Après le discours de Sarkozy du 20 octobre dernier à Saint-Dizier, le NPA soulignait les enjeux du projet gouvernemental de réforme territoriale :
« Il s’agit avant tout de forcer les collectivités à se mouler strictement dans le cadre des politiques néolibérales comme celle de la RGPP1 : par la suppression de la taxe professionnelle, par la création des métropoles (qui capteront l’essentiel de la fiscalité au détriment des zones rurales), et par la suppression de la clause de compétence générale qui permet aux départements et régions d’intervenir dans tout domaine correspondant à des besoins sociaux insuffisamment pris en compte ou pas du tout par l’État.
Le second objectif est de permettre à la droite de reconquérir des positions au plan local par la modification des modes de scrutin.
Pour un gouvernement qui laisse filer l’endettement public au bénéfice des banques, des capitalistes et des rentiers, et qui supprime chaque année des dizaines de milliers de postes de fonctionnaires, il est insupportable de ne pas exercer un contrôle plus strict sur les collectivités locales qui réalisent 73 % de l’investissement public et, selon Sarkozy « continuent à créer plus d’emplois que l’État n’en supprime ». Ne nous y trompons pas c’est l’ensemble de la Fonction publique territoriale qui est visée : les fonctionnaires et le service public, voilà l’ennemi de ce gouvernement. »
La fronde au sein même de l’UMP, à propos de la taxe professionnelle et contre l’adoption de cette réforme avant celle des collectivités, ne fait que confirmer notre analyse.
Au-delà de ces péripéties, ces réformes sont lourdes de conséquences. Autant de raisons d’y regarder de plus près.
La clause de compétence, kesako ?
Derrière cette expression pas très claire, se cache un principe très simple : la possibilité pour les collectivités territoriales d’intervenir dans tout domaine correspondant à des besoins sociaux insuffisamment pris en compte ou pas du tout par l’État. Le projet prévoit de maintenir cette possibilité pour les communes et intercommunalités, mais de la supprimer pour les départements et les régions : « La région et le département exercent, en principe exclusivement, les compétences qui leur sont attribuées par la loi » (chapitre 3, art.13 du projet de loi). En précisant qu’une compétence attribuée à l’un ne peut l’être à l’autre.
L’argument central du gouvernement semble de bon sens. En effet, les collectivités interviennent en de nombreux domaines, avec d’énormes inconvénients : chevauchement des compétences, financements croisés compliqués et opaques, lourdeur administrative, gaspillage financier. Ces arguments ne sont pas faux, mais ils font l’impasse sur l’essentiel : par la coopération et la mutualisation des moyens financiers, des collectivités peuvent répondre à des besoins sociaux que chacune d’entre elles ne pourrait pas prendre en charge séparément : financement d’équipements culturels, actions sur le logement, dans le domaine du tourisme, aménagements routiers, etc. Et il faut ramener à sa juste mesure ce qui est en jeu : les régions et départements n’interviennent hors de leurs compétences obligatoires que pour 10 à 20 % de leur budget.
Enfin, la suppression de la clause de compétence serait dévastatrice pour les personnels : suppression de services entiers et donc de dizaines de milliers d’emplois1.
La création des métropoles
« La métropole est un établissement public de coopération intercommunal regroupant plusieurs communes, qui forme un ensemble de plus de 450 000 habitants. » (chapitre 1, art L.5217-1). Alors quoi de neuf par rapport aux communautés urbaines ? Sans doute la volonté de jouer dans la cour des grandes métropoles européennes. À cette fin, les métropoles pourraient être dotées de compétences actuelles des régions et départements (politique de cohésion sociale, développement économique, éducation).
Le risque est évident : les métropoles, en intégrant de nouvelles communes et en élargissant leurs compétences, siphonneraient une part grandissante de la fiscalité au détriment des zones rurales et de toute politique de péréquation pour laquelle les départements peuvent jouer un rôle important.
Les conseillers territoriaux
« Le conseil régional est composé des conseillers territoriaux qui siègent dans les conseils généraux des départements faisant partie de la région. » (chapitre 1, art. L.4131-1). Le mode de scrutin, qui entrera en application en 2014, fera l’objet d’une loi ultérieure. Mais il est évoqué un scrutin à un seul tour, avec une dose de proportionnelle (20 % maximum).
L’objectif est d’imposer une bipolarisation politique par le scrutin à un seul tour. Le reste n’est que fumée, en particulier la diminution du nombre des élus des départements et régions de 5 800 à 3 000, sous prétexte d’économies.
Si nous condamnons sans réserve le scrutin uninominal à un tour et une proportionnelle-croupion, la question de l’avenir des départements mérite débat. Les conseils généraux sont les machines clientélistes les plus redoutables. Il suffit de voir les pressions sur les maires ayant donné une pré-signature pour Olivier Besancenot pour s’en convaincre. Ces pressions ne venaient pas du Sénat, de l’Assemblée nationale, du conseil municipal ou de la fédération du parti, mais en priorité du conseil général !
