Par les temps qui courent, les grands sommets internationaux ont ceci de
remarquable que les pires craintes s’y confirment : les pays riches
montrent ostensiblement leur indifférence sur les questions
socio-environnementales malgré les mobilisations des mouvements sociaux et
les pays présents se mettent d’accord sur une déclaration de bonnes
intentions tout en prenant soin de ne signer ni engagement chiffré
contraignant ni agenda trop précis.
Du 16 au 18 novembre, Rome accueillait le sommet de l’Organisation des
Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui devait
s’attaquer au problème de la faim, d’autant plus sensible avec la grave
crise alimentaire que traverse le monde depuis 2007. Le seuil du milliard
de personnes sous-alimentées a été franchi, soit 150 millions de personnes
en plus depuis 2006. En deux ans, plus de la moitié de la population de la
planète a vu se dégrader fortement ses conditions de vie en raison d’une
très forte hausse du prix des aliments combinée à une augmentation brutale
du nombre de chômeurs en raison de la crise économique et financière qui a
éclaté dans les pays industrialisés. Cela a entraîné des protestations
massives de par le monde au cours du premier semestre 2008. Le premier
objectif du millénaire pour le développement, consistant à réduire de
moitié entre 1990 et 2015 la proportion des êtres humains souffrant de la
faim, se soldera par un échec puisqu’en avril 2009, les ministres de
l’Agriculture des pays du G8 reconnaissaient que « le monde est très loin
d’atteindre cet objectif ».
Les causes sont connues. Une faible partie des aliments produits dans le
monde est exportée, l’écrasante majorité de la production étant consommée
sur place, mais ce sont les prix sur les marchés d’exportation, fixés
principalement aux Etats-Unis (à la Bourse de Chicago, de Minneapolis et
de Kansas City), qui déterminent les prix sur les marchés locaux. En
conséquence, le prix du riz, du blé ou du maïs à Tombouctou, à Mexico, à
Islamabad est directement influencé par l’évolution du cours de ces grains
sur les marchés boursiers. Après l’éclatement de la bulle de l’immobilier
aux Etats-Unis (crise des subprimes à l’été 2007), nombre de spéculateurs
ont trouvé refuge sur les marchés des matières premières, poussant les
cours à la hausse, d’autant qu’une partie croissante de la production est
destinée aux funestes agro-carburants.
Le premier semestre 2008 a été dramatique sur ce plan. Il faut dire que
durant plusieurs décennies, les gouvernements ont supprimé progressivement
toute forme de protection pour les producteurs locaux et ont suivi les
recettes néolibérales dictées par la Banque mondiale et le FMI. Après la
crise de la dette au début des années 1980, ces deux institutions ont
imposé des plans d’ajustement structurel aux pays surendettés. Au menu,
l’abandon des subventions aux produits de première nécessité, la réduction
drastique des budgets sociaux, la suppression des différents mécanismes de
régulation ou encore l’ouverture totale des marchés. Ces plans
d’ajustement structurel ont certes enrichi les grands créanciers et les
élites locales, mais ils ont surtout mis en grave danger les populations
du Sud et réduit fortement les possibilités d’intervention des Etats.
Devant une telle situation, une large mobilisation de tous les pays
semblait aller de soi. Pourtant, seule une soixantaine de chefs d’Etat ou
de gouvernement, essentiellement d’Afrique et d’Amérique latine, ont
participé à ce sommet boudé par la totalité des dirigeants du G8, sauf
Silvio Berlusconi. Mais la présence de Berlusconi avait une raison bien
simple : lui éviter de devoir comparaître devant un tribunal italien ce
jour-là… Aux dires même du directeur de la FAO, Jacques Diouf, le sommet
fut décevant : « Si nous n’avons pas les dirigeants qui ont autorité sur
tous les dossiers, qui peuvent coordonner l’action, (...) je pense que
nous passons à côté du problème, nous réduisons la question à sa dimension
purement technique, alors qu’elle a une dimension économique, sociale,
financière, je dirais même culturelle. » Evidemment l’objectif
d’éradication de la faim a été renouvelé, mais aucune date-butoir n’a été
fixée pour l’atteindre. Des mots en l’air donc…
Prochaine étape ? Le climat. Un réchauffement climatique de grande ampleur
est en cours, d’autant plus inquiétant qu’il se produit à une vitesse que
l’humanité n’a jamais connue. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur
l’évolution du climat (GIEC), prix Nobel de la Paix en 2007, estime que «
l’essentiel de l’élévation de la température moyenne du globe observée
depuis le milieu du XXe siècle est très probablement attribuable à la
hausse des concentrations de GES » (gaz à effet de serre). Si cette
élévation est aussi rapide, c’est à cause des changements radicaux
survenus dans les activités humaines. Face à de tels dérèglements
climatiques, des mesures drastiques s’imposent, à commencer par la remise
en cause du modèle économique qui a conduit le monde dans cette impasse.
Depuis des décennies, les mesures néolibérales imposées notamment par le
FMI et la Banque mondiale ont fragilisé, et souvent irréversiblement
détérioré, les écosystèmes. Pour se procurer les devises nécessaires au
remboursement de la dette, les pays du Sud ont dû orienter leur économie
vers l’exportation : pétrole, minerais, productions agricoles « tropicales
». Les conséquences environnementales ont été désastreuses :
surexploitation des ressources, déforestation, pollutions, érosion des
sols, désertification, accumulation de déchets très toxiques, mégaprojets
énergétiques destructeurs, soutien aux industries extractives…
Le protocole de Kyoto, lancé en 1997, impose une réduction des rejets de
gaz à effet de serre dans l’atmosphère avec des quotas différents suivant
les pays. Sitôt entré en fonctions en janvier 2001, le président George W.
Bush a retiré la signature des Etats-Unis. Pour sa part, l’Europe a mis en
place une « solution » taillée sur mesure pour l’économie capitaliste, en
créant un marché des droits à polluer, qui peuvent donc s’acheter ou se
vendre. La pollution est devenue une marchandise comme une autre : celui
qui paie peut polluer.
Du 7 au 18 décembre, aura lieu à Copenhague le Sommet de l’ONU sur le
climat. L’enjeu est de taille pour préparer l’après-2012, mais les pays
riches ne semblent pas vouloir agir à la hauteur de leurs responsabilités
historiques. En effet, les populations des pays pauvres, qui sont les
premières touchées et n’ont pas les moyens de se prémunir des effets des
changements climatiques, ont très peu contribué à l’accumulation de
pollution dans l’atmosphère (moins de 20%). Même si les émissions des pays
en développement risquent à l’avenir de dépasser celles des pays riches,
la responsabilité de ces derniers restera plus élevée pendant encore
longtemps.
Des pistes alternatives peuvent être avancées, parmi lesquelles la
réorientation des financements vers la mise au point d’alternatives
technologiques, des plans de transition à tous les niveaux (global,
régional, national, local) vers une société sans combustibles fossiles, un
transfert massif de technologies propres vers le secteur public des pays
en développement débarrassés de leur dette, la création d’un fonds mondial
pour l’adaptation aux effets du changement climatique alimenté par une
ponction sur les profits des secteurs responsables du changement
climatique (pétrole, charbon, automobile, production d’électricité…), la
suppression du régime des brevets dans la santé et dans les technologies
permettant de produire des biens de consommation et des services
essentiels, sans oublier la nécessité d’une alternative anticapitaliste.
Si ce prochain sommet n’opère pas un tel virage bien réel et radical, le
risque est grand que la seule différence de fond entre Rome et Copenhague
soit juste une différence… de climat !
Damien Millet – Eric Toussaint