Présentation :
Pendant des millions d’années, les plantes ont évoluées et se sont adaptées à de nouvelles niches écologiques. Elles ont aussi appris à se déplacer en rendant leurs graines plus résistantes et plus mobiles afin de conquérir de nouveaux sites en augmentant leur répartition. Non seulement des plantes vivantes peuvent être transportées naturellement à l’état de graines par des animaux auxquels elles s’accrochent, par le vent, par le déplacement des eaux douces ou marines, par transit dans les fèces de divers animaux qui les dispersent, etc. mais en outre de nombreuses plantes ont développées des stratégies favorisant la dispersion de leurs graines parfois sur de grandes distances. Cette faculté des végétaux à coloniser de nouveaux territoires leur a permis de survivre à l’occasion des changements climatiques qui ont affectés périodiquement la biosphère. Peut-on observer des espèces végétales qui voyagent et conquièrent de nouveaux territoires à notre époque ?
Christian Bernard et Gabriel Fabre (1), en étudiant et inventoriant la Flore des Causses, qui est une entité géologique constituant l’ensemble des Causses calcaires du sud du Massif Central à cheval sur les départements de l’Aveyron, de la Lozère, de l’Hérault et du Gard, ont recensés 2000 espèces soit 40 % de la flore de France. Ils ont observés sur ce territoire de 3500 km2 : 200 espèces cosmopolites (10 % du total) ; 72 espèces endémiques (3,6 %) et 88 espèces dites « étrangères », c’est-à-dire arrivées à une époque très récente (4,4 %). Ces « étrangères » sont le plus souvent transportées par l’homme à des fins de cultures ornementales, telles ces plantes appelées parfois des « échappées de jardins », ou déplacées involontairement à l’occasion des très nombreuses opérations de transports de marchandises et de personnes qui sillonnent la planète par mer, par terre et dans les airs. C’est pourquoi de nombreuses plantes immigrées s’observent tout d’abord le long des voies de chemins de fer et des routes, ou près des voies d’accès aux ports. La part des « immigrées » (près de 90 espèces) dans une population limitée géographiquement comme celle des Causses, suggère un transport incessant dans le monde de nombreuses espèces qui tendent à homogénéiser les faunes et les flores.
A notre époque, et depuis plusieurs millénaires, l’espèce humaine est intervenue massivement dans la nature en modifiant les biotopes et la composition de l’atmosphère, en détruisant de nombreuses espèces et en introduisant, volontairement ou non, de nouvelles espèces animales et végétales sur des territoires où elles n’existaient pas. A de nombreuses occasions, les déplacements d’espèces ont pu avoir des effets catastrophiques parce que les espèces locales n’étaient pas en état de résister à la concurrence ou à l’agressivité des nouveaux arrivants ou parce que ceux-ci, débarrassés de leurs parasites et de leurs concurrents naturels à l’occasion de ces transports, se sont mis à pulluler aux dépens des espèces locales.
Les naturalistes ne cessent de découvrir la présence de nouvelles espèces, parfois invasives ou particulièrement agressives pour d’autres espèces, sur des sites où elles ont été transportées par l’homme. Des mesures techniques commencent à être prises ça et là dans le monde pour limiter les déplacements indésirables d’espèces, mais leur effet est dérisoire. Certaines espèces immigrées survivent quelques temps à l’occasion d’une période favorable, mais la plupart ne s’implantent pas durablement et disparaissent. D’autres espèces trouvent un milieu favorable, se multiplient et s’étendent de façon spectaculaire jusqu’à finir par éradiquer certaines espèces endémiques. Se pose alors le problème de la lutte contre ces espèces envahissantes. Hors de ces cas extrêmes mais nombreux dans le monde, on constate l’apparition d’espèces non invasives ayant migrées à l’époque historique, et dont l’installation est déjà homogène et irréversible dans les milieux qui leur conviennent, tels le Prunier de Sainte-Lucie, Cerasus mahaleb, originaire du Moyen-Orient, ou la belle Linaire des murs, Cymbalaria muralis, qui nous est venue d’Italie en franchissant la barrière des Alpes au Moyen Age. Les espèces durablement implantées et désormais intégrées à notre flore sont dites « subspontanées ».
L’espèce subspontanée dans l’Hérault et le Sud-Ouest de la France, originaire d’Amérique du Sud et qui fait l’objet de l’article ci-dessous n’est pas ce qu’il est convenu d’appeler une espèce envahissante. Cependant, elle semble s’être adaptée durablement dans plusieurs stations en étendant lentement son aire de répartition. On remarque sa capacité à coloniser localement des substrats très durs comme les rufs ou terres rouges de la vallée du Salagou, que peu d’espèces indigènes peuvent occuper. Sa découverte à l’occasion de sorties d’études a permis des observations et des discussions utiles à toute personne qui souhaite participer à l’élaboration d’une orientation « écologiste », en voyant dans le détail comment l’équilibre se maintient entre les espèces, entre les espèces et leur environnement, et quelle est la place et la responsabilité de l’homme dans ces rapports complexes dont il est aussi dépendant.
