La délégation de Solidaires à Bamako était composée de 6 personnes :
– Alasanne Sylla (Sud Michelin)
– Thierry Lescant (secrétariat national - Sud Santé Sociaux)
– Frédéric Madelin ( Sud Ptt)
– Nelly Martin (Sud Ptt - Marche mondiale des femmes)
– Nicolas Galepides ( Sud Ptt)
– Annick Coupé (secrétariat national - Sud Ptt)
A noter : la présence d’Alassane qui est originaire de Bamako nous a grandement facilité
la vie durant ce séjour ; la rencontre avec sa famille nous a aussi permis une rencontre en
direct avec une famille malienne et de vivre un moment très chaleureux.
Le FSM Polycentrique de Bamako : contexte et enjeux
- Pourquoi un FSM polycentrique :
Pour cette année 2006, le choix avait été retenu par le Conseil international du FSM de
tenir celui-ci sous la forme d’un FSM polycentrique, c’est à dire sur trois pays (Mali,
Venezuela et Pakistan) . C’est Bamako qui a ouvert le processus du 19 au 23 janvier ; ce
sera ensuite Caracas au Venezuela, et la troisième partie se tiendra à Karachi au Pakistan
en mars (reporté pour cause de tremblement de terre). Alors même que le débat est ouvert
sur le rythme des FSM (tous les ans ou tous les deux ans) et que cette question n’a pas été
tranchée, le compromis avait consisté à expérimenter cette forme « polycentrique » en
2006. Il s’agissait aussi de répondre aux demandes des mouvements sociaux africains qui
souhaitaient engager rapidement le processus du FSM sur leur continent. Il faut rappeler
que le continent africain était peu présent dans le processus du FSM jusqu’à maintenant.
C’est dire combien il était important de réussir ce FSM de Bamako.
Le continent africain est en première ligne dans la mise en œuvre des politiques libérales
voulues par les institutions internationales comme la Banque mondiale ou le FMI ( les
plans d’ajustement structurels par exemple ou la question de la dette), mais aussi par les
négociations en cours à l’OMC (comme la libéralisation de la production cotonnière qui
va ruiner les petits paysans , en particulier au Mali). Le continent africain, c’est aussi la
question des conflits armés, le rôle et la concurrence des grandes puissance pour
instrumentaliser des chefs d’état corrompus et s’accaparer les richesses.
Il y avait donc urgence à intégrer les mouvements sociaux africains dans le processus des
forums sociaux mondiaux, d’autant que ces mouvements sociaux sont nombreux et très
actifs, même si leur visibilité internationale est faible.
L’enjeu de ce FSM de Bamako était donc bien de réussir un élargissement géographique
(le continent africain) et un élargissement social (de nouveaux mouvements sociaux).
Le choix du mali permet de rendre visible la contradiction fondamentale vécue par bon
nombre d’autres pays africains : c’est l’un des pays les plus pauvres du monde et c’est
pourtant un pays producteur de matières premières importantes comme l’or ou le coton...
L’organisation du FSM au Mali
Le comité d’organisation du FSM de Bamako reposait sur de nombreuses organisations
(305) ; certains de ces réseaux sont connus dans le mouvement altermondialiste à travers
des figures emblématiques comme Aminata Traore (ancienne Ministre de la culture)
mais il existe et de nombreux autres réseaux, très ancrés parmi les populations locales
comme le CAD Mali (Comité pour des alternatives et le développement au Mali) dont
Aminata Touré Barry est une représentante au Conseil international du FSM.
Ce comité a travaillé en lien avec le Secrétariat international du FSM pour mettre sur pied
l’initiative de Bamako : les discussions internes au Comité malien, comme les discussions
avec le secrétariat international ont été l’objet de quelques tensions et ont conduit à du
retard dans l’élaboration du programme.
L’organisation matérielle à Bamako
Le FSM s’est déroulé sur 11 sites répartis dans toute la ville : chaque site était dédié à une
question politique : contrôle des ressources naturelles, militarisation et guerre,
alternatives, sociétés paysannes, libéralisme mondialisé et coopération, dette, IFI et Omc,
communication, univers des femmes, culture et un camp international de la jeunesse).
