Cela fait plus d’un an que le krach financier a de terribles
conséquences sur l’économie réelle, et le pire est encore
à venir. Le taux de chômage est en augmentation partout,
le nombre de faillites est sans précédent et les systèmes
sociaux sont menacés. La crise affecte l’humanité tout entière,
surtout les groupes les plus vulnérables : travailleurs,
chômeurs, paysans, migrants, fem-mes... Les crises des systèmes
alimentaire et énergétique constituent une autre
dimension du dysfonctionnement du système économique
actuel. Ce sont à nouveau les populations des pays du
Sud qui subissent le plus lourdement l’impact de ces crises
sans précédent.
Elles sont la conséquence directe d’un système de production
et de consommation basé sur des économies de
libre échange, contrôlé par les lobbies industriels et financiers,
entraînant une distribution inégale des richesses, le
transfert des revenus du travail vers le capital, un système
commercial inéquitable, le perpé-tuation et l’accumulation
d’une dette écologique irresponsable et illégitime, le pillage
des ressources naturelles, le démantèlement de la
protection sociale et la privatisation des services publics
comme les pensions de retraite, le loge-ment et les soins
de santé. Il nous faut renverser ce modèle.
L’UE – A LA POURSUITE DE RÉFORMES MARGINALES
Les gouvernements de l’UE et la Commission européenne
n’ont pas changé l’orientation de leurs politiques suite
à ces crises. Les propositions de réfor-me financière de
l’UE sont limitées et n’abordent pas les causes premières
de la crise ; elles sont loin en deça de ce qui est nécessaire
si l’on voulait instau-rer un système financier sain. Comme
par le passé, les gouvernements de l’UE font supporter
le coût de la crise aux contribuables au lieu d’instaurer le
principe selon lequel les spéculateurs doivent payer.
Les mesures de sauvetage et de stimulation prises jusqu’à
présent visent princi-palement à éviter un effondrement
économique total, mais elles ne sont pas suf-fisantes
pour assurer un système équilibré à long terme. En effet,
les fonds publics auraient du être utilisés pour soutenir
d’autres secteurs économiques, engagés dans la promotion
d’une économie socialement et environnementalement
juste. On peut aussi se demander si le soutien
apporté sera suffisant pour empê-cher la déflation et une
dépression économique de longue durée.
Alors que la plupart des pays du Sud, comme d’ailleurs bien
des Etats membres de l’UE, ne disposent pas des capacités fi-
nancières nécessaires pour soutenir et transformer leur économie,
l’UE échoue à développer des institutions alternati-ves
qui soutiendraient les investissements publics dans ces pays. A
la place, l’UE mène actuellement une politique qui renforce le
rôle du FMI et de la Banque mondiale. Or depuis trois décennies
ces institutions ont acculé les pays en dé-veloppement à
la misère par des plans d’ajustement structurels comportant
des conditionnalités. Imposer de telles conditionnalités entraîne
des contraintes supplémentaires pour les pauvres et conduit
les pays récipiendaires à une nouvelle crise de la dette.
De concert avec d’autres pays développés et les pays émergents,
l’UE signe des accords de libre échange bilatéraux et
voit dans la conclusion du cycle de Doha des mesures clés
pour relancer l’économie.
Nous soussignées organisations de la société civile exigeons
que les gouverne-ments européens s’attaquent aux causes
réelles des crises actuelles. S’en pren-dre à leurs symptômes
ne suffira pas. En Europe et partout dans le monde il nous
faut un système approfondi de réglementation qui place le
système financier au service des intérêts de la population.
Ce système devrait promouvoir un nouveau paradigme
économique basé sur la réalisation des droits humains, le
travail dé-cent, la souveraineté alimentaire, le respect de
l’environnement, la diversité culturelle, l’économie sociale et
solidaire et une nouvelle conception de la richesse.
LES REFORMES FINANCIERES DE L’EU
Les réformes portées actuellement par la CE n’indiquent
en rien la volonté de l’UE de mettre l’intérêt général au
cœur de ses propositions de réformes finan-cières. Elles
ne comprennent pas la mise en place d’une réglementation
et d’une supervision strictes des opérateurs et produits fi-
nanciers. Les directives et mesures portant sur les fonds
spéculatifs, les exigences de fonds propres, les agences de
notation, les marchés dérivés et la fiscalité de l’épargne ne
s’attaquent pas aux problèmes sous-jacents et ne font rien
pour éliminer la spé-culation qui fait tant de tort aux sociétés
et aux économies.
