Document Public
Amnesty International
Index AI : EUR 21/001/2006
Section française
Embargo 8 février 2006
Introduction
Considérée pendant longtemps et par beaucoup comme une affaire privée qui ne relève que de l’intime, la violence faite aux femmes est pour Amnesty International une affaire d’État. Le 23 novembre 2005, le gouvernement a publié les chiffres d’une enquête réalisée auprès des services de police, dévoilant des chiffres déjà soupçonnés, et non moins accablants : tous les quatre jours en France, une femme meurt sous les coups de son partenaire. Parmi ces femmes, plus de la moitié avaient déjà subi des violences dans leur couple. Dans cet ouvrage, le but d’Amnesty International est de faire un état des lieux, non pas de la violence elle-même, mais de la réponse des autorités françaises à ces violences subies par les femmes. Les constats faits ici ainsi que les recommandations sont le fruit d’une année d’enquête et de synthèse réalisées auprès des acteurs impliqués dans ces domaines (1).
On peut se demander pourquoi Amnesty International s’intéresse à cette question. La réponse est simple : la violence faite aux femmes est avant tout une violation des droits humains, droit à la sécurité, à l’égalité, à la liberté, et parfois même droit à la vie. La France, signataire des principaux traités relatifs aux droits humains, est responsable devant la communauté internationale, mais avant tout devant ses citoyens, du respect de la dignité et des libertés fondamentales de chacun. Les obligations de l’État ne se limitent pas à mettre ses lois en conformité avec les normes internationales. Les autorités françaises doivent se donner les moyens nécessaires pour que ces droits soient véritablement respectés, garantis et protégés. Ceci implique non seulement de sanctionner les auteurs de ces violences, d’offrir des réparations adéquates aux personnes victimes, mais aussi de prendre toutes les mesures pour prévenir ces violences. L’État est non seulement comptable de ses actions, mais il doit aussi protéger les personnes contre des violences commises par d’autres.
Cette étude apporte un éclairage sur différentes manifestations de la violence en France, à savoir la violence dans le couple, les obstacles spécifiques rencontrés par les femmes étrangères, la question des mariages forcés, la traite des femmes aux fins de prostitution. Même s’ils ne sont pas exhaustifs, ces exemples sont significatifs : il s’agit de violences souvent cachées, durables, entretenues par un système d’emprise.
Si les actes de violence au sein du couple touchent, selon une enquête nationale publiée en 2003, près d’une femme sur dix en France (2), la réponse qui leur est faite, en particulier par la justice, reste timide. Cet ouvrage analyse les écueils que rencontrent ces femmes dans leur difficile accès à la justice. Pourtant des solutions existent. Prenant appui sur le cadre normatif des droits humains mais aussi sur la réflexion et l’expérience des acteurs de terrain, Amnesty International adresse ici des recommandations aux autorités françaises.
Par ailleurs, si des outils juridiques existent, les femmes ont souvent une mauvaise connaissance de leurs droits, et les professionnels, qu’ils soient policiers, magistrats, travailleurs sociaux, ou médecins, ne sont en général pas suffisamment outillés pour leur offrir l’accompagnement adéquat. Or, ces femmes, pour dépasser leur situation, notamment pour quitter l’auteur des violences, ont besoin d’une véritable alternative à leur portée, d’une protection et d’un projet.
La contribution d’Amnesty International à la lutte contre la violence faite aux femmes est un signal d’alarme adressé à la société et un appel à la responsabilité de l’État. Lorsqu’une femme victime de violences ose « briser le silence », comme l’y invitait une campagne de sensibilisation des années 1990, elle ne doit plus se trouver face à l’incompréhension et à l’indifférence. Quinze ans après, cette enquête d’Amnesty International montre combien il est difficile, aujourd’hui encore, d’appréhender la gravité de ce phénomène et d’y répondre. Tant que la violence faite aux femmes sera occultée ou relativisée, tant qu’elle ne sera pas suffisamment prise en compte par l’État et reconnue comme un véritable enjeu par la société toute entière, elle ne cessera pas. C’est à ce prix seulement que la France qui se revendique comme la patrie des droits de l’homme sera aussi celle des droits des femmes.
Un reportage photographique permet enfin de mettre en perspective les propos d’Amnesty International. Il suit de près le parcours de femmes confrontées à la violence au sein de leur couple. Ce choix est aussi le reflet d’une réalité : si ces violences en particulier sont de plus en plus exposées sur la place publique, les autres formes de violences abordées dans cet ouvrage sont quant à elles encore largement méconnues et comme invisibles.
25 novembre 2005.
Note méthodologique
Amnesty International a lancé le 8 mars 2004 une campagne mondiale sur les violences faites aux femmes. Cette campagne doit mettre en lumière l’étendue et la gravité des violences, sensibiliser un public aussi large que possible et faire avancer le respect des droits humains en la matière.
Par cet ouvrage, Amnesty International entend contribuer à la réflexion sur la situation en France. Cette étude repose entre autres sur des entretiens avec des professionnels - médecins, travailleurs sociaux, juristes et avocats - mais aussi avec des associations spécialisées et enfin avec des victimes. Pour ce travail Amnesty International s’est également appuyée sur les études existantes, notamment celles réalisées par des chercheurs en sciences sociales, mais aussi sur les rapports d’activité des associations rencontrées, et sur un certain nombre de rapports institutionnels, réalisés par les ministères concernés ou par des groupes de travail parlementaires.
Ce travail s’inscrit dans une logique de soutien aux activités des associations impliquées en France sur le terrain auprès des femmes et qui ont largement participé à une meilleure prise en compte de leurs droits.
Enfin le rôle d’Amnesty International est de proposer des recommandations pour l’action qui sont autant de rendez-vous pris pour l’avenir avec l’Etat et pour demain avec chacun des lecteurs.
On trouvera en annexe une chronologie, un carnet d’adresses non exhaustif de ces associations, un répertoire des mots-clefs, une liste des acronymes (3) ainsi qu’une bibliographie.
TABLE DES MATIÈRES
Introduction
Partie 1 - Contre les apparences : définitions et mécanismes
Partie 2 -Des violences au sein du couple, des violences autour du couple
La loi en France- L’absence de diligence de l’État à poursuivre les auteurs - Des amendements de la loi restent à faire... - L’accès à la justice : un parcours du combattant - Violences conjugales en contexte de migration - La question des mariages forcés - Faire évoluer les mentalités et les pratiques - Conclusion et recommandations.
Partie 3 -La traite des femmes aux fins de prostitution : à la fois victimes et délinquantes
La traite des êtres humains : un système de contrôle et d’emprise - La traite des femmes aux fins de prostitution en droit international - La traite des femmes aux fins de prostitution en France - Les femmes soumises à la traite en situation irrégulière - Conclusion et recommandations.
Annexes
- Liste alphabétique des sigles, des institutions et des associations - Mots clés.
Partie I : Contre les apparences : définitions et mécanismes
La violence à l’égard des femmes demeure aujourd’hui encore très mal connue et trop largement sous-estimée. Cette violence est étroitement liée à une discrimination qui perdure, et qui se fonde sur l’appartenance sexuelle. C’est ce qui la différencie d’autres types de violence : elle s’exerce sur les femmes avant tout parce qu’elles sont femmes. Ce dénominateur commun fonctionne comme un fil rouge qu’on appelle le « continuum » de la violence faite aux femmes.
Selon la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (ci-après Convention CEDAW), la discrimination contre les femmes est définie comme « toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes [...] des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel ou dans tout autre domaine » (4).Le sexisme consiste à nier à un « autre » un statut d’alter ego.
Dans la lutte contre les discriminations, les lois constituent un cadre normatif essentiel, mais pas suffisant. Ce n’est d’ailleurs qu’un premier pas vers l’éradication des violences faites aux femmes. Encore faut-il que ces lois soient appliquées sur l’ensemble du territoire et qu’elles s’accompagnent d’une véritable évolution des mentalités. Cette évolution là, beaucoup plus lente, est celle qui fera la différence dans la pratique.
Les violences à l’égard des femmes restent entretenues par un système de discrimination qui conforte les femmes dans une position subalterne. Toute discrimination ne mène pas pour autant à la violence. Cependant, parce qu’elle est souvent cachée, banalisée, intégrée dans les normes et les pratiques du fonctionnement social, la discrimination envers les femmes est un terreau propice à des manifestations de violence. Elle génère, aujourd’hui encore, des rapports de force et de domination et se traduit souvent par un sentiment de propriété du corps et de l’esprit des femmes.
La violence contre les femmes est une violence de genre. L’identité sexuelle n’est pas seulement déterminée par l’identité biologique, mais qu’elle résulte d’un processus particulier de socialisation. Toute violence fondée sur cette identité constitue alors ce que l’on appelle « violence de genre ». La violence est d’autant plus puissante que l’inégalité qu’elle induit et nourrit tout à la fois, est une norme de la société.
Définition de la violence contre les femmes :
La violence est une réalité difficile à définir. Le droit international propose une définition universellement admise de la violence faite aux femmes et de la discrimination dans laquelle elle prend racine. Les textes internationaux sur les droits humains, et la Déclaration universelle des droits de l’homme (5) (ci -après DUDH*) en particulier, ont inscrits l’égalité pour tous et le nécessaire respect de chacun des droits compris dans ces textes, comme un principe fondamental et inaliénable.
La violence dirigée contre les femmes est avant tout une violation ou une série de violations de droits humains fondamentaux valables pour tout être humain et protégés par les principaux traités de droits humains, tel que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après PIDCP*), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (ci-après PIDESC*), ou la Convention internationale contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Parmi ces droits on peut citer le droit de vivre libre de toute torture ou traitement dégradant ou humiliant (6), le droit à la vie (7), le droit de consentir librement au mariage (8), le droit aux meilleures conditions de travail, de logement, de santé, le droit à une protection égale devant la loi (9), le droit de vivre libre de toute discrimination fondée sur le genre, la race, l’appartenance religieuse ou sociale (10).
La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Convention CEDAW), fût adoptée le 18 décembre 1979. Elle reconnaît à la fois les formes conscientes, voulues, de la discrimination à l’égard des femmes et les conséquences discriminatoires de certains comportements ou dispositions sociales, économiques ou culturelles. Selon l’article 1 de ce traité : « L’expression « discrimination à l’égard des femmes » vise toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine. ».
Le Comité CEDAW* a expressément reconnu, dans sa recommandation N° 19, la violence contre les femmes comme une forme de discrimination, et appelé les États à lutter contre toutes ses manifestations. Les Recommandations du Comité CEDAW sont l’interprétation qui fait autorité des droits contenus dans la Convention, droits que les États se sont engagés à réaliser, respecter et garantir.
L’Assemblée générale des Nations unies a déclaré son engagement en faveur de l’élimination de la violence contre les femmes en décembre 1993. Elle a défini cette violence comme : « Tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée » (11).
La Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes n’est pas juridiquement contraignante mais pose une définition universelle de la violence envers les femmes. Cette violence englobe, sans y être limitée, les formes de violences énumérées ci-après :
« a) La violence physique, sexuelle et psychologique exercée au sein de la famille, y compris les coups, les sévices sexuels infligés aux enfants de sexe féminin au foyer, les violences liées à la dot, le viol conjugal, les mutilations génitales et autres pratiques traditionnelles préjudiciables à la femme, la violence non conjugale, et la violence liée à l’exploitation ;
« b) La violence physique, sexuelle et psychologique exercée au sein de la collectivité, y compris le viol, les sévices sexuels, le harcèlement sexuel et l’intimidation au travail, dans les établissements d’enseignement et ailleurs, le proxénétisme et la prostitution forcée ;
« c) La violence physique, sexuelle et psychologique perpétrée ou tolérée par l’État, où qu’elle s’exerce. » (12)
En outre dans son préambule, cette Déclaration rappelle que cette violence « traduit des rapports de force historiquement inégaux entre hommes et femmes », et ajoute que cette violence « compte parmi les principaux mécanismes sociaux auxquels est due la subordination des femmes aux hommes. » (13)
L’obligation d’agir des États :
Le droit international relatif aux droits humains impose aux États un certain nombre d’obligations. La plus évidente est l’obligation selon laquelle les États doivent mettre leur législation en accord avec les traités qu’ils ont signés et ratifiés, et s’assurer que leurs agents respectent l’ensemble des droits humains.
Les États ont aussi l’obligation de s’assurer que ces droits se concrétisent dans la pratique, aussi bien en termes de sanctions à l’égard des auteurs, que d’actions de prévention, et enfin en termes de réparations aux victimes. En outre, cette obligation ne concerne pas uniquement les actions et omissions commis par les agents de l’État, mais l’État doit s’assurer que les droits humains sont respectés par les acteurs privés et le cas échéant, enquêter et poursuivre les auteurs de violations de ces droits. Ainsi l’État est responsable de ses actes, mais aussi de ses omissions. Le fait de ne pas punir un acte de violence, ou de ne pas avoir pris toutes les dispositions pour protéger une personne susceptible d’être victime de violences graves, peut dès lors être considéré comme un manquement de l’État à ses engagements internationaux. Ce devoir des États est l’obligation de diligence voulue. Cette obligation implique que l’État a le devoir d’agir avec diligence pour prévenir, instruire, punir et réparer les violations des droits internationaux. L’État est responsable de faire en sorte que l’ensemble des droits humains des femmes soit respecté, aussi bien par ses agents que par les acteurs privés, et que tout manquement à ce respect soit puni conformément à la loi.
Au niveau international, différents organes des Nations unies tels que l’Assemblée Générale, le Conseil de sécurité ou le Comité des droits de l’Homme* ont tous affirmé, lors d’adoption de déclaration ou de résolutions que ces différents niveaux d’obligation s’appliquaient à la lutte contre la violence faites aux femmes (14).
Le Comité CEDAW*, précise que « la discrimination au sens de la Convention n’est pas limitée aux actes commis par les gouvernements ou en leur nom.[...] En vertu du droit international en général et des pactes relatifs aux droits de l’homme, les États peuvent être également responsables d’actes privés s’ils n’agissent pas avec la diligence voulue pour prévenir la violation de droits ou pour enquêter sur des actes de violence, les punir et les réparer ». Le Comité recommande aux États de prendre « des mesures appropriées et efficaces pour éliminer toutes formes de violence fondée sur le sexe, qu’il s’agisse d’un acte public ou d’un acte privé » (15).
Ce principe se décline en différentes obligations qui se renforcent mutuellement et permettent de créer un « cercle vertueux » de bonnes pratiques :
- Respecter : l’État est responsable de faire en sorte que l’ensemble des droits humains des femmes soit respecté, aussi bien par ses agents que par les acteurs privés, et que tout manquement à ce respect soit puni conformément à la loi.
- Sanctionner : l’État doit enquêter sur les faits ou les allégations de violence, et s’assurer qu’il y ait des poursuites à l’égard des auteurs.
- Protéger : l’État a la responsabilité de protéger les femmes qui courent un risque connu.
- Prévenir : l’État doit prendre toutes les mesures ad hoc pour prévenir les préjudices potentiels à l’égard des femmes. Ceci implique que l’État a l’obligation de lutter par tous les moyens contre les comportements sexistes, notamment en intégrant cette démarche dans ses vecteurs éducatifs, en l’intégrant dans les cursus scolaires, en soutenant des campagnes d’information régulières, en formant ses agents dans une optique égalitaire. Mais cela veut aussi dire s’assurer que les auteurs de violences au sein de leur couple ne restent pas impunis, et que l’État mette tout en œuvre pour que les femmes aient réellement accès à la justice.
- Réparer : l’État doit agir pour que les femmes obtiennent une juste réparation pour les dommages subis. Au-delà d’une indemnisation, la réparation implique aussi que la violence et les violations de leurs droits auxquelles elles ont été soumises soient reconnues et que l’auteur fasse l’objet de sanction en adéquation avec les lois nationales.
La lutte conter l’impunité, c’est-à-dire contre l’absence de poursuites et de sanctions à l’encontre de l’auteur de violation des droits humains, est au cœur de ces obligations. Elle est en soi une violation des droits de la victime qui se voit ainsi nier l’accès à la justice, à des réparations, et à une reconnaissance en tant que victime. L’impunité contribue à la perpétuation de la violence, puisqu’en restant impunis, les auteurs sont confortés dans leur sentiment de domination sur les femmes.
De quelle violence parle-t-on ?
Un certain nombre d’idées préconçues persistent : alcoolisme, trouble psychologique tant chez l’auteur que chez la victime, marque d’une culture ou d’une classe sociale défavorisée... La violence pourtant touche toutes les femmes, quelle que soit leur origine et leur occupation.
Dans les violences faites aux femmes, l’auteur est souvent connu, voire proche, de la victime. Cette proximité agit souvent comme un obstacle dans l’accès des femmes à la justice. Les services de police, les magistrats, les médecins sont encore nombreux à penser que ces violences relèvent seulement d’un conflit interpersonnel. Cette violence est largement méconnue et sous-estimée : ces actes sont aujourd’hui encore très peu dénoncés. Les femmes sont souvent les premières à ne pas oser, ne pas savoir en parler.
La violence contre les femmes, quel que soit sa manifestation, s’accompagne et se nourrit d’une forme d’emprise, système complexe de domination régi par le contrôle et la peur. La plupart des femmes qui subissent des violences se trouvent piégées : conscientes de leur situation, elles ne peuvent ou ne savent souvent pas comment en sortir. (16) De nombreuses études en France et en Europe confirment le risque réel encouru par ces femmes lorsqu’elles dénoncent ces violences, tant en termes d’atteintes à leur intégrité physique et morale, que d’atteintes à leur vie. (17) Selon les professionnels, c’est au moment de la rupture censée mettre un terme aux violences, que celles-ci risquent de s’aggraver de façon exponentielle.
L’emprise se nourrit du fait que ces violences sont souvent cachées et que la relation entre un auteur et une victime de violence est de l’ordre de l’intime. Ces femmes sont généralement isolées, menacées, et exposées à un risque réel de représailles. Parce que l’auteur des violences peut être le père de leurs enfants, ou un membre de leur famille, et parce que les femmes pourraient être perçues comme manquant de respect à l’égard de celle-ci, la culpabilité entretient le silence des femmes. Certaines se sentent responsables de l’échec du couple, sentiment d’autant plus fort qu’il est relayé par une certaine image du rôle de la femme dans le couple. Cette ambivalence est renforcée par le risque de se retrouver en grande précarité (perte de revenus et du logement) et par la peur de perdre leurs enfants. Pour les femmes soumises à la traite, le premier obstacle à la dénonciation est le risque réel de menaces et d’atteintes à leurs vies, ainsi que l’absence d’alternative concrète qui leur permettrait d’échapper à ces violences.
Partie II : Des violences au sein du couple, des violences autour du couple
A. subit les violences de son concubin depuis 1998. En 2000, elle porte plainte une première fois. Elle est orientée vers une médiation pénale, au cours de laquelle l’auteur des agressions s’engage à ne plus la violenter. À la suite de cette médiation, A. fait une tentative de suicide, et elle est hospitalisée. Après que son conjoint l’ait tirée dans les escaliers, A., munie d’un certificat médical porte de nouveau plainte. Elle est immobilisée pendant plus d’un mois et ne peut se déplacer chez elle. Son concubin est placé en garde à vue 24 heures, à la suite de laquelle a lieu une confrontation. « On était tous les deux là, et ils ne se sont adressé qu’à lui, ils ne m’ont pas demandé ma version des faits... ». En sortant, il lui dit : « t’as plus de parole car tu es dépressive et tu as été internée ». La plainte est classée sans suite.
A. n’a pas de revenus suffisamment fixes et conséquents pour trouver un logement privé. Elle a fait une demande de logement HLM, qui demeure pour l’instant sans résultat. Elle subi toujours les violences de son conjoint, mais, alors qu’elle travaille de chez elle, A. refuse de quitter le domicile, pour elle : « rester chez moi, c’est aussi résister ».
Témoignage recueilli par Amnesty International en 2005.
L’État en France a indéniablement fait un certain nombre de pas vers une meilleure prise en compte de la problématique des violences faites aux femmes au sein du couple. Cependant ces dispositions souffrent encore d’un manque de coordination, de volonté et de moyens adéquats, qui donnent lieu à une application très hétérogène sur le territoire français. Les démarches à entreprendre pour avoir accès à la justice demeurent lentes et complexes, et les femmes qui y sont confrontées sont souvent découragées devant ce qui leur apparaît comme un véritable parcours du combattant. Amnesty International rappelle que l’État a l’obligation de s’assurer que ces violences ne restent pas impunies, que les victimes obtiennent réparation et qu’au-delà, un véritable changement des mentalités s’opère, aussi bien au niveau des professionnels que de l’opinion publique.
1 - La loi en France
Des avancées récentes
Ces vingt dernières années, l’État a pris de nombreuses dispositions pour mettre sa législation en accord avec les principes du droit international et des droits humains en matière de lutte contre les discriminations et les violences faites aux femmes en France (18).
Ce n’est pourtant que depuis 1994, avec l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal, que la gravité des violences au sein du couple est reconnue par l’introduction d’une circonstance aggravante quand les violences criminelles ou délictuelles sont le fait du conjoint ou concubin de la victime au moment des faits. (19) Le viol au sein du couple est reconnu dans la jurisprudence depuis 1990.
Aujourd’hui, un nombre croissant de femmes ose briser le silence pour dénoncer les violences subies dans leur couple. Mais les lacunes, voire l’absence de réponses judiciaires apportées à ces femmes, renforcent le sentiment d’impunité des auteurs, et d’une justice qui s’arrête au seuil du foyer.
Les lois au-delà d’une fonction purement régulatrice ont une valeur normative très forte. Comme le souligne Lydia Cerniglia, de Solidarité Femmes à Grenoble, « En nommant le délit, la loi désigne comme un acte répréhensible et modifie le regard que l’on porte sur lui. Ce faisant, elle change les mentalités et façonne la culture. La loi a donc une fonction symbolique et éducative. Elle contribue à engager un véritable travail de prévention en direction des plus jeunes et à forger les comportements des générations futures. » (20)
Dans les faits, de nombreux obstacles demeurent encore dans l’accès de ces femmes à la reconnaissance de leur statut de victime.
Les dispositions prises par l’État
L’action de l’État en matière de lutte contre les violences faites aux femmes s’inscrit aujourd’hui à différents niveaux, notamment au sein du ministère délégué à la Cohésion sociale et à la Parité, ou du ministère de la Justice, sans pour autant que ces initiatives fassent l’objet d’une réelle coordination nationale.
Dans le prolongement des rencontres internationales sur la question du droit des femmes, en particulier lors de la quatrième Conférence mondiale sur les droits de la femme en 1995, puis en 2005 (21), la France a pris un certain nombre de mesures au niveau législatif et sur le plan de l’action des professionnels, afin de lutter plus efficacement contre les violences au sein du couple.
L’État en France a mis en place un service aux droits des femmes et à l’égalité, service administratif spécialisé, qui a été placé, selon les gouvernements, sous l’égide d’une Secrétaire d’État, d’une Ministre à la Parité et à l’Égalité professionnelle (22), ou plus récemment, d’un ministère délégué à la Cohésion sociale et à la Parité.
Ce service coordonne l’action d’un réseau déconcentré de délégations régionales et départementales placées sous l’autorité du préfet de région. Depuis 1989, les déléguées aux droits des femmes animent en particulier des Commissions départementales d’action contre les violences faites aux femmes, qui réunissent des acteurs de terrain, institutionnels et associatifs, pour coordonner la formation et la sensibilisation des personnes impliquées, et gérer les aspects relatifs à l’hébergement ou le logement des femmes victimes de violences.
Les actions et le dynamisme de ces commissions peuvent varier considérablement selon les régions. Elles ont cependant permis d’instaurer un dialogue essentiel ainsi que l’adoption, dans certains départements de protocoles de traitement des violences, inspirés de bonnes pratiques.
Quant à l’efficacité du service déconcentré aux droits des femmes à l’égalité, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) rappelle le « ‘rôle d’aiguillon’, bénéfique pour la mise en œuvre des politiques publiques et parfois un rôle d’expert éminent, par exemple pour la lutte contre les violences, comme dans l’Allier et la Seine-Saint-Denis » (23). Il conclut que les moyens de ce service sont relativement limités, et ses actions organisées de façon hétérogène sur le territoire national. Le rapport de l’IGAS souligne qu’une plus grande efficacité de ces services est possible, mais seulement à la faveur d’une véritable politique coordonnée et intégrée, qui placerait l’égalité des chances au cœur de toutes les actions de l’État, et ne se contenterait pas d’actions spécifiques. À ce titre le « Plan global de lutte contre les violences faites aux femmes (2005-2007) : 10 mesures pour l’autonomie des femmes », lancé par Nicole Ameline, ancienne Ministre à la Parité et à l’Égalité professionnelle, est un pas important vers l’adoption d’une stratégie coordonnée au niveau national. Ce programme d’action prévoit de mettre l’accent sur l’hébergement, l’accompagnement professionnel, et la sécurité des femmes victimes, sur les ressources des associations spécialisées, ainsi que sur le recueil d’informations et sur la prévention des violences faites aux femmes. Il est encore un peu tôt pour se prononcer sur les résultats concrets de ce plan, toutefois on peut déjà regretter qu’il n’ait pas été suivi d’une action coordonnée entre différents ministères. Il demeure une stratégie essentiellement relayée par les délégations régionales aux droits des femmes, souvent pourvues de très peu de moyens humains et budgétaires. Pour prétendre à une réelle efficacité il est essentiel qu’un tel plan soit adopté à un niveau interministériel, qu’il soit relayé par l’ensemble des autorités publiques, et qu’il fasse l’objet de réelles dotations budgétaires. Ce plan ne peut être réalisé par un seul ministère d’autant plus que depuis le changement de gouvernement intervenu suite au référendum du 29 mai 2005, le ministère à la Parité et à l’Égalité professionnelle a été relégué au statut de ministère délégué à la Cohésion sociale et à la Parité. D’un cabinet ministériel comptant plus de 20 personnes, ce ministère délégué est désormais constitué de quatre personnes avec à sa tête Catherine Vautrin.
Le 23 novembre 2005, celle-ci a présenté devant le Conseil des Ministres une communication reprenant les principaux axes de travail prévus pour l’année 2006 et fait le bilan des actions pour l’année écoulée. Plusieurs exemples de bonnes pratiques y sont mentionnés, tels que des systèmes de bons d’hébergement d’urgence, ou des initiatives en matière de réinsertion, mais ils ne peuvent être considérés comme une action coordonnée et efficace au niveau national. Cette communication présente également quatre mesures pour accompagner les victimes de violences. La première mesure, inspirée du dispositif d’accueil des personnes âgées et handicapées, concerne l’hébergement : la Ministre déléguée propose de placer les femmes victimes de violences dans des familles d’accueil rémunérées. Nombre d’associations ont déjà émis un certain nombre de réserves face à un dispositif qui risque d’infantiliser les femmes, au détriment du renforcement des moyens destinés aux structures d’hébergement existantes. La seconde mesure concerne la mise en place dans huit départements de France métropolitaine d’une prise en charge médicale plus efficace. La troisième mesure concerne le renforcement des sanctions contre les auteurs de violence, et la quatrième mesure propose une brochure d’appui pour tous les professionnels, disponible sur internet et diffusée à 8000 exemplaires. Ces mesures sont le signe d’une meilleure prise en compte de cette problématique, même si elles sont encore insuffisantes pour s’assurer d’une stratégie nationale en matière de prévention des violences, de sanction des auteurs et de protection des victimes. Notons en particulier que ce plan ne règle pas la question d’un traitement judiciaire rapide et efficace, ni la question de l’hébergement et de solutions alternatives pour les femmes victimes de violences, ni le suivi des mesures de protection, ni enfin, la question des moyens financiers, matériels et humains nécessaires à une application rigoureuse et homogène sur l’ensemble du territoire français.