Compte tenu des distances entre les sites et des difficultés de circulation à Bamako (pas
vraiment de transports en commun à part les minibus locaux, les fameux « Sotrama »
assez mystérieux dans leur fonctionnement quand on est pas de Bamako...), la délégation
a du faire des choix et n’a pu être présente sur tous les sites.
Une manifestation d’ouverture s’est déroulée dans les rues de Bamako,le jeudi 19 janvier,
avec des délégations venues de tout le mali et de tout le continent africain : elle a réuni
entre 8000 et 10 000 personnes.
Les séminaires se sont déroulés pendant quatre jours de 8 h30 le matin à 20 h 30 le soir.
Le lundi une cérémonie de clôture a permis de passer le relais à la délégation du Kenya
qui aura en charge d’organiser le prochain Forum social mondial à Nairobi en 2007, et
cette fois le FSM sera centralisé sur un seul lieu.
Entre 10 et 15 000 personnes ont participé aux activités de ce FSM à Bamako. C’est un
grand succès qui n’était pas évident à réussir compte tenu du contexte africain.La
participation a été très majoritairement africaine, avec une forte présence des mouvements
de l’Afrique de l’Ouest (plus francophone), mais aussi des délégations de l’Afrique de
l’Est (plus anglophone), une forte présence de l’Afrique du sud ( surtout des ONG) ainsi
que de nombreux militants des pays du Maghreb (eux-mêmes engagés dans la
construction d’un Forum social maghrébin). La présence européenne était importante,
notamment de France et de l’Europe du Sud (Italie, Espagne). Pour le reste du monde,
c’étaient des délégations plus symboliques.
Le Festival africain de reggae et Tiken Jah Fakolly
En marge du FSM, s’est tenu le vendredi soir le 1er festival africain de reggae, avec la
grande vedette Tiken Jah Fakolly : d’origine ivoirienne, il est exilé au Mali et il n’a de
cesse de critiquer aussi bien les politiques des institutions internationales envers l’Afrique
que les dictateurs africains et la corruption, de dénoncer aussi le passé colonial et ses
conséquences, le découpage arbitraire des frontières et l’exploitation des ressources du
continent africain ; il œuvre aussi à l’expression de la musique africaine et ce festival avait
pour but de donner un espace à des dizaines de groupes venues de toute l’Afrique et à
dépasser les clivages ethniques entretenus par certains régimes (comme en Côte d’Ivoire
actuellement).
Plus de 20 000 jeunes étaient présents à ce concert et chacun connaissait par
cœur les paroles de Tiken, ses textes très politiques (on vous recommande son dernier
disque : Coup de gueule). Il avait participé au contre-sommet du G8 à Annemasse en
2003.
La recherche d’alternatives
Dans ce concert, comme dans le camp de jeunes, on sentait très fortement que l’idée
d’unité africaine est présente dans beaucoup d’esprit. La référence à Thomas Sankara
(dirigeant du Burkina Faso assassiné en 1991) était très présente : pour beaucoup, il
représente une alternative aux politiques libérales, à la corruption et à la division. Le fait
qu’il soit pris comme référence illustre bien que en Afrique, comme ailleurs, la recherche
d’alternatives à l’ordre économique dominant est bien présente.
Les thèmes qui ont dominé ce FSM de Bamako étaient en prise direct avec les grand
problèmes vécus par les populations en Afrique :
– La question paysanne et le droit à la souveraineté alimentaire
– La question de la dette et les plans d’ajustement structurel
– L’OMC et les décisions de Hong-Kong : en particulier la question des petits paysans
cotonniers
– L’abandon des services publics, avec notamment la question de l’eau, véritable
démonstration des pires recettes « clé en main » du néo-libéralisme
– La place des femmes
– Les migrations de populations ( pauvreté, guerre, famine...)
– L’échange inégal et l’appropriation des matières premières par les pays du Nord et
les multinationales...
Dans tous ces débats, il s’agissait de dénoncer les politiques libérales et ceux qui les
soutiennent, amis aussi de travailler à des alternatives qui prennent en compte
l’histoire et les cultures du continent africain.
