Le Népal peut difficilement échapper à sa fatalité géopolitique. Coincé entre l’Inde et la Chine, le petit Etat himalayen est le théâtre d’une âpre lutte d’influences entre les deux géants asiatiques, une rivalité qui pèse lourdement sur ses équilibres politiques intérieurs. La crise qui agite le pays depuis que les maoïstes ont claqué la porte, début mai, du gouvernement serait ainsi la manifestation d’« une guerre par procuration entre l’Inde et la Chine », selon la formule d’un diplomate népalais de haut rang s’exprimant sous le sceau de l’anonymat.
Les maoïstes, eux, ne s’embarrassent pas de précaution. Ils mettent directement en cause l’« ingérence indienne » dans le conflit ayant débouché, le 4 mai, sur la démission du poste de premier ministre de Pushpa Kamal Dahal, le chef du Parti communiste unifié maoïste (UCPN-M). Selon le quotidien indien The Indian Express, M. Dahal a même accusé, vendredi 29 mai, New Delhi de comploter pour la restauration de la monarchie, abolie il y a un an à la suite d’un mouvement républicain rassemblant maoïstes et libéraux.
L’intervention de l’Inde dans la crise qui a opposé l’ex-premier ministre maoïste au président de la République, Ram Baran Yadav, à propos du contrôle de l’armée est attestée par tous les observateurs dans la capitale népalaise. L’ambassadeur indien en poste à Katmandou s’est beaucoup agité pour empêcher que M. Dahal obtienne la tête du chef d’état-major de l’armée, le général Rookmangud Katawal, qui s’opposait à ses plans d’intégrer dans l’armée les ex-combattants maoïstes, démobilisés après un accord de paix en 2006 ayant mis fin à dix ans de guerre civile (13 000 morts). Pour l’Inde, l’affaire était stratégique : l’armée népalaise devait rester hors de contrôle de maoïstes soupçonnés d’inclinations prochinoises.
C’est finalement une vieille histoire. L’Inde exerce une influence traditionnelle sur le Népal, où elle entend tenir la Chine à distance et dont elle achète à bon marché les ressources hydrauliques. « L’Inde a toujours considéré le Népal comme son arrière-cour, décode le journaliste Dhruba Adhikary. Les maoïstes ont tenté d’y opposer une résistance, d’affirmer un certain nationalisme népalais. »
DESSERRER L’ÉTAU
L’acrimonie qui n’a pas tardé à envenimer les relations entre les maoïstes au pouvoir à partir de l’été 2008 et New Delhi est quelque peu paradoxale. Car, à l’époque de la guerre civile, les Indiens s’étaient montrés plutôt bienveillants à l’égard de la rébellion d’extrême gauche, dont les chefs étaient hébergés sur le sol indien. « Les maoïstes sont des bébés de l’Inde », dit Nishcal Pandey, directeur du Centre d’études d’Asie du Sud. La « carte maoïste » était bien utile à New Delhi pour exercer une pression sur la monarchie, alors tentée de se rapprocher de la Chine pour desserrer l’étau indien.
L’histoire se répète donc. « C’est une tendance lourde de la géopolitique népalaise, analyse Ramesh Nath Pandey, ancien ministre des affaires étrangères. L’Inde intervient pour changer un gouvernement indocile mais les nouveaux dirigeants, indisposés par cette tutelle, prennent ensuite leur distance avec elle. » Les maoïstes n’ont pas échappé à la règle. Dès leur arrivée au pouvoir - après leur victoire aux élections constituantes du printemps 2008 -, ils lorgnent du côté de la Chine, qui avait pourtant armé la monarchie contre l’insurrection. Pékin eut le privilège de la première visite à l’étranger de M. Dahal alors que l’honneur revenait rituellement à New Delhi. Ingrat symbole pour les Indiens.