D’autres ministères, dont celui de la Justice et le ministère de l’Intérieur, se sont aussi mobilisés sur cette question. En septembre 2004, la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice, a publié un Guide de l’action publique sur « La lutte contre les violences au sein du couple » (24), qui regroupe un certain nombre de bonnes pratiques, pour les acteurs impliqués dans le traitement judiciaire de ces violences. Ce guide, complet et pratique, diffusé à l’ensemble des parquets, n’a aucune valeur contraignante et demeure insuffisamment connu de l’ensemble des professionnels, aussi bien au niveau de la santé, de la police, que du social.
Dominique Perben, Ministre de la justice en place jusqu’en mai 2004, a aussi proposé aux principales chaînes de télévision un film court de sensibilisation aux violences conjugales, dans lequel apparaissait le numéro vert 08 VICTIMES. Or ce numéro n’est pas spécialisé dans le traitement des violences au sein du couple, mais dans l’écoute et le conseil à toutes les victimes de tous types d’infractions au code pénal français. Cette campagne, bien qu’intéressante témoigne bien d’un manque de coordination entre les différentes ressources existantes.
Le traitement de la violence par la justice
En France, l’accès à la justice pour les femmes victimes de violences au sein de leur couple peut se faire soit par la voie pénale, qui permet la sanction de l’auteur et l’indemnisation de la victime, soit par la voie civile qui dans ce cas permet de régler les conséquences de la rupture du couple.
Au civil : une procédure qui ne vise pas à sanctionner les auteurs et ne concerne que les femmes mariées
Le divorce
De nombreux cas de violence ne feront jamais l’objet de poursuites au pénal, soit parce que la femme n’a pas porté plainte, soit parce que la plainte n’a pas abouti. En revanche, les femmes mariées ayant subi des violences de la part de leur conjoint, peuvent avoir accès à une procédure de divorce, par laquelle elles se sépareront de l’auteur des violences. Cette procédure ne suffit pas toujours à mettre fin aux violences, la séparation pouvant occasionner un regain de violences, mais le divorce est souvent considéré comme la seule possibilité pour des femmes qui ne souhaitent ou ne peuvent pas toujours, du moins au moment des faits, envisager de poursuivre leur mari devant un tribunal pénal.
a) Les quatre formes de divorces prévues par le Code civil sont :
Le divorce par consentement mutuel est le divorce qui se présente comme le moins contentieux, puisque la requête de divorce est faite sur demande conjointe et que les époux présentent, par la même occasion, une convention réglant les conséquences du divorce.
Le divorce par acceptation du principe de rupture de mariage est demandé par l’un des époux ou par les deux, sans considération des faits à l’origine de la rupture. Le juge prononce le divorce lorsqu’il est convaincu que les deux parties ont donné librement leur accord.
Le divorce pour altération définitive du lien conjugal, demandé par l’une des parties dès lors que les époux vivent séparés depuis plus de 2 ans.
Le divorce pour faute : est demandé par l’un des époux dès lors qu’il impute à l’autre partie l’existence de violation grave ou répétée des devoirs et obligations du mariage. La violence au sein du couple peut alors apparaître comme un motif de faute justifiant le divorce.
Dans le cadre d’une procédure de divorce pour faute, la violence subie par l’un des conjoints pourra être prise en compte. Cette procédure demeure complexe et souvent lente. Les éléments de preuve de la violence sont difficiles à réunir, particulièrement si, en parallèle aucune poursuite n’est engagée au niveau pénal. Devant la complexité et la lenteur de ces démarches, mais aussi préoccupée par le risque de représailles de la part de leur conjoint, les femmes peuvent elles-mêmes être réticentes à s’engager dans une procédure de divorce pour faute, tout comme elles le sont à l’égard de la plainte.
b) Le référé violence : une mesure d’éviction du conjoint violent
Avant l’entrée en vigueur de la loi du 26 mai 2004 (25), le juge pouvait déjà prendre des mesures urgentes au moment du dépôt de la requête de divorce. Depuis l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions, soit depuis le 1er janvier 2005, la loi prévoit expressément qu’en cas « de violence exercée par l’un des époux mettant en danger son conjoint, un ou plusieurs enfants, le juge peut statuer sur la résidence séparée des époux en précisant lequel des deux continuera à résider dans le logement conjugal. Sauf circonstances particulières le logement est attribué au conjoint qui n’est pas l’auteur des violences. »(26) Cette mesure expire dans un délai de 4 mois si elle n’est suivie d’aucune requête en divorce ou en séparation des corps.
Avant 2005, le juge aux affaires familiales ne pouvait statuer sur l’attribution du domicile conjugal que lors du débat contradictoire au moment de l’audience de conciliation. Désormais, dans le cadre d’une procédure d’urgence, et indépendamment de toute procédure en divorce, le juge aux affaires familiales peut, à la demande du conjoint victime, éloigner le conjoint violent. Ces mesures concernent la jouissance du domicile conjugal, l’exercice de l’autorité parentale et la contribution aux charges du mariage.
L’éloignement du conjoint, n’est par ailleurs, pas toujours la voie que les femmes choisiront pour engager une rupture. Le domicile conjugal perçu comme le lieu où s’est exercée la violence, peut être associé à cette violence. La Fédération nationale Solidarité Femmes, qui regroupe 54 associations réparties sur le territoire national, le rappelle : « le domicile conjugal peu à peu s’associe à l’image de l’homme violent, ce lieu où le mari décide de tout, s’approprie tout l’espace vital. Dans ce fonctionnement, les femmes n’ont pas d’espace personnel, elles font partie des biens et des possessions de l’homme. » (27). Dans un deuxième temps, principalement pour des raisons économiques, les femmes pourront souhaiter y revenir.
Cette loi n’est entrée en vigueur que depuis le 1er janvier 2005, et il est donc encore difficile d’évaluer son impact sur les violences. Toutefois, on peut déjà souligner un certain nombre de ses faiblesses. Elle n’est assortie d’aucun dispositif efficace et systématique qui permette d’assurer un suivi de ces mesures, notamment en termes de protection et d’accompagnement de la victime. Un tel dispositif devrait être envisagé en lien non seulement avec les services de police mais également avec un réseau partenaire d’associations et d’intervenants spécialisés en la matière. En soi, l’éloignement du conjoint prononcé par le juge ne peut donc suffire à mettre un terme aux violences. Selon Amnesty International, cette mesure devrait s’accompagner d’une véritable stratégie de protection des victimes et de sanction des auteurs qui permettrait entres autres choses, une meilleure coordination entre le traitement pénal et le traitement civil d’une affaire, notamment pour la protection des victimes. En outre, il faut garder à l’esprit que seules les femmes mariées sont concernées par ces nouveaux aménagements.
Au pénal
Depuis les nouvelles dispositions pénales de 1994, la qualité de conjoint ou de concubin est une circonstance aggravante de certains faits de violence. Cette circonstance aggravante s’applique aux actes de torture ou de barbarie(28), aux violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner (29), aux violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente (30), et aux violences ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) de plus de 8 jours (31). L’avancée majeure de cette modification du Code pénal tient au fait que les violences au sein du couple sont un délit même si elles n’ont pas entraîné une ITT*. Cette disposition permet ainsi aux femmes de porter plainte alors même que les séquelles physiques des violences ne sont pas ou plus visibles. Ainsi, dès lors que la violence intervient au sein du couple elle doit être considérée comme un délit.
En revanche, une telle circonstance aggravante n’est pas prévue pour le meurtre, ou l’administration de substances nuisibles, la menace de commettre un crime ou un délit, le viol et les autres agressions sexuelles, la séquestration et les appels téléphoniques malveillants.
En droit pénal : réprimer ne suffit pas à protéger
Emine a été tuée par son ex-mari, Osman, après avoir divorcé puis, à deux reprises, avoir porté plainte pour violences et menaces. « Pendant presque dix ans, elle n’est quasiment pas sortie, sauf quand son mari l’accompagnait ». Elle fuit une première fois et son mari la retrouve. En 2001, le divorce est prononcé, mais il continue de la harceler, « faisant le siège de son domicile, la suivant et l’agressant dans ses déplacements ». À l’automne 2004 Osman est de retour et monte la garde dans la rue où elle habite, durant plusieurs jours. « Emine appelle régulièrement la police, qui connaît son adresse par cœur. Au commissariat de Strasbourg, la cellule de traitement des violences intra familiales, structure unique en France, confirme qu’elle a déposé plusieurs plaintes... ». Le 31 janvier 2005, pensant qu’Osman n’était plus à Strasbourg, elle sort de chez elle. Il la tue à ce moment là. Cela s’est passé en milieu d’après-midi, devant l’école maternelle du plus jeune de leurs trois enfants, à quelques mètres de l’appartement où elle vivait quasi recluse. Osman (...) a été interpellé dans un salon de thé voisin. Il était couvert de sang et s’est rendu sans résistance. Selon des témoins cités par la presse, il aurait simplement dit : « Ca y est, j’ai tué cette femme. Ca y est, je l’ai fait. » (32).
Les menaces qui pèsent sur les femmes victimes de violences au sein du couple sont réelles, et nécessitent qu’un véritable dispositif de protection soit mis en place pour assurer leur sécurité. Certaines mesures, comme la convocation de l’auteur par procès verbal, ou un simple rappel à la loi, peuvent dissuader des réitérations de violences. Cependant, comme le fait remarquer le Guide de l’action publique sur la lutte contre les violences au sein du couple : « au stade de l’enquête, aucun cadre juridique dans le dispositif pénal ne permet de contraindre le mis en cause à une absence de contact avec la victime ou à son éloignement du domicile familial » (33).
Dans le cadre du procès, des mesures peuvent être décidées, en particulier l’ajournement avec mise à l’épreuve. L’auteur ne fait alors l’objet d’aucune sanction à la condition qu’il respecte un certain nombre d’obligations décidées par le juge. Enfin, au terme du procès, le juge décide d’un certain nombre de sanctions, qui vont de la peine d’emprisonnement aux peines de sursis avec mise à l’épreuve. Le juge peut aussi statuer sur la nécessité pour l’auteur d’être suivi par une association d’accompagnement aux auteurs de violences.
Des exemples de bonnes pratiques : le parquet de Douai
D’après Françoise Guyot, vice-procureur au Parquet de Paris, « Les violences conjugales et familiales font trop souvent l’objet d’un traitement judiciaire tardif. ... l’auteur des faits s’inscrit dans un processus de violence évolutive et la victime est déjà marginalisée par l’absence d’une réponse judiciaire. Force est de constater que, dans un tel contexte un grand nombre de violences graves ou de décès consécutifs à des coups mortels pourraient être supprimés, si l’intervention du Parquet avait lieu dès les premiers signes de violences. » (34)
Luc Frémiot, procureur de la République auprès du Tribunal de grande instance de Douai, a mis en place une procédure d’intervention rapide et efficace qui s’assure du suivi des mesures adoptées. Aucun signalement de violences au sein du couple ne doit être laissé sans suite. L’auteur des faits est systématiquement interpellé. Selon la gravité des faits, il peut faire l’objet d’un rappel à la loi, d’une comparution immédiate, ou d’un éloignement provisoire du domicile (35). Cet éloignement est conçu dans le cadre d’un arrangement avec un foyer Emmaüs, qui héberge ces hommes l’espace d’une ou plusieurs semaines, pendant lesquelles, impliqués dans la vie du foyer, ils participent à une thérapie de groupe. Ils sont régulièrement suivis par une association d’aide aux victimes et de contrôle judiciaire qui accompagne aussi les femmes victimes. Au terme de cet éloignement, et toujours selon la gravité des faits, l’auteur des violences peut être convoqué devant le tribunal correctionnel ou peut rentrer chez lui s’il a rempli les conditions imposées ; l’association continuera son suivi pour s’assurer qu’aucune récidive n’intervient.
Le parquet de Douai fonde son intervention sur la rapidité, avec une comparution très rapide de l’auteur au lieu des deux, voire trois mois habituels. Il met aussi l’accent sur le suivi de l’auteur et l’accompagnement de la victime. Il a banni le recours à la médiation pénale. Sans doute encouragées par la forte médiatisation de cette politique pénale, les femmes osent de plus en plus briser le silence.
D’autres cas de bonnes pratiques existent en France. De plus en plus de parquets ou de services de police mettent en place des stratégies afin d’obtenir un meilleur traitement de la violence au sein du couple. Cependant ces initiatives ne font pas toujours l’objet d’une coordination entre les différentes autorités en jeu et surtout ces exemples sont encore assez rares pour être remarqués. Ils reposent sur l’initiative d’individus, et les réponses de la justice sur le territoire français sont très inégales. En outre, il ne suffit pas d’une réponse judiciaire pour lutter contre la violence et mettre fin à l’impunité. Les difficultés rencontrées par les femmes qui décident de quitter et de dénoncer un homme qui est souvent le proche le plus intime, parfois le père de leurs enfants ou une personne pour qui elles continuent d’éprouver des sentiments, touchent à la complexité des rapports humains. Il s’agit alors de prendre en compte la mesure de ces difficultés, et de s’assurer que ces femmes bénéficient de réelles alternatives, d’un accompagnement adéquat, et que les allégations de violence fassent systématiquement l’objet d’un traitement judiciaire.
L’Espagne : une loi cadre contre les violences de genre
La loi adoptée par le gouvernement espagnol le 22 décembre 2004 est un modèle précurseur en la matière puisque, outre des mesures de prévention, cette loi prévoit la création de tribunaux spécialisés dans les violences à l’égard des femmes où un même juge peut statuer à la fois sur les aspects civils et sur les aspects pénaux d’une affaire de violence. L’avantage de cette loi est de reconnaître dans la loi l’emprise et la domination à l’œuvre dans ce type de violence, ainsi que de proposer un cadre normatif cohérent à la lutte contre les violences faites aux femmes au niveau national. Le 25 novembre 2005, Maria Teresa Fernandez de la Vega, vice-présidente du gouvernement espagnol a annoncé que le nombre de plaintes pour violence domestique en Espagne a augmenté de 7,6% au premier semestre 2005, tandis que les ordres de protection pour les femmes menacées ont augmenté de 19%. Elle a aussi fait état de 4.421 femmes victimes de violence disposant de faibles revenus qui auraient reçu une « rente d’insertion » et de 2.149 femmes qui aurait bénéficié d’un service de télé assistance leur permettant de prévenir les secours et d’être localisables à tout moment en cas de danger.(36) En France, le Collectif national Droits des Femmes (CNDF*) a annoncé la préparation d’un proposition de loi similaire pour novembre 2006. Cette proposition est d’autant plus intéressante qu’il permettrait de lier les actions de prévention, de formation, aux mesures de protection, de sanction et d’accompagnement des femmes menacées ou victimes de violences de la part d’un homme de leur entourage.
Les difficultés et contradictions résultant de la mauvaise articulation entre le civil et le pénal en matière de violences au sein du couple
Selon Marick Geurtz, membre de la Fédération nationale solidarité femme, « Aujourd’hui, l’articulation entre les différentes procédures pénales ou civiles est largement insuffisante alors qu’elles traitent de la même histoire familiale, elles sont parfois contradictoires. » (37)
La loi en France prévoit en principe une séparation des procédures civiles et pénales. Toutefois, dans le cadre d’un référé violence il existe désormais une passerelle entre les deux puisque dès lors qu’intervient une mesure en référé violence, le parquet doit en être alerté. Cette mesure est un premier pas vers une meilleure articulation entre les procédures civiles et pénales, à condition qu’elle fasse l’objet d’un suivi au niveau du parquet.
Comme le fait remarquer Catherine Morbois, Déléguée régionale aux droits des femmes pour l’Île-de-France, jusqu’à présent en France, un homme peut faire l’objet d’une convocation devant un tribunal pénal pour faits de violences à l’égard de sa conjointe, et en même temps se voir donner un droit de visite régulier à ses enfants par le juge aux affaires familiales, sans que pour autant un aménagement soit prévu pour éviter la rencontre des deux parents. Il se peut aussi que dans le cadre d’une procédure de divorce, les violences à l’égard d’un conjoint soient reconnues comme étant motif de divorce pour faute sans qu’il y ait pour autant de poursuite de l’agresseur au pénal. À cet égard, il serait intéressant d’étudier la possibilité d’un signalement systématique au parquet des violences constatées dans les procédures civiles.
En droit pénal, une mesure d’éloignement du conjoint et du concubin devrait pouvoir être prise rapidement. Pour l’Association pour la promotion d’initiatives autonomes des femmes (APIAF) : « D’un côté, les hommes ne se sentent pas délinquants, ils reconnaissent difficilement coups, blessures et agressions diverses, en se défendant : « C’est ma femme », ou en se présentant eux-mêmes comme victimes. De l’autre, les femmes ne se sentent pas protégées : elles croient porter plainte pour se protéger, « avoir la paix », mais la loi n’implique pas cette protection : elle est faite pour punir. Il manque une mise en cohérence avec les procédures civiles (divorce, autorité parentale) qui permettrait une protection pour les femmes et pour les enfants au domicile conjugal, tout en éloignant, dans certaines conditions, le conjoint violent » (38).
2 - Des amendements de la loi restent à faire
De la création d’un délit de « violences répétées »
En droit français, la règle de non-cumul des peines prévoit qu’on ne peut cumuler les peines de même nature, et que c’est donc sur le motif le plus grave que sera jugé l’auteur des violences (39). Dans le cas de violences répétées au fil des jours, c’est le fait le plus grave qui sera jugé et non pas la répétition. Or dans le cas des violences au sein du couple, la violence s’inscrit précisément dans un cumul d’actes humiliants, dégradants, et violents, et il ne sera pas évident de pouvoir en isoler un plus que les autres. Si un seul de ces actes devait être isolé, il n’est pas évident qu’il soit suffisant en soi pour caractériser la violence, et ce malgré la circonstance aggravante dont bénéficient les violences conjugales. La proposition de loi de 2004 du sénateur Roland Courteau, inspirée des recommandations des associations et juristes spécialisés, demandait ainsi que soit inséré, dans le Code pénal, un article permettant de punir « d’une peine d’emprisonnement de trois ans le fait par toute personne de se livrer de façon habituelle à des actes de violence physique ou psychologique sur son conjoint, son ex-conjoint, son concubin ou son ex-concubin et, dans le cadre d’un pacte civil de solidarité, son partenaire ou son ex-partenaire » (40). À la suite de cette proposition, le sénateur Jean-Guy Branger, dans son rapport d’information au Sénat sur les violences au sein du couple, insiste et fait remarquer qu’ :« il existe des faits, en particulier de nature psychologique, qui peuvent être supportables lorsqu’ils se produisent peu fréquemment, mais qui ne le sont plus quand ils prennent un caractère habituel et répété » (41). La délégation du Sénat aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a d’ailleurs retenu cette proposition dans ses recommandations au Sénat. Au final cette proposition n’a pas été retenue par le Parlement au motif que la législation actuelle prévoit une circonstance aggravante dans les cas où l’auteur est le conjoint ou le concubin, ce qui permet déjà de sanctionner ces violences en tant que délit, sans devoir recourir à une évaluation des dommages subis par la victime. Il semble cependant que la seule circonstance aggravante ne soit pas suffisante pour qualifier la spécificité de cette violence, et selon Amnesty International le fait d’inscrire la violence habituelle dans la loi permettrait une meilleure prise en compte de la violence au sein du couple, aussi bien en terme de sanction des auteurs que de reconnaissance du vécu des femmes concernées.
La violence conjugale concerne aussi les « ex »
Comme le fait remarquer Aude Woillez, auditrice de justice (42), pour SOS femmes Marseille, « Lorsqu’un homme exerce des violences sur une femme avec laquelle il a vécu ou avec laquelle il a entretenu une relation de couple, cette violence n’est jamais anodine. Elle prolonge presque toujours une longue série de violences entamée lorsque le couple était uni. » (43)
Les mesures du Code pénal de 1994, qui permettent de caractériser les violences au sein du couple, n’incluent pas les ex-conjoints et les ex-concubins. Une proposition de loi qui prévoit l’extension de la circonstance aggravante à ces derniers est en cours. Elle a été adoptée à l’unanimité au Sénat le 23 novembre 2005 et mise à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le 13 décembre 2005. Il semblerait donc que cet amendement souhaité depuis de nombreuses années par les intervenants et les associations soit en voie d’adoption. Amnesty International ne peut qu’encourager une telle initiative.
3 - L’absence de diligence de l’État à poursuivre les auteurs
« D’accord, elles brisent le silence, et après ?! C’est bien de dire vous avez des droits, mais s’il n’est pas possible de les faire appliquer ? C’est indécent... » (44)
Une faible probabilité que les auteurs soient poursuivis en justice pour violence conjugale
Selon les chiffres du ministère de la Justice, il y aurait eu pour l’année 2002, 5568 condamnations pour crimes et délits commis par conjoints ou concubin, et pour l’année 2003, 7922 condamnations, soit une hausse de 2354 condamnations (45).
Cette augmentation est significative d’une meilleure prise en compte de ce type de violences par le système judiciaire. Pourtant la justice ne traite encore que partiellement ces cas de violence. La Fédération nationale Solidarité Femmes reçoit à elle seule, près de 36000 femmes chaque année, principalement pour des faits de violence au sein du couple, ce qui donne une indication de l’ampleur du phénomène. Les associations ne sont pas les seules à faire ce diagnostic. D’après le directeur général de la Police nationale, M. Michel Gaudin les violences au sein du couple constitueraient près de 30% des appels de la police de proximité, et selon ses propres propos, « de l’avis des services opérationnels, ces violences [...] progressent et se banalisent » (46).
Le système judiciaire ne peut bien entendu pas traiter les violences qui ne lui sont pas signalées. Or selon l’Enquête nationale sur les violences faites aux femmes, seulement 13% des femmes ayant déclaré des violences auraient porté plainte (47). Le nombre de plaintes déposées pour violences au sein du couple n’est pas systématiquement recueilli. Il est difficile d’évaluer de façon certaine le pourcentage de plaintes qui ont fait l’objet de poursuites. Le recueil de telles statistiques permettrait, non seulement de confronter les autorités avec une réalité chiffrée, mais aussi de saisir, à quel niveau du système judiciaire, le suivi ne s’effectue plus.
L’hétérogénéité des pratiques sur le territoire français
Un pouvoir dit « d’opportunité » laisse à chaque parquet le soin de décider de la suite à donner aux faits qui lui sont signalés. Cela entraîne nécessairement une hétérogénéité des pratiques au sein du système judiciaire français. Cette liberté peut toutefois être limitée par les orientations données par l’État.
Certains parquets se sont emparés de cette marge de manœuvre pour mettre en place des dispositifs permettant de lutter systématiquement contre les violences au sein du couple. Bien qu’encore trop peu nombreux, ils sont la preuve indiscutable qu’une volonté claire en la matière permet de lutter plus efficacement contre les violences. Comme le précise Françoise Guyot, vice-procureur au Parquet de Paris : « de nombreux parquets ont maintenant une politique pénale en la matière mais force est de constater que ces directives sont très disparates d’un tribunal de grande instance à l’autre, voire à l’intérieur d’un même département ; cette absence de cohérence est très dommageable et incompréhensible pour les victimes et les associations de terrain »(48).
4 - L’accès à la justice : un parcours du combattant
« Magistrat : « Monsieur, Vous avez commis des violences sur une personne ». Auteur des violences : « Mais non pas sur une personne, c’est sur ma femme ! » (49).
La difficulté pour les femmes de porter plainte
Le premier obstacle dans l’accès à la justice des femmes victimes de violences dans leur couple, tient à la difficulté pour ces femmes de porter plainte. Elles dénoncent en outre plus difficilement les brutalités qui se produisent dans le privé que dans un espace public ou sur leur lieu de travail (50). Certaines peuvent ressentir de la culpabilité vis-à vis de leur couple, de l’unité de la famille et du foyer qu’elles sont censées préserver. Au moment d’un éventuel départ, voire d’une dénonciation de leur part, elles s’exposent de la part de leur conjoint violent, à des risques réels de représailles y compris celui d’une atteinte à leur vie.
La police n’est pas non plus toujours formée à l’accueil des femmes victimes de violences au sein de leur couple.
N. témoigne ainsi de la première fois qu’elle s’est tournée vers la police : « La première fois, ça a été quand j’ai voulu le mettre à la porte de chez moi et qu’il m’a pris mes clés et m’a mise à la porte de mon appartement. Quand je suis allée voir la police, je me suis entendu dire : « Vous vous êtes passée de la société pour vous mettre avec ce monsieur, vous vous en passerez pour vous en séparer » (...) » (51)
Le manque d’information sur leurs droits contribue également à maintenir ces femmes dans le silence voire la dénégation. Et pourtant, l’intervention d’une autorité judiciaire peut leur permettre de dépasser la peur, prendre conscience de leurs droits et entamer un parcours de reconstruction. Selon Catherine Valadaud, chef de service au foyer Louise Labbé pour femmes victimes de violences à Paris, « le juge dit la loi et, pour la première fois, elles s’aperçoivent qu’elles peuvent affronter leur mari, son image de toute puissance tombe. » (52)
Une dénonciation qui entraîne un bouleversement dans leur vie
P. subit les violences de son concubin depuis des années. Après un changement d’emploi, celui-ci part s’installer dans une autre ville, résilie le contrat de leur location, et lui signifie qu’elle doit partir. « J’ai contacté des avocats, ils m’ont dit que juridiquement je n’existais pas, et que le bail de la maison au nom de Mr et Mme [P] ne me permettait pas de rester à la maison. (...) Je mène depuis deux ans un combat contre moi-même et contre les problèmes que je rencontre pour trouver du travail, et me sortir de ces contrats d’insertion RMI à [plus de 50 ans] renouvelable tous les 6 mois... ». Sans argent, ni travail, bien que titulaire d’un diplôme de troisième cycle, A., ne trouve pas d’hébergement. Elle n’a plus de meubles et dort sur un matelas depuis des mois (53).
