Londres Correspondante
Affamés, exploités, humiliés, battus, violés. Des milliers d’enfants irlandais ont vécu un cauchemar dans des établissements publics gérés par l’Eglise catholique, où ils avaient été placés sur décision de justice - des écoles, des maisons de redressement, des orphelinats... Cela se passait entre 1936 et la fin des années 1990, avant que ces institutions ne ferment.
Après neuf ans d’investigations, une commission d’enquête irlandaise a publié, mercredi 20 mai, un accablant rapport de 2 500 pages sur le sujet. On y apprend que « les abus sexuels étaient endémiques dans les institutions pour garçons ». Les filles étaient moins systématiquement violées, plus souvent victimes d’humiliations quotidiennes qui avaient pour objectif de les « dévaloriser ». « Un climat de peur, créé par des punitions arbitraires, excessives et fréquentes, régnait dans la plupart des institutions », poursuivent les auteurs du rapport.
Ils racontent ces pratiques humiliantes, « comme l’inspection des sous-vêtements ou l’exposition en public des draps souillés ou mouillés ». Mais aussi la faim, le froid, les conditions spartiates de logement. Et les douze heures de travail quotidien et non rémunéré que devaient parfois fournir les jeunes hôtes d’ordres religieux comme les Christian Brothers ou les Sisters of Mercy.
Ils sont plus de 35 000 enfants à avoir fréquenté ces établissements et 12 500 à avoir été indemnisés depuis 2000 pour ces sévices. Certains étaient de petits délinquants, d’autres étaient orphelins ou avaient été abandonnés. Quand ils n’avaient pas commis la faute d’appartenir à une famille dite « dysfonctionnelle », une classification qui s’étendait jusqu’aux mères célibataires ou aux parents divorcés.
Tom Hayes, né hors mariage, a été placé à 2 ans. « On m’a dit que ma mère était morte à ma naissance. C’était faux. Je n’ai découvert la vérité qu’en 2003 », raconte-t-il. Patrick Walsh, lui, avait 3 ans quand la justice de son pays l’a séparé de ses parents « parce que ma mère voulait divorcer, ce qui était illégal en 1955. Pour récupérer ses enfants, il fallait qu’elle retourne avec son mari ». Tous deux ont connu les viols par des prêtres ou des garçons plus âgés, le désoeuvrement, la faim.
Tous deux se réjouissent que la vérité ait été établie. Car pendant des années, ils ont lutté pour se faire entendre, comme tous leurs camarades d’infortune. Comme le souligne le rapport, « les autorités religieuses savaient » ce qui se passait dans les établissements qu’elles géraient. Mais la « loi du silence » régnait. Et « le ministère de l’éducation, dans les rares occasions où il était informé, se rendait complice du silence ». Il a fallu des procès, des condamnations, des reportages, des témoignages en série dans les années 1990 pour que l’Etat reconnaisse les faits.
En mai 1999, le premier ministre Bertie Ahern a enfin demandé ce pardon « qu’il devait depuis longtemps à tous ces enfants qui ont été abusés » et a dénoncé « l’échec collectif (du pays) à intervenir ».
Il n’empêche, la commission d’enquête mise en place dans la foulée a eu du mal à mener son travail à terme. En 2003, la juge Mary Laffoy, qui en avait la charge, a démissionné, arguant que l’Etat ne lui transmettait pas toutes les informations dont il disposait. Les Christian Brothers ont fait un procès - une autre année de perdue - et obtenu que le rapport, qui ne sera pas utilisé à des fins judiciaires, ne cite aucun nom.
« Les blessures resteront ouvertes, car les responsables ne sont toujours pas désignés », juge John Kelly, de l’Irish Survivors of Child Abuse, « le pape Benoît XVI devrait diligenter sa propre enquête sur les activités des ordres catholiques en Irlande ». Mercredi, le cardinal Sean Brady, numéro un de l’Eglise catholique irlandaise, s’est dit « profondément désolé et extrêmement honteux ».
Virginie Malingre
12 500 VICTIMES DÉJÀ INDEMNISÉES
L’enquête La Commission d’enquête irlandaise, dirigée par le juge Sean Ryan, a mis neuf ans avant de rendre son rapport.
Elle a examiné 2 500 plaintes pour abus sexuels ou pour maltraitance physique, auditionné plus de 1 000 victimes et étudié de manière approfondie le fonctionnement de plus de 200 écoles, maisons de redressement et autres orphelinats.
Certains témoins sont venus des Etats-Unis ou d’Australie raconter leur passé douloureux.
L’indemnisation Depuis 2002, l’Etat irlandais a déjà versé plus d’un milliard d’euros de dédommagements à 12 500 victimes des établissements publics gérés par des ordres religieux entre 1936 et la fin des années 1990. En contrepartie, ces victimes ont renoncé à attaquer en justice l’Etat comme l’Eglise.
Quelque 2 000 autres dossiers sont en cours d’examen. Les autorités estiment à 1,3 milliard d’euros le coût global de cette opération, qui sera financée, pour l’essentiel, par le contribuable irlandais.
Un accord de 2002 passé entre le gouvernement et l’Eglise stipule en effet que cette dernière devra contribuer à hauteur de 128 millions d’euros.