Sur Francis Jeanson
Lorsque j’ai commencé à entendre parler de l’aide au FLN, ce fut par des échos sur Pablo (Michel Raptis) et son arrestation pour fabrique de fausse monnaie (pour financer le FLN). Plus tard – je militais au PSU – l’activité du réseau Jeanson commença à s’ébruiter dans la gauche française ; je me souviens d’une conférence du Père Boudouresque qui collectait de l’argent pour le Croissant Rouge algérien, en ne dissimulant pas que cet argent allait au FLN qui l’utilisait comme il le jugeait bon. Je fis, à Positif, connaissance de Michèle Firk, qui m’amena au groupe La Voie Communiste, groupe fondé par Gérard Spitzer et Simon Blumenthal, et qui regroupait des communistes opposants, des trotskystes et d’autres. Il y avait Félix Guattari, le sinologue Claude Cadart, Michel Lequenne… Et Denis Berger qui, avec Michèle, travaillait dans le réseau Jeanson ; ils me recrutèrent ; parallèlement à d’autres activités (articles sur la gauche italienne dans la Voie Co, signés Attilio Cogliardo, animation au Ciné-Club Action, où on invitait Vergès, articles dans Tribune Socialiste, l’hebdo du PSU, et mon activité syndicale à la CGT des Impôts) je me rendis utile, même si ce fut seulement pendant la dernière période de la guerre (1960-1962).
Parmi les boulots à faire, il y avait celui de servir de chauffeur à Michèle quand elle allait à Bruxelles rencontrer Jeanson. C’est à cette occasion que je fis sa connaissance, et qu’on bavarda un peu ; on se revit par la suite quand il revint habiter à Paris rue Raynouard, puis près de la porte de Versailles. Madeleine, qui s’occupait de la page culturelle de Tribune Socialiste, était l’amie de Jean Carta, critique de cinéma à Témoignage Chrétien (sous son vrai nom, Jean Clay, c’était un journaliste connu du magazine Réalités). Collègues dans la critique de cinéma, nous avions sympathisé, et vite compris qu’on s’occupait aussi d’autre chose (il était dans le réseau Curiel). Quand Jeanson publia son livre , édité en français par Feltrinelli, j’en fis un long article élogieux dans Tribune Socialiste, que Madeleine fit passer, et qui (m’a-t-on dit), déplut à la direction du parti….
Je ne vis donc pas souvent Jeanson alors, je travaillais avec Michèle, avec Denis Berger, avec Kaminsky, notre faussaire (je me souviens de son irritation quand Francis, accompagné de Roland Dumas, vint visiter l’atelier de la rue des Jeuneurs, ce que Kaminsky considérait comme une imprudence), ou, à l’occasion, avec Yann Le Masson pour le trafic d’armes. Je le revis bien plus tard, un soir, à l’Institut du Monde Arabe où l’on présentait le film Les frères des frères, sur l’activité du réseau. J’eus l’impression qu’il ne me reconnaissait pas – après tout, nos contacts avaient été très épisodiques et mon activité bien moins importante que celle de Denis Berger ou de Michèle. Ou alors s’agissait-il des débuts de sa maladie ? Lorsqu’en 2002-2003 Boris Terk entreprit sa biographie de Michèle Firk, il rencontra Jeanson, qui dans un premier temps parut, me dit Boris, ne pas reconnaître le nom de Michèle…
Salut, Francis.
Paul Louis Thirard
Hommage à un combattant anticolonialiste
Déclaration d’Alain Krivine
Francis Jeanson est décédé samedi 1er août. Avec lui, disparaît un symbole de la lutte internationaliste et anticolonialiste à l’époque de la guerre d’Algérie.
A un moment où la SFIO, ancêtre du Parti socialiste, combattait durement les résistants algériens, le FLN et où les autres partis de gauche ne menaient pas le combat pour l’indépendance de l’Algérie, le réseau créé par Francis Jeanson, unitaire du point de vue des idéaux politiques de ses participants puisqu’il regroupait des communistes, des trotskistes, des catholiques notamment, participait activement au combat pour l’indépendance. Il avait mis en pratique l’aide et le soutien, matériel et moral, à la résistance du peuple algérien dans sa lutte pour l’indépendance de son pays, colonisé par la France depuis 1830.
Le 3 août 2009.
Décès de Francis Jeanson, philosophe et fondateur d’un réseau de soutien au FLN
Fondateur, à l’automne 1957, en pleine guerre d’Algérie, d’un des premiers réseaux de soutien aux combattants indépendantistes du FLN, le philosophe et militant Francis Jeanson, figure emblématique de ceux que l’on surnommera les « porteurs de valises », est décédé, dans la soirée du samedi 1er août, à la clinique d’Ares, à quelques kilomètres de sa maison familiale de Claouey-sur-Lège, en bordure du bassin d’Arcachon (Gironde). Agé de quatre-vingt-sept ans, Francis Jeanson souffrait depuis de longs mois de problèmes cardiaques et de faiblesses pulmonaires, a indiqué au Monde, dimanche, son fils Olivier.
