Interview de Guy Eyermann (délégué CGT New Fabris) dans Sud Ouest
Le 5 septembre 2009
Aujourd’hui, les ex-Ford organisent une journée « Tous ensemble » avec la venue des Celanese, Conti, Molex, et de Guy Eyermann, qui a perdu son travail chez New Fabris.
Pendant six mois, le délégué syndical CGT Guy Eyermann a été de tous les combats pour tenter d’empêcher la fermeture (ou du moins obtenir la reprise) de son usine, New Fabris. Mais il n’y a pas eu de miracle du côté de la zone industrielle nord de Châtellerault. Alors que la menace planait de faire sauter à la bonbonne de gaz les installations de l’équipementier de Renault et PSA le 31 juillet, la majorité des 366 ouvriers licenciés a décidé d’accepter la prime d’indemnités de 12 000 euros proposée par l’État (NDLR : les syndicats demandaient 30 000 euros).
Le nouveau chômeur Guy Eyermann sera présent au rendez-vous de Blanquefort fixé par les ex-Ford, ce samedi. Avec l’espoir commun de lancer un collectif de lutte pour l’emploi, dont la première pierre avait été posée lors de la manifestation nationale organisée par les New Fabris le 30 juillet dernier.
« Sud Ouest ». Dans quel état d’esprit venez-vous à Blanquefort ?
Guy Eyermann. Quelques salariés de l’ancienne usine Ford sont venus nous soutenir le 30 juillet à Châtellerault. C’est donc normal que je donne suite à leur invitation. Il s’agit également de partager pour pouvoir commencer à mettre en place un comité national des privés d’emploi, de planifier des convergences de luttes et de parler de solidarité qui s’avère de plus en plus nécessaire.
Mercredi, vous étiez aussi au tribunal de Compiègne, où six anciens ouvriers de Continental ont été condamnés pour le saccage de la sous-préfecture le 21 avril...
C’est exact. J’en ai profité pour prendre la parole et remettre sur la table ce comité qui sera dirigé par la base puisque là-haut, dans nos instances, on ne daigne pas bouger le petit doigt. Pour ce qui est de leur condamnation, elle est inadmissible. Entre trois et six mois de prison, 60 000 euros d’amende par personne, c’est vraiment cher payé pour des gens qui voulaient juste sauver leur emploi. On voit très bien qu’ils veulent en faire un exemple. Cela me rappelle le cas de La Rochelle il y a quelques années, où quatre syndicalistes avaient commis des dégradations à la préfecture. Ils avaient été condamnés à une peine de prison avec sursis et une amende. Les quatre avaient fait appel. Lors de celui-ci, une manifestation nationale de soutien avait été organisée à Poitiers - 20 000 personnes étaient présentes - et ils avaient été relaxés. Voilà ce que je souhaiterais pour les Conti. On en discutera à Blanquefort.
En parlant des Conti et de Xavier Mathieu, un des délégués syndicaux CGT condamnés, que pensez-vous du terme « racaille » qu’il a utilisé pour qualifier Bernard Thibault ?
Je ne serais jamais allé jusque-là. « Racaille » rappelle un certain gars qui a sorti ça et qui est devenu président de la République. Maintenant, je suis d’accord pour dire que Thibault n’a rien fait et laisse carrément tomber la base. Il est mieux dans les salons que dans la rue, avec les gens en lutte qui sont dans le pétrin. Nous, avant et depuis la fermeture de l’usine, nous n’avons eu aucun contact avec la Fédé. Seule l’Union départementale de Poitiers s’est un peu intéressée à notre sort.
Il faut dire qu’en haut lieu syndical, votre menace de faire sauter New Fabris n’a pas été bien interprétée...
C’était juste un moyen de pression. La Confédération n’a pas voulu comprendre. Philippe Martinez, qui s’occupe du secteur industrie automobile, aurait même déclaré récemment qu’il était contre les demandes d’indemnités et de primes. Mais nous aussi, on aurait préféré garder notre emploi et qu’il y ait un nouveau repreneur. C’est pour cela qu’on s’est battus pendant six mois.
Justement, que ressentez-vous un mois après la fermeture de l’usine ?
