Au sein du delta fossile de la Durance, la Crau, avec sa fameuse steppe aride, le « coussouls », constitue un écosystème unique en France. 30 000 ha de la Crau font ainsi parti du réseau Natura 2000 depuis 1990, dont 7.400 ha ont été classés en 2001 en réserve naturelle nationale. La Crau et son « coussouls » constituent un conservatoire naturel unique d’un écosystème méditerranéen rare et fragile, avec son paysage steppique, ses habitats secs et pierreux et les espèces spécialisées qui y vivent. La valeur paysagère, biologique et patrimoniale d’un tel ensemble est réputée et internationalement reconnue. L’irruption brutale de 3 à 4.000 m3 de pétrole est contre nature, avec disparition d’espèces, destruction et dégradation de « coussouls » en tant que milieu et paysage, et des perturbations de l’ensemble en l’état inconnues. Une agression écologique face à la responsabilité environnementale pourtant actuellement largement prônée et clamée !
« Voir une telle entité écologique que l’on croyait hors du temps, rattrapée par notre société, nous atterre », commente Serge Urbano, vice-président de FNE en charge des milieux naturels, « surtout quand c’est sa responsabilité qui faillit et que tous les signaux sont au rouge devant l’érosion alarmante de la biodiversité ».
« S’il est vrai que l’oléoduc existait avant Natura 2000 et la réserve naturelle » poursuit Serge Urbano, « nous étions en droit d’attendre une prise de responsabilité à la hauteur des enjeux écologiques exceptionnels, afin de concilier les deux ; aurions-nous imaginer une marée noire à un tel endroit ? ».
« Cela relance de manière générale la sécurisation des oléoducs vieillissants qu’il convient de remettre à niveau et exige rapidement des investigations pour évaluer cette fiabilité dans l’attente de lourds travaux d’investissements à entreprendre », poursuit Raymond Léost, administrateur responsable du réseau juridique de FNE. « A la société du Pipeline Sud-Européen de garantir sur le terrain cet objectif majeur de sécurité et à L’Etat de se donner les moyens d’assurer le contrôle et la surveillance de ces équipements » ajoute Raymond Léost.
Selon Allain Bougrain-Dubourg, président de la LPO, « il est urgent que les pipelines qui passent sur des territoires remarquables et protégés comme les réserves naturelles soient systématiquement déplacés et empruntent des axes linéaires banalisés pour éviter des pollutions en milieu naturel. »
Christian Schwoehrer, président de Réserves naturelles de France, partage le point de vue de FNE. « La réserve naturelle nationale de Crau est le seul exemple de steppe en France et même en Europe de l’ouest (plus de 5 800 ha sur les 7 400 de la réserve) et figure parmi les sites européens à préserver en priorité. » Il s’inquiète vivement de l’impact sur la nappe phréatique, proche de la surface en Crau. Or ces eaux sont indispensables au bon fonctionnement du milieu naturel et au maintien d’un pâturage qui, depuis des centaines d’années, a façonné cet espace. De plus, il souhaite « qu’au-delà d’une réhabilitation du site, des mesures compensatoires soient élaborées avec l’ensemble des acteurs concernés ».
Pour le CEEP, co-gestionnaire de la réserve naturelle avec la Chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône, « la destruction de cet habitat est irréversible. Il s’est façonné en 10 000 ans : c’est un peu comme si on badigeonnait de pétrole la grotte de Lascaux !
Par ailleurs, parmi les impacts prévisibles, on s’inquiète des polluants aériens disséminés sur une surface sûrement supérieure à la zone touchée par le pétrole. »
« Cet évènement qui agresse la biodiversité nous interpelle aussi sur le regard que nous lui portons » note Serge Urbano, « l’atteinte à la biodiversité vient trop souvent minorée au second plan ; pour la Crau, cela se redessinait pour ce musée vivant ! Mais là, l’accident a été d’emblée qualifié de désastre écologique par la Secrétaire d’Etat à l’Ecologie ».
« A cet égard », conclut Sébastien Genest, président de FNE, « le chantier s’ouvre pour chercher les responsabilités et pour évaluer l’impact de l’accident, afin d’avoir réparation dans l’espace et dans le temps, sachant que nous sommes dans un espace exceptionnel avec une protection spécifique, où évaluation et autorisation préalables sont la règle ; en tout cas, FNE, souhaite être associée à cette expertise collective et surtout à l’urgence des mesures à prendre pour se prémunir de tels accidents, afin que la biodiversité soit réllement prise au compte et que la sécurisation des réseaux d’approvisionnement actuels soit en adéquation avec les territoires traversés ».