Il vient de paraître (éditions L’Echappée, 15 euros) Paul Carpita, cinéaste franc-tireur, un recueil d’entretiens avec le cinéaste réalisés par Pascal Tessaud, avec une préface amicale de Ken Loach. Ce petit bouquin [1] plein de soleil de se souvenirs permet à Carpita (né en 1922) d’évoquer sa très remarquable non-carrière dans le cinéma français. Militant communiste marseillais, FTP, il crée avec des copains Ciné-Pax, qui tourne des courts métrages de contre-actualités, puis réalise Le rendez-vous des quais , premier long-métrage de fiction, qui se passe lors d’une grève de dockers et se retrouve immédiatement interdit par la censure. Tout en gardant sa profession d’instituteur, il arrive à réaliser quelques films (aujourd’hui, 86 ans, il en projette un).
Bien évidemment, tout cela n’a rien de bankable, ni même de branché : il y a, dans l’histoire du cinéma français, toute une partie qui concerne des films militants, intervenant dans les luttes sociales, avec parfois des noms connus – La Vie est à nous, de Jean Renoir, ou plus récemment les films d’après soixante-huit de Marker, Godard, Karmitz – et qui ne donnent que rarement lieu à études, rétrospectives, publication en DVD. Robert Mennegoz ne réalisa pas seulement Vive les dockers sur les manifs contre le départ des troupes françaises en Algérie, il alla aussi, dans ces manifs, filmer sur pellicule inversible des images qu’il développait immédiatement et projetait le soir même aux réunions, performance qui aujourd’hui semble peu étonnante avec la vidéo… René Vautier qui avait rejoint le FLN pendant la guerre d’Algérie, filma des « actualités » ; Yann Le Masson filma avec J’ai huit ans les réactions d’enfants aux bombardements français de Sakiet Sidi Youssef, qui frappaient le FLN algérien en territoire tunisien, et tenta avec ce film une intéressante expérience de distribution parallèle par vente directe de copies seize millimètres aux partis et associations ; puis il réalisa Sucre amer sur les élections truquées à La Réunion, Kashima Paradise sur les luttes populaires contre un aéroport japonais ; Mario Marret mit aussi sa caméra au service du FLN algérien.
Et si j’ai cité, pour les activités post-68, des noms connus, n’oublions pas qu’il y en eut bien d’autres qui, alors, empoignèrent la caméra pour tourner, par exemple, la rentrée des ouvriers de l’usine Wonder.
Ce passé-là reste épisodiquement rappelé, pour tel ou tel, grâce à la vidéo ou aux DVD, mais paradoxalement, aujourd’hui, quand les facilités techniques sont bien plus grandes, on a l’impression que cette tradition-là s’est perdue ; est-ce seulement la faute d’un oubli institutionnel spontané ou organisé ? Une renaissance par Internet, par exemple, est-elle imaginable ? Inch Allah.
Paul Louis Thirard