Quand les menaces et la peur sont surmontées et que ces femmes se décident à parler, des questions aussi vitales que celles de leur survie économique, de l’hébergement, des enfants.... se posent. Comment pourront-elles trouver, retrouver ou garder un emploi, trouver un logement et assurer le loyer, s’occuper des enfants et garantir que ceux-ci sont protégés ? Ces femmes sont confrontées à des considérations matérielles et pratiques qui rendent très difficile leur départ du domicile et la dénonciation de leur conjoint. Dans le cas de C., depuis dix ans confrontée à la violence de son conjoint, c’est « après une scène terrible, où il la tire par les cheveux, la bourre de coups de poing et la couvre d’insultes, [qu’] elle part ‘ses deux enfants sous le bras’. Elle abandonne tout derrière elle : ‘une vie confortable, une jolie maison, ...’. Débute alors un mois et demi d’errance : avec ses deux bouts de chou âgés de trois ans, elle va changer sept fois de domicile » (54).
Des démarches complexes, un accompagnement et des solutions d’hébergement insuffisants
Lorsque ces femmes décident de quitter leur conjoint, elles se retrouvent face à des démarches complexes, souvent lentes et difficiles, source de découragement voire d’abandon.
Un certain nombre d’associations fournissent cette aide mais elles ne peuvent l’assurer dans tous les cas. À cet isolement s’ajoute la souffrance de devoir répéter devant nombre de professionnels les détails des violences qu’elles ont subies. Ces femmes fragilisées par des violences répétées, et qui cohabitent souvent encore avec leur agresseur, doivent faire preuve d’un grand courage afin de surmonter des déplacements incessants, les méandres des démarches administratives et médicales, tout en continuant à assurer le quotidien familial, en particulier auprès des enfants.
Une association chargée de l’accueil des femmes victimes de violences à Toulouse, l’APIAF*, témoigne : « Il nous faut signaler ici des difficultés de plus en plus importantes pour trouver des places d’hébergement en situation d’urgence. Plusieurs femmes ont dû repartir sans avoir vraiment de solutions. Des propositions provisoires de trois jours seulement à l’hôtel pour les femmes avec enfants ne sont pas très adaptées à ces situations où les femmes, déjà fragilisées par leur parcours de violence, ne pourront pas prendre le risque d’un « faux » départ insécurisant » (55). L’association conclut : « Nous avons l’impression d’être dans un paradoxe où les femmes « brisent de plus en plus le silence » et attendent que la justice les reconnaisse comme victimes et les protège, elles et leurs enfants » .(56)
Les campagnes nationales d’information sur les violences au sein du couple ont jusqu’à présent principalement incité les femmes à briser le silence. L’État ne s’est cependant pas assuré qu’une fois le silence brisé, la parole de ces femmes serait prise en compte et qu’elles pourraient bénéficier d’un véritable dispositif de sécurité, d’accompagnement et de réparations des dommages subis.
Les questions d’hébergement et d’accompagnement des femmes victimes de violences au sein du couple posent encore de graves problèmes. Les associations sont débordées par les demandes, et les financements se sont amoindris. La Fédération nationale Solidarité Femmes l’a ainsi dénoncé : « Sur 34 associations membres qui ont répondu à notre enquête, 19 ont des problèmes financiers : baisses de subventions, déficits accumulés, menaces de licenciements, stagnations des ressources alors que les dépenses augmentent... Les déficits et pertes de financements recensés totalisent près de 500.000 euros et ils ne couvrent pas toute la réalité. Le plus souvent les situations sont précaires, les financements stagnent. Les financements locaux ne couvrent pas les reculs des financements de l’État et ne sont pas stables d’une année sur l’autre. (57) ».
Malgré les promesses de l’ancien ministère à la Parité et à l’Égalité professionnelle (58), ainsi que le Plan de cohésion sociale, initié par Jean-Louis Borloo, ministre de l’Emploi, de la Cohésion Sociale, et du Logement, les moyens donnés aux associations spécialisées dans l’accueil des femmes victimes de violences au sein du couple ont été dans l’ensemble revus à la baisse. L’État a l’obligation de mettre en place un dispositif efficace qui permettent aux femmes d’avoir accès, non seulement aux solutions d’hébergement d’urgence, mais aussi à des logements sociaux, et à un accompagnement social et économique qui leur permet de s’extraire de l’emprise de leur partenaire violent.
De la dénonciation à la justice : les premiers obstacles
Le dépôt de plainte
Pour se saisir d’une affaire de violence conjugale, la justice doit en être informée. À cet effet, la plainte reste le moyen le plus efficace de saisir un parquet afin qu’il prenne les mesures adéquates.
C’est principalement aux commissariats et postes de gendarmerie que revient la tâche d’enregistrer la plainte puis de la transmettre aux parquets. Ce sont généralement les femmes qui font cette démarche, mais des proches ou des professionnels peuvent aussi alerter les services de police afin qu’elles se rendent sur les lieux pour dresser un procès verbal et diligenter une enquête de proximité. Ces mesures ne sont pas encore systématiquement appliquées sur le territoire français, les officiers de police manquent de moyens, mais aussi de directives claires en la matière.
Maryvonne Chapalain, Commandante de Police à la Préfecture de Paris rappelle que dès qu’il y a eu dépôt de plainte ou dépôt de main courante, le policier devrait rappeler la victime dans les 48h qui suivent. Elle remarque combien cette mesure serait idéale si elle était systématiquement appliquée (59).
Dans certains cas, le signalement est suivi d’une simple main-courante, qui ne donne pas lieu à une poursuite judiciaire. Ce choix peut aussi bien être le fait de la femme qui ne se sent pas prête à poursuivre son partenaire en justice, ou qui craint des représailles, ou encore le résultat d’orientations données par les policiers, qui jugeront les faits trop insignifiants pour donner lieu à une plainte.
Le Guide de l’Action publique sur la lutte contre la violence au sein des couples précise que « si tout service enquêteur est habilité à recevoir la dénonciation d’infractions, une bonne pratique consiste à affecter à ces tâches des enquêteurs formés à la spécificité du contentieux des violences au sein du couple, mieux à même de témoigner à la victime l’écoute nécessaire et d’évaluer au travers de ses propos la gravité de la situation. » (60). Les auteurs de cet ouvrage précisent que, sachant la difficulté des victimes de violences au sein du couple à dénoncer les faits, « il importe de saisir toute occasion pour diligenter une enquête sur une situation parfois déjà ancienne », et que « de simples mains-courantes ou procès-verbaux de renseignement judiciaire ne peuvent rendre compte de la complexité et du contexte de faits de cette nature. » (61).
Il est essentiel qu’un réel suivi soit effectué pour s’assurer que dans la pratique ces recommandations sont suivies d’effet.
Le signalement
Le dépôt de plainte dans un commissariat n’est pas la seule voie d’accès à la justice. Le droit français précise que tout fonctionnaire, officier public, ou autorité reconnue se doit de signaler tout délit ou crime porté à sa connaissance, sans délai et avec tous les renseignements, procès-verbaux ou actes relatifs (62).
Prouver et évaluer les violences
Pour prouver et évaluer les violences, les tribunaux ont recours à une évaluation en nombres de jours d’« incapacité totale de travail » (ITT).
« Toutes ces années, lorsque j’avais des marques, j’ai essayé de les faire constater par des médecins. J’ai eu des réponses très variables. Après des rapports sexuels contraints, l’un ma déclaré : « Oh, vous savez ces choses-là, chez une femme qui a déjà eu un enfant, on ne voit pas bien ». (...) La psychiatre que j’avais vue plusieurs fois car j’étais dépressive a refusé de mentionner quoique ce soit d’autre sur le certificat que les jours où elle m’avait reçue. Alors qu’elle m’avait conseillé de partir. J’avais accumulé un certain nombre de certificats médicaux mais quand j’ai demandé le divorce, mon avocate elle-même m’a « conseillé » de n’en fournir que quelques uns parce que le juge pouvait me reprocher d’avoir accepté de l’épouser alors qu’il avait été violent auparavant » (63).
Le fait que la violence prenne place au sein du couple en fait nécessairement un délit. Ici les dispositions de la loi visent la gravité de l’infraction (contravention, délit, crime) et non pas la nature des violences. Or l’acte de violence n’a pas de définition particulière en dehors des séquelles subies par la victime, ou de la qualité de l’auteur ou de la victime (mineurs, personnes ayant autorité sur une autre, conjoint, etc.). De ce fait, même en présence d’une circonstance aggravante, l’évaluation en nombre de jours d’ITT reste un élément essentiel du jugement. En théorie, les avocats impliqués dans les dossiers relatifs à des violences au sein du couple peuvent apporter au dossier tout élément de preuve, et les magistrats demander des expertises complémentaires ou l’ouverture d’une instruction. Mais, comme l’instruction (64) n’est pas obligatoire pour poursuivre un délit (au contraire du cas de crime), le certificat médical et le nombre de jours d’incapacité totale de travail constituent, bien souvent, en l’absence d’autres éléments de preuves telle qu’une enquête de proximité, la pièce maîtresse du jugement.
Malgré l’importance que revêt cette notion à la fois médicale et juridique dans les procédures pénales, elle n’est définie par aucun texte légal et donne lieu à une grande hétérogénéité d’interprétation. Ceci est d’autant plus vrai dans le cas des violences au sein du couple où il s’agit d’évaluer des violences qui sont parfois étalées dans le temps, et qui sont composées d’humiliations, de dénigrements, et de harcèlement moral et psychologique.
L’ITT est une notion confuse malgré des précisions apportées par la jurisprudence
« J’ai (...) tenté de prouver sa violence mais c’était particulièrement difficile car il prenait soin de frapper où çà laissait le moins de traces (coups de poing dans l’estomac) et les quelques certificats médicaux que j’ai pu utiliser ne mentionnaient pas grand-chose ».
Madame N., témoignage recueilli par Amnesty International.
Le certificat médical, utilisé dans l’instruction d’une affaire de violence conjugale, se décline en deux parties : la description des lésions subies et l’évaluation de l’ITT, l’incapacité totale de travail. Ce certificat peut être délivré aussi bien par un médecin traitant généraliste, que par un médecin légiste, ou un urgentiste.
Contrairement à ce que son nom indique, la définition du nombre de jours d’incapacité totale de travail n’implique pas une immobilité ou une incapacité physique totale et ne coïncide pas nécessairement avec le nombre de jours d’ « arrêt de travail », qui relève d’une autre évaluation et d’un autre certificat.
Au fil des procès, la jurisprudence a précisé que l’incapacité totale de travail (ITT) devait évaluer les répercussions des violences subies sur le « travail » au sens d’activité habituelle ou personnelle, de travail corporel, ou de toute activité, sans qu’elle soit nécessairement physique ou professionnelle. Le fait de ne plus sortir de chez soi, par exemple, doit pouvoir être pris en compte dans cette évaluation, qu’il résulte d’une fracture de la jambe, d’un hématome au visage qu’on ne veut pas montrer, ou d’un traumatisme psychique important.
Le concubin de A. la tire dans les escaliers de sa demeure pour qu’elle tombe « la tête en avant ». Le certificat médical fait état d’une « rixe conjugale » et d’un « trauma du genou gauche suite à un choc direct ». Le médecin des urgences lui établit un certificat d’arrêt de travail mais ne fait mention d’aucun jour d’ITT au motif que « les Urgences Médico-judiciaires [sont les] seules habilitées à déterminer une Incapacité Totale de Travail (ITT au sens pénal du terme) » (65). Des antalgiques lui sont prescrits. Peu après, A. consulte un spécialiste, qui, à la suite d’une radiographie diagnostique une rupture du ligament provoquée « par une traction dans les escaliers entraînant une torsion du genou gauche puis chute sur les genoux » (66). A. sera immobilisée pendant 6 semaines.
La difficulté de traduire les violences au sein du couple en ITT
Si les violences physiques peuvent faire l’objet d’une évaluation très hétérogène, les violences psychologiques sont très rarement prises en compte. Selon une avocate rencontrée par Amnesty International : « La grande difficulté c’est les violences psychologiques. Les certificats médicaux ne parlent pas assez et il est dommage que les travailleurs sociaux ne parlent pas du tout ! C’est trop le jeu du silence partout ! » (67)
Le Guide de l’action publique donne pourtant un certain nombre d’indications sur une meilleure prise en charge des victimes de la part du corps médical.
« L’incapacité totale de travail ne traduit pas uniquement des lésions d’ordre physique, mais doit aussi inclure les traumatismes psychologiques. Pour évaluer ces derniers en nombres de jours d’incapacité totale de travail, le praticien devra chercher le plus précisément possible avec la victime la correspondance entre sa souffrance psychologique et les actes de la vie courante. » (68)
À cet effet il semble absolument nécessaire dans le cas des violences conjugales, de s’assurer que le praticien puisse revoir la personne à quelques jours ou une semaine d’intervalle, afin de procéder à une deuxième évaluation, ainsi qu’à un suivi de l’état de la victime. Entres autres choses, ceci devrait permettre de parfaire l’appréciation de l’impact des violences sur la vie courante de la personne. Ici encore, cette prise en charge doit être coordonnée au niveau national, et doit être assortie des moyens nécessaires à son application.
Comme le fait remarquer Maryvonne Chapalain, Commandante de Police : « tout va dépendre de la gravité des faits. Si l’ITT est moindre, nous n’irons pas chercher forcément chercher la personne. » Françoise Guyot ajoute « certains médecins des Urgences médico-judiciaire (UMJ*) (...) marquent trois jours d’ITT (violences psychologiques) et lorsqu’il y a ce terme, la Justice en tiendra compte car les magistrats s’accrochent beaucoup au nombre de jours d’ITT, pour eux c’est un critère de preuve et ils y sont sensibles. » .(69)
Il est donc urgent de réfléchir à un moyen d’homogénéiser l’évaluation des violences et notamment de s’assurer que les violences psychologiques soient prises en compte.
Qu’advient-il de la plainte ?
Lorsque la plainte parvient au parquet, elle est examinée et, selon les faits décrits, elle peut faire l’objet d’un classement sans suite, d’une mesure alternative à des poursuites, d’une enquête ou de poursuites.
Le classement sans suite
Le classement sans suite, dit « sec », qui signifie qu’aucune mesure - rappel à la loi, garde à vue, enquête - n’a été effectuée, renforce le sentiment pour les personnes victimes, que ces violences ne relèvent pas de la justice. Il est essentiel, comme dans le cas de Douai, à l’instar d’autres parquets, d’éviter le classement « sec » de ce type d’allégation de violence.
Une des premières raisons du classement sans suite d’une plainte tient au manque de preuve ou à un préjudice jugé trop peu important ou insuffisamment caractérisé. Pour que le parquet décide de poursuivre, il lui faut disposer des éléments constitutifs d’une infraction. À moins qu’il y ait eu une enquête préalable, c’est donc très souvent le certificat médical et sa partie relative à l’évaluation de la violence, l’ITT, qui est l’élément de preuve principal du dossier. Dans la pratique, en l’absence d’élément permettant de prouver les violences, le parquet classera la plainte sans suite.
Un autre motif important du classement sans suite peut tenir à l’attitude de la plaignante. Elle peut finalement décider de retirer sa plainte, par exemple à la suite de menaces proférées par son conjoint, ou parce qu’elle espère que la situation peut changer. La victime, déstabilisée par les violences qu’elle a subies, peut être aussi dans un état psychologique peu propice à un dépôt de plainte cohérent, et sa parole en sera parfois remise en cause.
A., hospitalisée pour dépression à la suite des violences subies de la part de son conjoint, porte une nouvelle fois plainte. Face aux services de police à qui elle expose les violences subies, A. est découragée : « ma parole n’a plus aucune valeur (...) Il y aura toujours une circonstance atténuante pour l’agresseur ». Malgré des violences ayant entraîné une immobilité de six semaines, sa plainte est classée sans suite.
Le parquet peut en outre dans un premier temps décider de classer une affaire sans suite puis revenir sur sa décision. Il peut aussi décider de poursuivre une affaire quand la victime a retiré sa plainte. Les possibilités sont donc multiples, et pourtant, selon les associations, les professionnels et les victimes rencontrées, de trop nombreuses plaintes sont classées sans suite.
Les mesures alternatives
Des mesures alternatives à un jugement peuvent aussi être envisagées. C’est le cas lorsque les éléments nécessaires aux poursuites ne sont pas réunis, ou que le préjudice est jugé insuffisant pour faire l’objet d’un procès. Ces mesures peuvent prendre la forme d’un rappel à la loi, d’un avertissement, d’un classement conditionnel, d’une enquête sociale rapide, ou d’un recours à la médiation pénale.
Le rappel à la loi, l’avertissement, le classement conditionnel, ou l’enquête sociale rapide ont l’avantage d’avertir l’auteur présumé des violences qu’il ne peut recommencer sous peine de faire l’objet de poursuites pénales.
La médiation pénale appliquée aux violences conjugales : une voie inadaptée
« Pour jouer son rôle, la loi doit se donner à voir, exprimer son désaccord sur tel ou tel comportement et qualifier la transgression. Mais elle n’y parviendra pas sans procès. La tendance actuelle, qui préconise l’économie de procès, prive la loi de son essence même. » (70)
La médiation pénale est définie comme une mesure visant à « mettre en relation l’auteur et la victime afin de trouver un accord sur les modalités de réparation, mais aussi de rétablir un lien et de favoriser, autant que possible, les conditions de non-réitération de l’infraction, alors même que les parties sont appelées à se revoir » (71). Cette médiation peut prendre la forme d’une réparation obtenue sous forme symbolique (excuses, compréhension de la place de l’autre) ou matérielle - indemnisations éventuelles proposées par la victime et acceptées par l’auteur-.
La médiation pénale n’intervient que s’il y a un dépôt de plainte et que les deux parties ont donné leur accord. La grande majorité des associations et des professionnels concernés s’opposent au recours à la médiation pénale dans les cas de violences au sein du couple. Françoise Guyot, vice-procureur au Parquet de Paris fait ainsi remarquer : « La médiation pénale a pour but de favoriser la confrontation des deux parties. Or il ne s’agit pas de deux parties mais d’un auteur présumé de violence et une victime. La médiation pénale permet de rechercher une solution à un conflit. Or ce n’est pas d’un conflit dont il s’agit mais bien de violences » (72).
La médiation pénale s’avère en effet inadaptée dans les cas des violences conjugales, d’une part parce qu’elle repose sur le postulat que les deux parties sont sur un plan d’égalité, d’autre part parce qu’elle ne permet pas de signifier à l’auteur qu’il a enfreint la loi, et renforce le sentiment d’impunité de celui-ci.
Suite à une plainte déposée après deux années de violences répétées, A. est renvoyée par le tribunal de grande instance vers une mesure de médiation pénale. Le médiateur lui signifie : « Vous n’allez quand même pas compromettre la carrière de monsieur ». A. fait remarquer : « on ne m’a pas demandé ce que je faisais (...), il fallait faire passer avant tout la carrière de monsieur, un architecte ». À la suite de la médiation, le médiateur adresse au concubin de A. la lettre suivante : « Je soussigné, M. X, déclare prendre l’engagement de ne plus me montrer violent envers ma compagne Mme C. de ne plus la menacer de quelque manière que ce soit. Je regrette les faits qui me sont reprochés. » (73) A. retire sa plainte : « j’étais fatiguée psychologiquement, je n’avais plus aucune force ». A tombe alors en dépression et fait une tentative de suicide (74).
La médiation pénale implique donc que les deux parties ont la même autonomie, la même liberté de parole. Or, dans les cas de violences conjugales, les femmes sont généralement soumises à un système d’emprise qui entrave leur possibilité de s’exprimer librement.
En outre, le médiateur pénal est rarement préparé à intervenir sur les questions de violences au sein du couple. Tout citoyen peut prétendre devenir médiateur pénal. Il est alors investi de sa mission par le procureur de la République, et reçoit à ce titre une formation minimale qui ne fait l’objet d’aucune homogénéisation sur le territoire national.
Le Guide de l’action publique préconise un certain nombre de précautions lors du recours à cette mesure, notamment si l’auteur est d’une dangerosité particulière, si la victime apparaît particulièrement traumatisée par la situation, si le mis en cause est dans une attitude de déni total, ou si l’un des deux est opposé à la mesure (75).
Ces précautions ne peuvent s’appliquer que si les médiateurs pénaux ont une formation adéquate et s’ils sont conscients des difficultés liées à l’application de cette mesure dans les cas de violences conjugales. En outre, il est indispensable que les victimes soient informées de leurs droits et qu’elles soient accompagnées d’un avocat, tout particulièrement au moment où elles consentent à cette mesure.
Cependant les différentes précautions citées impliquent que le parquet ait connaissance des faits, ce qu’il ne peut estimer en l’absence d’une période d’instruction ou d’une enquête sociale rapide.
Amnesty International émet donc de sérieuses réserves quant au recours à la médiation pénale dans les cas de violences au sein du couple. D’autres mesures, telles que le rappel à la loi, l’enquête sociale rapide et l’éloignement du conjoint violent, voire l’injonction de traitement thérapeutique pour les auteurs de violence sont plus appropriées et doivent être privilégiées.
Les poursuites : la sanction des auteurs
Dans le cas où le parquet décide de poursuivre devant le tribunal, l’auteur, s’il est jugé coupable, sera sanctionné en fonction des peines prévues par le Code pénal. Les peines d’emprisonnement et les amendes, sont finalement peu utilisées dans le cas des violences au sein du couple. Plusieurs associations et avocats rencontrés par Amnesty International ont signalé que de nombreux procès pour violence au sein du couple se soldaient encore par des peines avec sursis. Le Sénateur. I. de Richemont, rapporteur de différents projets de lois relatifs aux violences conjugales remarque : « les sanctions prononcées restent très en deçà des maxima légaux prévus par la loi. Par exemple, en cas d’ITT supérieure à huit jours, la durée moyenne des peines d’emprisonnement ne dépasse pas, en général, six mois de prison, alors que l’application de la circonstance aggravante pourrait porter cette peine à un maximum de cinq ans de prison. » (76) Le faible nombre de condamnations est le résultat de l’ensemble des difficultés énoncées ici, et contribue à maintenir les femmes dans leur silence. L’exemple espagnol montre comment une politique ferme à cet égard peut libérer la parole des femmes. Depuis l’adoption l’été 2004 de la loi contre les violences de genre, l’Espagne a ainsi enregistré une hausse de 7,5% de plaintes.
5. Violences conjugales en contexte de migration
Les rapports de domination et de violence des hommes sur leur conjointe sont un phénomène qui traverse toutes les classes sociales, les cultures et les nationalités. Pour autant, certaines constructions sociales, telles que celles fondées sur l’origine, l’âge, ou l’orientation sexuelle sont parfois la source d’inégalités qui peuvent favoriser ou renforcer l’emprise d’un conjoint sur l’autre. Il ne s’agit pas alors de considérer ces différentes caractéristiques comme des éléments qui s’additionnent, mais de les considérer comme les éléments d’un système d’inégalités et de domination complexe où les différentes formes de discriminations, et d’exclusions s’imbriquent et se renforcent mutuellement.
Dans le cas des femmes étrangères, en situation irrégulière et victimes de violences conjugales, les difficultés sont multiples : dénoncer leur situation à la justice, la police, ou aux services sociaux leur apparaît très souvent comme un risque de perdre toute possibilité de séjour sur le territoire français. Or, le retour au pays d’origine dans ces conditions revient à s’exposer au rejet, à l’ostracisme, voire à des menaces ou des atteintes à leur vie : pour avoir échoué dans leur mariage et porté ainsi préjudice à la dignité de la communauté toute entière.
Parfois la réponse de la police et de la justice à ces violences sera atténuée par le recours à des arguments de type culturel. Les comportements sexistes et dominants se trouvent alors légitimés par des normes sociales sur lesquelles il est jugé préférable de ne pas se prononcer (77).
Différents contextes, mais une précarité commune : leur droit au séjour en jeu
Ces contextes imbriqués et complexes sont particulièrement valables dans les cas de migration (78), qui cumulent les différentes formes de discrimination et d’exclusion. En sus des différentes difficultés rencontrées par l’ensemble des femmes soumises à des violences au sein de leur couple, les femmes étrangères (79), particulièrement lorsque leur situation administrative (80) est précaire, sont confrontées à des obstacles supplémentaires. Généralement peu informées de leurs droits, elles sont souvent plus isolées lorsqu’il s’agit d’organiser un départ, trouver un hébergement, un travail, une alternative viable. Haoua Lamine, responsable de l’association Femmes de la terre, insiste : « le fait de ne pas avoir de titre de séjour, dans beaucoup de cas, revient à ne pas avoir de droit. Cette certitude empêche d’agir, et est responsable de la perpétuation de nombreuses situations qui pourtant pourraient être améliorées. » (81)
Bien que toutes les femmes soient susceptibles d’être confrontées aux violences au sein du couple, les femmes étrangères se retrouvent ainsi encore plus isolées. Parce qu’elles sont plus souvent sans solutions alternatives, ces femmes représentent ainsi près de trente pour cent des femmes accueillies par les associations de la Fédération nationale solidarité femmes sont étrangères.
L’isolement des femmes étrangères confrontées à la violence au sein de leur couple est renforcé par un risque réel de perte de leur titre de séjour, en particulier s’il est conditionné par leur statut de conjointe de Français ou de titulaire de carte de séjour. Leurs maris ou conjoints, conscients du fait que ces femmes dépendent d’eux pour obtenir ou renouveler leurs titres de séjour sur le territoire français, n’hésiteront pas à engager une forme de chantage aux papiers, en menaçant par exemple leurs femmes de dénoncer leur mariage comme un mariage blanc à la préfecture, si elles décident de porter plainte.
« Madame B. est marocaine, mariée avec un français. Ils se sont rencontrés au Maroc. Il lui a promis monts et merveilles, elle a tout quitté pour lui, son pays, son travail et sa famille. Elle a obtenu une première carte de séjour. Il est rapidement devenu violent, a refusé qu’elle travaille, a voulu en faire son objet, y compris sexuel. Elle s’est enfuie et a voulu porter plainte contre lui. Au commissariat, on lui a dit qu’une main courante suffirait. Elle a pu trouver des structures qui l’ont aidée les premiers jours de sa fuite, puis elle a trouvé un travail et un logement. Peu à peu, elle a commencé à se remettre du traumatisme que son mari lui a fait subir. Furieux qu’elle ne revienne pas au domicile conjugal, il a fait annuler le mariage en prétendant que c’était un mariage blanc. La préfecture ne lui a pas renouvelé son titre de séjour parce que son mariage avait été annulé, et l’a invitée à quitter le territoire. N’ayant plus de titre de séjour, elle a perdu son emploi et son logement. Par la suite, elle a appris que son mari en était à son troisième mariage, répétant chaque fois la même manœuvre, sans jamais être inquiété. » (82)
Certains ne s’encombrent pas de telles négociations, et si leur femme ne se comporte pas comme ils le souhaitent, ils pourront les mettent à la porte de chez eux sans pour autant faire l’objet d’aucune poursuite.
