Correspondant à Tokyo
Dpuis plus d’un demi-siècle, le Japon ignore l’alternance au pouvoir. A l’exception d’une brève « traversée du désert » (1993-1994), le Parti libéral-démocrate (PLD) a toujours tenu les rênes du pays. Lors des législatives du 30 août, il risque de les perdre au profit du Parti démocrate du Japon (PDJ), principale formation d’opposition. Si c’est le cas, en deux ans, les deux Chambres seront passées à l’opposition. Une défaite « historique ». Mais le changement promis par le PDJ sera-t-il à la hauteur de la formule ?
L’immobilisme politique japonais déconcerte. Frilosité de l’électorat, conservatisme invétéré ? Le PLD a fait de l’Archipel la seconde économie du monde. Il a conservé le pouvoir parce que sa politique correspondait aux intérêts nationaux d’une époque - la guerre froide - qui s’est achevée sans que les conséquences politiques en aient été tirées. Vaincu et dépendant des Etats-Unis pour sa sécurité, le Japon se concentrait sur son redressement et sur une amélioration des conditions de vie de la majorité : les inégalités existaient mais chacun à son niveau recevait des dividendes de la croissance.
Dans les années 1960-1980, « âge d’or » du PLD, celui-ci détenait le monopole du réalisme alors que la gauche socialiste, arc-boutée sur son pacifisme, passait pour utopiste. Composé de sensibilités allant du centre gauche à la droite, le PLD réussit pendant des décennies à cantonner le débat politique en son sein. Une « démocratie interne » qui a permis à ce parti - issu de la fusion, en 1955, des deux courants conservateurs -, de faire preuve d’une réactivité pragmatique. Procédant par ajustements et politiques de compensation sociale, soustrayant ses initiatives à l’opposition, il jouait abondamment de la manne publique pour satisfaire ses clientèles. Une « politique par l’argent » élevée dans les années 1970 au rang de système de pouvoir par le premier ministre Kakuei Tanaka.
Le système a fonctionné tant que les caisses de l’Etat étaient pleines. L’éclatement de la « bulle spéculative » (début des années 1990) puis la récession ont grippé la mécanique à drainer les voix. Mais le PLD a conservé le pouvoir grâce à des alliances avec le centre. Puis, la machine s’est enrayée : les libéraux-démocrates perdaient la main.
La société avait changé : moins homogène qu’au cours des décennies précédentes - lorsque la majorité pensait appartenir à une vaste classe moyenne -, elle exprimait des demandes diversifiées échappant aux réseaux de clientèles du PLD. Aux abois, il « trahit » celles-ci (à commencer par le monde rural) sans s’assurer pour autant le soutien de l’électorat urbain, décisif pour l’issue d’un scrutin.
L’inaptitude du premier ministre Taro Aso, qui « plombe » aujourd’hui le PLD, n’est qu’un épiphénomène dans son déclin. Comme le furent les années de Junichiro Koizumi, premier ministre de 2001 à 2006, qui, jouant d’une popularité fondée sur les espoirs en sa capacité à donner à l’Archipel une nouvelle orientation, n’ont fait que différer les choix. Elles ont aussi aggravé les disparités sociales mais sans entraîner l’apparition d’une couche de « défavorisés permanents ». Or c’est désormais le cas.
Le « théâtre Koizumi » dont l’apothéose furent les élections législatives de 2005 (majorité écrasante du PLD) n’aura été qu’un illusoire feu d’artifice. La crise mondiale a rendu plus aiguës les conséquences d’une politique dont la précarisation du marché du travail fut une des conséquences. La succession de trois premiers ministres depuis 2006 et les âpres batailles internes à la veille de la dissolution, le 21 juillet, témoignent de l’usure, sinon du désarroi, du PLD.
La « facture » de l’incompétence de ses dirigeants à donner à l’Archipel une orientation nouvelle dans la mondialisation est lourde : de la 4e place en termes de revenu par habitant, le Japon est passé à la 19e (en 2007) et de la 1re à la 9e dans la course à la compétitivité internationale. Les maux auxquels est confrontée une société vieillissante sont identifiés : couverture sociale insuffisante, montée des inégalités, dette publique.
Le PDJ est-il à la hauteur des attentes ? Sa montée a été servie par le déclin du PLD. Sous la houlette d’un « animal politique », Ichiro Ozawa - qui a dû démissionner en mai de sa présidence pour un scandale financier sur fond de politique -, il est apparu comme une force d’alternance. L’est-il vraiment ? Formé de transfuges du PLD - tels que M. Ozawa et son successeur, Yukio Hatoyama -, d’ex-sociaux-démocrates et d’anciens syndicalistes, il manque de cohérence interne. Son programme ne se différencie guère de celui de l’actuelle majorité sinon par une plus grande attention aux défavorisés et une ambition affichée de se départir d’un suivisme sans faille vis-à-vis des Etats-Unis.
Le mot « réforme » a perdu de son lustre auprès d’une opinion qui attend des remèdes concrets à la dégradation de ses conditions de vie. En votant pour le PDJ, elle prendra un risque. Mais le risque sera sans doute plus grand en cas de maintien au pouvoir d’un parti affaibli, encore plus dans l’incapacité de gouverner.