Après la cacophonie, l’Elysée veut utiliser la taxe carbone pour contrer le PS
Seignosse (Landes) Envoyée spéciale
Comment transformer du plomb en or ? Une taxe carbone, rejetée par une majorité de Français ? en arme électorale ? Alors que l’opinion publique y est défavorable, que son gouvernement a montré de sérieux signes de cacophonie sur l’instauration complexe de cette taxe, Nicolas Sarkozy tente de revenir à l’offensive.
Vendredi 4 septembre, le chef de l’Etat a présidé une réunion interministérielle d’arbitrage, réunissant le premier ministre et quatre de ses ministres. A l’issue de cette réunion, M. Sarkozy a confirmé dans un communiqué que la taxe carbone serait mise en œuvre sur « une base progressive » et compensée intégralement par la réduction d’autres prélèvements. Le président de la République devrait annoncer officiellement sa décision sur les modalités de mise en œuvre de la taxe, vraisemblablement dans le milieu de la semaine prochaine.
La veille, recevant la secrétaire nationale des Verts, Cécile Duflot, future tête de liste de son parti aux élections régionales de 2010 en Ile-de-France, accompagnée du député européen Jean-Paul Besset, M. Sarkozy a donné l’impression d’un certain flottement. Il a ensuite brutalement contredit son premier ministre sur les modalités de mise en œuvre de la taxe. Alors que François Fillon affirmait dans un entretien au Figaro Magazine que le prix initial de la tonne de CO2 serait de 14 euros au lieu des 32 euros préconisés par la commission Rocard, M. Sarkozy a affirmé à Mme Duflot que « rien n’a été arrêté ».
C’est que, pour M. Sarkozy, la taxe carbone présente une vertu : elle divise ses adversaires, le PS et les Verts. L’université des socialistes de La Rochelle la semaine dernière, les déclarations de Ségolène Royal contre la taxe carbone, auraient convaincu le chef de l’Etat de reprendre la main. Les Verts, fervents défenseurs de cette taxe proposée par Nicolas Hulot durant la campagne présidentielle de 2007, avaient immédiatement dénoncé « la démagogie » de l’ancienne candidate socialiste.
« L’écologie ne peut pas se limiter à la promotion de produits du terroir, ses voiturettes ou le chabichou. Une crise écologique touche la planète. Il y a peut-être des choses plus urgentes que de s’occuper de Royal 2012 », a fustigé le secrétaire national adjoint des Verts, Jean-François Placé, dans un entretien au Figaro.
Le chef de l’Etat juge que la percée des écologistes n’est pas un phénomène passager. Pour l’Elysée, les Verts, qui ont largement devancé François Bayrou aux européennes, en infligeant au président du MoDem sa plus sévère défaite, pourraient de nouveau compliquer l’équation des régionales, et éventuellement s’imposer dans quelques régions devant les socialistes. « La clé des régionales, ce sont les Verts, explique un des dirigeants de l’UMP. La campagne électorale s’ouvrira dans la foulée du Sommet de Copenhague sur le climat et l’énergie. Pour les européennes, la diffusion du film Home avait joué un effet démultiplicateur en faveur des Verts. » « Il faut pousser les Verts. Plus ils seront hauts au premier tour, moins ils seront tentés de s’allier avec les socialistes », explique un autre.
Le chef de l’Etat, qui a reçu le secrétaire général de l’UMP avant son départ pour l’université d’été du parti à Seignosse dans les Landes, qui se tient du vendredi 4 au dimanche 6 septembre, a passé consigne de s’emparer du sujet.
Le message présidentiel a été reçu 5 sur 5. Ouvrant le campus, vendredi, Xavier Bertrand a verdi à la dernière minute son discours, promettant de contribuer à la mise en œuvre d’un engagement de la campagne présidentielle de 2007. Toute la soirée, ministres, membres de l’UMP et conseillers de Nicolas Sarkozy se sont ainsi relayés pour convaincre les journalistes de l’opportunité électorale de la taxe carbone...
Réunie en séminaire dans la matinée, la direction de l’UMP a arrêté ses thèmes de campagne pour les régionales de 2010 : la qualité de la vie et les transports y figurent en bonne place. En Poitou-Charentes, le secrétaire d’Etat aux transports, Dominique Bussereau est sérieusement « poussé » à se présenter face à Ségolène Royal. Pour aider à la manœuvre, Jean-Pierre Raffarin, l’ancien président de région, pourrait figurer sur la liste. Pour l’Elysée, l’urgence est à la protection de la planète et... à la reconquête des régions.
Sophie Landrin
* Article paru dans l’édition du 06.09.09. LE MONDE | 05.09.09 | 14h34 • Mis à jour le 05.09.09 | 14h45.
Les procédés antiréchauffement passés au crible
Refroidir à dessein la planète : rarement « remède » aura autant ressemblé au mal. La géoingénierie climatique est pourtant, plus que jamais, à l’ordre du jour. Depuis environ trois ans, les technologies présumées capables de contrecarrer les effets du changement climatique à venir suscitent une abondante littérature scientifique. En s’appuyant sur ces travaux, la Royal Society - l’académie des sciences britannique - vient de dresser un état des lieux de cette discipline ancienne, récemment remise en selle par la crainte d’un emballement du réchauffement.
