L’appel des économistes a l’intérêt de présenter les solutions du Front de Gauche face à la crise.
Il y a, d’abord, toute une série de convergences dans la formulation d’objectifs généraux pour « le contrôle des banques et de la finance », « une hausse coordonnée des salaires et des prestations chômage », « un salaire minimum en Europe » la nécessité de « réhabiliter les services publics », de « remettre en cause le dumping fiscal », d’affirmer l’objectif du « plein emploi et des droits sociaux », enfin d’affirmer les principes « de convergences par le haut » et de non régression sociale »…
Mais, au-delà de ces objectifs généraux, ce document montre assez clairement ses limites tant sur le plan revendicatif que sur le plan de la rupture avec le système capitaliste.
Pour ne prendre que quelques exemples :
– Lorsque le document aborde la question salariale pour la concrétiser, en termes d’augmentation du salaire minimum en France, la proposition tourne autour d’une augmentation de « 180 euros net » ce qui ferait un salaire minimum net d’environ 1200 euros net et de 1600 euros brut… Ces revendications sont bien en dessous des propositions du NPA d’une augmentation de 300 euros et d’un SMIC 1500 euros net !
– Le texte ne mentionne pas la revendication d’interdiction des licenciements.. Il ne reprend même pas la proposition d’une loi d’interdiction des licenciements pour les entreprises qui font des profits, proposition qu’a repris dernièrement le Front de Gauche. Le document ne mentionnant pas les questions de la propriété, il est logique que cette revendication – l’interdiction des licenciements – qui débouche sur des incursions dans la propriété des entreprises, ne soit pas retenue, par les économistes du Front de Gauche.
– La référence à la réhabilitation des services publics reste fort générale et ne s’accompagne pas d’une exigence , la nécessité d’un mouvement de « déprivatisation » de tous les secteurs de l’économie qui ont été privatisées ces dernières décennies par des gouvernements de droite comme de gauche.
– Enfin, la proposition d’un « pôle de banques publiques » environnées de banques privées n’est pas à la hauteur d’une réponse globale face à la crise. D’abord, comme l’histoire l’a montré, dans la concurrence entre les banques privées et les banques publiques voire nationalisées, ce sont les banques privées qui l’emportent soit en imposant des « critères privés » aux banques publiques – recherche du profit maximum, généralisation des produits financiers, dérégulations –, soit même en reprivatisant ces banques publiques dès qu’elles sont suffisamment rentables.
Face à la crise économique actuelle, il faut une solution radicale : la constitution d’un seul système financier et bancaire publique sous contrôle des travailleurs du secteur et des usagers. La question du contrôle populaire étant fondamentale pour que de nouvelles nationalisations ne ressemblent pas aux banques nationalisées des années 80 qui fonctionnèrent comme des banques privées..
En fait, le caractère « modéré » des propositions des économistes du Front de gauche s’inscrit dans une analyse de la crise actuelle du capitalisme, résultant avant tout de la « financiarisation » et de la « dérégulation néo-libérale », alors que la crise actuelle découle des lois fondamentales du système capitaliste, de la recherche du profit maximum, de l’interpénétration des multinationales et des marchés financiers, de la concurrence effrénée entre capitaux privés.
S’attaquer à la financiarisation, à la dérégulation, et déployer des plans de relance par la consommation peut constituer une des dimensions d’une réponse à la crise mais ce n’est pas suffisant et, surtout, cela n’assure pas la défense durable des intérêts des travailleurs ni ne règle la crise du système.
Donnons là aussi un exemple :
Les économistes du Front de gauche, comme d’autres, exigent l’éradication des paradis fiscaux. Mais lorsque l’on sait l’imbrication des politiques financières des grandes multinationales et des banques qui échappent à tout contrôle, nous savons que pour s’attaquer aux paradis fiscaux, il faut s’en prendre aux pouvoirs des multinationales. Lorsque le fonctionnement financier de Michelin, Adidas, et Total reposent sur des banques installées dans des « paradis fiscaux », nous savons tous que pour frapper les paradis fiscaux, il faut s’affronter aux grands groupes capitalistes. Or comme nous l’avons déjà indiqué, le document des économistes du Front de gauche fait l’impasse sur les questions de la propriété capitaliste, sur les problèmes de l’appropriation publique et sociale des principaux secteurs de l’économie. En ne posant pas ce problème, on s’interdit de prendre des mesures radicales contre la crise.