Disciple d’élection du philosophe Jean-Paul Sartre, Francis Jeanson, né en 1922 à Bordeaux, fut aussi l’un des principaux rédacteurs de la revue Les Temps Modernes et l’auteur de nombreux ouvrages - la plupart publiés au Seuil, où il avait créé, en 1951, la collection « Ecrivains de toujours ». L’ouverture - en son absence - du procès du « réseau Jeanson », en septembre 1960, fut une étape politique importante, marquant l’émergence de la gauche non communiste sur la scène française.
Francis Jeanson fut également très actif dans le domaine de l’action culturelle ; mais aussi dans celui de la psychiatrie, notamment à l’hôpital lyonnais Saint-Jean-de-Dieu, ainsi que dans la formation professionnelle.
Nous reviendrons plus longuement dans une prochaine édition sur le parcours de Francis Jeanson, dont les obsèques sont prévues vendredi 7 août, au cimetière du hameau les Jacquets, commune de Lège-Cap Ferret, en Gironde.
Catherine Simon
* Article paru dans l’édition du 04.08.09. LE MONDE | 03.08.09 | 15h05.
Francis Jeanson pose ses valises
Libération, 04/08/2009 À 06H52
Exégète et ami de Jean-Paul Sartre, auteur en 1955 d’un manifeste en faveur du FLN, le philosophe engagé est mort samedi à 87 ans.
Par ROBERT MAGGIORI
De Francis Jeanson, on pourrait dire qu’il a été « un homme révolté ». Mais l’ironie de l’histoire a fait que, sur demande de Jean-Paul Sartre, c’est justement Jeanson qui se chargea de rédiger la violente critique de l’Homme révolté d’Albert Camus, qui, de la rébellion, du soutien au communisme soviétique, de l’engagement, donnait une autre conception que celle du groupe sartrien. Paru dans la revue les Temps modernes (n° 79, 1952), l’article provoqua la brouille entre Sartre et Camus. Jeanson n’eut jamais d’inimitié pour Camus mais demeura du côté de Sartre, même si, lors de la répression de l’insurrection hongroise, leurs positions divergeront.
Anticolonialiste. Il avait intégré après la guerre l’équipe des Temps modernes, dont il sera gérant, et pris la direction au Seuil de la collection « Ecrivains de toujours ». En 1955, il y fait paraître un Sartre qui nourrira ceux que fascinait l’existentialisme, à l’essor duquel il avait participé avec le Problème moral et la pensée de Sartre. La même année, il publie, avec sa femme Colette, l’Algérie hors la loi, où, outre la faillite de la politique d’intégration française, est affirmée la légitimité de la lutte du FLN. L’ouvrage suscite beaucoup de polémiques, y compris à gauche, mais devient le manifeste d’une génération de militants révolutionnaires anticolonialistes. Sartre, l’Algérie : les deux « chiffres » de la vie, de l’action et de la pensée de Jeanson. Francis Jeanson retient de la philosophie sartrienne que le sujet humain est libre, qu’il « n’est rien » mais se fait à travers ses actes. Aussi ne peut-il pas supporter qu’on prive un homme (ou un peuple) de sa liberté, de sa dignité, de son droit inaliénable à l’indépendance, qu’on lui impose par la force des règles et des valeurs qui ne sont pas celles de son histoire.
Né à Bordeaux le 7 juillet 1922, ayant dû interrompre ses études de philosophie pour des raisons médicales, Francis Jeanson, après avoir fui le STO, rejoint les Forces françaises libres d’Afrique du Nord. En 1945, il est reporter à Alger républicain. Après le déclenchement de la guerre d’indépendance, il se range du côté des combattants algériens. La lutte anticoloniale sera celle de toute sa vie. Prototype de l’« intellectuel engagé » sartrien, il crée en octobre 1957 le Réseau Jeanson, celui des « porteurs de valises », qui collecte des fonds, héberge et favorise les déplacements des militants du FLN.
Psychiatrique. La publication de Notre Guerre, livre immédiatement saisi, précède une vague d’arrestations qui démantèle le Réseau. Le procès s’achève en octobre 1960 : Jeanson est condamné par contumace à dix ans de prison. Il sera amnistié en 1966.
Sans rien renier de ses combats, il se dédie dès lors à l’action culturelle, dirigeant la Maison de la culture de Chalon-sur-Saône, et au travail social en milieu psychiatrique. Il sera même acteur, jouant son propre rôle devant Anne Wiazemsky dans la Chinoise de Jean-Luc Godard. Homme d’action, Jeanson n’a cependant pas négligé la pure réflexion philosophique, y compris la réflexion sur… l’action.
Outre ses commentaires de la philosophie sartrienne, il a produit un ouvrage très technique sur la phénoménologie, théorisé son travail en milieu psychiatrique (Eloge de la psychiatrie et la Psychiatrie au tournant), consacré des essais à Montaigne, Simone de Beauvoir ou l’entreprise de vivre, et à la Signification humaine du rire. Aussi, aux deux « chiffres » de sa vie, Sartre et la révolution algérienne, pourrait-on en ajouter un troisième, titre de l’un de ses derniers ouvrages : l’Exigence de sens (1997).
