EDITO
La peur est un marché, et aussi une politique. La grippe, après les
étrangers ou les jeunes de banlieue, permet au gouvernement tous les
dérapages, qui révèlent au fond ses désirs secrets : marché libre et
Etat fort. Dans ses cartons, une gestion de la grippe confiée au
ministère de l’intérieur, la suspension programmée du code du travail
au profit d’une flexibilité généralisée, nos libertés mises en
sommeil à coup d’ordonnances dénoncées par le Syndicat de la
Magistrature. Pas de débat public sur la gravité de la pandémie et
les moyens sanitaires d’y faire face, mais des milliards déjà
dépensés pour une vaccination de masse, avec des vaccins mal testés,
et du Tamiflu qui soigne surtout les cours de l’action Roche. Les
pays du Sud, eux, attendent toujours vaccins et traitements pour les
millions de morts du Sida ou du paludisme. Le tout sous les regards
d’une presse à sensation qui veut vendre du papier.
Du côté du mouvement ouvrier, pas besoin de dramatiser la pandémie
pour faire plus anti-capitaliste : les labos ne lâchent pas les virus
pour vendre des vaccins ! Mais pas question de dire que tout cela
est poudre aux yeux, pour nous détourner des vraies questions. Car si
la grippe A est bien loin de la mortalité de la grippe aviaire, elle
est aussi très contagieuse, et pose les questions du droit à la
santé, des urgences sociales face à la pandémie, et aussi de sa
naissance dans le ventre des usines à porc de l’agrocapitalisme. Le
gouvernement en fait trop ? Il fait surtout mal ! Le mouvement social
doit porter ses propres exigences sociales, écologiques, sanitaires…
et donc politiques, en lien avec une expertise indépendante.
Urgence grippale contre la loi Bachelot
Aujourd’hui la grippe A n’est guère plus dangereuse que la grippe
saisonnière. Mais elle est très contagieuse, et pourrait toucher 15 à
30% de la population. Elle va révéler les fragilités d’un système de
santé et de solidarité qui combine difficultés d’accès aux soins pour
les plus pauvres (dépassements d’honoraires, refus de CMU, 30% des
patients retardent leurs consultations), isolement pour les personnes
âgées ou les Sdf, inégalités géographiques et austérité pour tous. Et
notamment pour l’hôpital, déjà débordé par une simple grippe
saisonnière. Le Tamiflu n’y changera rien. Les milliards d’euros
dépensés pour constituer les stocks exigés par l’Oms ne serviront
qu’à grossir les profits de Roche, tant cet anti-viral semble peu
efficace. Contre la loi Bachelot, les fermetures de lits et
d’hôpitaux de proximité, les plans de retour à l’équilibre des CHU
qui prévoient 30000 suppressions de postes, la concurrence avec le
privé, l’urgence grippale nous invite à accorder toute sa place à un
service public de santé solidaire, pour les jours de grippe et pour
les autres.
A l’hôpital public, les plans blancs vont reporter tout ce qui est
hospitalisation programmée, pour consacrer toutes les ressources aux
complications de la grippe. Le privé et ses dépassements d’honoraires
sont en embuscade, pour capter cette médecine rentable. Face à
l’urgence, tous les lits privés ET publics doivent être utilisés,
réquisitionnés, avec interdiction des dépassements d’honoraires. Il
faut aussi remettre en avant la question de la gratuité (les masques
sont bien gratuits…), le tiers payant généralisé, le refus des
tickets modérateurs, forfaits hospitaliers, pour affirmer le
caractère universel du même droit à la santé pour tous. Alors que
débute l’épisode grippal, déremboursement du paracétamol et fermeture
du service des maladies infectieuses de St Joseph à Paris illustrent
jusqu’à l’absurde que le gouvernement fait passer la course à la
rentabilité de la santé avant le droit à la santé pour tous.
Le vaccin malade du profit ?
Face à la grippe saisonnière, une vaccination non obligatoire et
ciblée sur les personnes âgées et fragilisées a fait la preuve de son
efficacité. La revue médicale indépendante Prescrire, qui tire
souvent à boulets rouge sur les labos, nous apprend que ce vaccin,
s’il est peu efficace sur fièvre et courbatures, réduit de 50% les
complications et de 80% la mortalité. Mais face à la grippe A, avant
tout débat sur la stratégie de vaccination, le gouvernement français
a décidé d’une vaccination de masse et d’urgence, n’hésitant pas à
payer le vaccin quatre fois son prix, un milliard d’euros, pour
vacciner en deux doses 45 millions de français. Les capacités de
production sont limitées pour ne pas confronter « les industriels à
un risque économique et financier non négligeable », comme l’a
expliqué le PDG de Sanofi. Alors pour produire vite et beaucoup,
gouvernement et labos rajoutent des adjuvants dans le vaccin, comme
le thiomersal et le squalène. Les tests des vaccins sont réduits au
minimum. Les labos se souvenant qu’en 1976, la vaccination de masse
décidée aux USA avait favorisé l’apparition de paralysies ascendantes
(Guillain Barré), ont obtenu que les éventuels accidents de
vaccination soient pris en charge par l’Office national pour les
aléas thérapeutiques. Privatisation des profits et socialisation des
pertes !