Cette question de la propriété constitue aussi une question centrale pour relancer les services publics, notamment au travers de grands travaux centrés sur les besoins sociaux et écologiques. Répondre aux problèmes du changement climatique, sur le plan des transports, du logement, de la relocalisation des productions, du changement du mode de production et de consommation exige une planification sur le moyen et long terme. Le marché capitaliste dominé par la concurrence des capitaux et des grandes multinationales ne peut répondre à ces exigences. C’est la coordination et la planification démocratique des choix et des priorités socio-économiques, décidée et prise en charge par les salariés et les citoyens, qui doit réorganiser la vie économique.
Les réponses actuelles à la crise exigent d’abord un plan de mesures d’urgences qui fassent payer la crise aux capitalistes et pas aux travailleurs : augmentation de salaires, interdiction des licenciements, relance des services publics. Mais ces mesures d’urgence ne pourront s’imposer que si on les combine à des perspectives de réorganisation globale qui substituent à la logique du profit celle des besoins sociaux, qui remettent en cause la propriété privée du capital et des grandes entreprises en la remplaçant par la socialisation des secteurs clé de l’économie.
Ces objectifs ne pourront se réaliser qu’avec des changements socio-politiques d’ampleur et une mobilisation sociale exceptionnelle mais c’est la seule manière d’imposer une issue à anticapitaliste à la crise.
Les économistes du Front de gauche reprennent, eux, une série de mesures voulant s’attaquer à la crise… mais sans remettre en cause le système capitaliste, sa logique, ses équilibres. Du coup, les mesures avancées restent limitées, elles ne constituent pas des objectifs efficaces pour bloquer l’offensive capitaliste, et surtout elles ne s’inscrivent pas dans une dynamique de transformation sociale radicale.
Nous voyons bien qu’au-delà des politiques d’alliances avec le Partis socialiste, et des différences sur la question des institutions, il y a aussi, entre le NPA et le Front de gauche, deux approches sur l’analyse de la crise et les réponses à y apporter.
François Sabado
Europe : pour changer de cap
Trente six économistes qui n’étaient membres ni du PCF, ni des courants du PS qui ont créé le Parti de Gauche, ont décidé de soutenir la démarche unitaire du Front de gauche pour les élections européennes. Ils soumettent au débat les propositions suivantes.
Le contrôle des banques et de la finance
La prohibition des filiales « hors bilan » et des transactions avec les paradis fiscaux est indispensable pour en finir avec la finance parallèle qui nourrit spéculation et évasion fiscale. Les banques doivent être sous contrôle public. L’accès au crédit gagne à avoir une offre diversifiée avec une certaine concurrence. Mais un pôle de banques publiques articulé à des banques coopératives permettrait cela en protégeant la monnaie comme bien public. Les nationalisations en cours, menées trop timidement, en offrent l’opportunité. La Banque centrale européenne doit compter le plein-emploi et la stabilité financière parmi ses objectifs principaux et doit cesser d’échapper à tout contrôle politique. Simultanément, il faut mettre un terme à la domination des seuls actionnaires sur les entreprises.
Relance et planification écologique
Alors que les Etats-Unis et la Chine déploient des plans massifs de relance, l’Europe est à la traîne. Le budget de l’Union ne représente que 1 % du PIB européen. En Europe même, ce sont les Etats qui recapitalisent les banques et adoptent des plans de relance. Mais ceux-ci sont indigents, en particulier en France. Les pays européens s’accrochent à la désinflation compétitive : l’austérité salariale et budgétaire est durcie, pour prendre des parts de marché aux « partenaires » y compris européens. L’Europe a les moyens d’une autre ambition : une hausse coordonnée des salaires et des prestations chômage, en particulier, articulée à un plan de soutien, financé par un emprunt de l’Union équivalent à 2 % de son PIB, pour les transports publics et la rénovation écologique des bâtiments notamment. Car la crise doit être l’occasion de changer de mode de développement. Il ne s’agit plus de produire toujours plus, mais mieux. Et cet impératif écologique, qui met en jeu le long terme, mérite une véritable planification plutôt que les marchés de droits à polluer.