L’univers des femmes à la Cité de la culture
C’était un des 11 sites du FSM malien, situé au Sud de Bamako, au delà du pont des
Martyrs qui enjambe le Niger.
Cette idée d’un site dédié aux femmes n’a pas fait, loin de là, l’unanimité des associations
féministes africaines, et surtout maliennes, présentes. De France, nous n’avions pas
compris qu’il s’agissait d’un endroit complètement indépendant qui rendrait difficile, pour
celles et ceux qui s’intéresseraient en priorité aux « problèmes » des femmes d’assister aux
autres débats... et d’y apporter la dimension du genre. Et vice-versa. Peut-être un manque
de communication avec les associations féministes, mais aussi la difficulté inhérente à
l’organisation de ce Forum.
En tout cas, cela n’a pas empêché cet espace d’être un réel succès, un espace de
« proximité » , occupé à plus de 95 % par des africaines de nombreux pays, où la majorité
des débats parlaient de problèmes concrets, de leurs causes et conséquences, mais aussi
des multiples projets que les femmes mettent en œuvre pour y apporter des solutions.
Loin des grands discours pré-formatés, le mouvement associatif féministe africain prouve
là sa vitalité et sa proximité d’avec les femmes de la base. Les thèmes de débats sont
divers et rendent compte de la difficulté accrue d’être femmes dans un continent qui
combine extrême pauvreté, violences spécifiques et coutumes ancestrales. Se battre contre
les violences machistes, l’excision, la polygamie, la prostitution, les guerres, les maladies,
l’analphabétisme ; pour l’accès des femmes à la propriété foncière (des textes existent
pourtant qui décrète les mêmes droits à la propriété pour les hommes et les femmes) et au
logement ; pour l’économie solidaire, pour renforcer les capacités des femmes à la base,
pour former des femmes leaders ; pour le respect des textes internationaux sur les femmes
; contre l’assistanat financier des pays riches, pour développer les droits économique,
sociaux et culturels des femmes et les amener à jouer un rôle prépondérant dans
l’exploitation d’alternatives économiques crédibles ; pour trouver le lien entre luttes locales
et globales....
Autant de débats passionnants qui nous ont fait rencontrer des militantes à
l’enthousiasme communicatif.
Les deux séminaires de la Marche Mondiale des Femmes, co-organisés par les Marches du
Mali et du Burkina Faso, « Des femmes en mouvement changent le monde » et "les violences
faites aux femmes," ont réuni beaucoup de monde et ont été très appréciés. Nous avons enfin
pu voir la Courtepointe en entier et tous ces petits carrés nationaux, preuves du relais mondial
de la Marche. Impressionnant !
L’activité de Solidaires au FSM
Les séminaires auxquels nous avons participé :
– le bilan du sommet de l’OMC : le contenu des accords, le bilan des mobilisations et les
suites ;
– le processus de privatisation des services publics au Maghreb ;
– un débat à la radio libre du camp de jeunes sur les enjeux du mouvement
altermondialiste ;
– après Ceuta et Melila : analyser et lutter contre les politiques européennes d’asile et
d’immigration et leur externalisation ;
– assemblée des No Vox ;
– syndicalisme et forums sociaux ;
– Moratoire sur la libéralisation des télécoms au mali ;
– Travail décent et libéralisme ;
– le NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement en Afrique) et l’impérialisme ;
– l’assemblée des mouvements sociaux (cf : la déclaration en annexe) ;
– les activités de la Marche mondiale des femmes (voir ci-dessus) ;
Les contacts et les rencontres :
– syndicat Mines et Energie du Mali
– syndicat trésor public Maroc ( CDTM)
– responsables bureau exécutif CDT Maroc
– syndicat des télécoms de la société nationale du mali
– comité des mineurs et des femmes de mineurs de la SOMADEX
– militante de Union démocratique des enseignants du Sénégal
– Association REFDAF (réseau femmes du Sénégal) dont une des responsables est
Madjiguene Cissé ( porte parole des sans papiers de St Bernard en 1996 et depuis
retourné vivre au Sénégal)
– Cocidirail : nous avons eu une rencontre importante avec Cocidirail (Collectif citoyen
pour la restitution et le développement intégré du rail Malien). Ce collectif s’est
constitué suite à la privatisation du rail malien et il a la particularité de regrouper
syndicalistes et usagers, élus locaux... Il pose bien la question de la défense du rail
comme « bien public » utiles aux populations, en particulier les communautés
paysannes. Son responsable, Tiécoura Traoré, militant syndical, a été licencié par la
nouvelle société privatisée à cause de la lutte menée depuis 2 ans par le Cocidirail. Le
Cocidirail semble avoir une assise populaire importante . Nous nous sommes engagés
à faire un travail de solidarité internationale et en particulier à faire connaître cette
lutte en France.