Cet article est donné pour ESSF sans l’excellent dessin d’Eleusine tristachya, paru dans l’édition originale et dû à la plume de Robert Portal.
Yves Dachy
(1) BERNARD Christian. Flore des Causses. Bull. Soc. Bot. Du Centre-Ouest. Numéro spécial 14 – 1996. 705 pages.
L’article publié dans Le monde des plantes
Eleusine tristachya a été trouvée en gare de Lamalou-les-Bains (Hérault) en août 1996 par Jacques SALABERT (com. pers.), Quelques jours plus tard, J. SALABERT et Roger GASTESOLEIL la découvraient dans la gare de Bédarieux (Hérault). En visitant ensuite la gare de Bédarieux avec Jacques SALABERT, je découvrais une petite station montrant de nombreuses touffes installées sur le ballast, entre deux voies ferrées, mais dans une zone non entretenue de la gare, où poussent plusieurs espèces de plantes.
A la suite de ces trouvailles, le troisième tirage de la Liste des plantes vasculaires de l’Hérault (VILAIN, 1999), notait la présence d’Eleusine tristachya dans le département.
La station de l’Auverne
Eleusine tristachya est une petite Graminée facile à reconnaître avec ses inflorescences à deux ou trois épis caractéristiques (rarement un ou quatre) très compacts. Elle ne ressemble à aucune graminée indigène. La plante peut atteindre 30 centimètres de haut. Mais elle est presque toujours plus petite parce qu’elle affectionne des substrats où elle subit toutes sortes d’agressions. Elle y résiste grâce à ses feuilles et ses inflorescences rassemblées près du sol. Elle peut ainsi subir les passages de plusieurs voitures.
Vivace, elle résiste aux dents des moutons qui semblent apprécier ses épis denses et favorisent les petits pieds protégés dans des anfractuosités du sol. Les parties aériennes vertes apparaissent fin avril puis jaunissent, deviennent cassantes et disparaissent à la fin de l’été.
C’est en explorant la planèze basaltique de l’Auverne au Nord du lac du Salagou que j’ai découvert, en 1999, une nouvelle station d’E. tristachya croissant dans un environnement moins anthropisé qu’une gare. Elle se trouve à 500 m au Sud-Ouest de Mas Audran, au lieu-dit Les Rabassiés. Elle a essaimé le long de la piste entre Mas Audran et Pradines, et aussi entre Mas Audran et Les Vailhés.
Aux Rabassiés, E. tristachya pousse sur un sol brun andique, caillouteux, limoneux et argileux, provenant de l’altération de pyroclastites (basalte, cendres et tuf volcanique). Ce sol porte des landes pâturées, parfois cultivées en céréales et en vignes. C’est sur les parties indurées par le passage de véhicules que la plante s’est installée. On retrouve dans cette station des conditions proches du sol existant dans les gares : à Bédarieux, E. tristachya est installée sur pierres de basalte, très tassées, formant un ballast où elle se maintient tant qu’elle n’est pas confrontée à des épandages d’herbicides, tout en résistant à la circulation de véhicules qui tassent le sol et empêchent l’implantation de grandes espèces végétales.
La station de Germane
Les stations de Lamalou-les-Bains, Bédarieux et de l’Auverne indiquent toutes une préférence de la plante pour des andosols, en l’occurrence des pyroclastites toujours bien repérées sur les cartes géologiques. Il était dès lors facile d’imaginer des parcours sur ces terrains pour chercher d’autres stations de la plante, en choisissant les terrains pyroclastiques accessibles dans les sites non arborés tels qu’indiqués sur les cartes géologiques (BRGM,1982), topographiques (IGN, 1991 & 1994) et pédologiques (INRA, 1993).
En 2001, l’un de ces parcours devait s’avérer fructueux : la plante apparaissait bien installée sur la planèze de Germane, entre la ferme de Germane et Puech Rouch, au nord des Bories (entre Clermont-l’Hérault et le lac du Salagou). Diverses stations ont été trouvées la même année à l’est du Mont Redon (au bord de la D156E5), sur le Penchant de Salagou et à mi-distance entre la ferme de Germane et Les Bories. Eleusine tristachya est une espèce localisée pouvant être abondante et parfois (sur le Penchant du Salagou) former un gazon presque monospécifique où elle semble régulée à cet endroit par le passage fréquent d’un troupeau de moutons.
