Introduction
Québec solidaire a publié à l’occasion de la Journée internationale des travailleuses et des travailleurs un Manifeste intitulé « Sortir de la crise : dépasser le capitalisme ? » [1]. L’objectif de cette publication comme l’ont déclaré Françoise David et Amir Khadir, porte-parole du parti est d’ouvrir un débat sur les voies de sortie de la crise économique et de la crise écologique. Il faut réfléchir sur les excès du capitalisme et oser dépasser le capitalisme lui-même nous dit le Manifeste.
Nous voulons, ici, répondre à l’invitation des auteur-e-s du Manifeste de réfléchir ensemble sur comment dépasser le capitalisme qui prétend être la seule solution pour l’avenir de l’humanité et oser aller plus loin. Ce Manifeste marque en effet pour Québec solidaire un dépassement du discours habituel et indique, du moins en creux, la nécessité de définir un projet alternatif au capitalisme, un projet qu’il faut chercher à définir dans l’action comme dans la réflexion.
Dans un premier temps, nous essaierons de souligner les zones laissées dans l’ombre par le manifeste pour dans un deuxième insister sur les obligations qu’il nous pose en termes d’élaboration politique.
1. Une description riche de la crise qui glisse sur ses fondements
Ne faudrait-il faut préciser ce qui au fondement de cette crise mondiale actuelle ? La partie sur le néolibéralisme cherche à esquisser une réponse à cette question. nous explique que le modèle précédent aurait été déstabilisé par la montée des compétiteurs en Europe et en Asie. Un nouveau modèle émerge alors, fondé sur une action concertée des élites économiques et politiques mondiales. Un nouveau modèle émerge alors, fondé sur une action concertée des élites économiques et politiques mondiales en vue de relancer la croissance sur le dos des peuples du Tiers-Monde, des travailleuses et des travailleurs et de l’environnement : la mondialisation néolibérale. (p. 23)
L’idéologie néolibérale n’est que la mise en discours de pratiques capitalistes particulières ? Ce n’est pas la mise en discours qui explique les pratiques, mais bien l’inverse ? Ce sont les pratiques nouvelles dans les stratégies d’accumulation du capital qui expliquent le discours néolibéral.
Le rapport de force issue de la guerre et de l’organisation des classes ouvrières et populaires durant les années 50 et 60, a obligé le capital à une série de concessions face au Travail. Et que le néolibéralisme c’est le discours qui sert à justifier une vaste offensive de la bourgeoisie contre les acquis issus des batailles des différents mouvements sociaux durant les années 50 et 60. Cette crise capitaliste du début des années 70 (crise du fordisme) trouve son fondement dans l’essoufflement de ses modes d’accumulation du capital et la dégradation progressivement la profitabilité du capital. C’est pour faire face à cette baisse de la profitabilité que le Capital a lancé une offensive généralisée contre les acquis des classes ouvrières et populaires.
C’est ce qui explique les nouvelles stratégies d’accumulation mises de l’avant : flexibilisation du travail, précarisation du lien d’emploi et développement du travail à temps partiel, maintien des heures de travail, recul du niveau des salaires réels, refus de transfert vers le Travail des gains de productivité, privatisation des services publics, reculs des paiements de transferts (comme l’assurance-chômage). Tout cela a été rendu possible par l’accumulation de défaites de la classe ouvrière et des classes populaires. L’offensive du patronat et des États à son service a réussi à faire reculer la satisfaction des besoins sociaux et a permis la concentration des richesses au sommet de la société.
Mais cette offensive n’a pas permis au capitalisme de sortir réellement de la crise. Si les politiques néolibérales mises en œuvre depuis les années 1980, redressent le profit des entreprises, elles le font en faisant pression de manière cumulative sur la demande des salarié-e-s et de l’État et elles ont ainsi contracté ls débouchés globaux et réduit les occasions d’investissement rentable dans la production. Le profit global s’investit massivement dans des opérations de transfert de propriété : fusions-absorptions ; de rachat d’entreprises publiques (privatisations), de spéculation sur les monnaies et sur les titres. “... Ce fonctionnement de la crise débarrassée des réglementations fait apparaître une absence totale de légitimité du capitalisme puisque la régression sociale est explicitement revendiquée comme la principale condition de réussite du système.” (Husson, Une crise systémique globale et durable, site Hussonet).
Le manifeste de Québec solidaire ne fait pas apparaître les affrontements entre classes derrière les évolutions du capitalisme et de ses crises. C’est la dimension politique de l’évolution de la société capitaliste qui est ainsi estompée. Ce sont les forces de transformation, les classes et catégories sociales dominées et le genre opprimé se mettant en mouvement, qui ne sont pas identifiées comme les véritables instruments et moteurs de la transformation sociale. “
Identifier les protagonistes, c’est comprendre que « la politique prime désormais l’histoire ». « Penser la rupture… c’est la situer dans l’histoire concrète des tentatives d’émancipation humaine, c’est avoir l’audace d’aller à contre-courant, c’est oser se remémore les luttes, les défaites des « vaincus » ainsi que leurs désirs, leurs rêves, leurs mondes et aspirations passés non réalisés. (Pierre Mouterde, Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation, Écosociété, p. 118-119).
