Tokyo, correspondants
Avec en toile de fond un malaise économique aux conséquences sociales douloureuses, le Japon s’apprête, lors des élections législatives du dimanche 30 août, à mettre fin au règne, pratiquement ininterrompu depuis plus d’un demi-siècle, du Parti libéral démocrate (PLD) pour confier le pouvoir à la principale formation d’opposition, le Parti démocrate du Japon (PDJ). A en croire les derniers sondages, les électeurs pourraient inverser la composition de la Chambre basse sortante, et accorder au PDJ plus de 300 sièges sur 480, et ramener le nombre des députés du PLD à une centaine.
Rarement une élection aura autant passionné les Japonais : le taux de participation pourrait atteindre 90 %, avance la chaîne de télévision nationale NHK. Une ruée vers les urnes qui témoigne d’une prise de conscience de l’enjeu du scrutin : un tournant dans l’histoire politique de l’Archipel. Le Japon est en mal de changement : « Les Etats-Unis ont osé en élisant M. Obama. Pourquoi pas nous ? », dit un militant démocrate distribuant des tracts devant la gare de Shibuya, le quartier de la jeunesse tokyoïte.
Si le raz-de-marée démocrate se produit, il donnera à ce parti formé de transfuges du PLD, d’anciens sociaux-démocrates et d’activistes des mouvements de citoyens, les moyens de sa politique. Cette victoire sonnera surtout comme un rejet sans détour du PLD. Celui-ci avait temporairement perdu le pouvoir entre 1993-1994 en raison d’une défection dans ses rangs. Cette fois, ce sont les électeurs qui lui feront mordre la poussière.
VOLONTÉ DE CHANGEMENT
La campagne qui s’achève n’a pas donné lieu à la fièvre des législatives de 2005, caractérisée par ce que la presse avait nommé le « théâtre Koizumi » (du nom du premier ministre des années 2001-2006). Elle a été plus concentrée sur les préoccupations de la population : un appauvrissement relatif de beaucoup, sans que des filets sociaux soient en place.
Les électeurs sont certes sceptiques sur la capacité des démocrates à répondre aux attentes des jeunes précaires, des personnes âgées dont le poids s’accroît dans une société vieillissante, ou des jeunes couples vivant d’allocations familiales, mais la volonté de changement est dans l’air.
« Le changement pour le changement est irresponsable », fait valoir, amer, un vétéran du PLD, Fumio Kyuma, ancien ministre de la défense qui, à Nagasaki, risque d’être battu par une novice en politique, Eriko Fukuda (28 ans). Comme M. Kyuma, d’autres « poids lourds » du PLD risquent de perdre leur siège, notamment dans les campagnes, autrefois bastion du PLD, où sévit une rébellion des agriculteurs, « abandonnés » par les cabinets Koizumi. Par une « stratégie de l’amont », le PDJ s’est imposé dans les campagnes au détriment du PLD battu aux sénatoriales de 2007.
Bien que des doutes pèsent sur la capacité des démocrates à financer leur programme, beaucoup d’électeurs paraissent surtout las du mode de gouverner incarné par le PLD : davantage qu’un parti, dont finalement le programme diffère peu de celui des démocrates, c’est une pratique du pouvoir qu’ils rejettent.
Réveil soudain d’un électorat présenté à l’étranger comme apathique et frileux ? Pragmatisme, plutôt. Pendant des décennies, les Japonais ont voté pour les libéraux du PLD, parce que celui-ci incarnait le réalisme, et que chacun à son niveau constatait une amélioration de son niveau de vie. Ce consensus a été entamé par l’éclatement de la bulle financière du début des années 1990, mais le PLD est resté au pouvoir, faute de remplaçant.
Ce que l’on a appelé le « système de 55 » (1955 est la date la création du PLD) permit de mettre en place une puissante machine de pouvoir. Avec, en arrière-plan, la guerre froide dans laquelle le Japon était la « tête de pont » en Asie de la politique anticommuniste américaine, le PLD fit de l’Archipel, en deux décennies, la troisième économie mondiale.
Le système reposait sur la collusion du PLD, des milieux d’affaires et de la bureaucratie. Fusion des partis libéral et démocrate, le PLD était constitué de courants, allant du centre gauche à la droite. Et pendant ces décennies, sa « démocratie interne » lui a permis de répondre aux attentes de la population par des politiques de redistribution qui souvent coupaient l’herbe sous le pied de l’opposition socialiste. Le système, qui a conduit à une confusion de l’Etat et du parti dominant, avait ses dérives (clientélisme, corruption, gaspillage des fonds publics), mises à nu lorsque la mécanique s’est enrayée.
