CARACAS - L’heure est déjà au bilan pour le Forum social mondial de Caracas, qui a fermé ses portes hier. Les Vénézuéliens ne s’y sont pas déplacés en masse, alors que leur président a fait des vagues.
Après cinq jours de débats intenses, le sixième Forum social mondial (FSM) a pris fin dimanche à Caracas. Près de 75 000 personnes ont participé à cette rencontre, qui sera transférée début 2007 à Nairobi (Kenya). La session tenue dans la capitale vénézuélienne a confirmé la nécessité d’une « autonomie totale » du FSM, même si l’on y a constaté certaines divergences sur les suites politiques à donner au processus des forums sociaux.
Julio Fermín, l’un des responsables du Comité national d’organisation vénézuélien tire un bilan positif de la semaine : « Je suis persuadé que le processus du FSM sort renforcé de la rencontre de Caracas ». Malgré certains problèmes d’intendance surtout causés par la distance entre les différents sites, « la plus grande partie des thématiques principales, celles qui occupent la vie quotidienne des mouvements sociaux et remplissent leurs agendas, ont pu être débattues et faire l’objet d’un consensus ». Parmi ces thématiques, les campagnes contre l’ALCA (Accord de libre-échange des Amériques), la réforme agraire, le renforcement de l’alliance sociale continentale ou le rôle des femmes dans la société actuelle.
Pas un événementmondial
« Vouloir organiser un forum décentralisé, quasi simultanément dans trois endroits du monde (après Bamako et Caracas, la ville pakistanaise de Karachi prendra le relais à la fin mars, ndlr) n’était pas si simple et nous l’avions compris lors de la préparation déjà », rappelle Julio Fermín. Il estime que par la présence de milliers de Colombiens, Brésiliens ou Nord-Américains, Caracas fut une excellente rencontre... continentale : elle n’a pas réussi à se transformer en une grande cité mondiale.
Au niveau de l’Amérique latine, un pas significatif a été franchi dans la coordination des luttes sociales, par exemple contre l’ALCA ou la privatisation de l’eau, fait remarquer Osvaldo León, directeur de l’ALAI (Agence latino-américaine d’information).
Où étaientles Vénézuéliens ?
Incontestablement l’un des points noirs de cette édition, « la participation des Vénézuéliens a été décevante », reconnaît Julio Fermín. Selon lui, le FSM leur aurait pourtant beaucoup apporté. « Nous souffrons ici d’un syndrome de nombrilisme, en pensant que nous vivons le processus révolutionnaire le plus important du monde ». Pour le moment l’ouverture vers l’extérieur ne se fait qu’avec Cuba et timidement avec le Brésil.
Une évaluation partagée par Eric Toussaint, historien belge et membre du Conseil international du FSM. « En 2004, au Forum de Mumbai (Inde), la participation des secteurs populaires était bien supérieure ».
Le militant belge fait une autre critique à l’étape de Caracas : la dispersion des activités. D’autres voix estiment que les organisateurs ont péché par leur extrême générosité, en voulant assurer un espace propre à tous ceux qui faisaient des propositions de conférences ou de séminaires.
Sans remettre en cause le polycentrisme du FSM version 2006, Eric Toussaint constate que « par rapport à Porto Alegre 2005, en matière d’organisation, il s’est produit un certain recul ». Tous ces vécus et ces perceptions seront analysés par le Conseil international du FSM, qui pourrait se réunir à Karachi ou à Nairobi, comme exercice de préparation de la session 2007, qui se tiendra à nouveau dans un même lieu.
Le discours de Chavez interpelle
Organisée dans le cadre du FSM, la nuit du vendredi 27 janvier, au stade du Poliedro (Caracas), la rencontre entre le président Hugo Chavez et les mouvements sociaux a suscité diverses polémiques.
Dans un long discours sur la réalité latino-américaine (qui a duré deux heures), le dirigeant vénézuélien, tout en disant « respecter totalement l’autonomie du FSM », a appelé le Forum à avancer des propositions concrètes.
Selon le président, il faudrait un plan d’action « unique », afin de conjurer le risque de tomber dans le « tourisme politique » ou d’être perçu « comme purement folklorique ».
Auparavant, Chavez avait présenté une analyse détaillée sur la situation actuelle du continent latino-américain et du monde, soulignant la pression « du temps politique restreint à disposition ». Ce afin « de sauver la planète menacée par un système économique dominant totalement illogique ».
L’intellectuel libertaire vénézuélien Frank Bracho est d’avis que « le président s’est ingéré dans un processus et un espace aussi riche que le FSM ». Un avis partiellement partagé par Plinio de Arrudo Sampaio, dirigeant historique de la gauche brésilienne, qui a quitté le Parti des travailleurs en raison de ses divergences avec le programme gouvernemental de Lula.
Moins critique, Osvaldo León, relève la reconnaissance par Chavez de l’autonomie effective du Forum social mondial et des mouvements sociaux par rapport aux gouvernements.
La tension déjà perçue l’année dernière à Porto Alegre se confirme, même si elle n’est formulée qu’à demi voix. Elle oppose les adeptes d’un forum qui resterait un espace de débats, de réflexion et d’agendas à ceux qui insistent sur la nécessité de transformer le forum en lieu de propositions concrètes, avec des plans d’action et des priorités discutées, signées et appliquées.