Marseille Correspondant
Un mois après la rupture, le 7 août, d’un pipeline au cœur de la réserve naturelle des Coussouls de Crau (Bouches-du-Rhône), les conséquences déjà désastreuses de la destruction d’un écosystème unique en Europe pourraient se doubler d’une pollution de la nappe phréatique. La Société du pipeline sud-européen (SPSE), gestionnaire de l’oléoduc, a en effet décelé, jeudi 3 septembre, des « traces d’hydrocarbures à proximité du point de rupture ». En application d’un arrêté préfectoral imposant les conditions de dépollution des cinq hectares de steppe souillés, quatre piézomètres - instruments servant à mesurer la compressibilité des liquides - surveillent la qualité de la nappe phréatique, l’une des plus étendues de France. Elle alimente en eau potable 250 000 habitants des Bouches-du-Rhône.
Des analyses sont en cours pour comparer les caractéristiques de l’hydrocarbure répandu dans la réserve naturelle à celles des traces relevées dans l’eau. Des prélèvements dans les puits de bergerie et les points d’eau de cette zone aride sont effectués deux fois par semaine. « Il n’existe pas de risque immédiat de pollution de la nappe phréatique », considère François Trabucco, directeur technique adjoint de la SPSE. Il souligne que la vitesse du courant à cet endroit de la nappe est d’un mètre par jour. Le point de captage d’eau potable le plus proche se situe à Port-Saint-Louis-du-Rhône, à 5 kilomètres, soit « 4 000 à 5 000 jours », calcule le gestionnaire de l’oléoduc. Un délai qui lui permettrait de mettre en place le dispositif de dépollution de l’eau qu’il a présenté, durant la semaine du 1er septembre, aux responsables de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement et au Syndicat mixte de gestion de la nappe phréatique de la Crau (SYMCrau). Le risque d’une pollution de l’eau est pourtant pris au sérieux. Un test a été conduit à Port-Saint-Louis-du-Rhône, consistant à basculer le réseau d’alimentation de la commune sur celui du Grand Port maritime de Marseille.
« Travaux titanesques »
Cette nouvelle menace intervient alors que le gestionnaire de la réserve naturelle et un collectif d’associations s’alarment « des travaux titanesques » entrepris pour dépolluer. La création de cheminements routiers, l’implantation d’une « base de vie » pourraient faire que pour un hectare dépollué, trois hectares soient touchés. Des pelleteuses raclent le sol sur une profondeur de 40 centimètres, et un ballet incessant de camions bâchés évacue les terres contaminées. Les cailloux sont nettoyés, éventuellement pour être replacés. La SPSE estime que 1 600 rotations de camions seront nécessaires pour mener à bien les opérations d’excavation de 36 000 tonnes de terre. Cent camions traversent donc quotidiennement le site classé Natura 2000. Aux Coussouls, lieu de pâturage ovin depuis six mille ans, comme en témoignent des vestiges datant du néolithique et des restes de bergeries romaines, « la végétation exceptionnelle est détruite à jamais », déplore Thierry Dutoit, professeur à l’université d’Avignon.
La SPSE a par ailleurs procédé au remplacement du pipeline endommagé, enterré là en 1971, et a renforcé seize autres tronçons. L’état des 4 900 kilomètres de canalisation transportant des matières dangereuses enfouies dans le sol de Provence-Alpes-Côte d’Azur inquiète le préfet de région, Michel Sappin. A l’issue d’une réunion, vendredi 4 septembre, avec les représentants de 80 communes des Bouches-du-Rhône concernées et vingt-trois exploitants d’oléoducs, le représentant de l’Etat a annoncé le recensement, d’ici à fin septembre, « des canalisations sur lesquelles nous avons des préoccupations ». Comme une mise en garde aux exploitants, le préfet a indiqué qu’« on est entrés dans une nouvelle ère. Ce qui était admissible il y a vingt ans ne l’est plus aujourd’hui ».