Penser une société alternative, c’est tenir pour indispensable la révolte qui est au cœur des luttes des dominé-e-s, soit la plus grande majorité des humains. Cela permet de souligner que la politique de gauche doit arrimer son activité à celle des mouvements sociaux.
2. Des pistes de réflexion (à long terme) qui restent dans l’ombre certaines questions essentielles !
A. La crise financière : pour la fin du laisser-faire
Poser le problème des solutions à la crise financière est important. Mais quelle est donc la question centrale en ce moment ? N’est-elle pas celle de la propriété ? Croit-on qu’un retour à une certaine régulation serait suffisant sans poser ce problème essentiel ? Même sur le long terme le Manifeste ne pose pas, même comme question la question de la nationalisation-appropriation du secteur financier de l’économie. Ces questions, qui peuvent être intéressantes par ailleurs, restent cependant en deçà de la façon dont se pose la question sur le terrain. On ne peut espérer ouvrir un débat clair en évitant d’aller à la racine des choses.
B. La crise économique : pour une économie au service des citoyennes et des citoyens
Il en va de même pour la crise économique. Redéfinir l’objectif fondamental de l’économie, ce n’est pas d’abord une question sémantique, c’est une question de rapport de force. Le problème n’est pas d’abord celui de l’accumulation continuelle de biens matériels (qui est un problème en soi), mais celle de l’accumulation privée de capitaux qui permet que les décisions soient concentrées dans un nombre restreint de mains et qui montre une responsabilité telle que notre environnement est menacé. La question du pouvoir économique est centrale. Les questions suggérées par le Manifeste laissent supposer qu’une réglementation appropriée permettrait de faire primer le bien commun sur le profit ? On peut le croire. Ces questions sont justifiées si on n’hésite pas également à poser la question de la propriété des instruments de production et d’échange. Mais ceci n’est pas le cas.
C. Crise écologique : une économie au service de l’environnement
Pour ce qui est de la crise écologique, on pose des questions essentielles. Mais encore une fois, on esquive la question du droit de propriété de biens communs (richesses naturelles) et du caractère démocratique que devraient revêtir les décisions ayant un caractère sur notre environnement. Car il ne s’agit pas ici que de “changer en profondeur nos comportements et choix politiques, écologiques et sociaux’, mais d’identifier les forces de blocage à de tels changements et les conditions sociopolitiques qui permettront d’en finir avec ces blocages ainsi que les forces qui devront se mobiliser pour imposer une nouvelle logique, un nouveau système.
La perspective dégagée à Belém par les écosocialistes nous semble plus porteuse : “.La dévastation écologique, résultant de la nécessité insatiable d’augmenter les profits, n’est pas une dimension accidentelle du capitalisme : elle est partie prenante de l’ADN du système et ne peut pas être réellement écartée. La production guidée par la recherche des profits ne considère que le court terme pour prendre ses décisions d’investissement, et ne peut pas prendre en considération la santé et la stabilité à long terme de l’environnement. L’expansion économique infinie est incompatible avec des écosystèmes finis et fragiles, mais le système économique capitaliste ne peut pas tolérer des limites à la croissance ; son besoin constant d’expansion renversera toutes les limites qui pourraient être imposées au nom du « développement durable.’ Ainsi, le système capitaliste en soi instable ne peut pas réglementer sa propre activité, et encore moins surmonter les crises provoquées par sa croissance chaotique et parasitaire, parce que faire ainsi exigerait que des limites soient imposées à l’accumulation - option inacceptable pour un système basé sur la règle : croissez ou disparaissez !” (Manifeste écosocialiste de Belém). Il ne s’agit pas de demander de trancher avant le débat à venir, mais du moins de poser le débat dans toutes ses dimensions.
3. Des revendications immédiates ‘en entendant ’
Au-delà de l’identification de questions (parmi d’autres) auxquelles il faudra répondre pour tracer un programme, le projet de manifeste présente quelques propositions, “en attendant”. Voilà une expression comme décrire pour une balayeuse d’objections ou un trou noir.
En entendant quoi au juste ? La prise du pouvoir par Québec solidaire ? Que le gouvernement en place en vienne à de meilleurs sentiments et qu’il reconnaisse les revendications populaires ?