Aujourd’hui, les caisses de l’Etat sont vides, et le « remède miracle » des réformes néolibérales de M. Koizumi a aggravé les inégalités. L’embellie s’est avérée un trompe-l’oeil. « Le système a commencé à fonctionner en vase clos et, par manque de relève, le PLD s’est avéré incapable de se réformer », commente Jun Iio, vice-président de l’Institut national d’études politiques.
La crise financière et l’enlisement du PLD, épuisant les dirigeants les uns après les autres (quatre premiers ministres en quatre ans) ont ouvert la voie à une transition majeure.
Philippe Mesmer et Philippe Pons
* Article paru dans le Monde, édition du 29.08.09. LE MONDE | 28.08.09 | 16h06 • Mis à jour le 30.08.09 | 08h49.
Analyse : Le centre gauche peut-il ouvrir une ère nouvelle au Japon ?
Tokyo, correspondance
A en croire les sondages, au terme du scrutin législatif du 30 août, le Parti libéral-démocrate (PLD) devrait perdre le pouvoir et céder la place au Parti démocrate du Japon (PDJ) après cinquante-quatre ans à la tête du pays. L’événement devrait marquer l’entrée de l’Archipel dans une ère nouvelle : telle est du moins la promesse des démocrates.
Leur programme économique reflète un désir réel de rupture avec la politique menée par le PLD : à une croissance soutenue par l’investissement et dépendante des exportations, ils entendent en substituer une autre stimulée par la demande intérieure : « Rendre les foyers plus riches et augmenter le pouvoir d’achat pour favoriser le redémarrage de l’économie », a martelé Yukio Hatoyama, président du PDJ - et premier ministre en devenir. Le programme des démocrates doit se traduire par la mise en place d’un large éventail de mesures d’augmentation du pouvoir d’achat.
La plus spectaculaire est l’octroi d’une enveloppe mensuelle de 26 000 yens (193 euros) aux familles pour chaque enfant jusqu’à sa dernière année au collège. Viennent ensuite et de manière non exhaustive la remise en place d’aides sociales aux foyers monoparentaux, supprimées en avril 2009, la disparition des péages autoroutiers, des garanties pour les retraites et des subventions aux agriculteurs. Et alors que le chômage pourrait dépasser, avant la fin de l’année, le niveau historique des 5,5 % et que le Japon reste traumatisé par la mise à pied de milliers de travailleurs temporaires fin 2008 après l’éclatement de la crise des subprimes, il envisage l’interdiction du recours au travail intérimaire dans l’industrie, des enveloppes pour les actifs en formation et une hausse du revenu minimum.
Ce programme, pour attractif qu’il soit, soulève la question du financement. Le coût des mesures annoncées doit atteindre 16 800 milliards de yens (124,7 milliards d’euros) par an à l’horizon 2013. Le PDJ assure qu’il peut mener à bien son programme par une chasse aux gaspillages des deniers publics. Sus donc à l’amakudari (« pantouflage »), aux grands travaux décidés par le PLD ou encore aux dizaines d’organisations et agences gouvernementales à l’utilité discutable. De cet exercice, les démocrates prévoient de dégager 9 100 milliards de yens (67,5 milliards d’euros). Le reste devrait être puisé dans les réserves du gouvernement et obtenu grâce à une réforme de la fiscalité.
C’est un peu court, estiment certains économistes. Et surtout facteur de risque : le Japon a accumulé une dette qui pourrait atteindre 200 % de PIB d’ici à la fin de l’année, la crise réduit ses recettes fiscales et le PDJ s’est engagé à ne pas augmenter la taxe sur la consommation, à 5 % depuis 1998, pendant les quatre années de la législature. Les opposants aux démocrates ont donc beau jeu de moquer ce qu’ils qualifient au mieux d’« amateurisme », au pire d’« irresponsabilité ».
Sans surprise, le Keidanren, la principale fédération patronale japonaise, proche du PLD, juge le programme du PDJ « faible ». Il ne goûte guère les restrictions sur l’emploi des intérimaires, contraire au dogme de la flexibilité. Après tout, il avait obtenu en 2003 du gouvernement de Junichiro Koizumi (2001-2006) l’adoption d’une loi autorisant le recours à l’intérim dans presque tous les secteurs d’activité.