Il faut tourner la page. Nous avons déménagé les meubles que nous avions dans le local et chacun est parti de son côté. Avec une soixantaine d’anciens salariés, nous avons créé un comité des privés d’emploi Fabris. On va essayer de retrouver un emploi rapidement, quitte à mettre la pression auprès des politiques. Le but est de maintenir le contact et que personne ne reste seul dans son coin.
Avez-vous perçu les 12 000 euros qui vous ont été proposés ?
Non, mais j’ai reçu le jugement de liquidation du tribunal de Lyon et il est écrit que nous toucherons les 12 000 euros net, non imposables, le 7 septembre au plus tard.
Mardi, le ministre de l’Industrie, Christian Estrosi, était à Châtellerault. L’avez-vous rencontré ?
Nous nous sommes rassemblés avec quelques-uns des anciens collègues. Il a reçu les quatre syndicats.
Que vous a-t-il dit ?
Comme d’habitude, il n’a fait que des promesses. Il est venu voir l’emplacement d’une nouvelle usine qui devrait voir le jour fin 2010 et qui serait prête à embaucher 370 personnes. Il nous a dit que priorité serait donnée aux 259 ex-employés de Fabris qui ont pris le CTP (contrat de transition professionnelle). Un CDI leur serait proposé au terme de celui-ci. Il doit revenir au mois de juin pour nous confirmer tout ça, et on espère, une fois de plus, qu’il tiendra ses engagements.
Par Jacky Sanudo.
Oui, il faut coordonner nos luttes !
Message Solidaires aux « New Fabris »
Les camarades de l’Union syndicale Solidaires présent-e-s à la manifestation du 29 juillet à Châtellerault nous ont fait part de l’annonce de la création d’un collectif rassemblant les salarié-e-s en lutte à travers tout le pays ; annonce faite lors de cette manifestation, et ceci en présence de délégations de plusieurs entreprises de divers secteurs d’activité, ce qui, déjà, montre une réalité incontestable.
Mais bien évidemment, et nous ne doutons pas que ce soit aussi votre préoccupation, cette initiative doit se développer. Elle répond à une des nécessités pointées par les organisations de Solidaires lors de récentes réunions nationales faisant le bilan des mouvements de l’année écoulée.
L’Union syndicale Solidaires :
– Apporte son soutien à la création de ce collectif.
– Appelle les organisations membres de Solidaires, à contribuer à y donner toute l’envergure souhaitable, en le faisant connaître aux salarié-e-s, en proposant de le rejoindre.
– Entend participer à son développement, en mettant au service des travailleurs/ses en lutte l’outil syndical.
– Souhaite que l’ensemble des organisations syndicales nationales apportent leur soutien au collectif.
Nous sommes bien entendu disponibles, et demandeurs, pour une rencontre avec vous, afin de discuter des modalités les plus efficaces pour renforcer la dynamique vers la coordination des luttes et un mouvement national interprofessionnel.
Pour le Secrétariat National de l’Union syndicale Solidaires :
Annick Coupé
Christian Mahieux
Solidarité avec les salariés de New Fabris à Châtellerault
Communiqué Solidaires
Les salariés de New Fabris appellent ce jour à une manifestation à Châtellerault pour exiger une prime de licenciement de 30 000 euros.
Comme des dizaines de milliers d’autres salariés victimes de patrons voyous et licencieurs, ils sont menacés d’être jetés à la rue, victimes de choix économiques dont ils ne sont pas responsables, des choix des donneurs d’ordre de la filière automobile. Le gouvernement, pour sa part, a fait le choix d’apporter des milliards d’euros aux banques, aux patrons de l’automobile, sans contrepartie favorable aux salariés. Gouvernement et patronat sont d’accord pour faire payer le prix fort de la crise par les travailleurs, les chômeurs , les précaires…
L’Union syndicale Solidaires apporte toute sa solidarité au combat des salariés de New Fabris. Elle salue leur volonté de sortir de l’isolement des luttes pour les coordonner et construire ainsi un meilleur rapport de forces pour gagner sur les revendications face à l’intransigeance du patronat et du gouvernement.
L’Union syndicale Solidaires appuie toutes les initiatives allant dans le sens de coordination des luttes.
30 juillet 2009
Le NPA à Chatellerault le 30 juillet en soutien aux salariés de New Fabris
Communiqué du NPA
Les 366 salariés de cette entreprise revendiquent 30 000 euros par salarié comme prime de licenciement, en plus des indemnités légales, en se retournant vers Renault et PSA, lesquels refusent d’assumer leurs responsabilités de donneurs d’ordre.