« Madame D. est ivoirienne. Elle s’est mariée en Côte d’Ivoire, de manière coutumière (mariage qui n’est pas reconnu en France), avec un Français. Il l’a fait venir en France. Elle s’est aperçue alors qu’il vivait déjà avec une autre femme, et que cette dernière voulait en faire sa « bonne à tout faire ». Un enfant est né, français parce que son père est français et l’avait reconnu. Le jour où Madame D. s’est révoltée, son « mari » lui a pris son passeport et la première femme l’a chassée. Elle s’est retrouvée à la rue avec un enfant, que son mari voulait lui prendre. Elle n’avait pas de titre de séjour. Elle aurait pu en obtenir un en prouvant que son fils était français. Pour cela il fallait les papiers du père qui refusait, pensant avoir là un bon moyen de la tenir à sa merci. » (83)
La réponse des autorités françaises : avancées et lacunes
La loi du 26 novembre 2003(84) a réduit de dix à un an la validité du titre de séjour pour les membres de la famille qui bénéficient d’un regroupement familial. Si une rupture de vie commune intervient dans un délai de deux ans qui suit la première délivrance de la carte de séjour temporaire, la femme peut se voir refuser le renouvellement de sa carte ou se la voir retirer (85). Cependant, depuis 2003, « lorsque la communauté de vie a été rompue à l’initiative de l’étranger en raison des violences conjugales qu’il a subies de la part de son conjoint, l’autorité administrative peut accorder le renouvellement du titre ». (86)
Cette nouvelle disposition en faveur d’une meilleure prise en compte des violences à l’égard des femmes étrangères est un premier pas important. Elle ne sera suivie d’effet que si, en pratique, les femmes ont accès à l’information, et aux dispositifs d’accompagnement, d’aide et de soutien. Elle laisse une grande marge de manœuvre aux préfets, ce qui, dans les faits se traduit par une grande hétérogénéité des pratiques. Dans certains cas, comme dans celui du département 93, cela s’est traduit par une prise en compte importante des violences par les autorités préfectorales. Les femmes étrangères victimes de violences, en situation irrégulière ou exposées au risque de perdre leur titre de séjour, ont pu faire l’objet d’une régularisation qui leur offre alors un droit au travail, une plus grande chance de trouver un hébergement, une formation si nécessaire et donc une chance d’échapper à l’emprise de leur conjoint.
Cependant, dans d’autres régions, plusieurs travailleurs sociaux, déléguées régionales et associations nous ont confié que ces régularisations demeuraient rares. Nombre de femmes sont encore confrontées à l’absence de sensibilisation des policiers qui refusent d’enregistrer leur plainte sous prétexte qu’elles n’ont pas de titre de séjour. Ce qui est contraire à la loi. Les travailleurs sociaux et le personnel médical ne sont pas non plus suffisamment sensibilisés aux droits dont ces femmes disposent ni aux possibilités qu’elles ont de faire les démarches nécessaires Les difficultés pour faire reconnaître les violences au sein du couple sont importantes, pour toutes les femmes, mais encore plus pour les femmes étrangères en situation irrégulière. (87) Il est donc essentiel que les femmes, quelle que soit leur situation administrative, aient accès à la même protection et prise en compte de la part des autorités publiques. L’État doit s’assurer que l’information est accessible pour tous en plusieurs langues, et que tous ses agents sont sensibilisés à cette problématique très particulière.
6 - La question des mariages forcés
Entre violences familiales et conjugales, que viennent renforcer les contraintes liées aux situations migratoires, les mariages forcés sont un concentré trop souvent ignoré ou sous-estimé de violences faites aux femmes et aux jeunes filles en France.
De quoi parle-t-on ?
« Le mariage forcé c’est tout mariage imposé et qui est contracté au nom d’intérêts supérieurs : la Patrie, l’Église, la religion, la lignée, la consolidation d’intérêts ou l’augmentation du patrimoine... » (88)
Les mariages forcés sont des pratiques traditionnelles et coutumières qui sont contraires aux droits fondamentaux et aux droits des femmes. Forcer une femme à une union, qu’elle soit institutionnelle (alors appelée mariage) ou symbolique, religieuse ou traditionnelle (ici référée comme union) est une négation de sa liberté, de son droit à l’égalité qui entraîne généralement des atteintes graves à son intégrité physique et morale. Ainsi, le droit international a-t-il reconnu le principe du libre consentement au mariage comme un principe fondamental consacré par la DUDH* et le PIDCP* et de nombreux textes émanant d’organes des Nations unies. Toutefois ce n’est que très récemment, à l’occasion de l’adoption en 2003 du Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, relatif aux droits de la femme, que l’âge légal du mariage a été fixé à 18 ans pour les deux parties. Récemment différents textes régionaux ont pris des dispositions contre ces pratiques. En témoignent :
- la Charte africaine des droits et du bien être de l’enfant, adoptée en 1990 et rentrée en vigueur en 1999, qui dénonce les mariages et les fiançailles d’enfants ;
- la Déclaration de Bamako des ministres africains francophones pour la protection de l’enfance du 29 mars 2001 qui précise que « le consentement des futurs époux doit être manifesté librement. Dans le cas contraire, le mariage est nul et tout acte sexuel sera considéré comme violence sexuelle. »
- Le Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, relatif aux droits de la femme, adopté en 2003 (en particulier son article 6).
La situation en France
Les situations de mariages forcés en France sont très diverses, et appellent des réponses adaptées. Sont ainsi concernées :
- des filles (89) et femmes titulaires d’un titre de séjour en France ou de nationalité française qui sont le plus souvent menacées d’un mariage forcé à un homme résidant dans leur pays d’origine ou dans celui de leurs parents. Un tel mariage peut se faire à l’occasion d’un voyage à l’étranger, lors duquel elles peuvent se retrouver contraintes de rester sur place ; il peut également avoir lieu en France.
- des filles ou des femmes étrangères, arrivées sur le territoire pour épouser un Français ou un compatriote.
Le mariage civil, seul mariage reconnu, est régi par le Code civil et le Code de procédure civile. L’homme doit avoir 18 ans révolus, et la femme 15 ans (90). Il n’existe pas d’infraction spécifique de « mariage forcé », mais un certain nombre de dispositions du droit commun permettent de poursuivre les auteurs d’un mariage forcé, voire dans certaines conditions, de prononcer l’annulation du mariage. Pour cela, encore faut il être en mesure de détecter un mariage forcé.
Une prise de conscience récente
A la fin des années 1990, les associations et les délégations régionales aux droits des femmes, et particulièrement celle de l’Île-de-France (91) se sont mobilisées pour attirer l’attention des autorités publiques sur cette question. Grâce à l’action d’associations comme le réseau « Agir avec elles » (92), l’association Ni Putes Ni Soumises, le Mouvement français pour le planning familial ou le GAMS, les autorités et le public français ont pris la mesure de l’ampleur du phénomène. Qu’elles soient majeures ou mineures, ces femmes ont avant tout besoin d’être protégées, hébergées et accompagnées dans le respect de leurs droits. Ceci implique aussi de tenir compte de leur désir de ne pas briser tous liens avec leur famille et leur parent.
En 2002, le ministère de l’Éducation nationale a organisé un colloque à ce sujet (93). En 2003, le Haut Conseil à l’Intégration formule à son tour un certain nombre de recommandations destinées à prévenir ces pratiques sur le territoire. A ce jour, la plupart de ces recommandations demeurent encore d’actualité.
Les conséquences des mariages forcés en terme de violences faites aux femmes
« Qu’apprend une adolescente le jour de ses noces obligées ? Que son corps et sa vie ne lui appartiennent pas... » (94) Violences, viols, grossesses non désirées, pressions de la part de la belle-famille, condition de servitude, séquestrations, etc., sont des pratiques couramment associées aux mariages forcés. Ces violences sont autant de moyens d’assurer un régime de contrôle sur la femme forcée au mariage. Ces violences, parce qu’elles s’exercent au cœur de ce qui devrait être un endroit sûr, le foyer, ont des conséquences dramatiques sur la vie des femmes concernées : comportements autodestructeurs, tentatives de suicide, consommation de drogues, échecs scolaires, délinquance, troubles alimentaires, psychosomatiques, perte d’identité, détresse psychologique.
Les recours pour les femmes victimes de mariages forcés
En amont, les différentes étapes permettant d’empêcher un mariage forcé et les responsabilités des citoyens et des professionnels
La loi française prévoit que tout citoyen a l’obligation de porter assistance à personne en danger, dès lors que cette dénonciation n’entraîne pas de risques démesurés(95). Sont en principe exemptés de cette obligation les professionnels astreints au secret professionnel. Toutefois, l’article 226-14 du code pénal lève le secret professionnel de « celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu’il s’agit d’atteintes sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ». La loi précise en outre qu’aucune sanction disciplinaire ne pourra être prise à l’encontre de ce professionnel.
Par ailleurs, la loi du 10 juillet 1989 sur la protection de l’enfance rappelle l’obligation de signalement faite aux personnels ayant connaissance de violences exercées à l’encontre d’un mineur de 15 ans. Cependant, enseignants, médecins, infirmières et travailleurs sociaux ne pourront intervenir que s’ils ont conscience du risque. Il leur faut pour cela être formés et sensibilisés à l’évaluation de la situation, de la dangerosité et des risques décelables d’un mariage forcé.
La nécessité d’un accompagnement adapté
Une fois les autorités informées, il est essentiel qu’un accompagnement soit fourni à la jeune fille ou à la femme menacée. Une femme peut en effet être réticente à une médiation qui impliquerait une confrontation avec sa famille ; l’intervention des autorités peut aussi précipiter la décision des parents. Comme toute femme victime de violence, il est essentiel qu’elle soit accompagnée dans ses démarches et que sa sécurité soit garantie à toutes les étapes de la procédure de justice.
Christine Jama, juriste membre de l’association Voix de Femmes, explique : « Dans l’accès au droit des victimes, il faut insister sur le rôle vraiment essentiel de l’écoute. Beaucoup de jeunes femmes ont besoin de faire des allers-retours avant de prendre une décision. Décider de rompre avec sa famille pour éviter un mariage forcé, ce n’est pas chose aisée. » ( 96)
En aval, une fois le mariage contracté : les recours
« Je veux qu’on m’efface ça (l’acte de mariage) »
« Pourquoi je dois divorcer, j’ai jamais été mariée ! »
Selon Latifa Drif du Mouvement Français pour le Planning Familial de l’Hérault, « la majorité des jeunes filles souhaitent une annulation de mariage pour une réparation symbolique » (97)
Recours en annulation
Le mariage forcé n’est pas un délit en soi. En revanche, le Code civil établit qu’« il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement »(98), le mariage peut donc être annulé par le juge à la demande d’un des époux ou du ministère public (99). Dans tous les cas, cette annulation doit intervenir dans l’année où le mariage a été formé. Toutefois pour que les juridictions françaises soient saisies il faut qu’existe un « facteur de rattachement » à la France, à savoir : la nationalité, le fait que le mariage ait été célébré en France, ou encore le fait que le domicile conjugal soit sur le territoire français (100).
Dans le cas où le mariage a lieu à l’étranger
Le code civil prévoit qu’un mariage contracté à l’étranger ne pourra faire l’objet d’un traitement judiciaire en France que si l’un des deux époux est français. Dans le cas où les deux époux seraient de nationalité étrangère, c’est la loi nationale du pays dont ils ont la nationalité qui prime. La loi française prévoit que tout « mariage contracté à l’étranger fait foi s’il a été célébré selon les règles du pays concerné, éventuellement coutumières si l’État en question les intègre dans son propre droit. » (101)
Avant transcription sur les registres d’état civil
Pour être valable en France l’acte de mariage étranger doit alors être transcrit sur les registres d’état civil par le service central d’état civil du ministère des Affaires étrangères, basé à Nantes. L’époux qui souhaite faire annuler son mariage, peut, si l’un des deux époux est français, saisir directement le procureur de la République afin qu’il fasse obstruction à la transcription de l’acte de mariage sur les registres français. L’agent diplomatique, ou consulaire, chargé de transcrire l’acte de mariage en France peut également suspendre la transcription et alerter le procureur de la République s’il estime que le mariage peut, ou doit, être annulé. Cette procédure est à la charge de l’État, ce qui permet de décharger la femme d’une certaine culpabilité, mais aussi de la protéger, puisqu’elle peut faire valoir que ce n’est pas elle, mais bien les autorités françaises qui sont à l’origine de cette décision.
Toutefois le délai d’action est très court : le procureur a 6 mois pour agir en nullité, et depuis 2005, l’ensemble de ces procédures est centralisé par le service central d’état civil du ministère des Affaires étrangères, basées à Nantes (102).
Après transcription
Une fois le mariage transcrit, il peut encore faire l’objet d’une annulation. Cette procédure est complexe, très lente, et coûteuse. En théorie les femmes peuvent à cet égard avoir recours à une aide juridictionnelle qui leur permet de financer cette procédure. En pratique, le délai d’obtention de cette aide est rarement rapide et simple.
Enfin si le mariage a été célébré à l’étranger sans la présence de la femme, et qu’elle est de nationalité française, le mariage sera considéré nul en France (103). Dans ces cas les autorités consulaires et les ambassades françaises ont un rôle essentiel à jouer pour faciliter la mise à l’abri et le rapatriement de ces femmes.
La question des codes de statut personnel
Le droit international, en particulier celui relatif aux droits humains, prime sur les lois nationales, ce qui permet de statuer sur un certain nombre de conflit de lois. Tout individu résidant sur un territoire, bien que soumis aux lois de ce territoire, reste, pour les questions personnelles, soumis au droit national du pays dont il a la nationalité. Les accords bilatéraux conclus par la France avec certains pays, notamment d’Afrique du Nord, accroissent encore la complexité des questions de juridictions.
Par exemple, le Code civil prévoit qu’en matière de divorce, la loi française peut s’appliquer à deux étrangers dès lors que leur résidence principale est en France. L’accord bilatéral conclu avec le Maroc en 1981, fait exception à cette règle. Les résidents marocains sur le territoire français qui souhaitent divorcer seront ainsi soumis à la loi marocaine.
De nombreuses femmes en France, seront ainsi confrontées à la complexité des conflits de lois, et malgré leur présence en France, resteront soumises aux statuts personnels prévus par les codes et lois en vigueur dans leur pays d’origine.
À ce titre, comme l’avait déjà recommandé le Haut Conseil à l’Intégration en 2003, et comme le recommande à nouveau en mars 2005 le rapport conjoint du ministère délégué à la Parité et à la Cohésion sociale et du ministère de la Justice, il serait important de permettre à toutes les femmes en France victimes d’un mariage forcé et de violences qui peuvent l’accompagner, de bénéficier des mêmes protections de la part des autorités françaises que l’ensemble des femmes.
Le cas des femmes mariées de force à l’étranger, qui perdent leur droit au séjour en France
La loi française prévoit qu’une personne étrangère titulaire d’une carte de résident, valable 10 ans, perd toute prérogative au séjour dès lors qu’elle quitte le territoire français pendant plus de 3 ans (104). Cela peut être le cas de certaines femmes et jeunes filles, nées sur le territoire français, ou qui y ont suivi une grande partie de leur scolarité, ou dont toutes les attaches familiales sont en France, qui peuvent se retrouver contraintes au mariage et retenues dans un pays dont elles ne connaissent rien ou presque. Au-delà de trois ans d’absence, elles n’ont plus accès qu’à un visa touristique pour rentrer en France, qui les autorise à rester au mieux trois mois sur le territoire.
Amnesty International demande à l’État de prendre toutes les dispositions pour faciliter le retour de ces femmes, et pour permettre qu’elles retrouvent leur droit au séjour.
D’autres recours possibles
Il est aussi possible de poursuivre le mariage forcé au titre des violences commises au sein du couple. Toutefois, au-delà des difficultés propres à ces démarches qui sont celles que rencontrent toutes les femmes victimes de telles violences en France, les femmes d’origines étrangères sont confrontées à un surcroît de difficultés liées :
- à leur statut administratif : c’est le cas du regroupement familial, mais aussi de toutes les femmes demandeuses d’asile qui se sont vues refuser un titre de séjour, ou qui bénéficient d’un titre de séjour précaire, dont elles ignorent, si elles en obtiendront le renouvellement,
- à une ambivalence d’autant plus forte que ces femmes ne voudront pas forcément renforcer les stigmates qui frappent leur communauté en dénonçant les injustices dont elles sont victimes,
- à leur méconnaissance de leurs droits fondamentaux.
Les limites de la « lutte » contre les mariages forcés
Des associations impliquées sur le terrain auprès de victimes de mariages forcés ou de menaces de mariages forcés, notamment celles réunies au sein du réseau « Agir avec elles » - Voix d’elles, GAMS, CAMS - se sont prononcées contre la création d’un délit de mariage forcé. Une telle incrimination poserait selon elles de nouveaux problèmes : les femmes n’oseront plus venir dans les associations de peur de voir leurs parents poursuivis. En effet ce qu’elles souhaitent en général, c’est l’annulation du mariage, et non des poursuites contre leurs parents. La création d’un délit spécifique de mariage forcé permettrait pourtant de poursuivre les auteurs d’un mariage forcé sans pour autant avoir recours à des infractions plus graves tels que le viol, violences sexuelles, etc. Que faire alors ?
Il est essentiel de permettre à ces filles et ces femmes de bénéficier des mêmes protections que l’ensemble des femmes victimes de violences, notamment celles victimes de violences au sein de leur couple, et de lutter contre l’impunité des auteurs.
En lien avec l’ensemble des associations de terrain, l’Etat devrait lancer une étude sérieuse de cette question, afin de concevoir les moyens d’une répression plus efficace du mariage forcé.
En parallèle, une mobilisation et une sensibilisation de tous ceux qui sont amenés à être en contact avec les personnes menacées est nécessaire, en particulier, l’Éducation nationale, les professionnels de la santé et les travailleurs sociaux. L’objectif est aussi qu’ils soient impliqués dans le développement d’une stratégie de prévention des mariages forcés, fondée sur l’égalité des filles et des garçons, traduite dans la garantie d’un accès aux droits et à l’éducation à la sexualité.
Il est enfin essentiel de renforcer les actions déjà entreprises d’informations aux primo-arrivants dans une langue qu’ils comprennent, ainsi que dans les ambassades et les consulats, afin que chacun, homme ou femme, soit outillé pour identifier ces pratiques et les prévenir.
7 - Faire évoluer les mentalités et les pratiques
La réponse de l’État dépendra de sa capacité à faire évoluer les mentalités et les pratiques. Concrètement, cette action passe par la formation et la sensibilisation des professionnels.
Les professionnels confrontés aux questions de violences dans le couple - agents judiciaires, policiers, professionnels de la santé - doivent être sensibilisés et correctement formés pour que les droits des femmes soient pleinement garantis et respectés.
La recommandation n°19 du Comité CEDAW(105) rappelle aux États qu’« il est indispensable pour la bonne application de la Convention de fournir au corps judiciaire, aux agents de la force publique et aux autres fonctionnaires une formation qui les sensibilise aux problèmes des femmes. ». Cette affirmation se retrouve dans la déclaration sur l’élimination de la violence contre les femmes, dans la résolution 52/86 de l’Assemblée générale des Nations unies et dans le Programme d’action de Pékin. Ce dernier insiste sur la nécessité pour les États de financer ces formations (106).
Les professionnels de la santé, interlocuteurs-clefs des femmes, encore trop peu sensibilisés
Les femmes victimes de violences conjugales sont peu enclines à dénoncer les brutalités dont elles font l’objet de la part de leur partenaire. Toutefois lorsqu’elles y parviennent, leur premier interlocuteur est généralement le médecin.
L’Enveff a ainsi interrogé ces femmes pour tenter de savoir à quelles institutions, commissariat, avocat, travailleur social, médecin, services médico-judiciaires, ... elles avaient fait part de ces violences. Il ressort de cette enquête que « [Les] brutalités du conjoint, pourtant légalement les plus condamnables, sont les moins dénoncées aux institutions judiciaires. En revanche, moins les faits sont déclarés auprès des institutions judiciaires, plus ils sont rapportés auprès des médecins ». Et de conclure : « On voit là combien la formation du personnel de santé doit être aujourd’hui une préoccupation prioritaire. » (107)
Cependant, la formation initiale des médecins ne comporte aucun module obligatoire sur la question des violences au sein du couple et les médecins sont encore souvent démunis devant les révélations de leurs patientes.
Dans le cas le plus courant, la femme s’adresse à son médecin généraliste, qui est souvent aussi bien un familier de la victime que de l’auteur des violences. Cette proximité peut agir comme un frein. Lorsqu’elles le dépassent, la difficulté intervient alors du côté du médecin. Que répondre à une dénonciation de violence ? Le médecin peut être tenté de la réduire à une affaire privée, ou de mettre en doute la parole de la victime, qui, soumise à des violences psychologiques répétées de la part de son conjoint peut s’avérer confuse dans ses déclarations. Un médecin peut aussi recevoir des femmes en consultation pendant des années et passer à côté des violences dont elles font l’objet. S’il s’agit de coups, les femmes ont appris à les dissimuler. En outre, dans les cas où le médecin aurait décelé les violences, ou pris en compte la parole de la victime, il n’est pas forcément armé pour savoir comment y répondre, comment accompagner et protéger la victime.
Les Urgences médico-judiciaires (UMJ) des interlocuteurs dédiés mais trop rares
Les UMJ, urgences médico-judiciaires, sont les services les plus à même de recevoir les femmes victimes de violences conjugales. Les UMJ ont en effet pour fonction d’accueillir les victimes de tous types d’infractions qui peuvent faire l’objet d’un certificat ou d’une demande d’expertise de la part des tribunaux. Les femmes victimes de violences au sein du couple s’y rendent soit sur les indications de la police, soit suite à des coups et blessures qui les ont amenées à se rendre à l’hôpital.
Les UMJ sont néanmoins peu présentes sur le territoire français. Il en existe dans les hôpitaux universitaires, et très rarement dans d’autres structures hospitalières, sauf en Île-de-France où elles existent dans chaque département. Ailleurs, il y en a en moyenne à peine une par région, souvent située dans la plus grande ville. Les femmes qui vivent à l’écart des grandes villes y ont plus difficilement accès. Par ailleurs, Patrick Chariot, médecin légiste et un des co-auteurs du Guide de l’action publique, précise : « ce n’est pas parce qu’un service existe qu’il est pour autant beaucoup fréquenté », en effet il regrette que la police n’oriente pas forcément les personnes vers les UMJ, préférant encore souvent s’en remettre au certificat du médecin de famille. (108)
Les UMJ sont généralement composées d’une équipe pluridisciplinaire, avec un ou plusieurs médecins, un psychiatre ou psychologue. Certaines UMJ ont aussi des accords avec des associations habilitées à y assurer une permanence juridique ou psychologique. Les consultations en UMJ peuvent faire l’objet de différentes formes de financements. Si la consultation prend place à la requête d’un tribunal, les frais seront à la charge de l’instance judiciaire. Dans les autres cas, les frais de consultation seront à la charge de la femme.
L’État a organisé par le biais de ses ministères ou des collectivités territoriales, différentes séances de formation destinées aux professionnels de la santé. Les associations se sont aussi largement investies dans ce travail de formation. Toutefois, il relève de la responsabilité de l’État de s’assurer que cette formation soit continue et systématique pour tous les professionnels de santé.
La police
L’accueil des femmes victimes de violences conjugales dans les commissariats s’est considérablement amélioré ces dernières années. Plusieurs associations signalent pourtant qu’il arrive encore que les policiers découragent les victimes de porter plainte, en particulier si elles ne peuvent fournir un certificat médical attestant des violences.
Marie-France Casalis, conseillère technique à la Délégation régionale d’Île-de-France pour les droits des femmes, et Maryvonne Chapalain, Commandant de police à la Préfecture de Paris, précisent ainsi que les policiers sont désarçonnés par les « allers- retours » des femmes, qui, souvent, après avoir porté plainte, viendront la retirer. Certains discréditent encore la parole des femmes. Comme le rappelle Maryvonne Chapalain : « les femmes viennent rarement après chaque épisode de violence, mais plutôt après des années de violences ». Elle ajoute que souvent « les femmes hésitent à porter plainte parce qu’elles croient que leurs enfants vont leur être enlevés, ou encore que « ça va s’arranger ». Or comme elle le fait remarquer : « C’est aussi le rôle des policiers de leur faire réaliser que ce sont là probablement des mythes. » (109).
Le rôle du policier est pourtant essentiel puisqu’il constitue souvent la seule voie d’accès de ces femmes à la justice. Une meilleure formation des policiers et une meilleure connaissance de la difficulté que rencontrent les femmes amenées à porter plainte et à quitter leur conjoint, leur permettraient de leur fournir un accueil plus adapté.
L’État, pour former les policiers à la réalité des violences conjugales, propose notamment des stages, principalement concentrés dans la région parisienne. En outre, la collaboration mise en place dans le cadre des commissions sur les violences faites aux femmes, coordonnées par les déléguées régionales aux droits des femmes, sont des lieux propices à un meilleur dialogue entre les associations et les services de police. Enfin dans quelques villes de France, on a pu assister à la mise en place de cellules spécialisées dans les violences conjugales, par exemple à Strasbourg, ou de référents spécialisés dans les commissariats (à Paris).
Ces mesures sont très encourageantes, bien qu’elles s’organisent de façon hétérogène sur le territoire national. Elles gagneraient à s’inscrire dans un projet global et national où de réels moyens seraient mis en place pour s’assurer que l’ensemble du corps policier soit formé à la réalité des violences au sein du couple. Cette stratégie devrait aussi prévoir la mise en place de dispositifs adaptés à l’accueil des femmes dans tous les commissariats sur le territoire national.
Une meilleure sensibilisation des magistrats est nécessaire
Selon Françoise Guyot, vice procureur du Parquet de Paris et chargée de mission sur les violences faites aux femmes, la faiblesse du système judiciaire dans le traitement de cette question, tient notamment à l’insuffisance de la sensibilisation et de la formation des magistrats en la matière (110). Selon elle : « la participation à des dispositifs partenariaux a permis aux uns comme aux autres d’acquérir une meilleure connaissance de ces situations en multipliant les angles d’approche, il n’en reste pas moins que la compréhension de la réalité des violences au sein du couple n’est pas toujours bien intégrée par la justice : ses complexités et les dimensions psychologiques restent difficiles à appréhender par les magistrats. » (111). Elle fait aussi remarquer que cette question n’apparaît pas au programme de l’École de la magistrature, même si récemment certains enseignants y ont consacré un groupe de travail.
Les magistrats ont un rôle essentiel dans l’accès à la justice des femmes victimes de violences. Les magistrats du parquet disposent de l’opportunité des poursuites : c’est à eux que revient la décision d’instruire une affaire et de décider de poursuivre ou non le mis en cause. Pour cela ils n’ont pas besoin que la femme maintienne sa plainte, puisqu’une fois qu’une affaire leur est transmise, ils peuvent s’ils le jugent opportun décider d’y donner suite. Cette option permet de retirer une partie de la culpabilité portée par les femmes, même si elle doit être utilisée avec une grande prudence, et avec l’accord de la victime elle-même.