Sans surprise également, le monde de la finance déplore les propositions démocrates. Seiji Shiraishi, économiste chez HSBC Japan, les qualifient de « populistes ». Pour lui, les mesures prises en faveur des travailleurs « peuvent faire baisser la productivité et la profitabilité des industriels, et augmenter le risque d’une spirale déflationniste ». Il voit dans certains propos des dirigeants du PDJ une menace pour l’indépendance de la Banque du Japon. D’autres analystes redoutent de nouvelles émissions de bons du Trésor, facteur, selon eux, d’une hausse des taux d’intérêt à long terme et d’une baisse des actions. Certains observent que la lutte contre le pantouflage et les gaspillages peuvent nuire à la demande intérieure. Selon l’économiste Masashi Yumoto, de l’université Kyorin, « le PDJ cherche des trésors cachés ». « Le problème est que tout cela reste ponctuel. »
Le PLD, arc-bouté sur son modèle de croissance axé sur les grands travaux et le soutien aux entreprises, accuse le PDJ de menacer la reprise amorcée entre avril et juin, quand la croissance a atteint - laborieusement - 0,9 %, après quatre trimestres de récession.
Mais a-t-il encore quelque chose à dire ? S’il faut mettre à son crédit son rôle dans le redressement du Japon entre son arrivée au pouvoir en 1955 et la fin des années 1980, il faut reconnaître l’échec de la politique qu’il suit depuis l’éclatement de la bulle spéculative, en 1990. En près de vingt ans, les inégalités et la précarité ont augmenté, la pauvreté s’est accrue, l’avenir des retraites et de la Sécurité sociale a été hypothéqué, les déficits se sont creusés.
Les promesses du PDJ peuvent sembler discutables. Mais elles sonnent agréablement aux oreilles de Japonais, légitimement inquiets pour leur avenir. Au point de les inciter à opter pour le changement. Et ce alors qu’ils savent bien, au fond, que, confronté à quelques dures réalités, le PDJ ne pourra tenir toutes ses promesses.
Philippe Mesmer (Courriel : pmesmer hotmail.com)
* Article paru dans l’édition du 29.08.09. LE MONDE | 28.08.09 | 14h56 • Mis à jour le 28.08.09 | 14h56.
Principaux partis en lice
Parti libéral démocrate (PLD) Artisan de l’expansion économique du pays, il est au pouvoir depuis 1955, à l’exception de dix mois entre 1993 et 1994.
Parti démocrate du Japon (PDJ) Créé en 1996, il est constitué de transfuges du PLD, d’anciens sociaux-démocrates et de militants des mouvements de citoyens.
Nouveau Komeito Parti centriste et « bras séculier » de la secte bouddhiste Soka Gakkai.
Parti communiste Le plus vieux parti du Japon (fondé en 1922). Se situant dans les années 1970 dans la mouvance de l’Eurocommunisme, il avait pris ses distances de Moscou et de Pékin.
Parti social démocrate Héritier de l’ancien Parti socialiste, longtemps le premier parti d’opposition, il est l’héritier de l’ancien Parti socialiste.
Nouveau Parti du peuple De centre droit, constitué de dissidents du PLD.
Mode de scrutin
Sur les 480 sièges parlementaires à pourvoir, 300 le sont sur la base du scrutin uninominal à un tour dans 300 circonscriptions, et 180 à la proportionnelle dans 11 grandes régions électorales. Chaque candidat peut se présenter à la fois sur les deux listes. Au total, 1 374 candidats sollicitent les suffrages de 103 millions d’électeurs. Les mandats à la chambre basse sont d’une durée de quatre ans. Le premier ministre, obligatoirement un élu, est désigné par un vote au Parlement.
Au Japon, la baisse de la natalité a été au cœur de la campagne électorale
Tokyo Correspondance
Parmi les thèmes qui ont animé la campagne électorale pour les élections législatives du 30 août, il en est un qui s’est imposé dans les débats : la natalité. En effet, le taux de fertilité au Japon a péniblement atteint 1,37 en 2008, contre 1,26 en 2005. « Il faudrait qu’il soit à 2,07 pour assurer le renouvellement de la population », note Tsukasa Sasai, de l’Institut national de la population et de la sécurité sociale (IPSS). Car, depuis 2005, la population de l’archipel, qui comptait 127,6 millions d’habitants en 2008, décline. Cette tendance, si elle se poursuit (la prévision pour 2009 est de 127,4 millions d’habitants), ne manquera pas de menacer l’économie nationale.