Confronté à ses débuts à Camus sur la thématique de « l’absurde », Francis Jeanson ne s’est cependant pas demandé longtemps si la vie vaut la peine d’être vécue : bien sûr que oui, si par son action, et malgré tous les dangers, on parvient à lui donner un sens.
Actualité
Hommage à Francis Jeanson
DÉCÈS DU FONDATEUR DU RÉSEAU DES “PORTEURS DE VALISES”
Liberté, édition du Lundi 03 Août 2009
Par : DAHO DJERBAL*
Dans la nuit du samedi 1er au dimanche 2 août, Francis Jeanson nous quittait à l’âge de 87 ans. Ce nom peut probablement ne pas évoquer grand-chose pour la nouvelle génération de nos compatriotes
et une grande partie des lecteurs de la presse quotidienne en Algérie, mais pour beaucoup de ceux qui se sont battus pour que ce pays accède à l’Indépendance, l’un des principaux responsables des réseaux de soutien au FLN en territoire français n’est pas ce que l’on pourrait appeler un parfait inconnu.
Engagé en 1943 dans les Forces française libres d’Afrique du Nord, il séjourne une première fois à Alger où il ne voit en fait à 21 ans que la France en Algérie avec ses problèmes, son armée divisée et son administration vichyste. Revenu en Algérie en septembre 1948, il y séjourne plusieurs mois dans des conditions précaires pour se rendre compte définitivement qu’il existait bien “un problème algérien”. Au bout de six mois, il arrive à la conclusion qu’ “il faut faire quelque chose, c’est trop énorme, c’est trop grave !”. Il venait de passer par Sétif où le sous-préfet le recevant dans “sa” ville lui fait visiter une place publique où se dressait un monticule de chaux. “Ce tas de chaux c’était des cadavres qui avaient été brûlés, carbonisés”. C’est là qu’il se met à écrire un article pour la revue Esprit, “Cette Algérie conquise et pacifiée…”. Ses engagements intellectuels et ses écrits dans Temps Modernes, qu’il anime avec Jean-Paul Sartre, le démarquent nettement de nombreux intellectuels français — comme Albert Camus —, qui absurdifient le monde et n’arrivent pas à voir l’Étranger dans son épaisseur humaine, celle du colonisé et de l’opprimé.
Quand survient la lutte armée en Algérie, il est une des rares personnes vers lesquelles se dirigent les militants nationalistes pour y trouver une écoute, un écho et peut-être aussi une action solidaire. C’est le prélude à un engagement beaucoup plus conséquent aux côtés du FLN.
Dans un de ses entretiens, il raconte comment à partir de juin 1955, il s’était décidé d’aller carrément dans l’implication concrète et sans équivoque au combat pour l’indépendance de l’Algérie. En automne 1955, il écrit en collaboration avec Colette Jeanson : “L’Algérie hors-la-loi” qu’il fait paraître chez Flamand. Alors que Camus se met à distance en s’interrogeant sur le non-sens des problèmes de son époque, Francis Jeanson se met en jeu en prenant tous les risques. Il disait alors : “Héberger un Algérien, c’est peut-être soustraire un homme à la torture”. Après un séjour en sanatorium, il revient de plus belle dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Fin mars 1956, il ouvre sa maison et met sa voiture à la disposition des militants du FLN. Il sollicite un grand nombre d’intellectuels, d’artistes, de femmes et d’hommes de lettres. C’est le début des réseaux de soutien au FLN, de ceux qu’on appellera plus tard “les porteurs de valises”.
Début 1957, c’est Tayeb Boulahrouf, alors responsable par intérim de la fédération de France du FLN, puis Omar Boudaoud qui le rencontrent et discutent des modalités de l’aide des réseaux Jeanson au FLN. Le philosophe ne peut plus se contenter d’amener la question algérienne sur la place publique par ses conférences et prises de position médiatiques. Ahmed Boumendjel prend part aux prises de décision quant au passage à la clandestinité du travail d’aide au FLN d’autant que le réseau, et Francis Jeanson à sa tête, était en contact permanent avec la direction de la Fédération de France du FLN dont il assurait l’hébergement et connaissait les points de chute tout autant que les planques pour l’argent des cotisations venant de tous les coins de France.
Francis Jeanson qui n’était pas seulement un intellectuel engagé, mais aussi un homme politique avisé, tenait pour essentiel l’existence d’un réseau de soutien français “pour que l’Algérie puisse un jour ne plus identifier la France aux pires excès d’une certaine politique française”.
Espérons, pour terminer cette évocation, que l’Algérie d’aujourd’hui pourra se souvenir que des Français se sont battus, se sont exposés et ont mis en jeu leur liberté et parfois leur vie pour l’indépendance de notre pays et une certaine idée de la France.
D. D.
(*) Maître de conférences
Université d’Alger-Bouzaréah
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