D’un autre côté, les conseils généraux jouent encore un rôle essentiel dans les services publics locaux, en particulier en zone rurale. S’ils disparaissent, quelles institutions vont poursuivre leurs missions de service public ? À supposer même que ces missions soient maintenues. La vraie question n’est donc pas ici la forme du pouvoir politique, mais le contenu des politiques publiques et les conditions de leur mise en œuvre. Il n’est pas certain que les populations les plus défavorisées aient à gagner à l’affaiblissement des conseils généraux qui, rappelons-le, jouent un rôle majeur dans le domaine de l’action sociale
Les chambres régionales des comptes
Les chambres régionales des comptes ont été instituées en mars 1982, en complément aux lois de décentralisation, comme contrepartie à la suppression de la tutelle a priori sur les actes des collectivités territoriales. Leur rôle, certes très insuffisant, a permis d’éviter ou de mettre en lumière certaines dérives de potentats locaux.
Le projet de réforme de cette institution prévoit de remplacer les 22 chambres actuelles (une par région) par une dizaine de chambres interrégionales absorbées par la Cour des comptes, mais avec un statut juridique inférieur. Pour le Syndicat des juridictions financières, ce projet est lié à « la réforme de la taxe professionnelle et à la réforme territoriale et nous y voyons la volonté du gouvernement de constituer un bloc cohérent pour maîtriser les comptes des collectivités locales. » Et d’ajouter : « la réforme palliera simplement l’incapacité de la Cour des comptes à exercer ses missions nouvelles, par le sacrifice du contrôle financier des collectivités locales, pourtant conçu comme un fondement du développement de la démocratie locale. »
Taxe professionnelle
La suppression de la TP devrait entrer en vigueur au 1er janvier 2010. Cette réforme, découplée de la réforme des collectivités territoriales, lui est néanmoins intimement liée. La TP, dont le Medef réclame la suppression, serait remplacée par la cotisation économique territoriale (CET) qui comportera deux taxes : une cotisation locale d’activité, la plus faible, assise sur la valeur des locaux et perçue par les communes ; et une cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la plus importante, perçue par les régions et départements. L’objectif est de supprimer un « impôt imbécile » pour « favoriser la compétitivité et l’investissement des entreprises ». Refrain connu, et la ministre de l’Économie d’assurer que 95 à 98 % des entreprises seront gagnantes. On la croit sans peine, mais on croit deviner quels seront les perdants !
Le gain pour les entreprises sera de 12 milliards en 2010, puis de 7 milliards. Quant aux « perdantes », elles pourront étaler les effets de la réforme sur cinq ans. La TP reste à ce jour la principale ressource des collectivités locales. Le manque à gagner risque d’être tel que le gouvernement s’est engagé à le compenser, par des dotations. Or, aucune garantie de perennité de ces dotations n’est donnée. On comprend donc facilement l’émoi des sénateurs UMP regroupés autour de Raffarin, affirmant que « l’actuelle proposition n’est ni claire, ni juste, ni conforme à nos convictions d’élus enracinés », et « ne peut être votée en l’état. »
Pour le NPA, une réforme de la TP est indispensable, dans le cadre d’un changement radical de fiscalité, plus progressive et plus juste socialement. Elle devrait notamment intégrer dans la base d’imposition les actifs financiers des entreprises. Tout le contraire de la réforme Sarkozy.
Des chiffres
Les élus locaux : 1 880 conseillers régionaux (48,6 % de femmes), 4 037 conseillers généraux (12,4 % de femmes), 519 417 conseillers municipaux (35 % de femmes).
Les budgets : les dépenses s’élèvent en 2009
à 91,9 milliards d’euros pour les communes,
67,6 milliards pour les départements,
27,3 milliards pour les régions.
Personnels : 1 865 000 agents territoriaux dont
1,1 million pour les communes
(700 000 précaires, surtout dans les communes).
Les propositions du NPA
Le NPA avance un certain nombre de propositions. Elles sont mises en débat dès à présent, en particulier pour enrichir notre plateforme pour les prochaines élections régionales.
– Maintien de la clause de compétence générale, c’est-à-dire libre administration des collectivités locales, aussi bien par l’impôt que par la possibilité d’intervenir dans tout domaine correspondant à des besoins sociaux.
– Proportionnelle intégrale à toutes les élections, contre le scrutin uninominal à un tour, contre les élections à deux degrés (intercommunalités).
– Maintien d’une taxe professionnelle réformée, dans le cadre d’une réforme radicale de la fiscalité.
– Défense des personnels des collectivités territoriales, contre les suppressions d’emplois induites par la réforme1.
– Maintien et renforcement du rôle des chambres régionales des comptes, renforcement des possibilités de contrôle de la population sur tous les actes des collectivités locales.
Note
1. La question des personnels fera l’objet d’un prochain article dans Tout est à nous !