Le CNDF va lancer une campagne sur l’emploi des femmes. Pourquoi le besoin d’une campagne spécifique sur cette question ?
Christiane Marty - Avoir un emploi reste la condition fondamentale pour l’autonomie des femmes, notamment financière. Mais pas n’importe quel emploi, ni dans n’importe quelles conditions. Il y a deux raisons qui ont décidé le CNDF à lancer une campagne : d’une part, la réduction des inégalités professionnelles entre hommes et femmes est aujourd’hui en panne, ce qui est inacceptable compte tenu de leur ampleur ; d’autre part, l’offensive libérale se traduit par une précarisation de l’emploi, et les femmes sont d’autant plus concernées qu’elles sont majoritaires parmi les précaires.
La situation des femmes dans l’emploi se caractérise par de fortes inégalités entre hommes et femmes à tous les niveaux : embauche, salaire, déroulement de carrière, secteur d’activité, formation professionnelle, retraite. Ces inégalités, qui avaient grosso modo tendance à diminuer, notamment en matière de salaires, sont maintenant au point mort. Aujourd’hui, le salaire moyen des femmes représente entre 75 et 80 % de celui des hommes, ce qui n’a pas changé depuis le milieu des années 1990. Plus inquiétant, certaines inégalités augmentent.
Les femmes sont surreprésentées dans toutes les formes d’emploi précaire, de sous-emploi et de chômage : elles constituent 46 % de la population active, mais 54 % des chômeurs, 83 % des personnes à temps partiel, 80 % des personnes en sous-emploi (temps partiel subi), 58 % des CDD et 78 % des employés non qualifiés ! Ce gouvernement, qui dit agir pour l’égalité professionnelle, ne fait en réalité qu’accentuer la précarité d’un grand nombre, dont beaucoup de femmes, mères isolées, immigrées, etc. La stratégie libérale sait très bien utiliser les inégalités entre les sexes pour tirer tout le monde vers le bas. C’est l’égalité par le bas !
Comment se fait cette égalité par le bas ?
C. Marty - Il est intéressant de prendre le cas des jeunes - c’est d’actualité avec le CPE - parce qu’il permet de voir comment les inégalités entre les sexes jouent sur les mécanismes de précarisation. Alors que les femmes sortent plus diplômées que les hommes du système scolaire, le taux de chômage des jeunes femmes est supérieur à celui des jeunes hommes (ce qui traduit une pure discrimination). En parallèle, en début de carrière, l’écart de salaire mensuel entre hommes et femmes s’accroît au fil des générations : de 15 % à la fin des années 1970, cet écart est passé à 22 % au début des années 1990. Les raisons en sont l’augmentation des contrats à temps partiel au premier emploi, qui a touché surtout les femmes, mais aussi, dans une moindre mesure, les hommes.
Enfin, le taux de sous-emploi chez les jeunes est le double du taux global. Il est beaucoup plus fort chez les jeunes filles que chez les jeunes hommes (trois fois plus fort), et il culmine chez les femmes d’origine africaine. Ce qui se passe avec le temps partiel est très significatif. Dans un premier temps, les politiques libérales ont utilisé les inégalités en matière de charge familiale pour légitimer le temps partiel pour les femmes : il était censé répondre à leur besoin de concilier vie familiale et vie professionnelle. En réalité, on sait à quel point il a servi à déployer la flexibilité. Maintenant, plus besoin d’invoquer de soi-disant raisons familiales ! Dans un contexte de chômage élevé chez les jeunes, les femmes - mais aussi les hommes - se voient plus souvent contraints d’accepter un temps partiel. Les inégalités entre les sexes servent une stratégie néfaste à tous. Les hommes aussi sont concernés par la lutte des femmes pour l’égalité.
Quels sont les principaux axes de la campagne ?
C. Marty - Nous voulons un véritable emploi pour chacun et chacune (un CDI à temps complet). Cela doit être un outil pour l’égalité entre les femmes et les hommes. À partir de cette revendication de base, nous avons déterminé cinq axes pour la campagne. D’abord, nous visons un changement des pratiques et le partage des tâches domestiques et parentales. C’est un point indispensable, car l’emploi des femmes, et les inégalités qui vont avec, sont étroitement liés à la double journée [travail professionnel + travail domestique, NDLR].
Le deuxième axe concerne le développement de services publics gratuits d’accueil de la petite enfance et de prise en charge des personnes dépendantes. Ce sont des besoins sociaux fondamentaux, et ces services sont indispensables pour décharger les femmes et leur permettre d’être actives. De plus, ils sont source d’emplois, qui devront être qualifiés et mixtes. L’axe suivant concerne la réduction du temps de travail pour tous, sans réduction de salaire, sans flexibilité, c’est-à-dire avec embauches correspondantes, et en veillant à l’égalité entre les sexes dans sa mise en œuvre (ce qui n’a pas été le cas lors des 35 heures). La RTT reste un axe central de lutte contre le chômage, contre le temps partiel et pour répondre aux aspirations à une meilleure qualité de vie.
Le quatrième axe vise l’égalité salariale. Les lois existantes sont insuffisantes. Nos propositions vont de la pénalisation des entreprises inégalitaires à la reconnaissance des qualifications de métiers « féminins » sous-évalués (infirmières, etc.), en passant par des actions positives de rattrapage salarial pour les femmes. Enfin, le dernier axe demande la suppression de la précarité. Il intègre des mesures d’urgence, comme la revalorisation des minima sociaux, mais il vise aussi à définir une stratégie. Notre objectif est qu’un maximum de forces se mobilisent sur cette campagne avec nous, l’ensemble des féministes d’abord, mais aussi des syndicats et des associations. Il est temps de mettre la question de l’égalité entre les sexes au rang des priorités et de montrer qu’elle est un outil indispensable en faveur du progrès pour tous.
• Manifestation pour les droits des femmes, mercredi 8 mars, 18 heures, place du 18-Juin (Montparnasse) en direction de Matignon. Le CNDF lancera alors officiellement la campagne sur l’emploi des femmes.