Christian Estrosi, secrétaire d’état à l’industrie, ne s’est engagé que pour 11 000 euros. Les salariés de New Fabris maintiennent leurs revendications et appellent l’ensemble des travailleurs en lutte pour l’emploi à une manifestation à Chatellerault, mardi 30 juillet, à 14h.
Le NPA, qui soutient totalement la lutte engagée, sera présent au rendez-vous, avec Yvan Zimmermann, dirigeant national et tête de liste aux européennes dans la région Est et par une délégation régionale et de la région parisienne.
Olivier Besancenot, qui ne pourra être présent à la manifestation, envera un message de soutien aux salariés de New Fabris.
Le 29 juillet 2009.
Les « Fabris » manifestent à Châtellerault avant une AG décisive vendredi
CHATELLERAULT (AFP)- Les « Fabris », qui ont menacé début juillet de faire sauter leur usine, ont manifesté jeudi à Châtellerault avec d’autres salariés touchés par des restructurations industrielles, à la veille d’une assemblée générale décisive sur la suite de leur mouvement.
Au moins 3.500 personnes selon les syndicats, 1.800 selon la police, ont défilé dans les rues aux côtés des salariés de l’équipementier automobile qui réclament une prime de départ de 30.000 euros.
Partis du site de l’usine New Fabris (fabrication de pièces mécaniques) à la périphérie de Châtellerault, les manifestants qui ont également reçu le renfort de quelques personnalités de gauche ont convergé vers le centre-ville.
« Renault, PSA Peugeot sont en train d’organiser la désertification industrielle de la France - New Fabris 366 licenciements », pouvait-on lire sur une banderole.
Un porte-parole des salariés, Guy Eyermann (CGT), a annoncé la création d’un « collectif pour toutes les entreprises qui luttent contre les patrons voyous et leurs actionnaires », devant le défilé dans lequel figuraient notamment des salariés de Thales, de Continental, Molex, Aubade, Renault ou encore Ford.
« Nous ne pourrons gagner qu’en réunissant toutes les entreprises et toutes les organisations syndicales », a estimé M. Eyermann, avant de conclure : « On se sera battu jusqu’au bout et c’est notre fierté ».
Les salariés de New Fabris doivent tenir une assemblée générale décisive vendredi, date limite qu’ils avaient fixée pour obtenir satisfaction sur le montant de la prime.
Les bouteilles de gaz qu’ils avaient installées sur le toit de l’usine au début de leur action ont été remisées dans un local la semaine dernière, mais les salariés ont entretenu depuis un certain flou sur leurs intentions.
« On a renoncé à toute violence, maintenant si la majorité (des salariés) refuse la somme proposée, il y aura des dégâts », a prévenu M. Eyermann.
« Je ne peux pas dire aujourd’hui si je voterai pour les 11.000 euros (somme proposée par le gouvernement, NDLR) » lors de l’AG, a déclaré à l’AFP Laurence, depuis 7 ans chez New Fabris. « 11.000 euros + 2.700 euros (part variable attribuée en fonction de l’ancienneté), pour moi, c’est nettement insuffisant », a-t-elle estimé.
Jeudi après-midi, le ministre de l’Industrie Christian Estrosi a proposé d’être « dès ce soir au rendez-vous du dialogue dans la perspective d’une sortie de crise heureuse à l’issue de la rencontre programmée demain » vendredi.
A une condition toutefois : que les salariés expriment « très explicitement leur rejet de toute forme de violence ». « La condamnation de toute forme d’ultimatum est un préalable à toute discussion », a ajouté le ministre.
Ségolène Royal, présidente PS du conseil régional Poitou-Charentes, lui a cependant demandé de « faire un geste supplémentaire » pour parvenir à « une issue satisfaisante et digne pour les salariés ».
« Si les salariés en arrivent à mettre des conditions aussi radicales, c’est à cause de la surdité des décideurs. Le gouvernement a mis des sous sur la table pour les entreprises en difficulté, si elles ferment ce sont les salariés qui doivent en bénéficier », a estimé de son côté Guy Savin, un des porte-parole des salariés de Molex, venu soutenir les « Fabris ».