Les magistrats ont aussi le pouvoir, et donc la responsabilité, de statuer sur des mesures à prendre afin de garantir la protection des femmes victimes de violences conjugales. Ils peuvent dès le début de la procédure, décider de convoquer le mis en cause, ou prendre des mesures d’éloignement de celui-ci. Par la suite, une fois la condamnation prononcée, ils pourront décider d’autres mesures qui, en théorie, garantissent une certaine sécurité et tranquillité de la femme.
La question de l’insuffisance du traitement judiciaire sur la question des violences au sein du couple ne peut pas être abordée sans prendre en compte l’absence de moyens humains et matériels à laquelle les magistrats sont confrontés. Françoise Guyot, vice-procureur évalue à près de 1000 le nombre de procédures qu’elle doit traiter par mois (112). En outre, les parquets ne peuvent agir seuls devant l’ampleur du travail à mener. Seul un travail concerté entre les différents professionnels, de l’État et du monde associatif, peut être efficace.
Le travail au sein des commissions départementales contre la violence faite aux femmes a permis de poser des premiers jalons Ces avancées positives vers une meilleure prise en charge des violences conjugales par les magistrats, ne seront suivies d’effets que si elles sont accompagnées d’une sensibilisation et d’un renforcement de la formation initiale et continue en la matière.
8- Conclusion et recommandations
S’il existe des mesures et dispositions relatives à la lutte contre la violence au sein du couple, celles-ci sont disparates, morcelées et appliquées de façon hétérogène sur le territoire national.
Amnesty International appelle l’État à mettre un cadre à son intervention, et à s’assurer que tous ses services ont les moyens et les informations nécessaires à une action coordonnée et efficace. Enfin Amnesty International demande aux autorités françaises de s’assurer que toutes les femmes victimes de violences au sein de leurs couple en France ont droit à la même protection, quelles que soient leur nationalité et leur situation administrative.
Amnesty International recommande en particulier à l’État
- d’inclure par voie législative le délit de violences habituelles pour les violences au sein du couple, d’étendre la circonstance aggravante aux ex-concubins/conjoints ;
- de s’assurer que l’évaluation de l’ITT soit homogénéisée, et qu’elle permette la prise en compte des différentes formes de violences exercées à l’encontre des femmes. Cette évaluation doit aussi être l’occasion d’offrir un suivi à ces femmes ;
Mettre fin à l’impunité et protéger les victimes
- Amnesty International enjoint les autorités de s’assurer d’une meilleure articulation entre les procédures civiles et pénales
- Dès lors que les autorités compétentes prennent connaissance d’une situation de violence, elles doivent s’assurer, sans délai que des mesures de protection adéquates soient prises pour protéger les femmes de nouvelles violences, que les auteurs soient convoqués sans délai devant la justice et éloignés du domicile si la situation le demande. En cas d’éloignement, il est indispensable que s’opère un suivi, aussi bien auprès de la victime que de l’auteur.
- Amnesty International émet de sérieuses réserves quant au recours à la médiation pénale dans les cas de violences au sein du couple.
Des moyens pour agir
Amnesty International enjoint les autorités de :
- s’assurer que les associations spécialisées disposent de fonds permanents et adéquats afin de poursuivre leur action ;
- renforcer les moyens du Service aux droits des femmes et à l’égalité et s’assurer que tous les départements sont dotés d’une Commission d’action contre les violences faites aux femmes. Celles-ci devraient se réunir régulièrement.
- renforcer la coordination au niveau national notamment afin de permettre le recueil d’informations quant à l’action de l’État sur l’ensemble du territoire ;
- doter les services de police de nuit comme de jour des moyens et des effectifs nécessaires à la réalisation de leur mission de protection des victimes et de répressions des violences ;
- s’assurer que des dispositifs d’hébergement, des solutions de logements et un accompagnement socioprofessionnel sont réellement disponibles pour les femmes victimes de violences au sein de leur couple. Ces dispositions doivent être intégrées dans une politique cohérente et coordonnée, tant au niveau national que local, de façon homogène.
Prévention, sensibilisation, formation
Amnesty International demande aux autorités de
- mettre en place des formations continues pour tous les professionnels impliqués sur le terrain ;
- s’assurer que les numéros verts et l’information sur le droit des femmes soient accessibles à tous et toutes ;
- s’assurer que les statistiques et les enquêtes sur ce sujet soient mises à jour, et que les ministères de la Justice et de l’Intérieur récoltent systématiquement le nombre de plaintes pour violences au sein du couple déposées, puis le nombre de celles qui sont jugées ou classées, et ce en précisant le sexe de la victime et de l’auteur ;
- s’assurer que des campagnes de sensibilisation soient régulièrement organisées au niveau national ;
- organiser en lien avec l’Éducation nationale une sensibilisation des élèves sur la question de la sexualité et de la prévention des comportements sexistes.
En matière de lutte contre les mariages forcés, l’État doit agir avec la diligence voulue pour prévenir les mariages forcés, enquêter sur ces actes et les punir conformément à la législation nationale. Il doit ratifier la Convention des Nations unies de 1962 sur le consentement au mariage, l’âge du mariage et l’enregistrement des mariages.
L’État doit veiller :
- à effectuer une étude en profondeur de ce phénomène, à travers par exemple une enquête dans les établissements scolaires ;
- à ce que soient mises en place des structures d’hébergement pouvant accueillir les filles/femmes menacées ou déjà victimes de mariages forcés qui sont dans l’obligation de quitter leur domicile ;
- à ce que ces structures comprennent un accompagnement par des psychologues et des éducateurs ;
- à ce que des aides financières soient versées à ces filles afin qu’elles puissent assurer la poursuite de leurs études ou une formation professionnelle ;
- à ce que soit mise en place une politique de sensibilisation coordonnée au niveau national, afin de mettre un terme aux disparités entre les régions ;
- à ce que les subventions accordées aux associations luttant contre le mariage forcé ne soient pas revues à la baisse ;
- à assurer aux fonctionnaires (travailleurs sociaux, personnels de l’Éducation nationale, membres des services de police et de gendarmerie) une formation sur le sujet ;
- à sensibiliser les officiers d’état civil à avoir une vigilance accrue pour déceler ce genre de problème ;
- à adopter des mesures de prévention et d’information auprès des élèves des collèges et lycées.
Partie III : La traite des femmes aux fins de prostitution : à la fois victimes et délinquantes
La traite des femmes pour les contraindre à la prostitution est non seulement une infraction pénale, mais aussi une violation des droits humains qui expose, entres autres choses, ces femmes (113) à des atteintes à leur liberté, leur sécurité, leur intégrité mentale et physique, voire même des atteintes à leur vie. Le droit international, en particulier les traités des droits humains, imposent à la France le devoir de respecter et protéger les droits des personnes qui font l’objet de traite des êtres humains. Au vu de ces obligations, les autorités françaises se doivent d’agir avec diligence afin de prévenir la traite des êtres humains, d’enquêter sur les allégations de tels faits et d’en sanctionner les auteurs, et enfin de porter assistance aux victimes et d’assurer que des réparations adéquates leurs soient attribuées.
Depuis l’adoption de la loi sur la sécurité intérieure en 2003, la France a introduit l’infraction de traite des êtres humains dans son droit national et aggravé les sanctions prévues pour le proxénétisme. Cette loi prévoit aussi qu’une autorisation provisoire de séjour peut être délivrée aux victimes de la traite à condition que celles-ci dénoncent leurs trafiquants. Pour autant, aucun dispositif n’est prévu pour assurer la sécurité de ces personnes, et les structures d’accompagnement font cruellement défaut.
Aujourd’hui, en l’absence d’une réelle volonté politique assortie de moyens permettant d’identifier les personnes victimes de la traite des êtres humains aux fins de prostitution, celles-ci sont considérées comme des délinquantes. Elles sont sanctionnées d’une part comme prostituées se livrant à une activité de racolage, et d’autre part, pour certaines, comme migrantes en situation irrégulière. Or les textes internationaux demandent aux autorités de s’assurer que ces personnes aient accès à l’information sur leurs droits dans une langue qu’elles comprennent. L’ensemble des professionnels impliqués, notamment les responsables de l’application des lois, les magistrats et les services sociaux, doivent être initialement et régulièrement formés à la réalité de la traite des êtres humains aux fins de prostitution. Enfin les femmes soumises à la traite doivent disposer d’un accueil et d’un accompagnement adéquat et sécurisé, qui garantissent la protection de leurs droits fondamentaux et ce sans qu’aucune forme de conditionnalité ne leur soit imposée.
La France ne peut se satisfaire de poursuivre et de sanctionner les trafiquants, mais doit nécessairement mettre le respect et la protection des droits fondamentaux de la personne au cœur de son action. Amnesty International appelle les autorités françaises à s’assurer que les personnes aux mains des trafiquants puissent bénéficier d’une aide et d’une protection sans condition, et qu’elles ne soient pas sanctionnées pour des actions qui résultent de leur condition de victimes de la traite des êtres humains.
Les témoignages rapportés ici ont été obtenus lors d’entretiens conduits par Amnesty International avec les personnes soumises à la traite, ou encore par le truchement de leurs avocats et des associations qui les ont accompagnées.
1- La traite des êtres humains : un système de contrôle et d’emprise
La traite des femmes pour les contraindre à la prostitution constitue l’une des atteintes les plus graves aux droits fondamentaux de la personne. (114) Ces femmes sont soumises à de nombreuses violations de leurs droits, de la part des trafiquants et de ceux qui achètent leurs services. Elles sont d’autant plus exposées aux violences qu’elles se trouvent dans des pays où les autorités publiques bafouent leurs droits et leur dénient protection et accès à la justice.
En France trop souvent encore, les autorités et la société ne veulent voir en elles que des prostituées qui troublent l’ordre public, et, dans le cas où elles sont en situation administrative irrégulière, des indésirables que l’on ne peut aider.
« Pourquoi moi ? » : parcours de femmes
Plusieurs fois, à l’occasion de son témoignage, F. demande : « Pourquoi moi ? Pourquoi est-ce que moi j’ai fait l’objet de traite ? Pourquoi est-ce que moi j’ai été désignée par les trafiquants pour récolter l’argent ? Et pourquoi maintenant je suis condamnée ? Pourquoi moi ? »
La plupart des femmes (115) soumises à la traite aux fins de prostitution en France, sont originaires de pays d’Europe de l’Est, des Balkans, de pays d’Afrique du Nord, d’Afrique subsaharienne et du continent asiatique. Des cas de femmes françaises nous ont été rapportés, mais ils sont beaucoup plus rares.
La France est aussi bien un pays de destination que de transit temporaire, avant que ces femmes ne soient acheminées par les trafiquants vers un autre pays, généralement européen. Ces femmes peuvent aussi être recrutées, contraintes ou enlevées par les trafiquants, une fois arrivée sur le territoire français.
C. Boucher, directrice de l’Association les Amis du Bus des femmes (116) témoigne : « Au départ c’est l’envie de s’en sortir, trouver de quoi faire vivre sa famille ou juste travailler quelques années pour mettre de côté pour les projets d’avenir. Elles payent un passeur pour obtenir des papiers ou trouver un moyen de quitter le pays. Parfois elles ont connaissance du risque de prostitution mais elles se disent qu’elles seront plus fortes. La logistique des trafiquants est phénoménale, l’organisation du réseau est telle qu’elles ne pourront pas résister. »(117)
À l’origine de ces trajectoires de vie, il y a généralement un contexte de précarité, d’instabilité sociale et économique, de pauvreté, et parfois de conflit armé. Dans de nombreux pays, les femmes sont confrontées à une inégalité d’accès à l’éducation, au marché du travail, à la justice, et font l’objet de violences spécifiques liées à leur statut de femmes. À ces inégalités fondées sur le genre, peuvent s’ajouter des discriminations liées à l’appartenance à une communauté minoritaire, ou fondées sur l’origine. La traite s’inscrit ainsi dans un parcours de discriminations et de violences. La perspective d’une migration ou la promesse d’un emploi rémunérateur à l’étranger est un piège efficace pour les femmes qui désirent s’extraire de ce contexte, et ce n’est qu’une fois aux mains des trafiquants, que celles-ci s’apercevront de la réalité et de l’ampleur de la violence.
Les voies de migration légales sont soumises à un sévère contrôle de la part des États d’Europe de l’Ouest en général et de la France en particulier, et les obstacles se multiplient dès lors que les migrants sont des migrantes, peu qualifiées et sans ressources. Comme le fait remarquer l’association Cabiria : « Les femmes disposent de très peu de voies légales et indépendantes leur permettant de migrer vers le marché du travail d’un autre pays. » (118).
À l’occasion de la préparation de la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, (119) différents groupes d’experts (120) ont insisté sur le fait que la discrimination fondée sur l’appartenance sexuelle s’accompagne généralement d’autres formes de discrimination, en particulier fondée sur l’appartenance raciale, ethnique et sociale, exposant de cette façon certains groupes de femmes qui désirent échapper à ces discriminations à des risques d’exploitation. À ce propos la Rapporteuse spéciale des Nations unies chargée de la question de la violence contre les femmes, y compris ses causes et ses conséquences, a rappelé que : « les femmes ont souvent comme unique possibilité, le choix entre le travail domestique non-déclaré, ou l’industrie illégale du sexe. Une fois qu’elles y sont, elles sont confrontées à des stéréotypes discriminants, comme celui d’être une prostituée et une migrante en situation irrégulière. » (121). Elle insiste sur le fait que ces femmes, appréhendées principalement au motif de l’irrégularité de leur séjour, ont très difficilement accès à une reconnaissance et à une réparation adéquate des préjudices subis de la part des autorités.
Les trafiquants tirent parti de ces inégalités et des difficultés rencontrées par les femmes dans leur accès à un emploi, à l’éducation ou la protection sociale. Ils les attirent et les recrutent au moyen de fausses promesses, de tromperie et d’abus, n’hésitant pas à recruter dans leur entourage, ou à enlever des femmes. Celles-ci sont alors vendues une première fois, parfois même plusieurs fois, et seront, à force de violences, d’humiliations quotidiennes, de privation de liberté et de menaces, contraintes à se prostituer.
Face à ce véritable régime de terreur, les femmes n’auront de cesse de mettre en place des stratagèmes de survie et de résistance, en refusant, et en ayant recours à tous les moyens, y compris la collaboration, afin d’éviter les coups, les traitements dégradants et humiliants, ou les représailles.
À ce stade il est essentiel de préciser que la traite des êtres humains doit absolument être dissociée du trafic illicite de migrants. En effet, la distinction entre les deux est souvent estompée, notamment dans un souci de contrôle des frontières. (122) Or, d’une part la traite des êtres humains ne nécessite pas qu’une frontière soit franchie, et d’autre part, son objectif ultime n’est pas le transport mais l’exploitation d’autrui, au moyen de contraintes, d’un recours à la force ou de menaces, d’abus ou de tromperie.
Les moyens utilisés par les trafiquants pour contrôler les femmes
Les petites annonces, l’utilisation de « rabatteurs », mais aussi la pauvreté qui incite les familles à envoyer les enfants travailler pour subvenir aux besoins de ceux qui restent. Les moyens ne manquent pas pour tromper et abuser les femmes, et parfois les familles, à la recherche d’un avenir plus prometteur. Ce recrutement peut prendre la forme d’un contrat fictif, symbolique ou réel : la famille ou la femme sont alors redevables d’une certaine somme, annoncée comme devant servir au passage vers un autre pays, et qui n’est en fait que le début d’un engrenage de servitude pour dettes.
Pour K. l’exploitation a commencé très tôt. Originaire d’une petite ville d’un pays d’Europe de l’Est, elle est vite prise dans un engrenage de dettes, de drogue, et se retrouve livrée à un proxénète local par l’intermédiaire de celui qu’elle prend pour son petit ami, Y. Après avoir emprunté de l’argent à Y., K. et une amie vont être contraintes pour la première fois à se prostituer. K. raconte : « On a appelé Y. On lui a demandé de nous prêter de l’argent. Il nous a dit qu’on devrait le rembourser dans une semaine. Comme c’était mon petit ami, je ne me doutais de rien. Dix jours plus tard, il nous a dit qu’on devait rembourser notre dette et il nous a présenté à B. et A. (un homme et une femme). Ils étaient proxénètes et on nous a dit que c’était juste pour une fois, une manière de rembourser notre dette. Ils nous ont dit que ce qu’on allait faire allait rester entre nous. J’ai dit d’accord et je l’ai fait une fois. Au retour à l’office (bureau des proxénètes), ils m’ont offert une poudre blanche qui s’appelle PICO. J’étais dégoûtée de ce que je venais de faire et j’en ai pris. Le lendemain, ils sont venus me trouver et ils m’ont offert une nouvelle dose. Une fois que je l’ai prise, ils m’ont dit que je devais la payer. J’ai dû alors retourner dans l’office et j’ai été obligée de travailler pour eux pendant un an. Je leur devais tout le temps de l’argent. J’ai quitté le lycée et je dormais dans une chambre en haut de l’office. J’ai dit à ma mère que je vivais avec mon copain. Y a accepté de confirmer devant mon frère car il était trop inquiet. Quand j’ai eu 18 ans, ils m’ont dit que je devais partir [dans un pays d’Europe occidentale] pour rembourser ce qui restait et le reste je pouvais le garder. Je n’ai donc pas eu le choix et j’ai dû obéir ».
Elle sera vendue une première fois, puis une seconde, à la suite de quoi elle sera forcée de se prostituer en France. Ses tentatives d’évasion ainsi que ses démarches auprès des autorités françaises pour échapper aux trafiquants se solderont par un échec.
Dans certains pays d’Afrique sub-saharienne, ces reconnaissances de dettes peuvent s’accompagner de véritables rituels perpétrés par des référents spirituels, qui scellent ainsi un lien très puissant aux yeux des personnes concernées (123).
Quels que soient le contexte et le pays d’origine, le « recrutement » s’opère souvent par des connaissances ou des personnes influentes dans la communauté d’origine. Cette proximité entre recruteur et victime facilite au départ la confiance de ces dernières. Elle opère ensuite comme un garant du silence et de l’obéissance des femmes. En effet, les trafiquants sont plus à même de cibler leurs menaces contre leurs victimes : ils connaissent leur langue, leur ville et village d’origine ainsi que leurs familles et leurs proches, et peuvent menacer de s’en prendre à ces derniers. Jouant sur la honte, l’isolement et les liens sociaux des femmes, les trafiquants maîtrisent les rouages de la violence psychologique et n’hésitent pas, pour certains, à avoir recours à la violence physique contre elles ou leur famille, afin d’instaurer un véritable régime de terreur.
Une fois arrivées en France, ou parfois dès le départ, papiers, affaires personnelles et liberté sont confisqués ; les contacts avec l’extérieur sont soigneusement restreints. Les viols répétés font souvent partie des violences qui accompagnent et entretiennent ce contrôle.
F. a été recrutée par un homme qu’elle prenait pour son petit ami, qui lui promet un emploi dans un pays voisin. Une fois la frontière passée, le « petit ami » s’absente, et entre cinq et sept hommes s’introduisent dans la chambre d’hôtel. Ils lui feront subir des viols répétés, assortis de violences physiques et menaces, jusqu’à ce qu’elle n’oppose plus aucune résistance. Elle sera alors vendue une première fois, puis une seconde, la vente ayant lieu devant elle. À la veille du procès qui l’accuse elle et des membres du réseau de proxénétisme, son avocate lui demande : quelle est la violence ou l’humiliation qui vous a le plus marqué ? F. répond « le fait d’avoir été vendue comme du bétai"l.
2 La traite des femmes aux fins de prostitution en droit international
Une infraction pénale
Dans un contexte où un nombre croissant d’États sont de plus en plus préoccupés par la question de la criminalité transnationale, de la sécurité et du contrôle des frontières, les Nations unies ont adopté en 2000 le Protocole additionnel à la Convention contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, communément appelé, et ci-après nommé, Protocole de Palerme.
Ce Protocole, ratifié par la France le 12 décembre 2000, établit une définition internationalement admise de l’infraction de traite des êtres humains. Il exige des États parties, qu’ils prennent les mesures nécessaires afin de prévenir et enquêter sur les faits de traite, qu’ils poursuivent les auteurs en justice, et qu’ils adoptent une politique et des programmes d’ensemble qui garantissent assistance et protection aux personnes victimes de la traite des êtres humains (124).
Selon l’article 3 de ce traité :
« a) la traite des personnes désigne le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes ;
b) le consentement d’une victime de la traite des personnes à l’exploitation envisagée telle qu’énoncée à l’alinéa a) du présent article, est indifférent lorsque l’un quelconque des moyens énoncés à l’alinéa a) a été utilisé. »
Cette définition comporte trois éléments qui, réunis et identifiés, permettent de conclure à l’infraction de traite :
-une action (recrutement, transport, transfert, hébergement ou accueil),
-un moyen (menace ou recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, etc.),
- un but (aux fins d’exploitation, ce qui signifie que l’exploitation n’a pas besoin d’être avérée, mais l’intention suffit.).
La seconde partie de la définition (alinéa b) du Protocole est essentielle. Selon cette disposition, peu importe qu’une personne soumise à la traite ait consenti à se livrer à une activité de prostitution, ou qu’elle ait consenti à collecter les recettes des autres femmes du réseau, dès lors qu’elle a agi sous la contrainte, ou qu’elle a été trompée, abusée, menacée, avec pour finalité l’exploitation, elle doit être considérée comme victime de la traite et protégée en tant que telle.
En ce qui concerne les personnes de moins de 18 ans, le Protocole de Palerme prévoit que : « le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil d’un enfant (125)aux fins d’exploitation sont considérés comme une « traite des êtres humains » même s’ils ne font appel à aucun des moyens énoncés à l’alinéa a) du présent article ». (126)
Préoccupé par l’ampleur du phénomène de la traite des personnes en Europe, et considérant que la situation exigeait un effort supplémentaire de concertation entre États afin d’améliorer la protection et le respect des droits des personnes soumises à la traite, le Conseil de l’Europe (127) a adopté le 3 mai 2005, (128) la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains. Ce traité reprend la définition internationale de la traite contenue par le Protocole de Palerme, mais vise aussi bien les formes nationales que transnationales de la traite, et n’exige pas qu’elle soit liée à la criminalité organisée (129).
Une violation des droits humains : l’obligation d’agir
La traite des êtres humains aux fins d’exploitation est non seulement définie comme une infraction pénale, mais constitue également une violation des droits humains. Les traités internationaux qui découlent de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH*), notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP*), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC*), la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme*), exigent des États parties qu’ils garantissent le respect des droits humains sur leur territoire. (130)
La France, ayant signé et ratifié ces traités a ainsi l’obligation d’agir afin de lutter efficacement contre toutes les violations des droits humains, dont la traite des êtres humains, les actes de torture et les violations du droit à l’intégrité physique et mentale infligés aux victimes de la traite des êtres humains, et d’en sanctionner les auteurs. La traite des femmes aux fins d’exploitation est reconnue comme une des formes que peut prendre la violence faite aux femmes. À ce titre l’obligation de diligence énoncée dans le premier chapitre de cet ouvrage s’applique à la traite. Elle impose aux autorités de sanctionner, mais aussi de prendre toutes les dispositions nécessaires afin de prévenir ces violations, et le cas échéant, d’assurer une réparation effective et un dédommagement approprié.
Les femmes victimes de la traite se voient privées de leur droit à la liberté et à la sécurité(131), de leur droit à la liberté de mouvement (132) et de leur droit à une vie privée et familiale (133).
Elles sont généralement victimes de torture, notamment de viols, et d’autres traitements cruels, inhumains et dégradants, tels que des sévices physiques et sexuels, des menaces psychologiques répétées, ou le fait d’être vendues à plusieurs reprises. (134) Dans certains cas ces violences sont susceptibles d’entraîner une atteinte à leur droit à la vie. (135)
La traite des personnes aux fins de prostitution est une violation des droits humains et une infraction pénale, qui touche particulièrement les femmes et qui prend racine dans les discriminations à l’œuvre dans les pays d’origine, mais aussi dans les logiques migratoires. La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes (Convention CEDAW) engage ainsi les États parties à prendre : « toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives pour supprimer, sous toutes leurs formes, le trafic des femmes et l’exploitation de la prostitution des femmes. » (136)
Les violences subies par les femmes victimes de la traite sont le résultat d’agissements d’acteurs privés, non-étatiques, que ce soit des bandes criminelles, ou des individus ne constituant pas un réseau organisé (137). Cependant, face à ces violations de droits humains, l’État a la responsabilité de tout mettre en œuvre afin de les prévenir, d’enquêter, et de sanctionner et de réparer les préjudices causés. Ces obligations sont valables pour les actes de violences de la part de l’État et de ses agents, aussi bien que pour les violences perpétrées par des acteurs privés ou individuels, telles que la traite. (138) La mise en œuvre de ces obligations peut se comprendre comme la nécessité pour les États de sanctionner légalement la traite, et de s’assurer, qu’en pratique, non seulement la répression est efficace, mais que les victimes ont accès à des recours juridiques ainsi qu’à une réparation appropriée, et enfin, qu’une véritable stratégie de prévention soit adoptée afin de lutter contre les causes réelles et profondes de la traite.
Enfin, la traite est similaire à l’esclavage en ce qu’elle est avant tout une négation de la liberté de l’autre. (139) Par la contrainte, les violences et un système de dépendance, les trafiquants s’assurent de la soumission de leurs victimes. Certaines victimes sont vendues, d’autres sont échangées, ou trompées, toutes sont victimes de violences graves dans une logique d’exploitation. La traite des femmes est donc une forme d’asservissement que l’on appelle parfois « esclavage moderne ». La Convention internationale relative à l’abolition de l’esclavage du 25 septembre 1926 définit l’esclavage comme l’état ou la condition d’un individu sur lequel s’exercent les attributs du droit de propriété ou certains d’entre eux (140).
L’identification des victimes : une étape essentielle à la protection des personnes
Toute personne doit être considérée comme victime à partir du moment où il existe des motifs raisonnables de croire qu’elle est, ou qu’elle a été, victime de la traite.
En effet, si la loi prévoit des sanctions pour les auteurs et une forme de protection des victimes de la traite des êtres humains, mais qu’en réalité les autorités ne reconnaissent ce statut à aucune victime potentielle, la loi reste sans effet, et la protection nulle.
En la matière, le Protocole de Palerme, mais aussi les recommandations du Haut Commissariat aux droits de l’homme et la Déclaration de Bruxelles réaffirment chacun la nécessité de fournir une formation adaptée non seulement aux responsables de l’application des lois au niveau local et au niveau national, aux frontières, dans les ambassades et consulats, mais aussi aux magistrats et aux professionnels des services publics susceptibles d’être confrontés à cette réalité (141). L’Organisation pour la sécurité et pour la coopération en Europe (OSCE) a aussi réalisé un certain nombre de lignes directrices afin de s’assurer que toute disposition en matière d’identification ait à cœur de protéger et garantir les droits fondamentaux de la personne. (142)
À cette fin, la Convention européenne sur la lutte contre la traite des êtres humains requiert notamment des États parties d’adopter « les mesures législatives ou autres nécessaires pour identifier les victimes, le cas échéant, en collaboration avec d’autres parties et avec des organisations ayant un rôle de soutien. ». Elle ajoute que les États doivent s’assurer « que ses autorités compétentes disposent de personnes formées et qualifiées dans la prévention et la lutte contre la traite des êtres humains et dans l’identification des victimes » (143).