Il est à noter qu’Eleusine tristachya quitte les andosols, ça et là, et parvient à s’implanter à proximité sur les terres rouges (rufs) de la vallée du Salagou, qui sont des argilites gréseuses et ferrugineuses.
Une immigrante en expansion lente
Eleusine tristachya arrive d’Amérique du Sud (Argentine, Uruguay). Elle ne peut être confondue avec Eleusine indica (L.) Gaertner, plus grande (jusque 85 cm) et dont les inflorescences présentent 5 à 12 épis. E. Indica a été observée à Béziers, près du stade de la Présidente ; et à Hérépian (Hérault), près du terrain de football. On ne connaît pas de stations dans l’Hérault où les deux espèces d’Eleusine cohabitent.
E. tristachya a-t-elle abordé la France par le département de l’Hérault ? Cela est improbable car elle est connue dans d’autres départements du Sud de la France depuis au moins 50 ans : PARRIAUD H. l’a vue à Audenge (Gironde) en 1953 (PARRIAUD, 1956), puis « en abondance » à La Hume et à Cazaux en 1958. La flore d’AUGER & LAPORTE-CRU (1985) signale sa présence ponctuelle dans le Sud-Ouest de la France, en particulier dans la région bordelaise. Son installation dans ce département n’était donc pas très récente. JAUZEIN signale en 1995 que l’espèce, « présente dans le Sud-Ouest, progresse de plus en plus vers le Nord ». PORTAL l’a rencontrée à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) en 1997 (PORTAL, 2000). La précision que m’a fourni PORTAL mérite d’être citée : « cette plante était située dans une plate-bande négligée sous un arbre devant la gare » (com. pers. avril 2000).
Sur le plateau de Germane, Eleusine tristachya est intéressante à observer dans ces premières années 2000. Elle essaime et forme des colonies en « peau de léopard ». On voit des groupes d’Eleusine tristachya avec, au centre, un bouquet pourvu de plusieurs hampes florales, entouré de pieds plus jeunes et moins denses. La plante forme des touffes qui s’épaississent autour d’un pied initial, pendant que ses graines donnent de nouveaux pieds à proximité. Dans cette station, E. tristachya est visiblement en phase de colonisation.
Mes recherches, depuis trois ans sur de nombreux sites basaltiques du département de l’Hérault, principalement entre Lodève et Pézènes-les-Mines, ne m’ont pas permis de découvrir d’autres colonies d’Eleusine tristachya. Le contraste entre la densité des colonies de l’Auverne et de Germane et l’absence d’autres colonies, même restreintes sur d’autres sites comparables, indique qu’Eleusine tristachia s’étend lentement et que ses graines restent autour des pieds fertiles sans être déplacées facilement (vent, animaux). L’ensemble de la population de l’Hérault résulte peut-être du transport initial d’une seule graine.
Remerciements
Je remercie Robert PORTAL pour l’excellent dessin qu’il a bien voulu nous donner pour cet article. [non reproduit ici.]
Bibliographie
AUGER R. & LAPORTE-CRU J., 1995. Flore du domaine atlantique du sud-ouest de la France et des régions de plaine, CRDP Aquitaine, Bordeaux, 516 p.
Bureau de Recherches Géologiques et Minières, 1982. Carte géologique de la France à 1/50000. Feuille n° 989 Lodève. BRGM, Orléans, 1 carte + 1 notice (52 p.).
Institut Géographique National. 1991. Carte topographique à 1/25000. Feuille n° 2643O : Lodève. IGN, Paris.
Institut Géographique National. 1994. Carte topographique à 1/25000. Feuille n° 2643E : Clermont-l’Hérault, IGN, Paris.
Institut national de la recherche agronomique, 1993, Carte pédologique de France à 1/100 000. Feuille Lodève, L-22. Notice explicative de P. Bonfils. Service d’étude des sols et de la carte pédologique de France. INRA, Olivet, 1 carte.+ notice (206 p.).
JAUZEIN P., 1995. Flore des champs cultivés. INRA, Paris, 898 p.
PARRIAUD H., 1956. La végétation phanérogamique de la côte méridionale du Bassin d’Arcachon. P.-V. Soc. Linn. de Bordeaux, 96 : 45-50.
PARRIAUD H., 1958. Présence de deux espèces d’Eleusine en Gironde. P.-V. Soc. Linn. de Bordeaux, 97.
PORTAL R., 2000. Eleusine tristachya (Lam.) Lam. : une petite graminée qui fait son chemin. Arundo. 2 (1) : 9-10.
VILAIN P., 1999. Liste des plantes vasculaires de l’Hérault. 3e tirage. Société d’horticulture et d’histoire naturelle de l’Hérault, Montpellier.