Dans un article [1] paru sur le site d’Europe Solidaire, interviewé par Yves Dachy, j’avais fait un état des lieux des différentes composantes du mouvement animaliste. Le welfarisme souhaitant des mesures pour que le bien-être des animaux soit respecté d’une part et les radicaux, abolitionnistes ou encore vegan souhaitant, eux, que l’animal ne soit plus utilisé.
Il est évident que certaines utilisations de l’animal nous demanderont de gros efforts notamment culturels, économiques pour arriver à en accepter son abolition.
D’autres, par contre, ne semblent pas offrir trop de contraintes comme par exemple l’utilisation des animaux dans les cirques. Pratique interdite en Autriche par exemple.
L’origine de ces cirques est commune avec le colonialisme : en même temps que les « indigènes » capturés dans les colonies, les animaux sauvages vont peu à peu intégrer les ménageries à partir de 1830. Mais c’est seulement vers 1880, avec la création de la cage centrale que les fauves vont entrer sur la piste, soit près d’un siècle après la création du cirque traditionnel.
L’utilisation de l’animal sauvage n’est donc pas une composante historique du cirque traditionnel mais bien un apport ’exotique’ directement lié aux importations coloniales
Un questionnement éthique : il est souvent souligné que les animaux dans les cirques sont bien traités, qu’un règlement préserve leur bien-être. Et pourtant, on leur impose un enfermement permanent dans 3 à 4 m2. On ne leur permet pas d’exprimer ses comportements les plus fondamentaux. On leur impose des postures contre-nature.
On invoque encore la protection de l’espèce alors même que ces présentations banalisent la chosification de l’animal.
Comment prétendre à une éducation de l’enfant en lui présentant un animal arraché à son environnement et présentant des comportements atypiques ?
Violence : On imagine en voyant les animaux exécuter des numéros qu’il y a complicité, connivence entre l’animal et son « dresseur ». C’est une image volontairement trompeuse puisque l’animal est bien soumis à l’homme. L’animal est contraint par la violence notamment par des armes comme la pique (l’ankus [2]), le fouet ou le bâton.
Les témoignages de dresseurs ne font que confirmer cette triste réalité attestant de la formule du circophile Pierre Robert Levy « On ne peut sans hypocrisie imaginer un domptage qui n’aurait pas recours à la contrainte et à une certaine violence ».
« Vous avez sans doute remarqué que tous les dresseurs d’éléphants, pendant les représentations, ont à la main une cravache de cuir ornée d’une fleur au bout. Le dresseur s’approche de l’animal, fait un geste gracieux de la main et l’éléphant, comme s’il obéissait à la fleur, se dirige gentiment vers l’endroit qu’on lui indique. Mais aucun des spectateurs ne sait que la magnifique rose cache en fait un crochet acéré, qui viendra se planter dans l’oreille de l’éléphant au moindre signe de désobéissance. C’est ainsi dans tous les cirques du monde) » (Vladimir Deriabkine - dompteur).
« Je les attendais de pied ferme, fouet à la main (...), ils comprenaient très bien que l’explication entre eux et moi, sans témoins, allait être orageuse... » (Jean-Richard, dompteur).
« L’animal doux qui a pris conscience de sa supériorité est le plus dangereux de tous les fauves. N’ayant jamais reçu une correction, il ne craint pas l’homme et rien ne peut réfréner son instinct déchaîné » (Alfred Court - dompteur).
Une détention contraire aux besoins physiologiques : Chaque animal a besoin de développer une palette de comportements liés aux besoins de son espèce : comportement social, antagoniste, maternel, alimentaire, sexuel, locomoteur, territorial...
Les signes de bien être ou de mal être peuvent être interprétés à partir du répertoire comportemental de l’animal selon qu’il est en adéquation ou non avec celui de l’espèce.
Ainsi des activités (et le temps qui leur est imparti) telles que le toilettage, les interactions sociales, le marquage du territoire, les déplacements (sauter, courir), l’exploration, le grattage du sol, les bains de boue ou de poussière, le repos ...sont autant d’éléments permettant d’évaluer le bien être ou mal être d’un animal.
La détention artificielle telle qu’elle est pratiquée dans les cirques conduit à la restriction de ces comportements spécifiques. La constitution d’un groupe social est également le plus souvent difficile, soit du fait de l’absence de congénères, soit du fait de l’exiguïté, des attaches mais aussi du stress.
Ainsi, le caractère itinérant des cirques, qui implique des déplacements continuels, peut avoir des conséquences extrêmement néfastes :
– Le stress, qui peut être cause de peur, surtout pendant le transport et le déchargement.
