman avec un musulman. Au Bangladesh, toute « relation charnelle contre l’ordre de la nature avec un homme, une femme ou un animal » peut être punie d’un emprisonnement à vie.
Pour amorcer un mouvement de dépénalisation mondial, la France et les Pays-Bas ont présenté à New York, le 18 décembre 2008, une Déclaration relative aux droits de l’homme, à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre. « En cette aube de XXIe siècle, comment accepter que des personnes soient pourchassées, emprisonnées, torturées et exécutées en raison de leur orientation sexuelle ? » demandait alors la secrétaire d’Etat chargée des droits de l’homme, Rama Yade.
Soutenu à l’origine par 66 pays, ce texte présenté en marge de l’Assemblée générale des Nations unies a reçu en mars la signature des Etats-Unis, après l’élection de Barack Obama. « Nous demandons instamment aux Etats de prendre toutes les mesures nécessaires, notamment législatives et administratives, pour garantir que l’orientation sexuelle et l’identité de genre ne soient, en aucune circonstance, le fondement de sanctions pénales, en particulier d’exécutions, d’arrestations ou de détention », affirme la Déclaration.
Présent au Congrès mondial sur les droits de l’homme, l’orientation sexuelle et l’identité de genre, l’ex-ministre de la justice Robert Badinter, qui fut, en France, l’artisan de la dépénalisation de l’homosexualité en 1981, est venu soutenir la Déclaration de New York. « Victor Hugo disait que la peine de mort était le signe permanent et universel de la barbarie humaine, a-t-il rappelé. Je dis qu’il en va de même de la répression de l’homosexualité. »
Steave Nemande, le président d’Alternatives-Cameroun, ne le contredira pas. Dans son pays, les relations entre personnes de même sexe sont sanctionnées de peines allant de six mois à cinq ans de prison. Au terme d’une enquête, l’association a établi que, en 2008, parmi les 78 détenus de la prison de New Bell (Douala) incarcérés pour atteintes aux bonnes moeurs (corruption de mineur, viol, attentat à la pudeur), 25 % avaient été condamnés pour homosexualité.
Créée en 2006, Alternatives-Cameroun organise des campagnes de prévention du sida dans les lieux fréquentés par des gays, propose des tests de dépistage et prend en charge les personnes séropositives. L’association offre également une aide juridique à tous ceux qui sont poursuivis pour homosexualité. « Au Cameroun, les jeunes gays sont le plus souvent rejetés par leur famille, raconte ce médecin de 32 ans. Leurs parents essaient de les amener chez un guérisseur, ils les chassent de chez eux, ils leur coupent les vivres. Il est très difficile d’assumer son homosexualité. »
Anne Chemin
LA TRANSPHOBIE, THÈME DE LA JOURNÉE DU 17 MAI
Lancée en 2005, la journée internationale contre l’homophobie est célébrée le 17 mai, dans plus de cinquante pays. La date correspond à la suppression, en 1990, de l’homosexualité de la liste des maladies mentales de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Cette année, le thème retenu est la transphobie, terme qui désigne les violences physiques et morales subies par les transsexuels à travers le monde.
Selon Libération (samedi 16 mai), Roselyne Bachelot, ministre de la santé, viendrait de saisir la Haute Autorité de santé, « afin de publier un décret déclassifiant la transsexualité des affections psychiatriques de longue durée ».