Dans un récent article paru dans la New York Review of Books (janvier 2009), dont la traduction française a été publiée sur le site de la revue Books, Marcia Angell, ancienne rédactrice en chef de la prestigieuse revue médicale New England Journal of Medecine, relate quelques-uns des cas de corruption les plus connus. Voici le professeur Biederman, chef du service de psychopharmacologie pédiatrique d’un hôpital de Harvard. Il mènera des études sans rigueur aucune ni pertinence sur les médications susceptibles d’être prescrites aux enfants « bipolaires » dès l’âge de deux ans. Il était conjointement conseiller auprès de compagnies pharmaceutiques, dont certaines produisaient les médicaments recommandés et avait reçu 1,6 million de dollars de 2000 à 2007 pour ces activités de conseil. Alan F. Schatzberg est président élu de l’American Psychiatric Association. Il reçoit des fonds publics pour mener des études sur un usage peu connu de la mifépristone, d’habitude utilisée pour l’interruption de grossesse sous le nom de RU-486. Schatzberg en teste l’usage pour traiter la dépression psychotique. Au profit d’une société dont il est le cofondateur et dont il détient 6 millions de dollars d’actions. A Atlanta, le professeur Nemeroff menait dans le laboratoire et grâce à des fonds publics, des recherches sur certains médicaments de la firme britannique GlaxoSmithKline (GSK). Or Nemeroff recevait par ailleurs des centaines de milliers de dollars pour des conférences de promotion des produits de GSK.
A partir des rapports annuels des neuf plus grands laboratoires américains, on estime ainsi que le montant versé aux médecins « pourrait se monter à plusieurs dizaines de milliards de dollars par an ».
Des études conçues par des firmes
L’emprise de l’industrie pharmaceutique ne s’arrête pas à ces quelques moutons noirs. Une étude de 2003 établissait qu’environ deux tiers des centres de médecine universitaire détenaient des actions dans les entreprises finançant la recherche en leur sein. Quatre ans plus tard, une autre investigation montrait que deux tiers des chaires de médecine perçoivent des fonds des « pharmas » et trois sur cinq détenteurs de ces chaires des rémunérations à titre personnel. Dans ce nouveau cadre, « ce sont souvent les salariés ou les agents des firmes qui conçoivent les études, font les analyses, rédigent les articles et décident de la publication des résultats et de la forme qu’elle prendra. Parfois, les médecins universitaires qui assument la recherche ne sont que des exécutants, qui fournissent des patients pour les essais et recueillent des données en suivant les instructions des firmes ». Nul ne s’étonnera donc que les articles publiés dans ces conditions dans les revues médicales soient systématiquement favorables aux entreprises concernées.
Manipulation des essais cliniques et des directives
Il existe plusieurs manières de manipuler les essais en amont. On peut comparer le médicament testé à un autre, dont les doses sont si faibles que le premier apparaît nécessairement bien plus puissant. Pour dissimuler les effets secondaires, on testera sur une population jeune des médicaments pour les personnes âgées. Ou encore on biaise le résultat en comparant le médicament non pas à un autre médicament, mais à un placebo.
Les recommandations de pratique publiées par les organismes professionnels et gouvernementaux ne sont pas non plus hors d’atteinte de l’industrie pharmaceutique. En 2005, une étude portant sur deux cents groupes d’experts ayant émis ce genre de directives fit apparaître qu’un tiers des membres avaient des intérêts financiers dans les médicaments qu’ils analysaient. Huit des neuf membres du comité ayant rédigé des recommandations sur la baisse du niveau du « mauvais cholestérol » étaient liés financièrement aux fabricants de médicaments contre ce cholestérol.
Ces essais et ces recommandations jouent un rôle primordial dans l’autorisation d’un médicament par la FDA (Food and Drugs Adminsitration). Et un médicament autorisé par la FDA l’est généralement ailleurs dans le monde.
Et en Suisse ?
Bien sûr, le système de financement de la recherche médicale en Suisse n’est pas exactement le même que celui des Etats-Unis. Mais le journalisme helvétique n’est peut-être pas non plus d’une grande curiosité lorsqu’il s’agit des mastodontes de la « pharma » – Novartis et Roche pèsent près de 250 milliards de francs de capitalisation boursière. Pourtant, Georges Muheim, ancien chirurgien orthopédiste et chercheur au Hospital for special surgery de New York écrit : « En Suisse, dans le domaine des médicaments, l’industrie pharmaceutique finance plus de deux tiers des activités de recherche et de développement […] Avec une telle participation, elle peut influencer de manière décisive l’orientation de la recherche. Elle ne s’en prive pas, puisqu’elle est une actrice incontournable de l’interaction entre recherches publique et privée, recherche publique dont elle profite largement […] » (P. Boschetti, P. Gobet. J. Hunkeler, G. Muheim, Le Prix des médicaments. L’industrie pharmaceutique suisse. Ed. d’en bas, 2006). Quant à la perméabilité du milieu médical aux incitations financières, il suffit d’ouvrir le TagesAnzeiger du 3 mai pour voir qu’un ponte de l’Hôpital universitaire de Zurich avait passé commande d’un tomographe électronique de plusieurs millions à General Electric, sans mise au concours. Petit détail : depuis 1991, G. von Schulthess, directeur de la clinique de médecine nucléaire, est conseiller rétribué auprès de General Electric.