La Convention demande aussi aux États de s’assurer que « si les autorités compétentes estiment qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une personne a été victime de la traite des êtres humains, elle ne soit pas éloignée du territoire jusqu’à la fin du processus d’identification en tant que victime de l’infraction prévue [par la présente convention] »(144).
En France, il n’existe à ce jour aucune mesure d’identification des personnes victimes de la traite par des personnes dûment formées à cette problématique. Les victimes de la traite sont ainsi fréquemment appréhendées comme des personnes prostituées, délinquantes au motif de la loi sur le racolage, et si elles sont étrangères, susceptibles d’être éloignées du territoire.
3. La traite des femmes aux fins de prostitution en France
Devant le silence des personnes aux mains des trafiquants et l’aspect caché et illicite de ce phénomène, il demeure très difficile de mesurer avec précision l’ampleur véritable de la traite.
En France, la Direction générale de l’action sociale et sanitaire estime à 14000 le nombre de personnes prostituées sur le territoire.(145) Selon la Plateforme contre la traite des êtres humains, collectif qui réunit 9 associations, 80% d’entre elles seraient d’origine étrangère. Or selon l’Office central du ministère de l’Intérieur chargé de la répression de la traite des êtres humains : « aucune femme étrangère ne se prostitue pour son propre compte sur le territoire français ». (146) Sont-elles pour autant toutes victimes de traite ? Pour l’Amicale du Nid, à Toulouse : « il est difficile d’imaginer que les femmes étrangères qui exercent une activité de prostitution sur le territoire français n’aient pas eu, à un moment ou à un autre, recours à une forme de réseau de trafiquants ». (147) Même si aujourd’hui certaines ont réussi à s’affranchir de l’emprise des trafiquants, l’organisation qu’exigent le trajet, l’arrivée, l’obtention de faux-papiers, un lieu ou une structure d’accueil, la répartition des femmes dans les lieux de prostitution, le passage à l’acte, la première passe, etc., implique que ces femmes ne se sont probablement pas retrouvées sur les trottoirs de France par leur seule initiative. Cela ne signifie pas que toutes ces femmes ont été recrutées à l’étranger, puis acheminées en France. Certaines, françaises et étrangères, peuvent en effet avoir été recrutées directement sur le sol français, par des individus ou des réseaux organisés qui profitent de la précarité, de l’exclusion et de l’absence de statut légal de certaines femmes pour les enfermer dans une logique d’exploitation et de prostitution.
Traite et proxénétisme
En tant que partie au Protocole de Palerme, la France se devait d’adopter des dispositions législatives permettant de sanctionner la traite des êtres humains telle qu’elle est définie dans ce traité. En 2003, suite à des pressions de la société civile (148), la définition de traite des êtres humains a ainsi été introduite dans le code pénal. En parallèle, les sanctions pour l’infraction de proxénétisme ont été significativement renforcées. (149) La loi du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure qui a introduit ces changements ouvre aussi la possibilité aux personnes qui font l’objet de traite d’obtenir une autorisation provisoire de séjour, à la condition qu’elles dénoncent leur proxénète ou leur trafiquant.
S’il existe désormais une définition de la traite, les associations et avocats impliqués dans les procès de réseaux criminels de traite des êtres humains déplorent le fait qu’il n’y ait à leur connaissance plus de deux ans et demi après l’adoption de la loi introduisant en droit français l’infraction de traite des êtres humains, aucune condamnation au motif de traite aux fins de prostitution. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas eu depuis d’enquête, de poursuites et de jugement de trafiquants, mais ces derniers ont fait l’objet d’une condamnation au motif de proxénétisme. Or la contrainte n’étant pas intrinsèque à la définition du proxénétisme, le fait que les trafiquants aient été condamnés pour cette infraction et non pour celle de traite pose la question de l’identification des victimes. En effet si la contrainte ou la tromperie ne sont pas centrales, alors les personnes soumises à la traite ne sont pas nécessairement des victimes, mais seulement des objets du proxénétisme.
La définition de la traite dans le code pénal français
« La traite des êtres humains est le fait, en échange d’une rémunération ou de tout autre avantage ou d’une promesse de rémunération ou d’avantage, de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l’héberger ou de l’accueillir, pour la mettre à la disposition d’un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre cette personne des infractions de proxénétisme, d’agression ou d’atteintes sexuelles, d’exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d’hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre cette personne à commettre tout crime ou délit. » (150)
Le délit de traite des êtres humains est puni de sept ans d’emprisonnement et de 150000 euro d’amende. Dès lors que la traite est commise à l’égard d’un mineur, d’une personne particulièrement vulnérable, ou de plusieurs personnes, ou lorsqu’elle s’accompagne de menace, contrainte, violences ou manœuvres dolosives (fraude), la peine est portée à dix ans d’emprisonnement et 1,500,000 euros d’amende (151). Si elle est commise en bande organisée, la traite est passible de vingt ans de réclusion criminelle et de 3,000,000 euros d’amende (152).
En l’absence de condamnation au motif de traite aux fins de prostitution (153), il est difficile de mesurer l’impact que cette infraction pourrait avoir sur la lutte contre la traite en France. Dans le code pénal, cette infraction de traite des êtres humains cohabite avec celle de proxénétisme.
Le proxénétisme appliqué à la traite aux fins de prostitution
Selon la loi française, le proxénétisme est le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit :
« 1º D’aider, d’assister ou de protéger la prostitution d’autrui ;
2º De tirer profit de la prostitution d’autrui, d’en partager les produits ou de recevoir des subsides d’une personne se livrant habituellement à la prostitution ;
3º D’embaucher, d’entraîner ou de détourner une personne en vue de la prostitution ou d’exercer sur elle une pression pour qu’elle se prostitue ou continue à le faire. » (154)
L’infraction de proxénétisme peut être aggravée par des circonstances très similaires à celles prévues pour la traite, notamment par le recours à la contrainte, à la violence ou à la fraude, ou lorsque ce fait est commis à l’égard d’un mineur ou d’une personne dont la particulière vulnérabilité est apparente ou connue de l’auteur. Les peines prévues sont alors identiques à celles énoncées dans le cas de la traite (155). Dans ce cas les deux infractions sont quasi-similaires (156).
La loi prévoit en outre que peut être poursuivie pour proxénétisme toute personne qui ne peut justifier de ressources correspondant à son train de vie alors qu’il partage la vie, ou fréquente habituellement une personne prostituée. Sera aussi poursuivie, toute personne faisant office d’intermédiaire entre une personne prostituée et une autre qui exploite ou rémunère la prostitution, ou qui entrave l’action de prévention, de contrôle, d’assistance ou de rééducation entreprise par les organismes qualifiés à l’égard de personnes prostituées (157).
L’infraction de proxénétisme, à moins d’être commise avec circonstances aggravantes, ne nécessite pas qu’il y ait exploitation ou contrainte, et les personnes prostituées faisant l’objet de proxénétisme ne sont pas nécessairement définies comme des victimes. Certes le proxénétisme aggravé permet de sanctionner les faits de traite. Toutefois, parce que ses dispositions couvrent des faits de différentes natures, il ne permet pas de garantir, du point de vue des victimes, que la réalité de l’exploitation à laquelle elles ont été soumises soit prise en compte dans toute son ampleur. La différence ne s’exprime ainsi pas tant au niveau de la sanction des auteurs, mais bien au niveau de la reconnaissance des victimes.
Des victimes de la traite condamnées pour proxénétisme
Selon la loi française, « n’est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l’empire d’une force ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pu résister » (158). Pourtant certaines victimes de la traite des êtres humains se sont retrouvées accusées de proxénétisme aux côtés de leurs trafiquants, et de ce fait n’ont pu bénéficier de formes de protection adéquates. Le Protocole de Palerme engage les États à considérer que le consentement de la victime de la traite des êtres humains est indifférent dès lors que la menace ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, tels que l’enlèvement, la fraude, la tromperie, l’abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou enfin l’offre ou acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre, ont été utilisé. (159)
Les Principes et directives du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme concernant les droits de l’homme et la traite des êtres humains rappellent quant à eux la nécessité pour les États de prendre en compte la contrainte dont les personnes soumises à la traite sont l’objet, afin de respecter leurs droits fondamentaux. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme : « les victimes de la traite ne doivent pas être détenues, inculpées ou poursuivies au motif qu’elles sont entrées ou résident de manière illégale dans les pays de transit ou de destination, ni pour avoir pris part à des activités illicites lorsqu’elles y sont réduites par leur condition de victimes de la traite »(160). Enfin La Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains quant à elle, requiert des États parties de prévoir « la possibilité de ne pas imposer de sanctions aux victimes pour avoir pris part à des activités illicites lorsqu’elles y ont été contraintes. » (161).
À la fois victime et délinquante
J. est originaire d’un pays d’Europe de l’Est, son mari et son père sont morts lors du conflit dans les Balkans. Elle est alors approchée par un homme de sa localité qui lui propose de partir en France pour travailler dans un hôtel. Une fois en France, elle est battue et séquestrée puis forcée à se prostituer. Elle s’enfuit une première fois en Italie, mais elle est rattrapée par le trafiquant. Contrainte de se prostituer à nouveau, elle est aussi chargée de rapporter les faits et les gestes des autres femmes du réseau, ainsi que de récolter les recettes de leur prostitution et d’en remettre l’intégralité à la tête du réseau. Arrêtée par la police française, elle est placée en détention provisoire avec des membres du réseau. Ces derniers continuent de lui faire subir des violences, et la menace par lettre de s’en prendre à sa famille restée au pays si elle ne témoigne pas en leur faveur. Lors de sa détention J. fait une tentative de suicide.
Dans le procès verbal dressé par la police et dans le jugement final, J. est reconnue comme victime de proxénétisme aggravé (avec violences et usage de la contrainte). Le tribunal dispose de preuves de ces menaces, notamment de la lettre de menace et de rapports d’experts sur les violences qu’elle a subies. J. est condamnée pour proxénétisme aggravé à 18 mois de prison ferme, et frappée d’interdiction définitive du territoire français. Les trafiquants sont également condamnés pour proxénétisme aggravé, mais à une peine beaucoup plus lourde.
Dans le cas de F. (162), jugée aux côtés des trafiquants qui l’ont soumise à des violences, des contraintes et des menaces, elle a été condamnée pour avoir « aidé à la prostitution d’autrui » et pour avoir fait usage de faux papiers d’identité. Victime de l’exploitation d’un réseau de traite opérant dans différents pays d’Europe, F. a été désignée par les trafiquants pour récolter les recettes des autres femmes soumises à l’exploitation du réseau. Elle était ainsi contrainte de se rendre dans différents bureaux de poste, munie, à chaque fois d’une identité différente, afin de reverser l’intégralité des recettes à des trafiquants du réseau ne résidant pas en France. Aucune mention de la traite des êtres humains n’est faite dans le jugement. Au final, F. est condamnée à trois ans avec sursis pour proxénétisme. Les deux trafiquants seront jugés pour le même motif, mais sont condamnés à des peines plus lourdes, à savoir sept et neuf ans de prison ferme. Dans ce cas particulier, F. sera malgré tout régularisée par la préfecture au motif de sa coopération avec les autorités judiciaires, et obtiendra ainsi une carte de résident de dix ans.
Le Conseil constitutionnel a reconnu dans une décision sur la loi sur la sécurité intérieure, que certaines personnes pouvaient à la fois être victimes et délinquantes aux yeux de la loi, alors même qu’elles avaient agi sous la contrainte. Il invite uniquement le juge à prendre en compte dans le prononcé de la peine « la circonstance que l’auteur a agi sous la menace ou par contrainte ».(163) Et ce, alors que le Code pénal prévoit que les personnes ayant agi sous la contrainte ne sont pas pénalement responsables, (164) et qu’il n’y a pas de délit ou de crime, sans intention de le commettre. (165)
La question de la contrainte est un élément très délicat et complexe à prouver. La réalité de la traite peut entraîner les femmes à commettre des actes répréhensibles aux yeux de la loi. C’est d’ailleurs ce que prévoit le code pénal français, puisqu’il y est inscrit que la traite des êtres humains peut avoir pour fin « de contraindre cette personne à commettre tout crime ou délit ». (166) L’infraction de proxénétisme ne permet pas de rendre compte de la complexité des situations et du degré de contrainte auxquels ces femmes sont soumises. Par conséquence, ces femmes ne bénéficient pas d’une protection adéquate. Dans le cas de J,les autorités françaises n’ont pas pris, les mesures nécessaires pour la protéger d’un retour forcé vers un pays où elle risque d’être reprise par les trafiquants, et soumise à d’autres violations de ses droits humains.
Si on ne peut se prononcer de la culpabilité de chaque cas particulier, il est essentiel que toutes les situations soient envisagés sous l’angle de la traite des êtres humains afin que l’exploitation à laquelle ces personnes sont soumises soit envisagée dans toute son ampleur. La protection des personnes victimes, et la reconnaissance des violations graves de leurs droits auxquelles elles ont été soumises ne peuvent ainsi être négligées.
Délit de racolage passif ou actif : les personnes aux mains des trafiquants considérées comme des délinquantes
La loi sur la sécurité intérieure adoptée le 18 mars 2003, par laquelle l’État a introduit le délit de traite des êtres humains, a aussi réintroduit le délit de racolage passif. En l’absence de mécanismes d’identification des victimes de la traite des êtres humains, toutes les personnes se livrant à la prostitution sont susceptibles de faire l’objet d’une arrestation et d’une condamnation au motif de cette infraction. Plus important encore, l’infraction de racolage a poussé les personnes prostituées en général et les personnes victimes de la traite en particulier, vers une plus grande clandestinité, et donc une plus grande précarité.
Le racolage est défini comme « le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération » (167). Ce délit est puni de deux mois d’emprisonnement et de 3750 euros d’amende, et peut être accompagné d’une mesure d‘éloignement du territoire français quelque soit leur statut administratif.
Ce délit permet ainsi de sanctionner aussi bien une tenue vestimentaire, une présence prolongée sur le trottoir, une discussion avec un automobiliste, ou un regard et une attitude jugée par les responsables de l’application de la loi comme racoleuse. Cette infraction avait d’ailleurs été supprimée à l’occasion de l’adoption du nouveau Code pénal en 1992, au motif : « de l’imprécision de l’élément constitutif de cette infraction, qui aboutissait à une application aléatoire par les services de constatation » (168). Or comme le fait remarquer Johanne Vernier, juriste membre du Groupe d’information et de soutien aux immigrés (GISTI), « en principe, la loi se doit d’être accessible, précise et prévisible afin que tout individu puisse régler sa conduite et prévoir à un degré raisonnable (avec l’aide éventuelle d’un conseil) les conséquences de nature à dériver de ces actes. Force est de constater que le nouvel article 225-10-1 [relatif au racolage passif et actif] n’indique pas clairement et précisément quel acte déterminé est qualifié de racolage public, en particulier passif. » (169)
La circulaire d’application de la loi sur la sécurité intérieure justifie la réhabilitation de cette disposition « d’une part, parce que le racolage passif est susceptible d’entraîner des troubles pour l’ordre public, notamment pour la tranquillité, la salubrité, et la sécurité publiques, et, d’autre part, parce que la répression de ces faits prive le proxénétisme de sa source de profit et fait ainsi échec au trafic des êtres humains. » (170) Cette disposition interroge : l’Etat peut-il prétendre lutter contre la traite de êtres humains, et donc pour le respect des droits de ces personnes, tout en les prenant pour cible de sa répression ?
Une invisibilité accrue des personnes faisant l’objet de traite aux fins de prostitution
Pour l’année 2004, le ministère de l’Intérieur a recensé 3290 faits de racolage constatés (procès verbaux et dépôts de plainte) dont 1726 pour la seule ville de Paris (171). Parmi les personnes interpellées 81% étaient d’origine étrangère, principalement des pays d’Europe de l’Est et d’Afrique subsaharienne, mais aussi avec une part grandissante de personnes venant de pays d’Asie. À propos de cette infraction de racolage, le Ministre de l’Intérieur affirmait alors que c’était « la meilleure façon de protéger les prostituées. (...) Pourquoi la jeune fille albanaise est-elle mise sur le trottoir parisien par des proxénètes ? Parce que ces esclavagistes des temps modernes ne risquent rien. En pénalisant le racolage passif, nous sortons ces malheureuses du réseau qui les exploite. » (172)
Contradictoire dans ses dispositions, cette loi sur la sécurité intérieure oublie que les victimes de la traite que l’on prétend protéger sont parfois les mêmes que celles concernées par la répression de la prostitution visible. En effet, l’État ne fait pas de différence dans l’application de cette disposition entre personnes prostituées soumises à la traite des êtres humains et les autres personnes prostituées.
Or loin de protéger les personnes soumises à la traite, cette loi les expose à une mise en garde-à-vue, une condamnation pénale, une amende et un emprisonnement pouvant aller jusqu’à 2 mois ainsi qu’à un éloignement du territoire.
La circulaire d’application de la loi sur la sécurité intérieure est à cet égard, très explicite : « Dans le cas où la personne qui se prostitue est en situation irrégulière, ou lorsqu’il s’agira d’un étranger en situation régulière mais dont le permis de séjour peut être retiré (...), il n’y aura que des avantages à ce que, pendant la durée de l’enquête, la personne fasse l’objet d’une procédure administrative destinée à permettre sa reconduite à la frontière, ce qui évitera ainsi des poursuites pénales. ». (173) En outre, la circulaire précise qu’il n’est pas nécessaire que le retrait du titre de séjour fasse suite à une condamnation pénale définitive pour le délit de racolage. (174)
Alors que le ministère de l’Intérieur annonçait début janvier 2004 une diminution de 40% de la prostitution sur Paris, (175) des associations travaillant sur le terrain auprès de personnes prostituées et de victimes de la traite (176), tout comme la Mairie de Paris, (177) déclarait que ces chiffres ne témoignaient en fait que d’une baisse de la visibilité de la prostitution, les personnes prostituées étant de plus en plus poussées dans la clandestinité. Un travailleur social témoigne ainsi pour Amnesty International : « Les prostituées se cachent, elles travaillent en périphérie des villes elles ne viennent plus sur les boulevards, elles commencent plus tard le travail, elles n’osent plus aller voir les policiers avec qui parfois elles avaient des bons contacts. Certaines habitent en ville, prennent un train le soir et partent dans des petites villes ou sur les routes pour trouver des routiers, elles s’éloignent de la répression mais elles sont aussi à la merci de toutes les violences. On ne sait plus comment les protéger. » (178) Les entretiens réalisés par Amnesty International avec des professionnels du secteur social, de la santé, et des associations d’hébergements et de réinsertion sociale concordent tous sur un point : la répression de la prostitution de rue a eu pour conséquence une nette dégradation du respect des droits des personnes prostituées en général, et des victimes de la traite en particulier.
Un rapport réalisé par la Mairie de Paris fait état de violences à l’égard des personnes prostituées, comme de brutalités, avec gazage à la bombe lacrymogène, courses poursuites avec plaquage au sol, vols d’argent ou confiscation de préservatifs et de médicaments. Ces violences semblent être autant le fait de clients et de riverains que des services de police. Des traitements dégradants au cours de gardes à vue y sont aussi dénoncés, comme par exemple des brutalités et des violences sexuelles, le maintien en garde à vue sans boire ni manger ou l’obligation de faire le ménage dans les commissariats (179).
Appréhendées comme des délinquantes, risquant l’éloignement du territoire français, les femmes qui font l’objet de traite se voient ainsi d’autant plus exposées à l’emprise des trafiquants.
Amnesty International se joint aux associations qui s’inquiètent des conditions dans lesquelles cette loi est appliquée, où le respect et la garantie des droits humains des personnes concernées ne sont pas envisagés comme une priorité et dont une des conséquences est d’isoler les personnes soumises à la traite.
Dans l’application : priorité à la répression de la prostitution de rue
Cette apparente contradiction s’est traduite dans la pratique par une priorité accordée à la répression de la prostitution de rue, au détriment de la protection des personnes soumises à la traite des êtres humains. Alors que les effectifs des forces de police spécialisées dans la répression de la prostitution ont fait l’objet d’un renforcement significatif, l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), seul organe du ministère de l’Intérieur spécialisé dans la traite des êtres humains ne dispose que de 30 officiers spécialisés pour enquêter sur les faits de traite et de proxénétisme. Or d’après les membres de l’OCRTEH, malgré les relais des commissariats et de gendarmerie répartis sur toute la France, c’est encore largement insuffisant pour parvenir à couvrir l’ensemble du territoire(180). Cette unité a pourtant un rôle fondamental puisqu’elle centralise au niveau national les renseignements sur la traite et le proxénétisme, coordonne l’action répressive à l’égard des trafiquants et des proxénètes, coopère au niveau européen et international sur ces questions, et enquête sur les faits les plus graves de traite et de proxénétisme. De surcroît, elle a une longue pratique de collaboration avec les associations impliquées dans l’accompagnement et la protection des victimes, et il semblerait qu’avec davantage d’effectif et de moyens, cette unité pourrait contribuer à une meilleure identification des victimes dans un souci de respect et de protection de leurs droits humains.
La préfecture de Paris s’est dotée d’une unité de soutien aux investigations territoriales (Usit), chargée de la répression de la prostitution. En décembre 2004, l’Usit affichait un bilan de 2800 procédures de racolage dressées depuis sa création en octobre 2003, dont seulement « une dizaine », aux dires du Préfet de police de Paris, avaient permis de participer au démantèlement de réseau venant de pays d’Europe de l’est. (181) Parallèlement, au niveau des autorités judiciaires, le Procureur de Paris, peu après l’adoption de la loi pour la sécurité intérieure, demandait aux magistrats de procéder systématiquement à des comparutions immédiates pour les infractions de racolage et de mendicité agressive (182).
Une plus grande mainmise des trafiquants
Quelles sont les conséquences de cette loi du point de vue des trafiquants ? Ils s’adaptent. Pour éviter le risque d’être repérés à la suite d’arrestation des femmes qu’ils exploitent, ils vont s’assurer que les femmes sont moins visibles, comme dans le cas dénoncé par une responsable du Bus des Femmes : « Elles sont mises dans des camionnettes, sans vêtements, ou juste un string, et à peine un repas par jour. Elles sont terrorisées, se croient surveillées à toute heure du jour et de la nuit. Elles ne le sont pas forcément, mais le système de terreur organisé est psychologiquement très puissant. Elles ont parfois un téléphone portable, qui sonnera après 10mn d’absence de la camionnette. Par exemple, alors que je vous parle, si vous aviez été l’une d’entre elles, il aurait sonné plus de 4 fois en une demi-heure pour vous dire, « c’est bon, maintenant tu as eu ton café et ton biscuit, ça suffit, tu rentres ». Et terrorisée, vous vous seriez levée, vous seriez partie » (183).
La grande majorité des associations de terrain rencontrées par Amnesty International peine à établir une relation de confiance avec les femmes qui sont soumises à un contrôle sévère de la part des trafiquants, et dont le rapport avec les services de police est placé sous le signe de la répression. La précarité et l’isolement des femmes s’en trouvent renforcés. Cette vulnérabilité accrue alimente la mainmise des trafiquants, les femmes étant d’autant moins enclines à dénoncer leur situation qu’elles sont appréhendées comme des délinquantes par les responsables de l’application des lois, et non pas comme des victimes de violations graves de droits humains.
La seule possibilité offerte par la loi française dans ce cas est la dénonciation de leur trafiquant, seule condition pour obtenir à la discrétion du préfet un titre de séjour provisoire.
Les moyens mis dans la lutte contre les proxénètes ont certes donné des résultats puisque l’OCRTEH affiche un total de 47 réseaux démantelés pour 2004, contre 39 l’année précédente et 30 en 2002.
Mais si la loi sur la sécurité intérieure prévoyait des éléments visant la protection des victimes de la traite, la volonté politique a été clairement orientée vers une répression visible de la prostitution dans un souci de maintien de l’ordre public, aux dépens d’une stratégie d’accompagnement et de réinsertion des victimes. Cette répression s’est également articulée autour du renforcement des dispositifs concernant les migrants en situation irrégulière. Les personnes soumises à la traite sont donc particulièrement exposées. Nombre d’entre elles se trouvant en situation irrégulière, elles sont doublement délinquantes : au motif de l’infraction de racolage d’une part, et de la loi sur l’entrée et le séjour des étrangers en France d’autre part. Or ces deux infractions sont dans la grande majorité des cas, le résultat de leur exploitation par les trafiquants.
Le retour au pays d’origine pour certaines femmes victimes de la traite peut présenter un risque important de représailles de la part des trafiquants. Or la France s’est engagée lors de la signature de la Convention contre la torture à ne pas expulser, refouler ou extrader une personne vers un autre État où elle risque d’être soumise à la torture et à des traitements dégradants et humiliants. (184) Le PIDCP* dont la France est partie, l’engage aussi à s’assurer que toute personne éloignée du territoire, ainsi que toute personne détenue ou arrêtée aura accès, dans une langue qu’elle comprend, aux motifs qui ont présidé à ces décisions, ainsi qu’à un recours approprié.(185) Le Protocole de Palerme enjoint quant à lui la France à prendre toutes les mesures nécessaires afin de protéger les femmes contre une violation de leurs droits humains supplémentaire. (186) Or les arrestations et condamnations au motif de racolage, les éloignements du territoire, et l’absence de protection de ces personnes de la mainmise des trafiquants qui, dans la plupart des cas, connaissent leur pays, leur ville ou leur village d’origine, sont autant de raisons de croire que les autorités françaises ne respectent pas leurs obligations.
Les autorités françaises ne doivent pas se contenter de mettre en place des dispositifs de protection et d’identification des personnes victimes de la traite, mais elles doivent aussi envisager d’adopter des mesures législatives qui permettent à ces personnes de rester sur le territoire. (187) Dans le cas d’un retour organisé d’une personne victime de la traite, l’État doit tenir compte de la sécurité de la personne, ainsi que de possibles procédures judiciaires en cours liées au fait qu’elle est victime de la traite, et enfin doit, dans la mesure du possible, s’assurer que ce retour est volontaire(188). Il est indispensable que l’État en France considère ces personnes non pas comme des délinquantes ou des indésirables, mais bien comme des personnes ayant subi des violations de leurs droits humains.