Conscient du problème, le Parti démocrate du Japon (PDJ) a fait de son projet d’allocation mensuelle de 26 000 yens (193 euros) pour chaque enfant, de la naissance à la dernière année collège, une mesure phare de son programme. Outre le souci de redonner confiance en l’avenir, ce projet révèle la conscience des Japonais des implications matérielles qu’entraîne l’arrivée d’un enfant. La plupart des Japonais savent que l’éducation, de la naissance à la sortie de l’université, leur coûtera en moyenne 29,5 millions de yens (219 400 euros).
Ils savent aussi que pour avoir un enfant au Japon, on passe traditionnellement par la case mariage. (seuls 2 % des enfants naissent hors mariage). Or, en 2005, plus d’un tiers des hommes et femmes entre 30 et 34 ans étaient célibataires. Car parler mariage dans l’archipel montre à quel point il s’agit plus d’un acte raisonné que de l’aboutissement d’une histoire d’amour. Le magazine Aera observait en novembre 2008 que 55 % des femmes célibataires exigeaient que leur futur mari gagne au moins 8 millions de yens (59 500 euros) par an. Un critère rempli par 15 % des hommes.
SANS ALLER PLUS LOIN
Confrontés à ces exigences, les jeunes hommes, premiers touchés par le chômage et la précarité, semblent démunis. En 2008, selon une enquête de la Fondation pour l’avenir des enfants, 56 % des hommes célibataires entre 25 et 34 ans estimaient qu’ils n’étaient « financièrement pas prêts à se marier ».
A cela s’ajoute une évolution des modes de vie qui semblent éloigner les deux sexes. Beaucoup de jeunes femmes travaillent et profitent d’une certaine indépendance. Elles voyagent entre elles. Les hôtels disposent d’étages pour femmes où elles bénéficient d’attentions particulières. Des lieux de divertissement, tels les onsen (« eaux chaudes »), leur sont réservés.
Dans le même temps, nombre d’hommes semblent tomber dans une sorte d’indifférence à l’égard des femmes. Il s’agit des « herbivores », ainsi que l’éditorialiste Maki Fukasawa les a baptisés. En opposition au « carnivore », qui croquait la vie et les cœurs dans le Japon des années de forte croissance, l’« herbivore » n’a pas d’ambition et considère la femme comme son égale, voire en amie, sans aller plus loin. Pour Mme Fukuzawa, 20 % des hommes entre 20 et 40 ans seraient des « herbivores ».
Philippe Mesmer
* Article paru dans le Monde, édition du 30.08.09. LE MONDE | 29.08.09 | 14h17 • Mis à jour le 30.08.09 | 10h06.
Le verdict des urnes relancera le débat sur la place de Tokyo dans le monde
Tokyo, correspondant
La politique étrangère n’est pas un enjeu des élections législatives du dimanche 30 août, mais le changement attendu de majorité a relancé le débat sur le rôle du Japon dans le monde, des relations avec les Etats-Unis à la montée en puissance économique, financière et stratégique de la Chine et à l’option nucléaire.
La première alternance au pouvoir dans l’Archipel coïncide avec une évolution de l’environnement international. Alors que le centre de gravité de l’économie mondiale tend à se déplacer vers l’Asie, le Japon est en train de perdre sa place de seconde puissance économique, au profit de la Chine. Un dépassement symbolique, certes, mais significatif de la nouvelle donne dans laquelle la Chine, l’Inde et le Japon rivalisent afin qu’aucun des deux autres pays ne prenne une place prépondérante.
L’engagement de Barack Obama d’œuvrer en vue d’un monde sans armes nucléaires, accueilli favorablement dans un pays qui fut la première victime du feu atomique, suscite en outre à Tokyo des interrogations sur la fiabilité du « parapluie nucléaire » américain, pièce maîtresse du système de sécurité de l’Archipel.
Le Parti démocrate du Japon (PDJ) n’a pas en politique étrangère une position très différente de celle du Parti libéral démocrate (PLD), et il ne remet pas en cause l’alliance avec les Etats-Unis.
L’inquiétude suscitée par la puissance militaire chinoise ainsi que la « menace » de la Corée du Nord découragent les politiques de jouer une carte antiaméricaine.