Quelques exemples :
• La proposition de la CE de rendre les marchés dérivés “effi-
caces, sûrs et sains”1ne comprend ni réglementation ni supervision
adéquates des produits financiers à risque.
• Les nouvelles structures de supervision décidées en juin
2009 et comprenant le Conseil européen du risque systémique
ne peuvent suffire à endiguer les risques de consortiums
financiers multinationaux..
• Les mesures actuelles en matière d’éducation financière et
de garantie des dépôts ne protègent pas l’épargne de la
population en cas de crise financière.
• Les propositions de la CE sur le prêt responsable2 n’incluent
pas de critères sociaux et environnementaux qui aideraient
à remettre sur pieds l’économie sur une base plus durable.
• Les propositions de la CE pour une réforme de la directive
sur la fiscalité de l’épargne sont insuffisantes pour aboutir à
une vraie solution au problème de l’évasion fiscale.
• L’UE soutient activement la conclusion du cycle de Doha à
l’OMC, qui comprend encore davantage de libéralisation des
services financiers avec l’AGCS et les négociations d’ALE et
d’APE (accords de libre échange et accords de partenariat
économique), ce qui entraîne une réduction de la capacité
des gouvernements à réglementer les acteurs et les produits
financiers.
Ces propositions ne visent pas à mettre un terme à la spéculation.
Par consé-quent les riches peuvent continuer à
placer leur argent dans l’économie casino plutôt que dans
l’économie réelle. Or une économie véritablement durable
sur le plan social et environnemental n’est possible qu’avec
un système financier au service de ces objectifs et non des
intérêts des spéculateurs et d’une petite minorité.
Nous demandons aux gouvernements de l’UE de
– Règlementer toutes les institutions et tous les acteurs
financiers. Tous les opérateurs financiers doivent être
règlementés et contrôlés, et ils doivent fonctionner
dans la transparence la plus totale. Il faut rétablir une
séparation claire entre banques d’épargne et banques
d’investissement.
– Règlementer les produits financiers. Il faut interdire les
opérations hors bilan, les transactions avec des paradis
fiscaux, les accords de gré à gré (over the counter, OCT)
et les opérations financières à haut risque comme les
ventes àdécouvert à nu, les véhicules d’investissement
structurés (VIS), et les obliga-tions adossées (collateralised
debt obligations, CDO). La CE devrait aussi in-terdire
la spéculation sur les denrées par des opérateurs non
commerciaux tels que les fonds speculatifs, les fonds indexés,
etc. Les opérateurs qui manipulent le marché des
matière première doivent être sanctionnés par une autorité
publique.
– Fermer les paradis fiscaux qui sont sous la juridiction
d’Etats membres de l’UE. Pour prendre en charge cette
question, l’échange automatique d’informations garanti
par un accord multilatéral est un élément-clé, accompagné
de lourdes sanctions envers les territoires et les
utilisateurs non-coopératifs
– Promouvoir les produits et institutions financiers qui servent les besoins des gens et de l’environnement. Il faut interdire
les institutions et pratiques financières hautement
spéculatives. Il faut davantage de banques publiques et
coopératives et de meilleures assurances pour garantir
l’épargne de la population.
– Obliger les banques qui reçoivent des fonds ou des garanties
publics à faire des investissements durables. Les
banques qui reçoivent un soutien public sous quelque
forme que ce soit, par exemple une recapitalisation ou
une garantie publique, devraient être obligées à soutenir
des investissements qui créent des emplois durables d’un
point vue social et écologique. Elles devraient aussi être
obligées à abandonner progressivement toute activité
spéculative et les grands projets d’infrastructure qui ne
sont pas durables. Les directeurs de banque de-vraient
être rendus légalement responsables des conséquences
de leurs activités. Les personnes affectées par des investissements
financés par des banques basées dans l’UE
doivent pouvoir intenter des actions en justice envers
les banques.
RENDRE L’ECONOMIE SOUTENABLE
D’UN POINT DE VUE SOCIAL ET ECOLOGIQUE
ET ENRAYER LE POUVOIR DES
GRANDES ENTREPRISES
Les mesures prises actuellement par les gouvernements de
l’UE pour faire face aux crises sociale et écologique sont de
courte vue et ne prennent pas la mesure de l’ampleur de
ces crises. La croyance dans le marché pour apporter des
répon-ses à la crise demeure intacte.