4. Les femmes en situation irrégulière soumises à la traite
Une régularisation sous condition
L’article 76(189) de la loi sur la sécurité intérieure du 18 mars 2003 a introduit pour la première fois une forme de protection des personnes soumises à la traite puisqu’il y est prévu que « sauf si sa présence constitue une menace à l’ordre public, une autorisation provisoire de séjour peut être délivrée à l’étranger qui dépose plainte contre une personne qu’il accuse d’avoir commis à son encontre les infractions [de traite ou de proxénétisme] ou témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions. Cette autorisation provisoire de séjour ouvre droit à l’exercice d’une activité professionnelle. »(190) La loi ajoute que « en cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, une carte de résident peut être délivrée à l’étranger ayant déposé plainte ou témoigné. » (191).
Outre le fait que cette régularisation est conditionnée à une dénonciation, cette disposition ne donne pas lieu à une réelle protection, mais seulement à une possibilité de régularisation, décision qui reste à la discrétion des préfets. Pourtant la loi sur la sécurité intérieure prévoit qu’un décret d’application doit être adopté afin de déterminer des modalités d’accueil et d’hébergement des personnes auxquels ce titre a été délivré. Deux ans et demi plus tard, le décret n’est toujours pas paru, et aucun dispositif de protection n’a été mis en place par les autorités publiques.
En outre, cette dénonciation n’est pas même justifiée par les nécessités de l’enquête policière, puisque l’OCRTEH peut être mandaté pour enquêter et arrêter des trafiquants, sans pour autant qu’il y ait eu de plainte déposée.
L’application de cette disposition sur le territoire français
Entre mars 2003, date à laquelle la loi sur la sécurité intérieure a été adoptée, et fin 2004 : 352 personnes ont bénéficié d’une admission au séjour, dont 172 pour 2003 et 180 pour 2004 (192).
Certaines préfectures n’ont délivré que des autorisations provisoires de séjour de 1 mois renouvelable, et seulement à condition que la dénonciation ait permis l’arrestation et la condamnation des trafiquants (appréhendés comme des proxénètes). D’autres ont délivré des titres de 6 mois, voire même des cartes de résidents de 10 ans (193).
Enfin, comme pour K., la dénonciation n’a pas donné lieu à une régularisation. La réponse du ministère de l’Intérieur à sa demande fut la suivante : « Sans remettre en cause la qualité de victime d’un réseau de proxénètes de Mlle[K.], il ressort des informations que vous avez bien voulu me communiquer que l’intéressée n’a déposé plainte auprès des services de police qu’après le rejet de sa demande d’asile par l’OFPRA le ... Entre-temps, la personne contre laquelle elle a porté plainte en tant qu’auteur de l’exploitation dont elle a été victime a été interpellée et incarcérée pour les faits de proxénétisme aggravé en août 2004 et l’instruction de l’affaire est close depuis avril 2005. L’intéressée n’a donc pas coopéré en amont avec la police et la justice aux fins de démanteler le réseau prostitutionnel auquel elle appartenait. » (194)
Malgré l’intervention de son avocat et d’Amnesty International, K. n’a pu récupérer la plainte qu’elle a déposée, dans laquelle elle dénonçait deux personnes, dont l’une est toujours en liberté. K. a continué de vivre cachée, sans ressources, et exposée au risque d’un renvoi vers son pays d’origine, où elle craint les représailles de la part des trafiquants qui connaissent sa ville et pourraient s’en prendre à sa famille. K. est ainsi victime de la traite aux fins d’exploitation sexuelle et, si les trafiquants sont responsables des violences commises à son égard, l’État en France, par son refus de lui offrir une protection, manque à ses obligations de respecter et garantir les droits fondamentaux de la personne.
La régularisation proposée par la France à la lumière de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains
Amnesty International considère que l’article 76 de la loi sur la Sécurité Intérieure est insuffisant en matière de protection et d’assistance des personnes : d’une part, parce qu’il offre une protection qui est soumise à une condition de dénonciation, d’autre part, parce qu’il ne permet pas de fournir un délai de réflexion suffisant. La Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains établit un certain nombre de standards minimaux en matière de protection et d’assistance aux personnes victimes de la traite. Amnesty International considère que les dispositions de cette convention sont des garanties essentielles des droits fondamentaux des personnes soumises à la traite, et qu’il est indispensable que la France la signe et la ratifie. Un tel dispositif de protection devrait notamment offrir la possibilité à ces personnes de bénéficier d’un permis de séjour sur la base des besoins et des risques encourus par les personnes, et non pas sous réserve d’une dénonciation comme le prévoit la loi française.
Aux termes de ce traité : « Chaque partie prévoit dans son droit interne un délai de rétablissement et de réflexion d’au moins 30 jours [...] délai [qui se] doit être d’une durée suffisante pour que la personne concernée puisse se rétablir et échapper à l’influence des trafiquants et/ou prenne, en connaissance de cause, une décision quant à sa coopération avec les autorités compétentes. » (195) La Convention précise que cette mesure doit s’appliquer à toute personne dès lors « qu’il existe des motifs raisonnables de croire que la personne concernée est une victime » (196). Ceci implique donc que les États ne peuvent pas raisonnablement demander à la victime de coopérer pendant ces 30 jours, et l’article précise qu’ « aucune mesure d’éloignement ne peut être exécutée à son égard (...) Pendant ce délai, les Parties autorisent le séjour de la personne concernée sur leur territoire. » (197). En outre, la Convention ajoute que les États ont l’obligation d’assister les victimes de la traite dans leur rétablissement physique, psychologique et social et ce, quelle que soit leur situation administrative, et sans condition de coopération (198). La Convention précise qu’une telle assistance « comprend au minimum : des conditions de vie susceptibles d’assurer leur subsistance, par des mesures telles qu’un hébergement convenable et sûr, une assistance psychologique et matérielle ; l’accès aux soins médicaux d’urgence ; l’accès à l’éducation pour les enfants. » Les États ont aussi l’obligation de les informer de leurs droits et des procédures par lesquelles elles peuvent faire valoir ces droits, et ce dans une langue qu’elles peuvent comprendre.
La régulation conditionnelle dans un contexte de répression de l’immigration clandestine
La loi française ne prévoit aucun délai particulier au cours duquel les victimes peuvent se prévaloir d’une protection au motif de la traite. Cependant le droit en vigueur pour les étrangers en situation irrégulière en France, établit un certain nombre de règles qui, de fait, limite le délai au cours duquel les victimes de la traite peuvent dénoncer leur trafiquant.
La condition d’une régularisation : entre 48 heures et 7 jours pour dénoncer leurs trafiquants
Selon la législation en vigueur en France, les personnes de nationalité étrangère doivent être en mesure de présenter les pièces ou document les autorisant à circuler ou séjourner en France. (199) Faute de quoi, un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, notifié par écrit, peut leur est remis. Cet arrêté peut soit être délivré en « mains propres », auquel cas l’étranger a 48 heures pour déposer un recours, soit lui être envoyé par voie postale sous pli recommandé avec accusé de réception. Dans ce cas la personne aura 7 jours pour déposer un recours en annulation auprès des autorités compétentes. S’il n’y a pas de recours, ou si le recours est rejeté, l’arrêté de reconduite à la frontière peut être exécuté par la force. Si l’étranger se trouve dans l’impossibilité de quitter le territoire, il peut être placé en centre de rétention, ou encore être assigné à résidence.
Toutes les personnes étrangères soumises à la traite en France ne sont pas en situation irrégulière, elles peuvent notamment venir d’un pays membre de l’Union européenne, ou d’un pays avec lequel la France a passé une convention bilatérale donnant droit à des statuts particuliers, ou bénéficier d’un titre de séjour.
Toutefois, du fait de leur exploitation de la part de trafiquants, les personnes qui font l’objet de traite aux fins de prostitution sont nombreuses à être en situation irrégulière. En outre, pour celles qui sont étrangères, titulaires d’un titre de séjour valable, elles peuvent se voir retirer ce titre de séjour au motif de l’infraction de racolage(200).
De la même façon que l’ensemble de la population étrangère en situation irrégulière sur le territoire français, ces personnes peuvent faire l’objet d’un contrôle d’identité et d’une reconduite à la frontière. Or les victimes de traite ont d’autant plus de risques de faire l’objet de ce contrôle qu’elles sont appréhendées au motif de la loi sur le racolage. Il est important, dans ce cadre, de comprendre dans quel contexte se produisent ces contrôles d’identité.
Le contrôle d’identité en France
Le contrôle d’identité(201) en France est soumis à un certain nombre de règles qui posent un cadre aux conditions selon lesquelles ce contrôle peut être effectué. Les services de police peuvent ainsi être habilités à procéder à ce contrôle si la personne est soupçonnée d’avoir commis ou a commis une infraction, pour prévenir une atteinte à l’ordre public, ou dans des zones frontalières, ou des zones ouvertes au trafic international (aéroports, gares, etc.) (202) Lorsque les conditions ci-dessus ne sont pas réunies pour procéder à un contrôle d’identité, les policiers peuvent aussi invoquer des « critères objectifs » permettant de présumer que les personnes contrôlées sont de nationalité étrangère. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 13 août 1993, a précisé que ces critères devaient exclure « toute discrimination de quelque nature qu’elle soit entre les personnes »(203). En théorie donc, ni l’apparence physique, ni la tenue vestimentaire, ni le fait de s’exprimer dans une langue étrangère, ni a fortiori la couleur de la peau ne peuvent constituer des « critères objectifs ». Cette décision, par laquelle le Conseil constitutionnel entendait prohiber le « délit de faciès », n’a malheureusement qu’une réalité très limitée, limites dénoncées par le Comité des droits de l’Homme et par Amnesty International dans son rapport sur l’impunité dont bénéficient les violences policières en France (204). Les femmes étrangères soumises à la traite en font d’autant plus les frais qu’elles peuvent à tout moment se faire arrêter pour délit de racolage.
« Si tu parles on te tue » (205)
Dans le cas où les femmes, soumises à la traite des êtres humains et en situation administrative irrégulière, font l’objet d’un contrôle d’identité, elles ont donc, comme toute personne étrangère en situation irrégulière sur le territoire français au mieux 7 jours, au pire 48 heures pour déposer un recours.
« Ils lui ont dit ‘si tu parles on te tue’, ou ‘si tu parles on s’en prendra à ta famille’. Je ne sais pas vous mais moi à sa place je les croirais. Surtout si comme elle vous aviez vu d’autres femmes se faire tabasser, si vous saviez qu’ils connaissent votre village, votre famille, si vous aviez vu jusqu’où ils étaient prêts à aller pour assurer la continuité du réseau, si vous aviez subi tous ces viols, ces humiliations, si vous viviez dans la peur constante. Je ne sais pas vous, mais moi je ne témoignerais pas. » (206)
Comment prendre en 48 heures ou en 7 jours la décision de dénoncer son trafiquant et de s’exposer à des représailles qui peuvent aussi s’exercer sur leur famille et leur proche ? Comment en effet se décider à coopérer avec les services de police alors qu’elles se livrent à une activité considérée en France comme délictuelle ? Les policiers auxquels elles sont confrontées à cette occasion sont en effet souvent les mêmes qui les ont arrêtées pour racolage lors d’un contrôle d’identité, et il est difficilement envisageable dans ces conditions de dénoncer un trafiquant qui leur a maintes fois démontré sa détermination à user de violences pour arriver à ses fins. De surcroît, l’information sur leurs droits ne leur est pas systématiquement donnée dans une langue qu’elles maîtrisent, et dans le cas où elles considèrent la dénonciation, elles n’ont en face, aucune garantie de protection contre les représailles potentielles de leurs trafiquants.
Ainsi, soumettre la délivrance d’un titre de séjour à une dénonciation, revient à nier la réalité de l’oppression, de la contrainte et de l’isolement dans lequel ces femmes se trouvent.
Le modèle italien est très instructif en la matière. La loi italienne offre ainsi 6 mois de titre de séjour aux personnes soumises à la traite des êtres humains, sans condition de dénonciation, et avec une mise à l’abri, une aide matérielle, sociale et un suivi psychologique (207). Une fois les femmes mises à l’abri et protégées, une fois leur confiance peu à peu regagnée, l’expérience italienne montre qu’il y a de fortes probabilités pour qu’elles parlent d’elles-mêmes.
Amnesty International appelle la France à former ses agents au fait que la traite des êtres humains est non seulement un délit puni par la loi, mais aussi une violation grave des droits humains des personnes exploitées. Il est ainsi indispensable que l’État s’assure que ses agents soient formés à la réalité de la violence et de la contrainte subie par les personnes victimes de la traite aux fins de prostitution, et qu’ils garantissent à ces personnes l’accès à l’information sur leurs droits dans une langue qu’elles comprennent, ainsi que l’accès à un accompagnement et une protection efficace.
Les différentes prises en charge possibles en France et en Europe
L’aide au retour
Il est important qu’un dispositif d’aide au retour existe afin de faciliter la protection et l’accompagnement des femmes qui peuvent et désirent rentrer dans leur pays d’origine. Cependant, ce retour comporte un certain nombre de risques, à commencer par un risque important de représailles de la part des trafiquants. Ces femmes, une fois de retour, peuvent aussi faire l’objet de stigmatisation et de rejet de la part de leur famille et entourage, qui seront autant d’obstacles à la reconstruction de leur vie, aussi bien sur le plan psychologique, qu’économique et social.
Le témoignage de K. montre à quel point les trafiquants sont organisés et réactifs : alors qu’elle essaye de s’échapper une première fois du réseau avec de l’argent économisé en cachette sur les passes, K. est prise dans une vague de contrôle de police française qui lui confisque son passeport et l’argent économisé, sans pour autant retenir de charges contre elle. K. récupère dès le lendemain son passeport mais pas l’argent. Profitant de la déroute causée par l’intervention de la police, K. et une amie s’enfuient en espérant échapper au trafiquant. Sans argent, elles continuent de se prostituer pour pouvoir survivre, mais vivent dans la peur que leur trafiquant ne les retrouve. Sans cesse menacées par téléphone, poursuivies dans la rue, K. et son amie réussissent finalement avec l’aide d’une association et d’un avocat à récupérer leur argent. Elles prennent alors immédiatement un billet pour rentrer dans leur pays d’origine, billet qui pour des questions de coût se compose d’un aller retour. Moins de trois jours après leur arrivée dans leur pays, un des trafiquants est à la porte de chez la sœur de K., chez qui elle s’abrite. Il lui ordonne de partir pour son compte pour l’Espagne et la menace de « lui régler son compte ». K. refuse et s’enfuit le lendemain, ne sachant plus où aller. Elle utilise le billet retour vers la France, où elle a réussi à lier connaissance avec des personnes et des associations, et où elle espère trouver une protection.
Selon le ministère de la Cohésion Sociale, treize personnes auraient bénéficié de l’aide au retour en 2004 (208). Mais, un important travail d’information, à la fois auprès des services déconcentrés de l’Aide sociale, de ceux des droits des femmes, de l’aide à l’enfance, de l’Agence nationale d’accueil des étrangers et des migrations (ANAEM), reste à effectuer pour faire connaître ce service et les possibilités offertes aux victimes de traite des êtres humains.
L’hébergement sécurisé mis en place par le réseau Ac.sé, coordonné par l’association ALC (Accompagnement Lieux d’accueil Carrefour éducatif et social) de Nice
Le Réseau Ac.sé a mis en place un système d’hébergement sécurisé grâce à un partenariat avec différentes associations et centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) français. Le système fonctionne grâce à la mise à disposition par les associations membres d’une ou de plusieurs places dans leurs dispositifs d’hébergement. Les victimes de la traite peuvent ainsi rapidement être déplacées dans une autre localité, et donc soustraites, du moins géographiquement, à l’emprise des trafiquants.
Le réseau ne prend en charge que les victimes qui désirent être protégées et qui adhèrent librement au principe d’éloignement. L’idée défendue ici est d’éviter d’imposer des décisions à des personnes dont les libertés ont déjà été suffisamment malmenées, mais aussi de garantir leur sécurité et celle du centre d’accueil. Le réseau compte aujourd’hui 33 associations membres (pour 24 au départ) et a une capacité de 46 places. La première étape de la prise en charge des victimes consiste en une évaluation réalisée par l’association à l’origine du signalement de la victime. Ce procédé d’évaluation est centré sur les droits de la personne, et il soumet aux personnes concernées les alternatives prévues par la législation française, à savoir la possibilité d’une régularisation s’il y a coopération, ainsi qu’une aide au retour si la personne le désire. Cette première structure s’engage alors à héberger la personne pendant 48h, délai pendant lequel la coordination du réseau Ac.sé lance un appel à ses membres pour localiser une place en hébergement sécurisé. Sur 168 signalements recensés en 2004, 111 victimes ont été prises en charge, parmi lesquels 21 ont choisi de rentrer dans leurs pays d’origine. Ac.Sé compte 66% d’orientation vers une forme d’hébergement sécurisée aboutie, cette estimation s’est améliorée depuis 2003, grâce à l’augmentation de la capacité d’accueil du réseau, et à une meilleure évaluation et prise en charge des victimes. Il y a ainsi moins de perte de contact, et plus de projets d’insertion enclenchés, démontrant, si besoin est, l’efficacité d’une expérience et de formation accrue dans le travail de prise en charge des victimes.
La majorité des personnes qui ont bénéficié de l’hébergement sécurisé était des personnes issues d’Europe de l’Est. Les coordinateurs du réseau notent cependant une augmentation des cas de nigériennes et de femmes d’Afrique sub-saharienne en général, pour qui l’accompagnement est plus complexe. En effet, chez ces dernières, la dénonciation est beaucoup plus difficile du fait de liens familiaux et/ou des pouvoirs symboliques. Sans dénonciation, ces femmes ont difficilement accès à une régularisation de leur statut administratif aux yeux de la loi française et sont, par conséquent, plus longtemps à charge du réseau, avec moins de perspectives d’insertion.
Ce système d’hébergement, avec la prise en charge et le processus d’identification des victimes qu’il implique, s’est construit en collaboration avec les services de la Délégation générale des affaires sanitaire et sociale (DGASS), services d’aide sociale de l’État en France.
Cependant, comme le fait remarquer Erik Kerimel, président d’un CHRS* à Marseille il y a déjà de longues listes d’attentes (350 demandes pour 70 places disponibles dans cette structure d’hébergement par exemple) pour les places en foyer d’hébergement social, et ce, toutes populations confondues. Dégager des places spécifiques pour les victimes de la traite peut dans certains cas renforcer l’engorgement de ces structures, d’autant plus que les financements n’en sont pas pour autant revus à la hausse.
Une coopération indispensable entre les institutions publiques et la société civile
De plus en plus, les différents services publics et associations des pays européens s’organisent pour travailler ensemble aussi bien en matière de prévention que d’accompagnement et de protection des victimes. Dans le cadre du programme européen AGIS de coopération policière et judiciaire, le Projet COPYRIGHTS a ainsi commencé un travail de mutualisation des expériences de 6 pays européens, l’Italie, la Bulgarie, la Slovaquie, la Roumanie, la France et le Portugal, afin d’évaluer les avancées et les lacunes de chacun. Cette recherche commune permet de mettre en avant l’efficacité d’une démarche intégrée, où prévention, sanction et réparation sont appréhendées dans une logique de droits humains. La nécessité de disjoindre la notion de témoin et de victimes y est aussi réaffirmée. Cette étude, résultat d’un travail collectif de 5 associations et 3 institutions publiques et territoriales(209), fait état d’une collaboration réussie, à poursuivre et développer. Dans un souci d’efficacité cette collaboration doit intervenir tant au niveau national entre les différentes instances publiques et associatives en contact avec les victimes, qu’au niveau international entre les différents acteurs aussi bien institutionnels qu’associatifs.
5. Conclusion et recommandations
Amnesty International recommande au gouvernement français d’adopter et de mettre en œuvre une stratégie globale de lutte contre la traite des êtres humains qui soit centrée sur la protection et la garantie des droits humains des victimes, et qui vise la prévention de la traite des êtres humains, la sanction des auteurs, et la réparation des préjudices subis par les victimes.
À cet effet Amnesty International appelle l’État à prendre les mesures suivantes.
Identification des victimes
– Créer et mettre en œuvre une stratégie efficace qui permette l’identification et la protection des personnes victimes de la traite, notamment en s’assurant que les personnes et les autorités compétentes soient sensibilisées, formées et qualifiées pour les identifier.
– Considérer une personne comme victime à partir du moment où il existe des motifs raisonnables de croire qu’elle est, ou qu’elle a été, victime de la traite,
Assistance et protection des victimes
Amnesty International enjoint les autorités françaises :
- d’offrir assistance et protection à toute personne victime de la traite se trouvant sur le territoire français et quelque soit sa situation administrative, notamment en lui garantissant l’accès à un logement sûr et protégé, à une assistance matérielle, à des soins et traitements médicaux et psychologiques, ainsi que l’accès à l’éducation, à l’orientation et à la formation professionnelle, l’accès à l’emploi tout en exigeant que ces services soient fournis sur la base du consentement éclairé, de manière à respecter la dignité et l’intimité de la personne ;
- à ce que cette protection, ces services et cette assistance, soient offerts à toutes les victimes en fonction de leurs besoins, quelle que soit la régularité de leur séjour dans le pays et ce sans condition de dénonciation ;
- à fournir aux personnes dont on a de bonnes raisons de croire qu’elles sont victimes de la traite des informations sur les réparations, la protection, l’assistance et les autres services auxquels elles ont droit et sur la manière d’y avoir accès, dans une langue qu’elles peuvent comprendre ;
- à veiller à ce que les mesures de protection soient étendues, si besoin est, aux membres de leur famille et à d’autres personnes, notamment celles qui coopèrent avec la justice ou les autorités et celles qui viennent en aide aux victimes de la traite.
Délai de réflexion et de rétablissement
Amnesty International demande aux autorités françaises de s’assurer que les victimes de la traite
- disposent d’un délai de rétablissement et de réflexion minimal de 3 mois
- puissent bénéficier sans condition d’un permis de séjour de 6 mois minimum renouvelable.
Prendre en compte l’exploitation et la contrainte dont elles font l’objet
Amnesty International demande aux autorités françaises, de s’assurer que les victimes de la traite ne soient pas sanctionnées pour des faits, notamment le racolage et le séjour irrégulier, résultants de l’exploitation dont elles sont victimes. Les autorités doivent s’assurer que toute victime de la traite a accès à une protection adéquate, ainsi qu’à des possibilités de réinsertion et de réhabilitation.
Collecte de données
Amnesty International demande au gouvernement français de procéder, avec les moyens nécessaires, à la collecte et à l’étude des données sur le phénomène de la traite des femmes en France à des fins d’exploitation sexuelle et de rendre ces informations publiques en vue d’une évaluation régulière de la situation en la matière et des mesures prises par les autorités afin d’y remédier.
Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains
Amnesty International appelle la France à signer, ratifier et mettre en œuvre, sans délais, la Convention européenne sur la lutte contre la traite des êtres humains.
Liste alphabétique des sigles, des institutions et des associations
CEDAW
Convention sur l’élimination des discriminations à l’égard des femmes.
CHRS
Centre d’hébergement et de réinsertion sociale
CNCDH
Commission nationale consultative des droits de l’homme
CNDS
Commission nationale déontologie et sécurité
CNDF
Collectif national droits des femmes
Comité CEDAW
Comité sur l’élimination des discriminations à l’égard des femmes.
Comité des droits de l’homme Organe des Nations unies composé d’experts indépendants qui surveille l’application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques par les États parties.
Convention contre la torture Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Déclaration et Programme d’action de Pékin
En septembre 1995 s’est tenu à Pékin la quatrième Conférence des Nations unies sur les droits des femmes, qui a réuni 189 États et 2600 organisations non gouvernementales. Cette conférence s’est clôt par l’adoption d’une déclaration (dite déclaration de Pékin) et d’une Plateforme d’action (dite Plateforme d’action de Pékin) qui incitent les États à prendre des mesures spécifiques et générales sur l’ensemble des droits humains des femmes. Cinq ans plus tard (Pékin + 5), les États se sont à nouveau réunis pour réitérer leur engagement et faire le point sur les avancées et reculs des droits des femmes dans le monde. La dernière conférence en date a eu lieu en janvier 2005 à New York (Pékin + 10).
DRDFE
Délégation régionale aux droits des femmes et égalité
DUDH
Déclaration universelle des droits de l’Homme.
ENVEFF
Enquête nationale sur les violences faites aux femmes, La documentation françaises, 2003.
FNSF
Fédération nationale solidarité femmes.
INAVEM
Institut national d’aide aux victimes et de médiation.
ITT
Incapacité totale de travail.
MFPF
Mouvement français pour le planning familial.
PIDCP
Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
PIDESC
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
Protocole de Palerme Protocole additionnel à la Convention contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants.
SFDE
Service Droits des femmes et égalité.
UMJ
Urgence Médico-Judiciaire.
Mots clés
Continuum des violences faites aux femmes
Ce qui fait le lien entre les différentes formes de violences faites aux femmes. Bien que pouvant varier dans leur gravité et leur ampleur, les violences faites aux femmes ont ceci de commun qu’elles reposent sur une discrimination fondée sur le genre.
Diligence voulue
Obligation qu’ont les États parties aux traités de droit international relatifs aux droits humains d’agir afin de sanctionner les auteurs de violations des droits humains, mais aussi enquêter sur les faits, de prendre toutes les mesures adéquates afin de prévenir ces violations, et enfin d’offrir des réparations adéquates aux victimes.
Différence entre violence et conflit
Dans un couple, tant que les deux personnes peuvent s’exprimer librement sans contrainte, et sans craintes, le conflit est un élément qui permet de poser des questions puis de les dépasser. La violence commence lorsque l’égalité n’est plus de mise, lorsque c’est toujours le même qui « gagne » et que la peur s’installe. L’un des deux conjoints est alors sous l’emprise, ou le contrôle de l’autre, et le conflit fait place à un système de domination. La violence commence généralement par des mots, des attitudes, des interdits posés par l’un, toujours le même. Parfois les brutalités physiques ont lieu dès le départ. Dans l’ensemble, la violence au sein du couple se manifeste par la répétition de dénigrements, d’humiliations et d’agressions physiques, sexuelles et psychologiques. Des périodes d’accalmie, aussi appelées « lunes de miel », viendront souvent ponctuer ce quotidien marqué par la violence. Mais elles n’en seront pas pour autant le signe que toute violence a disparu.
Fille
Dans le présent rapport le terme de fille désigne toute personne de sexe féminin âgée de moins de 18 ans.
Genre
Construction sociale de l’identité féminine et l’identité masculine, qui ancre la différence entre les sexes bien au-delà du constat biologique. Ces normes intégrées au cours de l’enfance et de la vie adulte, alimentent les systèmes de discrimination entre homme et femme à l’œuvre dans l’ensemble des sociétés humaines.
Discrimination
On entend par « discrimination », toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée notamment sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation, et, ayant pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par tous, dans les conditions d’égalité, de l’ensemble des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
-----
Notes :
(1) Cette étude a été finalisée le 25 novembre 2005 et ne tient en conséquence pas compte des évolutions, notamment législatives qui lui sont postérieures. Ces évolutions font l’objet du travail permanent d’Amnesty International sur cette question.