Or le thiomersal, composé à 40% d’éthylmercure, est mis en cause pour
sa toxicité neurologique, notamment chez les enfants et les femmes
enceintes. L’OMS, l’Agence européenne pour l’évaluation des
médicaments, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de
santé ont demandé le retrait du thiomersal des vaccins pour enfants.
Il est retiré des vaccins anti-grippe. Puis l’agence européenne
change d’avis, sous la pression des lobbies. Le squalène favorise
les pathologies auto-immunes. Il est responsable d’une hépatite auto-
immune sur seulement 101 enfants d’un essai clinique espagnol en
2007. Il favorise l’apparition de polyarthrite rhumatoïde chez les
rats de laboratoire. D’ores et déjà, pour les femmes enceintes et les
enfants en bas âge, ces choix sont inadmissibles.
Pourquoi prendre ce risque pour la santé, alors que la mortalité de
la grippe A semble peu supérieure à celle de la grippe saisonnière
dans la population générale ? Pourquoi abandonner la vaccination
ciblée ? Pour l’espoir -illusoire- de garder la France au travail et
garantir les profits ? Au-delà de la liberté de vaccination pour
chacun, du consentement éclairé qui ne peut se faire avec les 2
minutes par personne de la vaccination à la chaîne proposée par le
gouvernement, nous exigeons la sortie de vaccins sans adjuvants et un
débat public sur la balance bénéfice-risque de la stratégie de
vaccination.
Alors que les crédits de recherche pour un vaccin contre le sida et
le paludisme sont depuis des années de vraies urgences sanitaires
mondiales, les labos privés de la vaccination concentrent leurs
recherches sur des vaccins au bénéfice sanitaire incertain
(gardasil…), mais aux bénéfices tout court assurés. Comme le dit la
mission d’information parlementaire sur la grippe aviaire : « Dans
une économie de marché, il est difficile de demander à des
industriels d’engager des investissements dont la rentabilité est
douteuse ». Décidemment, la vaccination est quelque chose de beaucoup
trop important pour être laissé aux intérêts des labos ou de l’Etat.
Le droit du travail victime de la grippe
Sarkozy et Darcos l’ont rêvé. La grippe l’a fait. Sous prétexte
d’urgence pandémique, la circulaire de la Direction Générale du
Travail du 3 juillet 2009 prévoit d’augmenter le volume horaire « par
décision unilatérale de l’employeur », précisant que « le refus du
salarié, sauf s’il est protégé, constitue une faute pouvant justifier
le licenciement ». « Allongement de la durée quotidienne de travail
au-delà de la limite de dix heures (…) dépassement de la durée
maximale hebdomadaire de travail effectif de 48h (…) limitation du
droit de retrait », suppression du contingentement des heures
supplémentaires, tout est fait pour la continuité des profits, alors
que quasiment rien n’est dit sur la santé des salariés. Les instances
du personnel ne seront d’ailleurs que consultées.
Les plans de continuité d’activité privilégient les sources de
profit, les grands comptes, la continuité de l’Etat et la
flexibilité. Notre priorité, c’est l’information, la sécurité des
personnels et du public, la sécurité des installations et le service
au public. La sécurité de tous les personnels, quand intérimaires et
sous-traitants sont parfois « les oubliés » des masques ou de
l’information. Nous voulons le contrôle ouvrier sur toutes les
décisions pour faire entendre nos exigences (CHSCT, CTP…).
Décathlon, par exemple, veut élargir les horaires d’ouverture et
ouvrir samedi dimanche « pour diluer » les contacts et maintenir ses
profits. A l’opposé, en cas de pic pandémique, nous sommes pour la
fermeture de Decathlon, assortie de l’exigence du paiement à 100% des
salariés, ce qui libérera d’ailleurs des personnes pour garder les
enfants, en cas de fermeture d’écoles. La circulaire du Travail
prévoit que cela soit pris sur « les congés annuels, congés au titre
de la RTT et congés épargnés sur le CET ». La grippe, c’est pas des
vacances. S’il faut fermer, prise en charge à 100% par l’employeur,
suppression du délai de carence de 3 jours sur les indemnités, en cas
d’arrêt de maladie. Nos vies valent plus que leurs profits.
Les gigantesques usines à porc de l’agrobusiness
C’est dans les gigantesques usines à porc de l’agrobusiness que les
fragments du virus circulant isolément depuis 9 et 17 ans se sont
recombinés en août 2008, puis transmis à l’homme en janvier 2009. Pas
de complot mondial ou de vaccin contaminé, simplement des milliers de
porcs entassés, au profil génétique toujours semblable, et bourrés
d’anti-biotiques pour toujours plus de profits, comme à La Gloria au
Mexique, dans l’usine de Smithfield, le premier producteur mondial de
porc. Déjà les gigantesques usines à poulet de Charoen Pokphand en
Asie du Sud-Est avaient été mis en cause dans l’émergence de la
grippe aviaire de 2005. Le mouvement d’hyper concentration et de
perte rapide de la biodiversité, initié par le capitalisme dans la
production de porc ou de volaille transforme l’agrobusiness en un
gigantesque incubateur, qui favorise les risques de recombinaison du
nouveau virus, scénario noir de la grippe espagnole de 1918. La
défense de la diversité génétique et d’une agriculture paysanne de
proximité font donc aussi partie de nos urgences éco-socialistes.