De notre correspondant Andrea Tarquini, Berlin,
Ce fut une jeune Bavaroise, Monika Erdl, l’ange vengeur qui abattit, dans un attentat à Hambourg, l’assassin de Che Guevara. Elle tira avec un pistolet qui lui avait été remis par Giangiacomo Feltrinelli à travers le réseau international de l’ultragauche, puis elle s’enfuit en Bolivie et fut trahie et tuée dans une embuscade organisée par le criminel nazi Klaus Altman Barbie. L’histoire ressurgit dans le livre du journaliste Juergen Schreiber, Sie starb wie Che Guevara - die Geschischte der Monica Erdl (Elle mourut comme Che Guevara – Histoire de Monica Erdl) publié par Artemis und Winckler. A ce sujet, Spiegel on line a consacré hier un ample compte-rendu.
On savait déjà que Monica Erdl fut recherchée, soupçonnée de l’homicide de Roberto Quintanilla Pereira, l’impitoyable officier de la Sûreté bolivienne mais le livre raconte pour la première fois tous les détails de cette histoire oubliée. Monica avait 34 ans ce premier avril 1971, quand elle se présenta au consulat bolivien de Hambourg, disant qu’elle voulait un visa et parler avec le consul. Elle entra dans son bureau, visa et tira trois fois. Quintanilla tomba, tué sur le coup. Sur la poitrine trois fleurs en forme de V, peut-être pour dire « Victoire ». Monica laissa un billet, où était écrit « La victoire ou la mort », le slogan de l’ELN, l’Armée de libération nationale, des guérilleros boliviens. La femme de Quintanilla accourut, essaya de l’arrêter, mais elle la repoussa et réussit à s’enfuir.
Monica était née en Haute Bavière mais avait grandi en Bolivie, fille de Hans Erl, Allemand émigré compromis avec le nazisme : il avait été un des meilleurs cameramen de la cinéaste Leni Riefenstahl. Depuis sa jeunesse elle avait été choquée par les épouvantables injustices sociales en Bolivie ; son père, qui pourtant l’adorait « comme si c’était un garçon, elle qui savait tirer comme un homme », l’invitait à oublier tout ça. Monica épousa un riche Bolivien allemand, mais en 1969 elle divorça et quitta sa famille. Elle fut l‘amante de Inti Peredo, l’héritier du Che, « c’est un Christ avec une mitraillette », disait-elle, amoureuse.
Inti tomba lui aussi, torturé et tué par Quintanilla qui se fit fièrement photographier à côté de son cadavre. Monica se jura de venger le Che et Inti. Elle s’enfuit en Allemagne, logea dans une communauté de l’ultragauche, dans un appartement dans le même immeuble que le consulat bolivien. C’est là que la dictature militaire avait mis à l’abri Quintanilla comme consul. Les généraux craignaient la malédiction de Fidel Castro, qui avait dit « Les assassins du Che, je les veux tous morts ». Ils redoutaient les commandos du Ministère de la Sécurité cubaine, pas une jeune bavaroise.
Le pistolet de Monica, écrit Schreiber, fut identifié au nom de Feltrinelli. Elle réussit à revenir en Bolivie, rejoignit l’ELN. Il y avait sur sa tête une prime de 20 000 dollars. Elle contacta Régis Debray, l’ami français du Che. Tous deux savaient que là-bas vivait Klaus Altman Barbie, l’ex-chef de la Gestapo lyonnaise, l’homme qui de ses mains tortura à mort Jean Moulin, leader communiste dans la France occupée par Hitler et principal chef militaire de la Résistance sous les ordres de De Gaulle. Monica et Debray projetèrent de l’enlever. Mais lui, ancien ami de papa Hans, était rusé et protégé. Colonel honoraire du service secret bolivien, il organisa une embuscade où tomba Monika. En vain papa Hans, à la nouvelle de sa mort, demanda qu’on lui remette la dépouille. On la lui refusa, peut-être pour qu’on ne puisse voir si elle avait été torturée avant d’être abattue.
Monica reste une combattante sans tombe, tombée dans la jungle. Et malgré les rites et les mythes de la guerre froide, ni à Cuba ni en URSS ni en RDA ni dans l’ultragauche occidentale elle n’eut jamais son nom sur une école, un monument ou une affiche.