(2) Chiffres de l’Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, La Documentation française, Paris, 2003. (Ci-après Enveff.)
(3) Signalés par une * dans le texte.
(4) Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW en anglais), adoptée par les Nations unies, le 18 décembre 1979, rentrée en vigueur en France le 25 avril 1984, article 1er.
(5) Déclaration universelle des droits de l’Homme, article 1 et 2.
(6) PIDCP Article 7, et Article 2, Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, (Convention contre la torture) Adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1984, signée par la France le 10 février 1985.
(7) Article 6, Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 16 décembre 1966.
(8) Article 23, PIDCP, op.cit.
(9) Recommandation N°19 du Comité CEDAW,
(10) Article 2 de la DUDH, article 26 du PIDCP, article 2 du PIDESC, article 1 de la Convention CEDAW.
(11) Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, 23 février 1994, paragraphe 1.
(12) Article 2 de la Déclaration sur l’élimination des violences à l’égard des femmes, Résolution 48/104 de l’Assemblée générale du 20 décembre 1993.
(13) Idem, préambule.
(14) Pour plus de détails, se référer au rapport « Pour que les droits deviennent réalité, les États ont le devoir de combattre la violence contre les femmes », publié par Amnesty International en Juin 2004, ACT77/049/2004.
(15) Comité sur l’élimination des discriminations à l’égard des femmes, Recommandation générale n°19, onzième session, 1992.
(16) Enveff, La Documentation française, 2003, p 85.
(17) Enveff, La Documentation française, 2003, « Les femmes victimes de violences conjugales : le rôle des professionnels de santé », Rapport au Ministre chargé de la Santé, réalisé par un groupe d’experts réuni sous la présidence du Professeur R. Henrion, février 2001.
(18) Cf. chronologie en annexe.
(19) Code pénal, art. L222 -13.
(20) « De la nécessité des poursuites dans les situations de violences conjugales », de Lydia Cerniglia, Solidarité Femmes, Grenoble, juin 2004, in « Justice et violences conjugales », Fédération nationale Solidarité Femmes, Paris, 2005.
(21) Quatrième Conférence mondiale des Nations unies sur les femmes, tenue à Pékin en 1995, au cours de laquelle a été adopté la Déclaration de Pékin et la Plateforme d’action sur les droits de la femme. En 2005, une conférence similaire s’est tenue à New York, aussi appelée conférence Pékin+10.
(22) Madame Nicole Ameline a tenu ce ministère jusqu’au référendum du 29 mai 2005. A l’occasion du changement de gouvernement qui s’en est suivi, Madame Catherine Vautrin a été nommée Ministre déléguée à la Cohésion sociale et à la Parité, placée sous l’égide du ministère de l’Emploi, de la Cohésion sociale, et du Logement.
(23) « Inspection des services déconcentrés des droits des femmes et de l’Égalité » - Rapport de synthèse, n°2004092, établi par Danièle Larger, Danielle Vilchien, Jean-Baptiste Bastianelli, et Christian Gal, membres de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), in « La lutte contre les violences au sein du couple », Rapport d’information du Sénat n° 229 (2004-2005) de M. Jean-Guy BRANGER, déposé le 9 mars 2005.
(24) « La lutte contre les violences au sein du couple », Guide de l’action publique, Direction des Affaires Criminelles et des Grâces, ministère de la Justice, septembre 2004.
(25) a loi n°2004-439 du 26 mai 2004, entrée en vigueur le 1er janvier 2005.
(26) Code civil, article 220-1.
(27) « Violences conjugales et exclusion sociales », Fédération nationale Solidarité Femmes, février 2005, p 14.
(28) Code pénal, article 222-3.
(29) Code pénal, article 222-8.
(30) Code pénal, article 222-10.
(31) Code pénal, articles 222-12 et 222-13.
(32) « Osman a tué Emine, comme promis », extrait d’un article paru dans Libération le 8 mars 2005.
(33) « La lutte contre les violences au sein du couple », Guide de l’action publique, op.cit. p 61.
(34) « Politiques pénales », Françoise Guyot, article paru dans Actualité juridique famille, n°12/2003.
(35) Article 41-2 du Code procédure pénale.
(36) Dépêche AFP, 25 novembre 2005.
(37) « Pour une véritable cohérence entre le code pénal et le code civil », article de Marick Geurtz, paru dans Actualité Juridique Famille, éditions Dalloz, N°12/2003 Décembre 2003.
(38) Rapport d’activité 2004, de l’APIAF : Association pour la promotion d’initiatives autonomes des femmes, Toulouse.
(39) Code pénal, article 132-3.
(40) Proposition de loi n 62 (2004-2005) « tendant à lutter contre les violences à l’égard des femmes et notamment au sein des couples par un dispositif global de prévention, d’aide aux victimes et de répression », de M. Roland Courteau, sénateur et plusieurs de ses collègues, déposée au Sénat le 10 novembre 2004, art. 1.
(41) Rapport d’information n° 229 (2004-2005) de M. Jean-Guy Branger, déposé au Sénat le 9 mars 2005.
(42) Élève de l’École Nationale de la Magistrature.
(43) Justice et violences conjugales, Fédération nationale Solidarité Femmes, Paris, 2005, p 66-67.
(44) Intervention de Marie-Dominique de Suremain, lors du colloque sur la Lutte contre les violences faites aux femmes, Sénat, mars 2005.
(45) Chiffres officiels du ministère de la Justice, direction de l’administration générale et de l’équipement, S/D de la statistique des études et de la documentation, casier judiciaire national, 2004.
(46) Propos recueillis lors de l’audition de M. Michel Gaudin devant la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes ; 1er février 2005.
(47) Les violences envers les femmes en France, Une enquête nationale, sous la direction de Maryse Jaspard, La Documentation française, 2003.
(48) « Politiques pénales », Françoise Guyot, article paru dans Actualité juridique famille, n°12/2003.
(49) Colloque « La violence au sein des couples, les femmes brisent le silence : améliorons la loi », 31 mars 2005.
(50) Les violences envers les femmes en France, Une enquête nationale, sous la direction de Maryse Jaspard, La Documentation française, 2003.
(51) Témoignage recueilli par Amnesty International, 2005.
(52) Femmes Libres, Aurine Crémieu et Hélène Jullien, Le Cherche Midi, Paris, 2005, p 60.
(53) Témoignage recueilli par Amnesty International en 2004.
(54) Femmes Libres, op.cit., p 59.
(55) Rapport d’activité 2004, de l’APIAF : Association pour la promotion d’initiatives autonomes des femmes, Toulouse.
(56) Idem, p. 9.
(57) Communiqué de presse de la Fédération nationale Solidarité Femmes, à l’occasion du 8 mars 2005.
(58) Le plan global de lutte contre les violences conjugales, « dix mesures pour l’autonomie » des femmes, adopté en Conseil des Ministres le 24 novembre 2004.
(59) Colloque « La violence au sein des couples, les femmes brisent le silence : améliorons la loi », 31 mars 2005.
(60) La lutte contre les violences au sein du couple, Guide de l’action publique, p 24.
(61) Idem, p. 29.
(62) Code de procédure pénale, article 40.
(63) Témoignage recueilli par Amnesty International, 2005.
(64) Phase d’investigation préalable au procès.
(65) Extrait du certificat médical original délivré à A.
(66) Idem.
(67) Entretien avec Amnesty International, 2005.
(68) La lutte contre les violences au sein du couple, Guide de l’action publique, p 49.
(69) Interventions à l’occasion du Colloque organisé par le Sénat sur « La violence au sein des couples, les femmes brisent le silence : améliorons la loi », 31 mars 2005.
(70) Lydie Cerniglia, Solidarité Femmes, Grenoble, Justice et violences conjugales, Fédération nationale Solidarité Femmes, Paris, 2005, p 34.
(71) Circulaire relative à la politique pénale en matière de réponses alternatives aux poursuites et de recours aux délégués du procureur, de la direction des affaires criminelles et des grâces, publiée au bulletin officiel du ministère de la Justice n°93 (01/01- 31/03/2004) CRIM 2004-03 E5/16-03-04, NOR : JUSD0430045C.
(72) Propos recueillis lors du colloque « La violence au sein des couples, les femmes brisent le silence : améliorons la loi », 31 mars 2005.
(73) Lettre recueillie sur un papier à entête du tribunal de grande instance de X.
(74) Témoignage recueilli par Amnesty International, 2005.
(75) La lutte contre les violences au sein du couple, Guide de l’action publique, p. 92, 93.
(76) Compte-rendu analytique officiel du Sénat, 29 mars 2005.
(77) « La ‘différence culturelle’ et le traitement au pénal de la violence à l’endroit des femmes minoritaires : quelques exemples canadiens », par Sirma Bilge, in Journal International de Victimologie, avril 2005.
(78) Les contextes de migration sont multiples : certaines personnes sont nées en France de parents étrangers et obtiennent, à leur demande, la nationalité française à leur majorité. D’autres sont venus dans le cadre du regroupement familial ou pour épouser un conjoint français, d’autres encore fuient des persécutions (ils peuvent alors prétendre au statut de réfugié) ou sont venus sous couverts de visa touristique (à durée limitée) ou en échappant aux contrôles aux frontières, et sont alors en situation « irrégulière » ou « sans-papiers »...
(79) Selon la définition de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), est étrangère toute personne résidant en France qui n’a pas la nationalité française, in « Les immigrés en France », Insee, 2005
(80) La situation administrative d’une personne fait ici référence à sa situation par rapport au séjour sur le territoire français, à savoir si elle est en possession d’un titre de séjour ou non.
(81) « Femmes étrangères, parfois une double discrimination », par Haoua Lamine, paru dans Réalités familiales, N° 64-65 - 2002.
(82) Témoignage recueilli par Femmes de la terre, extrait de « Femmes étrangères, parfois une double discrimination », par Haoua Lamine, paru dans Réalités familiales, N° 64-65 - 2002.
(83) Témoignage recueilli par Femmes de la terre, extrait de « Femmes étrangères, parfois une double discrimination », par Haoua Lamine, paru dans Réalités familiales, N° 64-65 - 2002.
(84) Loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité.
(85) Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Article L431-2.
(86) Idem.
(87) Cf. Appel du groupe Femmes de Turquie, du 20 mars 2003, « Pour le retour d’Alev ».
(88) « Prévention de la pratique des mariages forcés : Première initiative de formation des personnels du service social en faveur des élèves en Seine-Saint-Denis », Catherine Morbois et Marie-France Casalis, Délégation régionale aux droits des femmes, 2000, p 4.
(89) Dans ce rapport le terme « fille » fait référence à toute personne de sexe féminin de moins de dix-huit ans.
(90) Proposition de loi adoptée le 29 mars 2005 au Sénat qui modifie ainsi une disposition du code civil datant de 1804. La proposition prévoit de fixer l’âge du mariage légal à 18 ans pour la femme. Il devra être adopté à l’Assemblée nationale avant d’être intégré dans la loi française.
(91) « Prévention de la pratique des mariages forcés », Délégation Régionale Droit des Femmes et Égalité, Île-de-France, 2000. Op. cit.
(92) Réseau d’association mobilisé autour de la question des mariages forcés.
(93) « Égalité, Mixité, Laïcité, De la mission générale de l’émancipation par l’école à la lutte contre les mariages forcés et pour l’égalité des droits », Colloque du Ministère de l’Éducation Nationale, Paris, mars 2002.
(94) Marie-Hélène Franjou, Pédiatre, membre du GAMS, intervention recueillie dans « Prévention de la pratique des mariages forcés », Délégation régionale aux droits des femmes, 2000, op.cit.
(95) Article 223-6 du Code pénal.
(96) Intervention de Christine Jama, à l’occasion du colloque du Mouvement Français pour le Planning Familial organisé le 4 et 5 novembre 2004.
(97) Témoignages issus des Actes du Colloque international du Mouvement français pour le planning Familial (MFPF).
(98) Code civil, article 146.
(99) Code civil, articles 170-1 et 180.
(100) Depuis l’adoption par le Conseil de l’Union européenne du Règlement (CE) no 1347/2000 du 29 mai 2000, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale des enfants communs. Avant le lieu de résidence du domicile conjugal n’était pas pris en compte comme un des facteurs permettant de saisir la justice française.
(101) Code civil, article 147.
(102) Article 1056-1 du Nouveau Code de Procédure Civile (NCPC) inséré par Décret nº2005-170 du 23 février 2005 art. 5 (Journal Officiel du 25 février 2005 en vigueur le 1er mars 2005).
(103) Code civil, article 146-1.
(104) Article 18 de l’ordonnance n°45-2658 du 2 novembre 1945 abrogé par l’ordonnance 2004-1248 du 24 novembre art. 5 III.
(105) Le Comité sur l’élimination des discriminations à l’égard des femmes est l’organe des Nations unies (Comité CEDAW) chargé de la supervision des progrès réalisés par les États parties à la Convention sur l’élimination des discriminations à l’égard des femmes (CEDAW). Il a été établi en 1982 et, il est composé de 23 experts de nationalités différentes.
(106) Cf. aussi Recommandation Rec.(2002)5 du Comité des Ministres aux États membres sur la protection des femmes contre la violence adoptée le 30 avril 2002.
(107) Enveff, 2003.
(108) Patrick Chariot est rédacteur en chef de la revue Médecine légale et société, et il a participé au groupe de travail mis en place par le ministère de la Justice en vue de la sortie du Guide de l’action publique sur la lutte contre les violences au sein du couple.
(109) Colloque au Sénat sur la lutte contre la violence contre les femmes au sein du couple, 31 mars 2005.
(110) Idem.
(111) Intervention à l’occasion du colloque tenu au Sénat sur « La violence au sein des couples, les femmes brisent le silence : améliorons la loi », 31 mars 2005.
(112) Idem.
(113) Dans le présent rapport, le terme femme renvoie généralement aux femmes et aux filles. L’expression « fille » ou « jeune fille » désigne des personnes de sexe féminin âgées de moins de dix-huit ans.
(114) La traite des êtres humains recouvre l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes. Toutefois nous ne considérerons dans cet ouvrage que la traite aux fins de prostitution forcée.
(115) Certaines des femmes dont nous avons recueilli le témoignage sont arrivées sur le territoire français alors qu’elles avaient moins de 18 ans Nous n’étudions pas ici la situation particulière des filles, bien que certaines soient également victimes de traite des êtres humains sur le territoire français.
(116) Les Amis du Bus des Femmes, est une association loi 1901 dédiée à l’accompagnement sanitaire et social des personnes prostituées et des personnes victimes de traite aux fins de prostitution.
(117) Entretien avec Amnesty International, 2004.
(118) Femmes et migrations, Cabiria, sous la direction de Françoise Guillemaut, éd. Le Dragon Lune, 2002, p 26, 27.
(119) Conférence mondiale à l’initiative des Nations unies, contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, tenue à Durban, Afrique du Sud, entre le 31 août et le 08 septembre 2001.
(120) En particulier, « Gender and Racial Discrimination », rapport de la réunion du groupe d’experts, Division des Nations unies pour l’avancement des femmes (UNDAW), Office du Haut Commissaire aux droits de l’homme (OHCHR), le Fond de développement des Nations unies pour les femmes (UNIFEM), 21,24 novembre 2000, Zagreb, Croatie. Voir aussi : « The Bellagio Consultation », rapport de la consultation sur la Conférence contre le racisme, tenue à Bellagio, Italie, 24-28 Janvier 2000, A/CONF.189PC.1/10.
(121) Contribution de Mme Radhika Coomaraswamy (Sri Lanka), Rapporteuse spéciale de la Commission des droits de l’homme chargée de la question de la violence contre les femmes, y compris ses causes et ses conséquences, sur le sujet de la race, du genre et de la violence contre les femmes, à l’occasion de la Conférence contre le racisme, soumis le 27 Juillet 2001, ref. A/CONF.189/PC.3/5, para. 105, traduction d’Amnesty International.
(122) Le trafic de migrants fait l’objet d’un Protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée (Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, adopté en 2000).
(123) Prostitution africaine en Occident - Vérités, mensonges, esclavage, Amély-James Koh-Bela, Ccinia Communication, 2004.
(124) Protocole de Palerme, article 9 et 6.
(125) Les termes d’enfants et de mineurs dans cet ouvrage se réfèrent aux personnes de moins de 18 ans.
(126) Protocole de Palerme, article 3 (c).
(127) Le Conseil de l’Europe est une organisation régionale intergouvernementale, composée, en 2005, de 46 États. Voir .www.coe.int pour plus d’information.
(128) Cette Convention a été ouverte à ratification le 16 mai 2005 aux États membres du Conseil de l’Europe, de l’Union européenne et aux autres États. Elle entrera en vigueur une fois ratifiée par 10 pays.
(129) Article 2 de la Convention européenne sur la traite des êtres humains, op. cit.
(130) Il convient aussi de citer la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), et la Convention internationale relative aux droits de l’enfant.
(131) PIDCP, article 9, Convention européenne des droits de l’homme, article 5.
(132) PIDCP, article 12.
(133) PIDCP, article 17, Convention européenne des droits de l’homme, article 8.
(134) PIDCP, article 7, Convention européenne des droits de l’homme, article 3, et Convention relative aux droits des enfants, article 37.
(135) PIDCP, article 6.
(136) Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), article 6.
(137) Sur ce point en particulier se référer à la définition de la Convention du Conseil de l’Europe sus-cité.
(138) Recommandation générale n°19 du Comité sur l’élimination des discriminations à l’égard des femmes, adopté en 1992.
(139) Le droit à la liberté et à la sécurité des personnes est inscrit à l’article 9 du PIDCP, et à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme.
(140) Convention des Nations unies relative à l’abolition de l’esclavage, article 1, para. 1.
(141) Protocole de Palerme, op.cit. ; Principes et directives recommandés concernant les droits de l’homme et la traite des êtres humains élaborés par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH), rapport du Haut Commissaire aux droits de l’homme des Nations unies au Conseil économique et social, 20 mai 2002 ; Déclaration de Bruxelles sur la prévention et la lutte contre le trafic d’êtres humains, à l’initiative de la Commission européenne, septembre 2002.
(142) Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), Conseil Ministériel, Décision n° 2/203 « Combating Trafficking in Human Beings », MC.DEC/2/03, 2 décembre 2003 ; et OSCE « Anti-Trafficking Guidelines », adopté le 1er juin 2001.
(143) Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, article 10, 1) et 2).
(144) Idem, article 10, 2).
(145) Cette évaluation est basée sur les personnes prostituées identifiées par les services en région de la DGASS. Elle ne peut prétendre être exacte, puisque qu’il est très difficile de s’assurer que toutes les situations ont fait l’objet d’un repérage, ou que les personnes n’ont pas été comptées deux fois. Certaines associations, dont la Plateforme contre la traite des êtres humains estiment que ce chiffre est bien en deçà de la réalité.
(146) Intervention d’Émile Lain, Office central de répression de la traite des êtres humains, ci après OCRTEH, Exposé lors du colloque « Copyrights : Coopération multidisciplinaire entre le secteur privé et public pour la protection des victimes de la traite des êtres humains », tenu à la Mairie de Paris le 3 juin 2005.
(147) Entretien réalisé avec Amnesty International, 2005.
(148) Création d’une mission d’information commune, avec la Commission des affaires étrangères et la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales, sur les diverses formes d’esclavage moderne, 27 mars 2001, qui a débouché sur le Rapport à l’Assemblée nationale, sur « la proposition de loi (...) renforçant la lutte contre les différentes formes de l’esclavage aujourd’hui », fait par Mme C. Lazerges, 22 janvier 2002, rapport n° 3552.
(149) Code pénal, article 225-4-1(inséré par Loi nº 2003-239 du 18 mars 2003 art. 32).
(150) Code pénal, article 225-4-1, art. 225-5 (inséré par Loi nº 2003-239 du 18 mars 2003 art. 32 et art. 50.1).
(151) Code pénal article 225-4-2.
(152) Code pénal, article 225-4-3.
(153) Il existe des cas d’exploitation de personne qui ont été jugées au motif de traite, mais aucun cas d’exploitation aux fins de prostitution n’a été jugé pour ce motif.
(154) Code pénal, art. 225-5 (Loi nº 2003-239 du 18 mars 2003 art. 50 1º).
(155) Code pénal art. 225-7, modifié par Loi n°2003-239 du 18 mars 2003 art. 50 1° (JORF 19 mars 2003).
(156) Les circonstances aggravantes prévues par le Code pénal à l’article 225-7 pour le proxénétisme, et celles prévues à l’article 225-4-2 pour la traite des êtres humains, sont identiques si ce n’est pour les alinéas 7° et 9° de l’article 225-7 qui ne se retrouvent pas dans les circonstances prévues par l’article 225-4-7, et les alinéas 6° et 7° qui n’apparaissent pas, ou partiellement, dans les circonstances aggravantes prévues pour l’infraction de proxénétisme.
(157) Code pénal, art. 225-6, modifié par Loi n°2003-239 du 18 mars 2003 art. 50 1° (JORF 19 mars 2003).
(158) Code pénal, article 122-2.
(159) Protocole de Palerme, article 3 (b).
(160) Principes et Directives concernant les droits de l’homme et la traite des êtres humains : recommandations, présenté au Conseil économique et social comme addendum au rapport du Haut Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme (E/2002/68/Add.1).
(161) Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, adoptée le 4 mai 2005, article 26.
(162) Le cas de F. nous a été rapporté par une association qui a accompagné F. au cours du procès. Les faits ont été vérifiés par différents entretiens avec des personnes présentes au procès qui désirent garder l’anonymat.
(163) Décision
du Conseil constitutionnel n°2003-467 DC du 13/03/03 sur la sécurité intérieure, paragraphe 63.
(164) Code pénal, article 122-2.
(165) Code pénal, article 121-3.
(166) Code pénal, article 225-1.
(167) Code pénal, article 225-10-1, (Inséré par Loi nº 2003-239 du 18 mars 2003 art. 50 2º Journal Officiel du 19 mars 2003).
(168) Réponse ministérielle du Garde des Sceaux, n°19596, publiée au JO de l’Assemblée nationale du 9/01/95, p 212.
(169) « La Loi pour la sécurité intérieure : punir les victimes du proxénètisme pour mieux les protéger ? » de Johanne Vernier, in La prostitution à Paris, sous la direction de ME Handman et J. Mossuz-Lavau, éditions La Martinière, Paris, 2005, p. 133.
(170) Circulaire d’application de la loi sur la sécurité intérieure, n° CRIM 2003-07 E8/03-06-2003, NOR : JUSD0330082C, publiée au Bulletin officiel du ministère de la Justice, n°90, du 1 mars au 30 juin2003.
(171) Chiffres officiels communiqués du ministère de l’Intérieur, novembre 2005.
(172) Le Monde, 03.09.04, « Des associations constatent un timide reflux de la prostitution ».
(173) Circulaire d’application de la loi sur la sécurité intérieure, op.cit.
(174) Ibid.
(175) Allocution de Nicolas Sarkozy à l’Assemblée nationale, questions d’actualités 13 janvier 2004, Le Monde 14 janvier 2004.
(176) Lettre du 3 mars des associations Cabiria et Grisélidis, adressée aux maires et aux préfets.
(177) Article paru dans le Monde du 14/01/04 « La Mairie de Paris doute d’une baisse spectaculaire de la prostitution ».
(178) Entretien d’Amnesty International avec Jean-Baptiste March, de l’association HAS, Marseille, mai 2005.
(179) « L’action de la ville de Paris en matière de prévention et de lutte contre la prostitution » Observatoire de l’égalité, Secrétariat général de la Ville de Paris, Janvier 2004, voir aussi les communiqués de presse de l’association Grisélidis à Toulouse (du 13/01/05 ; 28/11/04, 15/05/04), et de l’association Cabiria à Lyon (12/05/04).
(180) Entretien d’Amnesty International avec Sylvain Fournier, officier de l’OCRTEH, 2004.
(181) Intervention de M. Pierre Mutz, Préfet de Police de Paris, Séance du Conseil de Paris, 13, 14 décembre 2004.
(182) Communiqué sur la politique pénale du procureur de Paris, Syndicat de la magistrature, 15 avril 2003.
(183) Entretien avec Amnesty International, 2004.
(184) Convention contre la torture, article 3.
(185) PIDCP, articles 9, 13, et 14.
(186) Protocole de Palerme, article 9, 1(b).
(187) Idem, article 7.
(188) Idem, article 8-2.
(189) Loi de sécurité intérieure (dites « loi Sarkozy ») nº 2003-239 du 18 mars 2003, article 76, abrogé par Ordonnance n°2004-1248 du 24 novembre 2004 (en vigueur le 1er mars 2005). Devenu article L316-1, L316-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
(190) Article L316-1, L316-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, introduite par l’Article 76 de la loi de sécurité intérieure nº 2003-239 du 18 mars 2003, abrogé par Ordonnance n°2004-1248 du 24 novembre 2004 (en vigueur le 1er mars 2005).
(191) Idem.
(192) Chiffres communiqués par la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques.
(193) Entretiens réalisés par Amnesty International, à Toulouse, Nice et Paris, 2004-2005.
(194) Réponse de la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques, du ministère de l’Intérieur.
(195) Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, article 13.
(196) Idem.
(197) Idem.
(198) Idem, article 12.
(199) Article 8 al.2 de l’ordonnance de 1945, art. L. 611-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
(200) Article 12 de l’ordonnance 45-2658 de novembre 1945.
(201) Article 78-2 du code de procédure pénale.
(202) Le Guide de l’entrée et du séjour des étrangers en France, Gisti, La Découverte, Paris, 2005.
(203) Conseil Constitutionnel, Décision 93-325 DC du 13 août 1993.
(204) Amnesty International, « Pour une véritable justice. Mettre fin à l’impunité de fait des agents de la force publique dans des cas de coups de feu, de morts en garde à vue, de torture et autres mauvais traitements », 6 Avril 2005, EUR 21/001/2005.
(205) Propos d’une victime de traite recueilli par une association rencontrée par Amnesty International en 2004.
(206) Témoignage de Claude Boucher, directrice du Bus des Femmes, recueilli par Amnesty International en 2004.
(207) Article 18 de la loi italienne 268/98, la loi sur l’immigration 286/1998 a permis en outre l’établissement d’un fond pour les mesures de lutte contre la traite, nourrit en grande partie, par la confiscation des profits pour la traite des êtres humains.
(208) Intervention de Mme S. Alidières lors du colloque sur la traite des êtres humains, à l’Assemblée nationale, le 4 avril 2005.
(209) Les cinq associations qui ont participées sont : On the road, Italie, La Fondation Nadja, Bulgarie, l’Union Daphné, Slovaquie, Caritas, Roumanie, l’association ALC/SPRS, France. Les trois institutions publiques et territoriales sont : la Commission égalité des chances et droits des femmes, sous la Présidence du Conseil des Ministres, Portugal ; l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), France, la Mairie de Paris, France.