Alternative
Par LAURENT JOFFRIN
Quoi de neuf dans cette morne campagne européenne ? Mélenchon ! Eh oui, ce fier orateur qui fait vibrer la gauche profonde, cet audacieux scissionniste qui s’est risqué hors de la vieille maison PS tel un Don Quichotte de la vraie gauche pour tenter une équipée solitaire au nom de l’orthodoxie socialiste et unitaire, effectue une percée inattendue.
A gauche de la gauche, il trouble même le jeu en ramenant sur le devant de la scène une stratégie à la fois radicale et réformiste.
Quoi qu’on pense de son programme, le mélenchonisme est un humanisme, bien plus qu’un gauchisme.
Bien sûr, il s’agit de sondages qui le placent aux alentours de 6 %. Bien sûr, la course en tête de l’UMP reste le trait dominant de cette élection qui voit l’opposition s’enliser dans la division. Bien sûr, le Modem chevauche, lui, à plus de 12 % quand on donnait François Bayrou politiquement mort.
Mais enfin le phénomène Mélenchon mérite d’être relevé. Parce qu’il souligne le marasme dans lequel patauge le Parti socialiste. Mais aussi parce qu’il pourrait annoncer la déconfiture d’Olivier Besancenot, désormais candidat de la mauvaise humeur, lui qu’on donnait grand vainqueur en raison de son statut d’opposant radical. Il semble que la gauche de l’électorat ne se satisfasse pas d’une protestation trotskisante. Il lui faut aussi une alternative de gouvernement un tant soit peu réaliste, c’est-à-dire ouverte à une alliance. On conviendra que la nouvelle n’est pas forcément mauvaise.
Lutte frontale pour la gauche radicale
Le NPA d’Olivier Besancenot et le Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon et Marie-George Buffet font jeu égal dans les sondages.
Par MATTHIEU ECOIFFIER Le MANS, envoyé spécial
C’est l’un des paradoxes de ces élections européennes. Alors que le capitalisme tremble, les anticapitalistes se divisent. Enjeu de cette discorde : le leadership de la gauche de la gauche. Un bras de fer oppose, dixit Jean-Luc Mélenchon, « la révolution par les luttes » du NPA d’Olivier Besancenot à la « révolution par les urnes » du Front de gauche (FG) qu’il a constitué avec le PCF après avoir quitté le PS pour créer le Parti de gauche. Et bonne nouvelle pour le sénateur de l’Essonne et Marie-George Buffet : inexistant il y a quelques semaines, le FG enregistre une percée dans les sondages, au détriment du NPA et du PS. « Ce qui fait tilt, notamment, chez les électeurs socialistes, c’est qu’on veut « sauver la gauche » », explique un dirigeant du Front de gauche.
Main tendue. Entre un NPA farouchement protestataire et un PS déboussolé par le Modem, Mélenchon rêve de « mener la marche », confiait-il samedi à Libération dans le TGV de retour d’un meeting au Mans (Sarthe). Pour lui, « le principal enjeu » de ce scrutin est de devancer le NPA. Une condition sine qua non pour convaincre les centaines de milliers de « militants politiques, associatifs et syndicalistes » formant le « premier cercle de la gauche » de transformer le Front de gauche en « Front populaire » après le 7 juin. « On est passé de 2 % à 6 % sans aucune exposition dans les médias. Et pourquoi pas 10 % ! » claironnait un ex-jeune socialiste lors d’un meeting du Mans.
Reste que, globalement, la gauche radicale semble mal partie pour toucher les dividendes de sa prescience antilibérale, lors du premier rendez-vous électoral européen suivant la victoire du non au référendum sur la Constitution européenne. En 2005, Besancenot, Mélenchon, Buffet et Bové battaient tribune commune. Quatre ans après, les ex-nonistes totalisent 15 % des voix, selon les sondages, mais se tirent la bourre. Début 2009, les lieutenants de Besancenot ont refusé la main tendue de Mélenchon, parce qu’ils soupçonnent le PCF d’« aller avec la gauche radicale les années impaires et de se faire élire avec le PS les années paires ». De leur côté, les amis de Mélenchon stigmatisent le « sectarisme » et le « purisme » du NPA pour tenter de l’isoler : « L’affiche du NPA, c’est : « Pour protester, protestez utilement. » Pourquoi pas « Voter pour la grève générale » tant qu’on y est. C’est complètement con ! » explique Christian Picquet, ex-dirigeant de la LCR ayant rejoint le FG. Tous sont en revanche d’accord pour dénoncer la « traîtrise » de José Bové, désormais allié, au sein d’Europe Ecologie, à l’europhile Daniel Cohn-Bendit.
La tension est à la mesure de la compétition. Dans les sondages, NPA et Front de gauche sont au coude-à-coude entre 5 % et 7 %. Trois points derrière Europe Ecologie qui frôle les 10 %. Ainsi, dans le Sud-Ouest, Jean-Luc Mélenchon, 57 ans, est à touche-touche avec Myriam Martin, 41 ans, la candidate du NPA. Mais c’est José Bové, 55 ans, qui est le mieux placé pour être élu eurodéputé de cette circonscription. Jean-Luc Mélenchon et Marie-George Buffet jouent gros. Outre sa propre élection, l’ex-socialiste doit aussi assurer celle d’au moins deux têtes de listes communistes : Patrick Le Hyaric, en Ile-de-France, et Jacky Hénin, dans le Nord-Ouest. « La mobilisation n’est pas fameuse, notamment en Seine-Saint-Denis et dans le Sud-Ouest. Certains communistes soupçonnent Mélenchon de vouloir leur refaire le coup de Mitterrand en 1971 », assure un responsable communiste. C’est-à-dire de siphonner leur électorat comme l’avait fait l’ancien chef de l’Etat en constituant l’Union de la gauche.
La bataille frontale FG-NPA se verra aussi en Ile-de-France où le premier présente Christian Picquet en numéro 3, et le second Olivier Besancenot en numéro… 3. « On va bien voir qui c’est qui a raison ! » a tonné Mélenchon à la tribune. Au NPA, on fait le pari que le FG explosera dès le lendemain des européennes : « Mélenchon ne polarise rien du tout. Le PCF retournera avec le PS aux régionales. Ils discutent déjà pour les primaires de 2012. » Mais les amis de Besancenot concèdent toutefois qu’il est « plus facile pour des européennes de mobiliser un électorat PCF âgé que les jeunes et les salariés précaires d’un parti neuf comme le NPA ». Conclusion d’un syndicaliste sarthois : « Besancenot nous chie dans les bottes. Mais il a les jeunes avec lui. »
Cheveux blancs. C’était flagrant samedi : si le Front de gauche a fait un tabac sur ces terres communistes unitaires sarthoises, le public était composé, pour l’essentiel, de personnes aux cheveux blancs. Qui ont vibré aux saillies de l’économiste Jacques Généreux, tête de liste FG dans l’Ouest : « Ça fait vingt ans qu’on expérimente la concurrence. Maintenant, il faut d’abord se renseigner pour savoir quel numéro appeler pour avoir un renseignement. Si je suis élu, je rétablirai le 12 ! »