Quelques exemples :
• L’UE continue à défendre une libéralisation plus poussée
du commerce – via la conclusion du cycle de Doha et des
accords de libre échange bilatéraux et régio-naux comme
solution pour relancer la croissance économique.
• L’UE projette de pousser à une plus grande flexibilisation
du marché du travail européen comme réponse à la
hausse du chômage.
• L’UE continue à marginaliser la participation productive
des migrants à l’économie, déstabilise le flux de leurs
transferts financiers et intensifie leur criminalisation à travers
la Directive retour.
• L’UE soutient l’expansion des marchés d’émissions au sein
des négociations des NU sur le climat, maintenant l’illusion
que les marchés d’émissions sont une solution-clé.
Les propositions de l’UE ne s’attaquent pas aux causes des
crises énergétique, alimentaire, sociale, écologique, mais
permet aux multinationales d’augmenter leurs bénéfices
au détriment des revenus des travailleurs et des paysans,
ainsi que de l’environnement.
Nous demandons aux gouvernements de l’UE de
– Lancer un processus d’harmonisation par le haut des revenus
des travailleurs, ainsi que des droits sociaux et des
droits du travail en Europe, y compris pour les travailleurs
migrants. Poursuivant la mise en œuvre de l’agenda de
l’OIT en matière de ‘travail décent’, un processus de convergence
sociale doit être établi, incluant la fixation d’un
salaire minimum européen et la fin de la concurrence entre
Etats membres à travers l’érosion de leurs systèmes
fiscaux et sociaux. Une diminution coordonnée du temps
de travail au sein de l’UE doit être développée et mise
en œuvre. Une législation européenne mettant fin aux
contrats de travail précaires doit être élaborée, faisant du
contrat à durée indéterminée le critère de référence en
Europe..
– Investir dans des infrastructures publiques et dans la transformation
écologique de l’économie. Pour s’attaquer sérieusement
au changement climatique, il faut passer à une
économie utilisant beaucoup moins les ressources fossiles,
qui crée des emplois verts pour des millions de gens dans
l’UE et dans le monde. Les fonds publics générés par de
nouvelles taxes (voir point suivant) doivent être investis
dans la reconstruction et l’expansion d’infrastructures
publiques (che-mins de fer, transports locaux, systèmes
de production d’énergie locaux et dura-bles, enseignement,
soins de santé, etc.), des logements et des emplois
écologi-ques contribuant à la conversion écologique de
l’économie (par ex. des mesures d’efficacité énergétique,
la production locale de denrées alimentaires, etc.).
Les subventions et les aides ponctuelles prévues pour
les differents secteurs industriel devraient être utilisées
pour aider le secteur et ses travailleurs à s’investir dans
la transition nécessaire vers une économie soucieuse de
l’environnement.
– Financer les aides financières par de nouvelles taxes.
Des taxes sur les transactions financières, un impôt sur
les grandes fortune et des impôts sur les sociétés plus
importants sont nécessaires pour stabiliser les marchés
financiers et fournir des fonds publics visant à soutenir
la conversion écologique des éco-nomies. Les rentrées
fiscales devraient servir à financer le sauvetage des banques
et à soutenir les investissements publics dans la conversion
des économies, s’occupant tout particulièrement
des pays en développement et de l’Europe de l’est.
– Arrêter de promouvoir la libéralisation du commerce et
des investissements et réformer la politique extérieure
de l’UE en matière de commerce et d’investissment. Les
gouvernements de l’UE et des pays en développement
doivent disposer de l’espace de manœuvre politique
nécessaire à la règlementation de leur économie. Les
accords de libre-échange prônés par l’OMC ou les négociations
bilatérales avec d’autres pays ou régions doivent
être remplacés par des politi-ques commerciales et
d’investissement qui donnent lapriorité auxi ntérêts des
paysans,des travailleurs, del’environnement et au respect
de tous les droits humains. Les services financiers ne doivent
pas être libéralisés par de tels politiques et traités. .
o Placer la Banque centrale européenne sous contrôle
public et élargir ses mis-sions au soutien de l’emploi
et de la transition vers une économie post-carbone et
l’économie à faibles ressources.
– Etablir un nouveau système mondial de réserves. La stabilisation
des taux de change devrait être assurée par
l’introduction d’un système mondial de réserves monétaires
comme proposé lors du dernier sommet des NU
sur la crise mondiale.