L’alliance avec les Etats-Unis ne relève pas d’un choix politique partisan : elle constitue la clé de voûte du système de sécurité du Japon, depuis que celui-ci a recouvré sa souveraineté, en 1951. Ni l’expansion économique ni la fin de la guerre froide n’ont entamé cette alliance et, ces dernières années, Tokyo louvoie pour concilier le principe de renoncement à la guerre (art. 9 de sa Constitution), reflet d’un pacifisme enraciné de l’opinion, avec les exigences du protecteur américain. Comme, par exemple, l’envoi de troupes non combattantes en Irak – dont la mission a pris fin – ou le ravitaillement dans l’océan Indien des unités des forces alliées engagées en Afghanistan par la marine japonaise.
SUR UN PIED D’ÉGALITÉ
Symptomatique des difficultés du PDJ à infléchir les orientations diplomatiques japonaises, après avoir annoncé son intention de mettre fin à ces opérations, celui-ci a fait marche arrière, évoquant d’autres formes de contribution à la stabilisation de ce pays.
Les démocrates prônent une alliance « étroite » mais sur « un pied d’égalité » avec les Etats-Unis - permettant au Japon de se départir d’une attitude purement suiviste dont il a longtemps pensé qu’elle était la garantie de la bienveillance de Washington pour assurer sa sécurité. Ils inscrivent ce partenariat dans une vision plus large, en cherchant à affirmer une position propre à l’archipel dans la mondialisation.
Dans le New York Times, Yukio Hatoyama, président du PDJ, accuse la mondialisation d’« avoir endommagé les activités économiques traditionnelles et détruit les communautés locales ». « La récente crise économique, poursuit-il, est la conséquence de l’idée selon laquelle la conception américaine de l’économie de marché représente un ordre économique universel et idéal. En raison de la faillite de la guerre en Irak et de la crise financière, la mondialisation sous l’égide américaine touche à sa fin, et nous entrons dans une ère multipolaire. »
Une tentative de se démarquer d’une vision américaine du monde, peu mise en avant par des hommes politiques japonais de la mouvance libérale, mais assez largement partagée dans l’opinion.
Le PDJ n’a pas inclus dans son programme la révision constitutionnelle - axée par le PLD sur un assouplissement des contraintes pacifistes. Il reste assez vague sur la question de l’intégration régionale, contrepoids nécessaire à un rééquilibrage de l’alliance américaine. « A force de s’aligner sur Washington, Tokyo a fini par se couper du reste du monde », écrit le quotidien Mainichi (centriste).
Pour aller au-delà des déclarations d’intention, le Parti démocrate (PDJ) devra surmonter les divergences entre son aile droite, favorable à l’exercice du droit de défense collective, et son aile gauche, opposée au déploiement des forces japonaises à l’étranger. Un cas de figure non sans analogie avec la situation au sein du Parti libéral démocrate (PLD).
Philippe Pons
* Article paru dans le Monde, édition du 29.08.09. LE MONDE | 28.08.09 | 16h06 • Mis à jour le 29.08.09 | 09h02 .
Dans la banlieue de Tokyo, un jeune homme, candidat aux législatives, fait campagne contre un fils de famille
Tokyo, correspondant
Le scrutin législatif du 30 août au Japon est déjà annoncé comme historique. Le Parti libéral démocrate (PLD), au pouvoir depuis des décennies, est donné perdant. L’archipel pourrait passer aux mains de la principale formation d’opposition, le Parti démocrate du Japon (PDJ). En attendant, la campagne continue de donner lieu à des joutes révélatrices du désir de changement des Japonais. Dans la 11e circonscription de la préfecture de Kanagawa, dans la partie sud de la baie de Tokyo, elle oppose l’héritier du clan local soutenu par de puissants réseaux au troisième enfant d’une famille modeste.
L’héritier, c’est Shinjiro Koizumi. Deuxième fils de Junichiro Koizumi, chef de gouvernement entre 2001 et 2006, il mène campagne sous les couleurs du PLD. Pour ce jeune homme de 28 ans au sourire ravageur, la campagne devait n’être qu’une formalité.
Ici, nous sommes dans le « fief » des Koizumi, et Shinjiro « l’héritier » se doit d’occuper le siège de cette circonscription, comme son père, son grand-père et son arrière-grand-père avant lui. Il en a officiellement hérité en septembre 2008. Son père, pourtant réputé critique des vieilles pratiques politiciennes, le lui a transmis après l’avoir occupé pendant 12 mandats.