« Ce qui est important aujourd’hui, c’est qu’il y ait un maximum de diversité d’entreprises au sein de la manifestation (...) A la rentrée, le gouvernement a du souci à se faire », a promis Sylvie Sanguiol, déléguée Sud au sein du technocentre de Renault Guyancourt.
« Silence des machines, paroles des ouvriers »
« J moins 5 avant Boum ! » L’écriteau, griffonné sur un support d’emballage, est suspendu devant l’usine. A l’endroit même où, quelques jours plus tôt, trônaient encore les bouteilles de gaz que les ouvriers menaçaient de faire sauter.
Zone industrielle Nord de Châtellerault, dans la Vienne : les 366 salariés licenciés de New Fabris, sous-traitant automobile, ont choisi l’apaisement. Ils ont rangé les bonbonnes, tout en maintenant leur revendication : 30 000 euros d’indemnité supra-légale, réclamée aux principaux donneurs d’ordre, Renault et PSA, suite à la liquidation de l’entreprise, prononcée le 16 juin.
Depuis cette date, les ouvriers occupent le site. Et ce lundi 27 juillet, un seul sujet anime les conversations : le montant (11 000 euros) que le ministre de l’Industrie, Christian Estrosi, a proposé à chaque salarié, contre la promesse, pour l’instant respectée, de suspendre leur menace. Est-ce assez ? Avec ou sans CSG ? Peut-on obtenir plus ? Ou n’est-il pas temps, finalement, de rentrer chez soi ? C’est le dilemme des New Fabris. En finir, après un mois et demi d’occupation, « plus fatigante que si l’on travaillait », selon un salarié, ou rester groupés, encore un peu, avant de vivre ce que chacun pressent comme un enfer : l’isolement à la maison, le chacun chez soi. La fin, la vraie, prévue pour lundi 3 août, dont on ne parle qu’en petits groupes, à voix basse, et qui fait s’embuer les yeux. Plongée de vingt-quatre heures parmi les New Fabris, à quelques jours d’un dénouement aussi redouté qu’espéré.
13 heures
Comme chaque lundi, assemblée générale dans la cour de l’usine. Guy Eyermann, visage et timbre de voix à la Vincent Lindon, empoigne un mégaphone. Délégué CGT et leader du mouvement, il détaille, fatigué, le programme de la semaine : distribution de tracts, mardi, dans les rues de Châtellerault, pour dénoncer « le mensonge d’"Escrosi’’ », qui se répand dans la presse « pour dire que l’on va tous toucher, en moyenne et avec la prime légale, 28 000 euros ». Manifestation en ville, jeudi, où il espère la venue d’Olivier Besancenot et, qui sait, celle de Martine Aubry. Epilogue, vendredi, où tous voteront à bulletins secrets sur le montant final obtenu. En cas de refus, « on laisse tomber la prime et on casse tout ». Silence. L’assemblée est apathique, fatiguée elle aussi. Les ouvriers se dispersent. Quelques hommes reprennent leur partie de boules, sur le terrain improvisé, face au quai de déchargement.
14 heures
Discrètement, d’autres poursuivent leur errance parmi les machines. « Je ne peux pas m’empêcher d’y retourner, confie Michel, 55 ans, dont trente-huit d’ancienneté. C’est mental. Tous les jours, je vais faire un tour, voir si les bécanes son encore là. » A ses côtés, « Coluche », 37 ans dont huit au poste d’ébavurage, se souvient du jour où il a stoppé la sienne : « Je travaillais sur une pièce. Un gars est arrivé, m’a tapé sur l’épaule et m’a dit « c’est fini ». J’ai tout coupé. Je savais alors que c’était définitif. » Ce jour-là, les unes après les autres, les machines se sont tues. Depuis, « règne un silence bizarre… un silence de mort ». Pour tenir, Coluche s’est mis au sport, pour « faire le vide dans [sa] tête », où « tout est embrouillé ». Un bébé de 6 mois, une femme sans travail, un crédit immobilier sur vingt-cinq ans, un vague « niveau CAP » et, désormais, le chômage. Une situation classique parmi les salariés qui, comme lui, déambulent entre les monstres de métal, à ressasser une vie professionnelle que beaucoup ont entamée ici. Dans l’odeur de chaud devenu froid, entre les flaques d’huile que plus personne ne nettoie, parmi les bacs emplis de copeaux d’acier, de pièces usinées, près des classeurs encore ouverts, on fait désormais visiter l’usine, fièrement, aux journalistes, aux familles, aux gens de passage qui viennent soutenir la lutte, aux autres salariés licenciés des entreprises voisines.