ORGANISER UN PROCESSUS DEMOCRATIQUE
AVEC UN CONTROLE STRICT DE
L’INFLUENCE DES ELITES FINANCIERES
ET ECONOMIQUE
Les mêmes personnes qui se sont avérées incapables de
gérer le système financier détiennent toujours les leviers
politiques et économiques. Les acteurs finan-ciers et les
dirigeants économiques qui ont réclamé la libéralisation
des mar-chés financiers et de l’économie ont toujours
l’attention des décideurs. Les nombreuses consultations
organisées par la Commission européenne et le Parlement
européen sur les réformes nécessaires sont dominées
par les mêmes lobbies finan-ciers qui avaient obtenu
la dérèglementation. Les faibles exigences en capitaux
propres (5%) proposées pour l’émission de titres est un
exemple de l’influence de ces lobbies.
Nous demandons aux gouvernements de l’UE de
– Supprimer l’accès privilégié des banques et d’autres acteurs
financiers aux processus de décision, et ce à tous
les niveaux.
– Organiser des consultations publiques pour inclure tous
les secteurs de la société et toutes les personnes concernées.
Dissoudre les groupes contrôlés par des intérêts privés
– comme le Groupe De Larosière – ou prendre des
mesures pour s’assurer d’une représentation équilibrée.
– Soutenir un processus multilateral sous l’égide des NU
pour faire face à la cri-se. Le G20 n’est pas un organe
légitime. Les réformes doivent être élaborées selon un
processus démocratique. Tous les pays, pas seulement
les plus riches, doivent être dûment représentés lorsqu’il
s’agit de rechercher des solutions durables.
Signataires :
Africa Europe Faith and Justice Network (AEFJN)
Central and Eastern Europe Bankwatch Network
Eurodad
European Attac Network
European Coordination Via Campesina
European Marches against unemployment, insecure
labor and social exclusion
Friends of the Earth Europe
Reclaiming spaces
Seattle to Brussels Network
Terre des Hommes International Federation (TDHIF)
Women in Development Europe (WIDE)
European AntiPoverty Network
ActionAid
Organizations from EU Member States
Action Solidarité Tiers Monde, Luxembourg
AITEC, France
Asociacion Paz Ahora, Spain
Asociación Socialismo XXI, Spain
Association for the Development of the Romanian
Social Forum (AD ESR)
Attac Austria
Attac Catalonia
Attac Finland
Attac France
Attac Germany
Attac Hellas
Attac Hungary
Attac Poland
Attac Spain
Attac Sweden
Attac Vlaanderen
Belgian Social Forum
Campagna per la Riforma della Banca Mondiale
(CRBM), Italy
Centre national de coopération au développement
(CNCD), Belgium
Corporate Europe Observatory (CEO)
Ecologistas en Acción/Ekologistak Martxan/Ecologistes
en Acció/Ben Magec, Spain
El Observatorio de Multinacionales en América Latina
de la Asociación Paz con Dignidad, Spain
Federacion de Asociaciones para la defensa de la Sanidad
Publica, Spain
Forum anticapitalista de reflexion y Generacion de
Alternativas (FARGA), Spain
Intersindical Alternativa de Catalunya (IAC), Spain
Intersindical Valenciana, Spain
Observatorio de la deuda en la globalizacion,
SpainÖBV – La Via Campesina Austria
Pancyprian Public Employees Trade Union (PASYDY),
Cyprus
Plataforma de Solidaridad con Chiapas, Spain
Plataforma Rural - Alianzas por un Mundo Rural Vivo,
Spain
Romanian Social Forum
SETEM, Spain
Transnational Institute, Netherlands
Unidad Civica por la Republica, Spain
Union syndicale Solidaires, France
War on Want, UK
WEED – World Economy, Ecology & Development
Association, Germany
Zukunftskonvent, Germany
Foro Social de la Rioja, Spain
1. EC, Financial services : Commission outlines ways to strengthen the
safety of derivatives markets, Press release IP//09/1083, 3 July 2009
2. EC, Financial services : Commission launches consultation on how
to ensure responsible lending and borrowing in the EU, press release
IP/09/922, 15 June 2009 http:// eur-pa.eu/rapid/pressReleasesAction.
do ?reference=IP/09/922&format=HTML&aged=0&language=EN
and see also http://ec.europa.eu/internal_market