Réhabiliter services publics et impôt
Déficits et dette ne sont pas des maux en soi : ils permettent de lancer des activités. Pendant des années, les citoyens ont entendu parler du « trou du public », jamais du « trou du privé » autrement plus important. Du point de vue libéral, seul le privé crée de la richesse ce qui légitime sa dette. Mais une infirmière ou un enseignant du public créent aussi de la richesse. Quelles activités doivent relever du public, du privé ou bien de l’économie sociale ? Cette question doit revenir au cœur du débat. Le public a des arguments pour lui, la faillite du système de santé américain en témoigne. L’impôt n’est pas un fardeau qui grève le privé afin de financer des activités « improductives ». Les « prélèvements obligatoires » financent des prestations sociales qui soutiennent la consommation. Ils rémunèrent également le travail des fonctionnaires dont le produit est accessible gratuitement. Le gouvernement vient d’offrir 2,5 milliards d’euros pour la restauration. Au mieux 40 000 emplois sont attendus. Près de 100 000 postes de fonctionnaires auraient pu être créés. Les besoins ne manquent pas : hôpital, accueil de la petite enfance pour réduire les inégalités hommes-femmes, etc. La crise exige de revenir sur la concurrence fiscale et sur la contre-révolution fiscale – le « bouclier » notamment –- qui mettent à mal la progressivité de l’impôt et creusent les déficits. L’Europe ne grandirait-elle pas à être pionnière en retenant la règle d’un écart maximal de revenu ?
Plein emploi et droits sociaux
La mondialisation libérale est une catastrophe pour l’environnement. Fermer des usines en Ecosse, proches du lieu de pêche, pour décortiquer des langoustines en Thaïlande, puis les réimporter : est-ce cela le rêve européen ? Favoriser la relocalisation des activités et celles qui polluent peu est une première façon de concilier plein emploi et écologie. Il en est une autre : la baisse du temps de travail. Son mouvement séculaire a été stoppé, ce qui, avec l’austérité salariale, a permis la hausse des profits non réinvestis. L’assouplissement des heures supplémentaires qui joue contre les hausses de salaire est une calamité pour l’emploi. Le chômage qui s’accélère appelle des plans de soutien mais aussi une réduction généralisée du temps de travail. Un emploi décent pour tous : ne serait-ce pas une meilleure façon de faire vivre le rêve européen ? Compte tenu des inégalités de développement, il importe que le socle des droits sociaux soit défini au niveau national. S’il était européen, ce que le patronat préconise, cela se traduirait par une régression pour la plupart des travailleurs. Est-ce à dire que l’Europe ne peut rien ? Elle peut mais à condition que les principes de « convergence par le haut » et de « non-régression sociale » soient posés comme premiers, en lieu et place de la « concurrence libre ». L’Union pourrait, en outre, retenir la norme d’un salaire minimum égal au moins à 60 % du salaire moyen. En France, cela se traduirait par une hausse du Smic net de 180 euros par mois. Les pays d’Europe de l’Est sont éloignés de cette norme. Une telle mesure permettrait de réduire la pression en faveur des délocalisations. Elle doit être articulée à un soutien à ces pays, qui, lâchés par l’Union, sont contraints d’accepter les plans d’ajustement du FMI.
Le marché peut faire bien des choses, mais ne peut pas tout. L’intervention publique est nécessaire. Les Etats-nations ont des marges de manœuvre. Par sa puissance, l’Europe est néanmoins un cadre idéal pour une autre politique. Mais cela ne pourra pas se faire si prévalent la libre circulation des capitaux et la possibilité pour les entreprises de localiser librement leur production dans des pays à bas coûts pour la réimporter ensuite. Quelles formes doivent prendre ces protections ? Le débat mérite d’être ouvert, en partenariat avec les pays du Sud.
Trente-six economistes Bruno Amable (Paris-I), Angel Asensio (Paris-XIII), Michaël Assous (Paris-I), Philippe Batifoulier (Paris-X), Laure Bazzoli (Lyon-II), Rachid Belkacem (Nancy-II), Mathieu Béraud (Nancy-II), Eric Berr (Bordeaux-IV), Laurent Cordonnier (Lille-I), Elisabeth Cudeville (Paris-I), Jean-Paul Domin (Reims), Anne Eydoux (Rennes-II), David Flacher (Paris-XIII), Maryse Gadreau (Dijon), Ariane Ghirardello (Paris-XIII), Anne Isla (Toulouse-II), Florence Jany-Catrice (Lille-I), Hugues Jennequin (Rouen), Thierry Kirat (CNRS), Dany Lang (Paris-XIII), Florence Lefresne, Michel Maric (Reims), Jérôme Maucourant (Saint-Etienne), Jacques Mazier (Paris-XIII), Matthieu Montalban (Bordeaux-IV), Stefano Palombarini (Paris-VIII), Dominique Plihon (Paris-XIII), Muriel Pucci (Paris-I), Christophe Ramaux (Paris-I), Gilles Raveaud (Paris-VIII), Jacques Sapir (EHESS), Richard Sobel (Lille-I), Nadine Thèvenot (Paris-I), Damien Talbot (Bordeaux-IV), Bruno Tinel (Paris-I), Franck Van de Velde (Lille-I).
* Paru dans Libération du 19 mai 2009.