Seulement voilà. Face à lui, le botchan (enfant de riche), comme on les appelle dans l’archipel, il a un véritable mort de faim. Katsuhito Yokokume, 27 ans, fils d’un chauffeur routier, diplômé en droit de la prestigieuse université de Tokyo, veut mettre fin au système PLD en général, et abattre le clan Koizumi en particulier.
« Depuis que je suis né, le PLD est au pouvoir, assène ce natif de la région de Nagoya, dans le centre du Japon. Le PLD, c’est la collusion avec les bureaucrates et le monde des affaires. Il ne se soucie absolument pas du peuple. » Le débit est aussi vif que le sourire est facile, enthousiaste et volontaire. Jeune, le cheveu en bataille, le garçon qui a rejoint le PDJ en septembre 2008 s’est immédiatement porté volontaire pour aller affronter les Koizumi.
Son opposition au botchan, il sait la cultiver. Il assume le souci de « compter ses sous », porte des cravates à 100 yens (moins d’un euro) et mène campagne à vélo. Dans l’accablante torpeur estivale et malgré l’étendue d’une circonscription de 420 000 habitants qui abrite l’importante base navale américaine de Yokosuka et plusieurs usines de groupes comme Nissan ou Toshiba, il avale une cinquantaine de kilomètres chaque jour. Pour financer sa campagne, il a travaillé comme avocat pendant un an. Il sollicite également les visiteurs de son site Internet, qui peuvent faire des dons en ligne. « J’en reçois de la circonscription, mais également de Kyushu, d’Okinawa ou d’Hokkaido. »
ORIGINES MODESTES
Car son énergie, ses origines modestes et son apparition dans une émission télévisée populaire, où tout le monde le surnommait Sori (premier ministre), lui ont permis de bâtir une notoriété qui dépasse les limites de la circonscription.
Se faire connaître était indispensable. « Pour quelqu’un comme moi, précise-t-il, entrer en politique était une mission quasiment impossible. Mes parents ne s’y intéressaient pas et je n’avais aucune relation. »
Aujourd’hui, tout semble lui réussir. Même la grippe A, qu’il a contractée début août, a accru son capital de sympathie. Fidèle à ses objectifs, il a su cristalliser sur sa personne le mécontentement des Japonais sur la question des héritiers en politique, l’un des principaux griefs formulés contre le PLD : un candidat sur trois présenté par le PLD est un « héritier » - contre un sur dix pour le PDJ.
Shinjiro Koizumi a conscience du problème. Aux critiques, il répond en s’efforçant de cultiver une image de proximité. Il a demandé à son père de ne pas intervenir dans la circonscription pendant la campagne. Il rappelle qu’il est un enfant du cru, un passionné de surf, dont l’unique objectif est « de créer un meilleur Japon ».
Il reste favori du scrutin. Mais il sait que le travail de M. Yokokume paye. Les soutiens du candidat du PDJ se multiplient et se diversifient. « Au début, il n’intéressait que les jeunes, observe un membre de son équipe. Mais son travail de terrain et son programme, concret et axé sur la vie quotidienne lui attirent la sympathie des personnes plus âgées. » Cela ne sera peut-être pas suffisant pour faire tomber le clan Koizumi. Ça l’est déjà pour l’ébranler.
Philippe Mesmer
* Article paru dans le Monde, édition du 27.08.09. LE MONDE | 26.08.09 | 16h32 • Mis à jour le 26.08.09 | 16h32.
L’opposition favorite pour les élections législatives
La campagne pour les législatives du 30 août au Japon touche à sa fin. Les 1 374 candidats en lice profitent de ces dernières heures pour tenter de convaincre les 100 millions d’électeurs de leur accorder l’un des 480 sièges de la Chambre basse. Les sondages donnent la principale formation d’opposition, le Parti démocrate du Japon (PDJ), largement vainqueur du scrutin. Selon une étude de l’agence Kyodo, le PDJ pourrait obtenir 300 sièges, contre 112 dans l’Assemblée sortante. Vainqueur, il mettrait fin au règne quasi ininterrompu depuis 1955 du Parti libéral démocrate (PLD). Au sein du PLD, aujourd’hui dirigé par l’actuel premier ministre Taro Aso, la résignation semble de mise. Le 25 août, le ministre des finances, Kaoru Yosano, a même évoqué la possibilité d’un « raz-de-marée du PDJ ». –- (Corresp.)