15 heures
Corinne, Maryse et Laurence ont choisi le réfectoire. Assises autour d’un café, les trois copines se remémorent les années passées. Les pots avant les vacances, les repas de Noël, les quêtes au moment des naissances, le buffet offert par la direction pour les 50 ans de l’usine. C’était « la belle époque », dans cette « bonne » entreprise à la gestion familiale, un peu paternaliste. C’était avant que « les financiers arrivent et pillent la boîte ». Avant cette crise « qui a bon dos », et dont « ils ont profité pour fermer l’usine ». Avant cette « course aux profits où il faut toujours gagner plus ». Car Maryse, comme ses collègues – qui se sentent appartenir à la classe moyenne – était « heureuse » : 1 600 euros net à 55 ans, après trente-quatre ans d’ancienneté, « on n’allait pas au resto tous les jours, mais on vivait bien ». Corinne approuve : « On se disait qu’il y avait pire que nous, mais maintenant, on ne peut même plus dire ça. » La fin de l’occupation ? « ça va être dur, avoue Maryse. On ne réalise pas. On sait bien qu’on n’a plus de travail, mais pour l’instant, on est encore ensemble. » Alors jusqu’ici, tout va bien. Enfin presque. « Parce qu’il y en a… enfin on en connaît… qui… » Qui quoi ? « Qui ont sombré dans l’alcool », « qui se sont remis à fumer », « qui sont à bout », « qui vont bientôt craquer », « peut-être même le directeur ». Mais « pas nous ». Pas encore. Pas tout de suite. Ici, ce sont toujours les « copains » qui vont mal. Impossible d’avouer sa souffrance autrement qu’en évoquant celle des autres. Puis Maryse parle de la Bourse, « qui monte alors que c’est la crise ». Quiproquo avec Laurence, sa voisine, qui croit que Maryse a investi dans des actions, qui s’énerve, se lève, engueule son amie et quitte la table. Silence. Regards lourds entre collègues. Chacune est prête à craquer. Benoît arrive, essaie de détendre l’atmosphère. « Regardez le journal : « Les patrons sont inquiets » ». Rigolade éphémère. On se sépare.
17 heures
Fin d’après-midi. L’usine progressivement se vide. Les hommes ne sont plus qu’une poignée devant le bâtiment principal, assis en rang d’oignons, face aux dizaines de machines calcinées. On parle un peu du Contrat de transition professionnelle (CTP), de Pôle Emploi, de la lettre de motivation qu’« ils » réclament. On se donne l’adresse sur Internet pour en télécharger des toutes prêtes. « Ma fille me l’a écrite, je te la passerai », propose l’un d’eux. Puis la conversation agonise, avant de mourir tout à fait. Certains lèvent la tête, d’autres piquent du nez. Le vent a disparu, figeant les arbres sur place, clouant les nuages sur un ciel immobile. Plus aucun véhicule ne longe l’usine. Seul le bourdonnement de l’imposant transformateur planté dans la cour vient crever un silence comme l’entreprise n’en a jamais connu. Le temps s’est arrêté. On attend l’équipe de nuit.
20 heures
Les ouvriers arriventau compte-gouttes. « Les gars de la nuit, c’est quelque chose ! », lance le vigile, mi-amusé, mi-inquiet. Un homme débarque, puis un autre, et un troisième. On se serre la main. Puis une grande gueule déboule, charrie le groupe qui grossit. La nuit tombe. Felipe, 55 ans, brushing parfait et chemise rose, parle de ses spasmes coronaires, quand les nerfs contractent le cœur. « ça vient lorsqu’on est stressé, comme moi en ce moment. Mon père et mes deux frères en sont morts. Alors j’attends… » Des types se lèvent, rallument le feu, y jettent des branchages, des palettes en plastique. Les autres investissent l’ancienne cantine, où ils sont bientôt tous réunis autour de l’unique table, sous les néons du réfectoire désaffecté, à descendre des pastis « dosés comme dans la Vienne ». A côté d’eux, une veille télé couleur, pleine de neige, diffuse Ma femme s’appelle revient. On rigole, on trinque, on regarde passer les heures. On attend la relève du matin. Et Bernard qui insiste : « N’oubliez pas qu’on veut Carla, qu’elle vienne visiter l’usine pour expliquer à son mari. » Eclats de rire. Puis silence. Au grand soulagement du gardien, la nuit sera calme.