– Des femmes grévistes de la Galicienne, sous-traitant de Yves Rocher à Ouagadougou
au Burkina Faso. Cette lutte s’est d’ailleurs soldée, deux jours avant la rencontre, par
un succès, au moins financier, des grévistes.
– les responsables de la CAFO - Coordination nationale des associations féministes
maliennes, très présente et reconnue au Mali.
Solidarité internationale
Une petite manifestation regroupant la délégation des mineurs de la Somadex, et quelques
réseaux maliens et des militants français autour des No Vox a permis qu’une délégation
soit reçue à l’ambassade de France et que soit posée plusieurs problèmes : la
responsabilité de sociétés françaises comme Bouyges, présente dans la capital de la
Somadex et qui cautionne la politique antisociale et répressive de cette entreprise , la
question des expulsions des sans papiers maliens, la question de la politique de refus des
visas pour les maliens... Un cas très concret a été signalé : celui de la fille d’une des
familles maliennes qui a été décimées dans un des incendies parisiens de l’été dernier à
qui on refusait jusqu’à présent d’accorder un visa pour aller voir son père toujours
hospitalisé en France alors même que sa femme et deux enfants sont morts dans cet
incendie...
Au retour de Bamako, Solidaires a adressé un message à l’ambassade du Mali en France,
au procureur et au Président du tribunal où sont emprisonnés des mineurs de la Somadex
suite aux actions qu’ils ont menés contre la politique antisociale de cette entreprise.
Les suites
L’analyse du FSM 2006 devra se faire avec les bilans des deux autres forums mondiaux
polycentriques de Caracas et de Karachi. Il est clair que Caracas a été très marqué par la
situation politique en Amérique latine, notamment l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales et
le processus politique au Venezuela.
Solidaires avait fait le choix de prioriser Bamako car il nous semblait que les
problématiques discutées à Bamako étaient plus proches de nos propres préoccupations et
qu’il y avait des liens à construire et à développer avec les mouvements sociaux
africains ; il s’agissait aussi de soutenir concrètement la construction du processus du
FSM sur le continent africain.
Le succès de Bamako va conforter les mouvements sociaux africains qui y ont participé.
Ce succès doit permettre une préparation du FSM de Nairobi s’appuyant sur un nombre
encore plus grand de mouvements sociaux en Afrique : ce succès va dynamiser et
encourager la construction d’une convergence de mouvements sociaux en Afrique et doit
permettre de développer les liens avec les mouvements sociaux des autres continents.
Ce FSM a rendu visible les mouvements sociaux africains : les populations africaines
paient un tribut extrêmement lourd aux politiques libérales mondiales, elles subissent des
politiques néo-coloniales entretenues, des dictatures et des dirigeants politiques souvent
très corrompus (avec l’appui des grandes puissances) ; mais l’Afrique résiste et un des
grands mérite de ce FSM est d’abord permis de donner voix et de rendre visible ces
résistances et ces solidarités.
Mais d’ici Nairobi, le rendez-vous du FSE d’Athènes doit intégrer les débats de Bamako
et en particulier sur trois points : la question des migrations et la politique de fermeture
des frontières par L’UE pour les migrants et les réfugiés, la question des accords de
partenariat de l’UE avec l’Afrique, la question paysanne et celle des subventions. Le FSE
d’Athènes sera centré sur es luttes et les alternatives en Europe, mais nous voulons
débattre d’une Europe ouverte, en particulier en direction de l’Afrique et du Moyen-
Orient.
Des sites à consulter pour voir des photos :
www.fsmmali.org
www.altromundo.com