Son rapport, publié mardi 1er septembre, se garde bien de tout enthousiasme. Il se limite, à partir des données disponibles, à évaluer la faisabilité, les bénéfices potentiels et les coûts de ces différentes technologies. Ainsi que les risques - parfois considérables - présentés par certaines d’entre elles.
« A défaut de réduire grandement nos émissions de dioxyde de carbone (CO2), nous allons vers un futur climatique très inconfortable, et la géoingénierie sera la seule option pour limiter l’augmentation des températures », a déclaré l’océanographe John Shepherd (université de Southampton, Royaume-Uni), président du comité d’experts mandatés par la Royal Society. « Nos travaux montrent que certaines techniques de géoingénierie pourraient avoir des effets imprévus et nuisibles pour certaines populations et certains écosystèmes », a-t-il ajouté. Ces effets collatéraux, « pourraient être le prix à payer » en cas d’échec des tentatives de limitation des émissions humaines de gaz à effet de serre.
Le groupe d’experts de la Royal Society a audité une large gamme de techniques distinctes, classées en deux catégories. La première regroupe les dispositifs qui visent à réduire ou à limiter la concentration atmosphérique de CO2 : capture du carbone à la source et stockage géologique, enfouissement de biomasse, reboisement massif, augmentation de la production biologique (et donc de la capture de carbone par photosynthèse) du phytoplancton par « fertilisation » des mers, capture par procédé chimique du CO2 déjà présent dans l’atmosphère, etc.
La seconde catégorie rassemble les méthodes qui reposent sur l’occultation d’une part du rayonnement solaire : diffusion de composés ou de particules soufrés dans la haute atmosphère, envoi d’immenses miroirs spatiaux entre la Terre et le Soleil, modification de l’albédo (indice de réflexivité) des vastes étendues désertiques ou encore des agglomérations urbaines (en adoptant des couleurs claires pour les toits et la voirie, par exemple) afin que ces zones réfléchissent davantage de rayonnement solaire...
OBSTACLES DIPLOMATIQUES
Selon l’analyse de la Royal Society, les deux méthodes techniquement réalisables comportant le plus de risques sont, dans l’état actuel des connaissances, la fertilisation des océans (par des particules de fer) et la dispersion en haute altitude de composés soufrés chargés de réfléchir une part du rayonnement solaire. Quant aux méthodes présentant le moins de risques (reboisement, augmentation de l’albédo des zones urbaines, etc.), elles sont aussi les moins efficaces.
Globalement, dans le cas des techniques de capture et de séquestration de carbone, note le rapport, « il y a inévitablement un délai de plusieurs décennies avant qu’elles n’aient un effet discernable sur le climat ». Les seules techniques capables de fournir un effet tangible très rapidement après leur déploiement sont celles visant à occulter une part du rayonnement solaire.
Pour preuve, l’éruption du Pinatubo [aux Philippines], en juin 1991 : l’explosion volcanique avait projeté de grandes quantités de particules aérosols dans la stratosphère. L’année suivante, la température moyenne de la basse atmosphère terrestre avait chuté d’environ 0,5 °C. Bien que risquée, cette technique présente, selon la Royal Society, le meilleur rapport entre magnitude des effets et coût de revient.
« Le rapport pose surtout des faits incontestables, qui sont que les seuls moyens aujourd’hui disponibles pour lutter contre le réchauffement sont la limitation des émissions et la préparation aux changements qui sont d’ores et déjà inéluctables, estime le climatologue Hervé Le Treut, directeur de l’Institut Pierre-Simon-Laplace (IPSL). Pour autant, le terme de géoingénierie est employé dans une acception très vaste. Il recouvre, dans ce rapport, des technologies éprouvées réunissant un assez large consensus - comme la capture et la séquestration géologique de carbone - et des procédés beaucoup plus incertains et hasardeux, comme la diffusion d’aérosols dans la stratosphère. »
Preuve de la vivacité des débats suscités par la géoingénierie, la chimiste de l’atmosphère Susan Solomon, ancienne coprésidente du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), signait le 6 août, dans la revue Science, un article soulignant le lien étroit entre le régime pluviométrique de nombreuses régions et l’insolation. L’éruption du Pinatubo, rappelait en substance la chercheuse, ne s’est pas seulement soldée par une chute des températures : elle a été suivie d’une baisse globale des précipitations, plus marquée dans certaines régions. D’autres effets indésirables existent.
Les obstacles ne sont pas seulement de nature scientifique ou technique, ils sont aussi d’ordre diplomatique. Comment organiser des négociations multilatérales visant à déployer une géoingénierie touchant l’ensemble du système climatique et affectant chaque région de manière spécifique ? Qui aura la main sur le thermostat et décidera de ce qui doit être la « température moyenne terrestre idéale » ? Il n’est pas certain que ces questions trouvent jamais de réponse, mais la Royal Society engage, malgré tout, à se les poser sérieusement.
Stéphane Foucart
* Article paru dans l’édition du 04.09.09. LE MONDE | 03.09.09 | 14h43 • Mis à jour le 03.09.09 | 21h04.