9 heures
Le feu brûle encore, mais ce ne sont plus les mêmes. Ceux du 5-13 sont arrivés. Devant l’usine, le panneau compte à rebours indique désormais « J-4 avant Boum ! ». Entre deux cafés, on parle encore de la prime. De lundi prochain, « où ça va être chacun pour sa pomme ». C’est aussi le début des visites, qui vont s’étaler sur toute la matinée. Le correspondant à Paris du Financial Times Deutschland débarque, suivi d’un inspecteur des Renseignements généraux, des salariés voisins d’Isoroy, licenciés eux aussi, puis des Valeo, eux-mêmes en plan social. Une famille descend prendre des photos, un ancien de 1996 vient « voir le massacre ». Mais ce n’est plus la foule des grands jours. Vers midi, les visites s’estompent. Raymond jette alors un œil sur la cour : « C’est vraiment le calme plat. » Réplique, quasi-immédiate, de son voisin :« Et si on remettait les bonbonnes ? »
Luc Peillon
* Paru dans Libération du 29 juillet 2009.
Communiqué de presse CGT New Fabris (Châtellerault - Vienne)
Partis ce matin à 6h de Châtellerault, nous étions 180 salariés de New Fabris à arriver devant le siège de Renault, quai Le Gallo à Boulogne-Billancourt à 10h15, bien décidés à nous faire entendre de la direction de Renault.
Nous tenons à remercier les quelques dizaines de salariés et de militants syndicaux de Renault Flins, Renault Le Mans, Renault Guyancourt, Renault Rueil, Renault Lardy et des succursales Renault, mais aussi de Peugeot Poissy, qui sont venus nous soutenir.
Une délégation de 4 représentant syndicaux de New Fabris a été reçue par des représentants de la direction de Renault à 11h. Mais après une heure trois quarts de semblant de négociation, la direction de Renault est restée sur sa position, c’est-à-dire le rachat des stocks qu’elle évalue à 1,2 million d’euros. Cela fait 3.300 euros par salarié. C’est la même somme proposée par PSA. Comme si Renault et PSA s’étaient entendus… mais sur notre dos. Cela ferait en tout 6 600 € par salarié.
On est loin des 30 000 euros que nous revendiquons. C’est pour cela que nous avons ensuite manifesté notre colère dans les rues de Boulogne- Billancourt. Le gouvernement n’a rien trouvé de mieux que de nous envoyer les gardes mobiles. Ceux-ci ont usé de violence et menacé d’employer des gaz lacrymogènes contre des manifestants pourtant pacifiques.
Le gouvernement fait moins de zèle contre les patrons voyous. Renault et PSA sont responsables de la fermeture de New Fabris car ce sont eux qui ont décidé du jour au lendemain d’arrêter de travailler avec New Fabris, alors que nous travaillons à 90 % pour ces 2 sociétés, et cela depuis des dizaines d’années.
Nous continuons donc notre lutte, bien déterminés à obtenir notre dû. Dans l’après midi, M. Estrosi a annoncé vouloir nous recevoir lundi 20 juillet. Mais nous attendons autre chose de cette rencontre que des CTP (Contrat de Transition Professionnelle). Le gouvernement a su trouver des milliards d’euros pour les constructeurs automobiles ou des centaines de millions pour les équipementiers. Il n’y a pas de raison qu’il n’y ait que les patrons qui touchent cet argent et pas les salariés. 30 000 euros pour les 366 salariés de New Fabris, cela ne représente que 11 millions d’euros.
