Née à Bâle, le 2 avril 1917, cette jeune juriste n’a alors que 30 ans. Mois après mois, année après année, elle enrichit cette œuvre, qui atteindra quelques 600 pages, s’intéressant à des domaines aussi divers que l’histoire, la sociologie et l’ethnologie, sans oublier la psychologie qui la passionne. En intellectuelle avisée, Iris est attentive aux courants de pensée et aux débats de l’époque. Pour bien se documenter et parler en connaissance de cause, elle fait des séjours à Londres, aux Etats-Unis… et même à Genève. Elle consulte des ouvrages de référence, des rapports, des messages du Conseil Fédéral, de l’OFIAMT ou de l’OIT.
Iris et Simone
On sait que Jean-Paul Sartre avait suggéré à Simone de Beauvoir, alors romancière de personnages féminins, d’écrire sur les femmes et de dire directement ce qu’elle pensait de leur condition. De son côté, Peter von Roten, le mari d’Iris, l’encourage à poursuivre ses recherches. Dès qu’elle termine un chapitre, elle le lui soumet pour qu’il lui fasse ses commentaires. Comme Simone et Jean-Paul, avant de se mettre en ménage, Iris et Peter établissent des « contrats » qui garantissent des droits et des libertés réciproques, allant de la liberté sexuelle à l’engagement d’une femme de ménage, en passant par les repas pris hors domicile. Peter usera abondamment de sa liberté sexuelle, comme Iris d’ailleurs.
Mais contrairement à Simone de Beauvoir, Iris ne réussit pas à lancer le débat sur la condition féminine. Le Deuxième sexe, qui présente une approche philosophique, permet aux intellectuels français d’être ou de ne pas être d’accord avec l’auteure et d’en parler publiquement. Mais Frauen im Laufgitter se veut politique. Iris y dénonce les injustices faites aux femmes et signale les pièges qui sont tendus contre celles qui veulent s’en sortir. Pour chaque problème dénoncé, elle propose, sinon une solution radicale, du moins une réponse. C’est surtout dans le ton que les deux ouvrages diffèrent : Simone est universitaire, Iris ironique et mordante, anticipant les féministes des années 68.
Une femme « culottée »
Dans ses grandes lignes, l’œuvre de la Française est bien reçue par les femmes, tandis que celle de la Bâloise les divise. Certaines – des hommes aussi – reconnaissent la pertinence d’Iris, surtout au sujet des revendications politiques et économiques, mais d’autres jugent l’auteure « culottée » et ses écrits inacceptables. Devenue l’objet de satyres, elle est persiflée et caricaturée au carnaval de Bâle. Simone de Beauvoir est généralement respectée, tandis qu’Iris est souvent rejetée, même par les femmes.
Iris n’est pas tendre avec les femmes non plus. Elle parle des opprimées qui pérennisent la domination qu’elles subissent en cherchant des solutions individuelles et qui, au lieu de se révolter, adoptent et intériorisent l’idéologie patriarcale : heureuses de mettre au monde des garçons, de futurs êtres « riches et puissants », elles espèrent ainsi partager le pouvoir de ces magnifiques mâles.
Pour Iris von Roten, c’est l’inégalité politique qui cimente les prérogatives des hommes. À ceux qui rejettent le droit de vote des femmes en arguant que son introduction aurait des « conséquences incalculables », elle répond : vous avez complètement raison, chers Messieurs, et sachez qu’au fur et à mesure que l’égalité formelle deviendra aussi réelle, dans le quotidien, l’égalité politique transformera non seulement la situation des femmes, mais les mentalités de tout le monde.
Iris n’a guère d’égale pour son analyse de la maternité et de la sexualité. Elle a une fille, Hortensia, ce qui lui donne l’avantage de pouvoir parler d’expérience. Avec sa fraîcheur habituelle, elle constate grosso modo, que l’homme se marie pour avoir sa cuisinière, son pressing à domicile, une infirmière particulière, et une pute préposée au « repos du guerrier », dont les besoins affectifs ne le concernent pas ; tandis que les femmes, consentantes, voient dans cette union une « assurance tous risques ».
Faire connaître l’œuvre d’Iris
Iris von Roten est novatrice dans son écriture, dont elle travaille la forme épicène ; elle soigne son style en créant des mots nouveaux, souvent inspirés de l’actualité politique, et recoure parfois à des expressions dialectales, d’un abord plus difficile pour les francophones. L’historienne suisse Yvonne Köchli et la chercheuse italienne Eleonora Bonacossa lui ont consacré deux livres. En automne 2008, cinquante ans exactement après la parution de Frauen im Laufgitter, le journaliste et historien valaisan Wilfried Meichtry a organisé, avec la Bibliothèque publique de Bâle, une exposition consacrée à la vie et l’œuvre d’Iris et Peter von Roten et publié son monumental Verliebte Feinde, Iris und Peter von Roten (Duellistes amoureux).
Que le livre Le combat pour les droits égaux [1], publié à l’occasion du centenaire de l’Association suisse pour les droits de la femme (ADF), consacre un article de W. Meichtry à Iris von Roten est réjouissant. Mais il reste encore un long chemin à parcourir pour faire connaître Iris von Roten et son œuvre au public – des manuels scolaires aux enseignements universitaires – francophone.
Anna Spillmann