– Des changements perpétuels des lieux de séjours induisent un « terrain de chasse » constamment remis en question.
– Des milieux toujours différents, notamment au niveau du climat, de la température, des odeurs et de tous les autres paramètres de l’environnement.
Les systèmes de détention ont tendance à mener à des privations de stimuli conduisant à l’apathie physique (dépression, passivité et soumission) accompagnée de déviances du comportement et même de névroses.
Les stéréotypies sont une des manifestations visibles de ces déviances comportementales.
Elles visent par exemple à se substituer à :
– L’absence de stimuli externes (rares en captivité), de phase de recherche, de maîtrise et de capture de la nourriture.
– L’impossibilité de réagir par la fuite ou l’attaque, d’approche d’un espace, d’un objet, d’un congénère...
Ces stéréotypies, qu’elles soient de type déambulatoire (principalement chez les félins) ou caractérisées par un balancement permanent de la tête (éléphants, ours...), sont les manifestations d’un échec à s’adapter de façon appropriée et sont le signe manifeste d’une souffrance chronique et d’une diminution de son bien-être.
On trouve également comme autres troubles du comportement le léchage à outrance (primates), des rejets par leur mère de leurs progénitures après la mise bas (félins) ou l’automutilation.
Positions et comportements contre-nature : On ne peut sans contrainte faire faire aux animaux des choses que leur nature réprouve. Ainsi la présence de félins en cage centrale pose différents problèmes occasionnant un stress supplémentaire pour l’animal.
– Déstructuration du groupe social
– Difficulté de cohabitation, notamment lors du mélange d’espèce (lions, tigres...)
– Absence de distance de fuite.
– Présence du feu...
– Position contre-nature (assis, debout..)
Imposer à un éléphant une position contre-nature telle qu’être debout, à genoux ou encore en poirier n’est pas sans conséquence sur la santé de l’animal comme en attestent les zoologues du zoo de Vienne : « Ces positions peuvent causer des blessures aux articulations et aux disques intervertébraux, ainsi que des fissures dans les ongles. Quant aux exercices d’équilibre, ils peuvent être à l’origine de dérangements moteurs dans les articulations du coude et du genou) »
Selon Kuntze spécialiste des éléphants dans les cirques, la position assise peut conduire à « un état grave qui peut entraîner la mort si les intestins, la vessie, l’utérus subissent un étranglement et se nécrosent »
Les problèmes cardiaques représentent la première cause de mortalité des éléphants adultes en captivité. Ces morts souvent prématurées sont les conséquences d’une alimentation trop riche, à un manque d’exercice et au stress.
Une étude de la RSPCA [3] révèle aussi que de nombreux éléphants en captivité ont des carences en vitamines et minéraux (vitamine E, zinc, fer...).
Le certificat de capacité est une décision administrative individuelle reconnaissant la compétence propre d’une personne à assurer la responsabilité de l’entretien de l’espèce d’animaux non domestiques. Il représente la seule contrainte pour les cirques, bien que la personne s’occupant de l’animal ne soit pas forcément le détenteur de ce certificat.
Lorsque l’on voit les conditions de détention des animaux et les troubles qui en découlent, il apparaît clairement que le certificat de capacité ne présage pas de la compétence du capacitaire à respecter les besoins élémentaires de l’animal.
D’un point de vue moral, détenir des animaux dans de telles conditions dans un but uniquement lucratif est à proscrire, d’autant qu’il existe de nombreux cirques sans animaux où l’accent est mis sur les véritables métiers du cirque (acrobatie, jonglage, équilibre...).
L’aspect économique : Le cirque Phénix (sans animaux) est le concurrent direct de Pinder, le plus grand cirque animalier. D’autres pays ont adopté cette mesure et les cirques ne sont pas en faillite. De plus, un responsable du cirque Luigi Zavatta nous confia qu’ils étaient obligés d’accomplir des longues distances entre chaque représentation parce que de nombreuses municipalités les refusaient…sans pour autant se déclarer ville anti-cirque avec animaux.
En guise de conclusion : Pour en finir avec l’image surannée du colonialisme, parce qu’il est indécent de maintenir en détention des animaux et de leur faire accomplir des numéros dégradants et parfois dangereux pour leur santé, parce que des cirques sans animaux sont fiables économiquement et savent aussi attirer un public, il serait souhaitable que l’amendement « pour des cirques sans animaux » soient inscrit dans les fondements du prochain congrès du NPA.