Ce qui reste dans l’ombre, c’est qu’un programme d’urgence doit chercher à devenir le projet des différents mouvements sociaux. Mieux, un tel programme d’urgence doit être élaboré par l’ensemble des mouvements sociaux. Ce n’est pas le ‘réalisme ’ des revendications qui est ici déterminant, mais bien la hauteur du rapport que l’on saura créer pour arracher telle ou telle concession. Et cela d’autant plus qu’on veut se situer non pas dans le cadre d’un programme visant à nous sortir de la crise actuelle.
Le manifeste présente ces propositions pour limiter les dégâts de la crise afin de “créer des emplois viables qui ne peuvent être délocalisés, de protéger le développement économique de ses profiteurs cupides et de limiter la hausse du coût de la vie pour les familles.” (page 21)
Les propositions ne forment donc pas un programme d’urgence de sortie de crise. En fait, en ne posant pas l’investissement public, comme la cheville ouvrière de la reconstruction de l’économie québécoise, on est conduit à ne pas présenter ouvertement les grands chantiers que pourrait représenter, par exemple, la création d’une industrie québécoise du matériel de transport pour les marchandises comme pour les personnes.
Mais une telle approche est possible que si les propositions qu’on avance s’adressent aux mouvements sociaux et à l’ensemble de la population comme d’un projet national mobilisateur pour faire face collectivement à cette crise.
Face à cette crise qui s’approfondit, la priorité est en effet de développer massivement l’emploi dans des productions répondant à des besoins sociaux bien connus, mais insuffisamment satisfaits (attention aux personnes âgées, accueil des enfants en garderies, logements sociaux, mobilité des personnes en ville et à la campagne, amélioration de l’environnement). Si les propositions s’inscrivent dans ce cadre, elles demeurent en deçà des besoins réels et de la nécessité d’enclencher un processus de transformation sociale qui ne nous permettra pas de sortir de la situation actuelle et de ces multiples crises.
Si l’amélioration du programme d’efficacité énergétique est nécessaire, mais il est en deçà des besoins d’une refondation du secteur énergétique. Alors, pourquoi ne pas reprendre en plus de l’engagement sur la nationalisation de l’énergie éolienne, celle de la fondation d’une société d’État - Énergie-Québec dont le mandat serait de favoriser l’utilisation d’énergies renouvelables (hydraulique, éolien solaire, géothermie, biomasse et autres et la mise sur pied d’une agence de recherche et de développement de l’énergie verte. Et dans cette même logique, il faudrait revoir les décrets autorisant l’implantation de ports méthaniers au Québec et interdire ceux-ci.
Mais il ne s’agit ici de discuter une par une les propositions avancées, car ce qu’il y a devant nous c’est la nécessité de travailler à un véritable programme d’urgence de sortie de la crise capitaliste que la majorité de la population n’a pas à payer. C’est pourquoi un programme d’urgence commun aux différents mouvements sociaux doit être élaboré collectivement pour fonder ces nécessaires actions communes. Québec solidaire voudra sans doute favoriser ces débats collectifs et démocratiques. C’est dans cette optique que les propositions du manifeste prennent un sens.
Conclusion : Oser dépasser le capitalisme !
La crise actuelle ne conduira pas à l’effondrement du capitalisme. Ce système, on l’a souvent dit, ne se portera pas lui-même en terre. Mais la crise actuelle est une occasion d’en finir avec le mythe qu’il serait la seule forme d’organisation économique et sociale possible et une occasion de démontrer les dangers qu’il fait courir à l’humanité tout entière.
Être anticapitaliste, c’est le moment du négatif. C’est essentiel, mais insuffisant. Aucune base durable ne peut se faire sur un simple rejet. Il est nécessaire de partir des revendications économiques et politiques unificatrices qui surgissent de la situation présente, pour nommer et défendre une alternative positive. alternative positive : écosocialisme, socialisme du XXe siècle ou quelqu’autre nom qu’on pourra trouver.
Mener la lutte politique contre le capitalisme, c’est apporter sa contribution à ce qu’une majorité des humains admettent que le système capitalisme a fait son temps et qu’il faut tourner la page. Elle définit justement comme une tâche politique de développer au sein de l’ensemble des forces anti-systémiques d’un large débat sur les objectifs à poursuivre.
Mener la lutte politique contre le capitalisme, c’est apporter sa contribution à ce qu’une majorité des humains admettent que le système capitalisme a fait son temps et qu’il faut tourner la page. Elle définit justement comme une tâche politique de développer au sein de l’ensemble des forces anti-systémiques d’un large débat sur les objectifs à poursuivre.
C’est bien ce que nous invite è faire le Manifeste de Québec solidaire. Dans ce sens, le diffuser, le discuter et en débattre permettra d’avancer dans la définition politique de Québec solidaire et pourra aider à tisser des liens nécessaires avec les mouvements sociaux. C’est pourquoi, il faut souligner sa parution qui pourra marquer un pas en avant dans la redéfinition politique de notre parti.