Pékin, correspondance
La Chine doit « mettre en place aussi vite que possible un système adéquat pour les dons d’organe conformément aux standards internationaux », a déclaré le vice-ministre de la santé chinois, Huang Jiefu, lors du lancement, le mardi 25 août, d’un nouveau système, géré par la Croix-Rouge chinoise, pour encourager le don d’organes après la mort. L’objectif est de « juguler le marché informel des organes et de remédier à la pénurie », selon l’hebdomadaire Caijing, dans un contexte où « la vaste majorité des organes proviennent de prisonniers exécutés et du marché noir ». Il s’agit donc, à terme, non seulement de réduire les prélèvements d’organes sur les condamnés à mort exécutés, une pratique avérée en Chine mais totalement opaque, et de s’attaquer à toute une économie grise de la vente d’organes.
Celle-ci est l’objet d’enjeux financiers considérables, puisque 1 à 2 millions de Chinois seraient, bon an mal an, demandeurs d’une greffe d’organe. Avec quelque 11 000 greffes réalisées en 2008, la Chine est en la matière le deuxième pays au monde derrière les Etats-Unis, où, comme dans la plupart des pays occidentaux, la majorité des organes greffés sont prélevés sur des personnes décédées ayant préalablement donné leur accord. Or on ne compte en Chine que... 130 donneurs de ce type depuis 2003, a déclaré Chen Zhonghua, directeur adjoint de l’Institut de transplantation de l’hôpital Tongji.
Selon M. Chen, cité par le quotidien chinois Global Times, la tendance est même à la baisse, avec « 36 dons l’an dernier, contre 41 l’année précédente », et « pas plus de dix cas pour l’instant cette année ».
Les prisonniers exécutés qui, selon le China Daily, constituent 65 % des « donneurs », « ne sont certainement pas une source appropriée pour les transplantations d’organes », a reconnu le vice-ministre de la santé.
TOURISME DE TRANSPLANTATION
En charge depuis plusieurs années du dossier des transplantations d’organes en Chine, Huang Jiefu écrivait d’ailleurs dans un article publié en 2008 par le journal médical britannique The Lancet, que « plus de 90 % des organes transplantés en Chine proviennent de prisonniers exécutés ». En principe, ceux-ci doivent donner au préalable leur consentement écrit, mais le manque de transparence est total. Amnesty International estime que la Chine a exécuté, en 2008, 1 718 personnes – le nombre réel est « secret d’Etat ». Autant dire qu’aucune statistique n’existe sur la proportion parmi eux de « donneurs ».
En revanche, le nombre d’organes en provenance des « donneurs exécutés » est bien en train de diminuer, affirme Chen Zhonghua : le nombre d’exécutions, relève l’expert, a chuté brutalement depuis l’obligation en 2007 pour la Cour suprême de passer en revue les condamnations à mort des tribunaux locaux. Cette diminution expliquerait l’explosion de dons d’organes par des donneurs vivants, qui « constituaient 15 % du nombre total des transplantations en 2006, mais 50 % en 2007 » et « entre 40 % et 60 % pour 2008 ».
Or ces dons d’organes par des donneurs vivants ne peuvent concerner, selon une nouvelle réglementation entrée en vigueur en 2007, que des receveurs de la même famille, ou liés par un « lien émotionnel ». Ont été bannis, au passage, la vente d’organes et « le tourisme de la transplantation » à destination de candidats étrangers à la greffe d’organe, qui avait pignon sur rue en Chine. Selon M. Chen, toujours cité par le Global Times, l’explosion du nombre de donneurs vivants s’explique donc par l’apparition de « revendeurs d’organes » qui s’arrangent pour faire du donneur et du receveur de « faux parents », avec la complicité d’administrations et de personnels médicaux. Il en coûte 200 000 yuans (21 000 euros) pour un rein, selon l’enquête du quotidien, qui cite un revendeur contacté sur Internet. Ce marché noir perpétue la vente d’organes et attire toute une population.
Les trafiquants exploitent-ils d’autres sources d’organes ? Sans doute : le site chinois transplantation.org.cn a révélé la découverte dans la province du Guizhou, le 15 juin, par la police, du cadavre d’un « vagabond » dont plusieurs organes avaient été prélevés. L’enquête, selon la presse chinoise, établirait que l’homme a été tué par des trafiquants qui ont vendu les organes à trois médecins du prestigieux hôpital de l’université Sun Yat-sen à Canton. Le mouvement religieux Falun Gong, banni en Chine, continue à clamer que plusieurs milliers de ses adeptes « disparus » dans les camps et prisons chinoises ont constitué une « réserve vivante » de donneurs d’organes mis à mort selon la demande.
Brice Pedroletti
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transplantation.org