Nous nous adressons également à tous les salariés des entreprises menacées de licenciement ou de fermeture. D’abord à ceux de Nortel à Chateaufort (Yvelines) et de JLG à Tonneins (Lot-et-Garonne) qui, comme nous, ont menacé de faire sauter leur entreprise pour se faire entendre. Nous nous adressons aux salariés des entreprises de la Vienne touchés par les licenciements : Valéo, Aubade, Isoroy, Magneti-Marelli, Fenwick-Linde … Mais aussi à tous les autres : à ceux de Continental, Good Year, Mecacorp, SKF, Heuliez, Hewlet- Packard, Alcatel-Lucent, Michelin, Air France, Marrionaud, DHL, Chafoteaux et Maury, ABB, Molex, Altran et bien d’autres. La liste est hélas trop longue pour les citer tous. Nous nous adressons à eux pour que nous disions tous ensemble NON à ces dizaines ou centaines de milliers de licenciements. Tous ensemble, nous pouvons nous faire respecter : pour obtenir de meilleures primes et conditions de départ, mais aussi pour arrêter cette vague de licenciements et pour garder nos emplois.
L’union fait la force. Alors battons nous tous ensemble !
Vous pouvez nous contacter en écrivant à : newfabrisenlutte yahoo.fr
Châtellerault, jeudi 16 juillet à 20h
New Fabris, l’été de tous les dangers
Depuis début juillet, les 366 ouvriers de New Fabris, constructeur de pièces automobile pour Renault et PSA, menacent de faire sauter l’usine s’ils n’obtiennent pas une prime de licenciement de 30 000 euros chacun.
Les ouvriers de New Fabris ont accepté, au cours d’une assemblée générale, lundi 20 juillet, de retirer les bonbonnes de gaz, placées devant l’usine de Châtellerault (Vienne). C’était un préalable imposé par Christian Estrosi, le ministre de l’Industrie, qui refusait toute rencontre « sous la menace », de peur que d’autres salariés dans la même situation suivent cet exemple. Les New Fabris n’ont pourtant pas abandonné leurs revendications et ce rendez-vous prévu mercredi 22 juillet a pour seul objectif d’obtenir que le gouvernement fasse pression sur Renault et PSA, afin que chacun des deux donneurs d’ordre leur versent une prime de départ de 15 000 euros par personne. Le résultat de cette rencontre sera déterminant pour la suite des événements, et « si à l’issue de la réunion au ministère, il n’y a rien de concret concernant les primes, une demi-heure après, les bouteilles seront sur les toits », déclarait le délégué CGT, Guy Eyermann.
Ils ont par ailleurs appelé les boites en lutte de l’automobile à prendre contact avec eux.
Depuis début juillet, l’incandescence de la lutte sociale, la révolte désespérée des 366 ouvriers de New Fabris font la une des médias et alimentent le feuilleton estival et dramatique de l’impasse économique dangereuse dans laquelle les salariés sont précipités. Les rôles sont parfaitement distribués : ouvriers et personnels méprisés par l’actionnariat et le gouvernement, appareils de directions syndicales nationales semblant inaudibles, émotion et désespoir, nouvelle étape dans la radicalisation avec la menace maintenue de détruire l’usine au 31 juillet. Et après ?
Il manque néanmoins deux acteurs principaux à ce feuilleton châtelleraudais : le débat politique et la solidarité de la convergence des luttes. Pourquoi des cordons industriels de convergence, regroupant l’ensemble des constructeurs, sous-traitants et équipementiers automobiles, en lutte au niveau national, n’ont-ils pas déjà été organisés ?
Pourquoi le groupe Renault oppose-t-il une grossière fin de non-recevoir aux Fabris, ne proposant que 3 500 euros de prime par personne, mais propose en Bretagne de reprendre SBFM (fonderie du groupe ZEN, comme Fabris d’ailleurs), sans perte d’emplois ?
La pauvreté du débat politique sur la compréhension de cette crise et l’absence de propositions concrètes sur le Châtelleraudais soulignent l’opportunisme inutile des décideurs politiques de cette région.
La réalité immédiate pour ces ouvriers et employés est le Pôle emploi - autre nom de la fourrière pour humains - et une période de chômage irrémédiable, longue, difficile, qui exigera des sacrifices douloureux.
Châtellerault sait très bien que son bassin d’emploi est condamné. Dépasser les moments de mobilisations initiaux pour arriver à un projet durable demanderait un réel débat social, politique, démocratique, environnemental avec, bien sûr, la participation, la consultation et le respect des choix de la population. Un véritable projet ancré dans le concret que la population pourrait construire et s’approprier.
Guy Besse
* Paru dans « Tout est à nous » n° 18 du 23 juillet 2009.