Les organisateurs du Forum social mondial ont diffusé, à la clôture de sa première edition, en janvier 2001, une Note d’Information par laquelle ils se proposaient à réaliser des Forums Sociaux Mondiaux tous les ans, à la même date que le Forum économique de Davos, en réalisant deja en 2002 un nouveau Forum à Porto Alegre, en même temps que stimuler la réalisation, à la même date, d’autres Forums en différents endroits du monde.
En fait, il était devenu clair que le succès de la première édition du Forum - 2.000 personnes etaient attendues, 20.000 sont venues - pratiquement « exigeait » d’autres Forums Mondiaux, comme une alternative à la pensée unique du Forum Economique Mondial. Mais il etait devenu aussi clair qu’il fallait ouvrir ce type d’espace d’échange et d’articulation dans d’autres pays, pour faire renaître partout le sentiment d’espérance d’un monde different que les brésiliens venus au Forum - plus de 80 % des participants - avaient experimenté.
Peu après, les organisateurs du Forum ont mis par écrit les choix qui, d’après eux, expliquaient son succès : le definir comme un espace réservé à la societé civile, sans la participation de gouvernements et partis, dont la présence peut être manipulatrices ; proposer le dépassement des pratiques politiques usuelles, par l’adoption des nouvelles règles dans l’organisation de cet espace : sa réelle ouverture, l’acceptation de la diversité comme une valeur, l’horizontalité dans les rapports entre participants, la non-directivité et donc l’absence des porte-voix, dirigeants ou document final. Réunies dans une Charte de Principes, ces choix sont devenus maintenant la référence fondamentale pour l’organisation de Forums Sociaux.
Plusieurs Forums ont été ensuite organisés, au niveau mondial, régional, national et même local, dans plusieurs pays du monde. Mais il a fallu 3 ans pour qu’un Forum de niveau mondial soit organisé en dehors du Brésil. Il a eu lieu en janvier 2004, en Inde. Or, sa réalisation a demontré qu’il était possible de respecter la Charte de Principes dans une réalité historique, sociale et économique bien differente de la brésilienne. La décision a été alors prise de repartir vers un autre continent - l’Afrique - après être revenu au Brésil en 2005. Les organisations africaines participantes s’etaient disposées à relever ce defi, avec l’appui du Conseil International do Forum, où plus d’une centaine d’organisations internationales, soutenant ce qui était deja devenu le processus du Forum Social Mondial, décident sur les orientations à prendre.
Ces organisations africaines ont cependant considéré qu’il etait prematuré de realiser le Forum Social Mondial en Afrique deja en 2006. Il serait préférable de le faire en 2007. Un vide s’est alors créé : que faire en 2006 ? Or, l‘idée de plusieurs Forums simultanées, à la même date que le Forum Economique de Davos, avait deja été proposé dans la Note d’Information de 2001. Elle a été alors reprise, pour l’organisation d’un FSM policentrique.
La décision d’organiser un Forum est prise par des organisations du pays où il sera realisé. Cette procedure était donc necessaire pour décider où organiser ce Forum policentrique. Des propositions sont alors venues de plusieurs pays, le résultat ayant été celui de le réaliser au Venezuela, à Caracas, au Mali, à Bamako, et au Pakistan, à Karachi, c’est-à-dire, un dans chaque continent du Tiers Monde. Une de ces propositions, venue du Maroc, s’est transformée, par décision de ses organisateurs, en Assemblée Constitutive d’un Forum Social Maghrebin, à avoir lieu au Maroc immédiatement avant le Forum de Bamako. La porte restait cependant toujours ouverte pour que d’autres Forums puissent être considerés comme faisant partie du Forum Social Mondial Policentrique de 2006, même si réalisés à d’autres dates, selon le choix de leurs organisateurs et selon l’appui que leur serait donné par le Conseil International du FSM.
La simultaneité est devenue ensuite une condition plus difficile. À Bamako sont apparrues des problèmes logistiques, et il y a eu le tremblement de terre meurtrier au Pakistan. Il a fallu alors anticiper de quelques jours le Forum de Bamako, et la date exacte de celui de Karachi sera decidée par les Pakistanais fin novembre. De toute façon, ces trois Forums constitueront une experience nouvelle dans le processus du Forum Social Mondial, à reprendre ou non après le Forum de 2007 en Afrique, qui va se realiser au Kenya, à Nairobi.
Quels sont les enjeux de cette expérience ? Certains considèrent qu’une décentralisation pourrait affaiblir l’impact du Forum dans la lutte pour le dépassement du néoliberalisme. D’autres disent qu’au contraire, sa force pourrait apparaître exactement par la création d’espaces d’echange et d’articulation simultanement dans trois continents. Il y a ceux qui pensent que les trois Forums devraient se centrer sur quelques thèmes comuns et s‘articuler entre eux, comme le ferait un mouvement. D’autres considèrent qu’étant un espace et non un mouvement, la richesse d’un Forum Policentrique serait la diversité des thèmes debatus. En fait, le programme de travail de chaque Forum découle des activités proposées et auto-gerés par ses participants. L’inscription leur permettant de connaître les propositions des autres, des thèmes comuns et des convergences apparaîtraient tout naturellement - l’objectif général de dépassement du néoliberalisme étant celui de tous. Et chacun de ces thèmes seraient à approffondir à partir des interêts réels des participants, et non par des decisions d’une autorité au dessus de tous, inexistante et inacceptable dans le processus du Forum.
Le grand défi se trouve, cependant, ailleurs : il s’agit de profiter d’une précieuse opportunité, ouverte par le respect à la Charte de Principes du Forum Social Mondial, pour un renforcement de la societé civile, dans chacun des trois pays, comme un nouvel acteur politique independant des gouvernement, des partis et de chefs politiques. Un Forum Social ouvre le chemin pour la construction de l’unité entre les organisations qui la composent, par le dépassement des barrières qui en general les divisent, par leur reconnaissance mutuelle et par la découverte de leur force autonome, dans le respect de leur diversité. La dynamique essentielle qui traverse le Forum, en tant qu’espace ouvert, est l’invitation à remplacer la dispute pour le pouvoir par l’écoute, vers un dialogue fécond qui puisse mener à la decouverte de convergences et à l’etablissement de nouvelles alliances à l’interieur de cette societé, pour lancer des nouvelles initatives de lutte et de transformation au niveau local, régional ou mondial. Le grand enjeu du Forum Social Mondial Policentrique de 2006 est donc l’effet qu’il aura dans chaque pays où les Forums seront réalisés et dans la planète, pour l’engagement d’un nombre croissant d’organisations de citoyens dans la lutte pour le depassement du neoliberalisme et pour la construction d’une societé juste et solidaire. Si cet ensemble de Forums arrive à ce resultat, on aura donné un pas important vers l’ « autre monde possible ».