Du 30 novembre au 2 décembre, une semaine avant le sommet de l’ONU sur le climat à Copenhague, se tiendra à Genève la 7e conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Bien entendu, le choix des dates n’est pas innocent. Il s’agit, pour l’OMC de peser sur les négociations sur le climat pour que le dogme du libre-échange et la liberté d’action des acteurs privés ne soient pas entravés.
On l’oublie trop souvent, l’OMC s’est vu conférer une puissance considérable par nos gouvernements de droite comme de gauche. Les accords qu’elle gère depuis 1995 imposent un principe dans tous les domaines : aucun obstacle ne peut entraver les échanges. Toutes les dispositions en matière sociale, fiscale, d’éducation, de santé, d’environnement, de communication, de transport, etc., susceptibles de provoquer une discrimination dans la libre concurrence doivent être abrogées.
Cette puissance de l’OMC est tellement énorme que la plupart du temps, quand on la décrit, on ne rencontre que l’incrédulité. Et pourtant, l’essentiel des bouleversements intervenus depuis une vingtaine d’années trouvent leur origine dans les accords de l’OMC. La dérégulation financière, la privatisation des activités de services, y compris l’éducation et la santé, le démantèlement du droit du travail, la remise en cause des acquis sociaux, la mise en concurrence de tous contre tous, le brevetage du vivant, la captation de toute la chaîne alimentaire par l’agrobusiness, les OGM, l’accès limité aux médicaments essentiels trouvent leur origine dans les accords de l’OMC, adaptés ensuite dans les traités européens et les directives européennes et, dernière étape, transposés dans le droit national.
Rappelons-nous Bolkestein, actuellement en cours de transposition en France. Cette directive européenne constitue elle-même une transposition à l’espace européen de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) de l’OMC, un accord international contraignant qui programme la mise en concurrence et, à terme, la privatisation de toutes les activités de services, sans aucune exception.
À peine conclues les négociations créant l’OMC et ses accords, les pays industrialisés ont demandé de nouvelles avancées dans l’ouverture des marchés et la suppression des barrières tarifaires (les droits de douane et les aides à l’exportation) et non-tarifaires (les réglementations et législations sociales, sanitaires, environnementales…) dans de nouveaux domaines, en particulier dans l’agriculture, les investissements, les marchés publics, les produits manufacturés et les services. En novembre 2001, à Doha, avec le soutien du gouvernement PS-PCF-Verts de Jospin, un programme de négociations, en vue de nouvelles avancées de la mondialisation, a été adopté. C’est le « cycle de Doha ».
Copenhague dans l’impasse
Mais fort heureusement, à l’OMC, on pratique l’engagement unique : il n’y a d’accord sur rien tant qu’il n’y a pas d’accord sur tout. Les pays du Sud ont d’abord opposé une résistance radicale à tout accord sur les investissements et les marchés publics à Cancun (Mexique) en 2003. Ils ont ensuite fait dépendre un accord sur une accélération de la mise en œuvre de l’AGCS acquise lors de la précédente conférence ministérielle en 2005 à Hong Kong à un accord sur l’agriculture et sur les produits manufacturés. Vu le refus des Américains et des Européens de céder sur l’agriculture et leurs exigences exorbitantes en matière d’ouverture des marchés des pays du Sud aux produits manufacturés, les négociations sont au point mort.
Alors que les accords de l’OMC empêchent toute régulation de la finance, de l’économie et du commerce, si tant est qu’on voudrait y procéder, l’OMC veut néanmoins étendre son pouvoir de déréguler. Son directeur général, Pascal Lamy, membre du PS français, a mis à l’ordre du jour de la prochaine conférence ministérielle trois sujets qui limiteront les possibilités de faire face aux tragédies écologiques qui s’annoncent : le renforcement des droits de propriété intellectuelle (les brevets) sur les technologies propres, la mise en concurrence des biens et services environnementaux et la possibilité de pénaliser les pays qui n’auraient pas mis en place un marché du carbone.
Renforcer la réglementation sur les brevets, c’est bloquer encore davantage tout transfert de technologies vers les pays qui en ont le plus besoin. C’est encourager le brevetage du vivant et une agriculture industrielle fortement émettrice de gaz à effet de serre et destructrice de la sécurité et de la souveraineté alimentaires. Libéraliser les biens et services environnementaux sous la pression des firmes du Nord, c’est faire croire que le marché favorise la diffusion des technologies propres, alors que les 35 dernières années démontrent le contraire. Instaurer un marché du carbone ne contribue en rien à la diminution du gaz à effet de serre.
Pour réussir Copenhague, il faut aussi bloquer l’OMC.
Raoul Marc Jennar