Le 18 mars 2003, pour sanctionner les comportements jugés inadmissibles de certains supporters qui avaient sifflé la Marseillaise au cours de deux matches de football - France-Algérie en 2001 et Lorient-Bastia en 2002 -, les députés ont voté des dispositions sanctionnant l’outrage à « l’hymne national » ou au « drapeau tricolore » lors d’une « manifestation organisée ou réglementée par les autorités publiques ». Désormais les contrevenants sont passibles d’une amende de 7 500 euros et de six mois d’emprisonnement si les faits commis le sont « en réunion » conformément à l’article 433-5-1 du Code pénal. Pour souligner l’importance de ce texte, les parlementaires l’ont intégré à la loi sur la sécurité intérieure. La préservation de l’honneur des emblèmes du pays exigeait des moyens répressifs nouveaux voire une peine privative de liberté dans les cas supposés les plus graves, ainsi fut fait par une majorité qui pouvait s’enorgueillir de veiller à la défense de la France outragée. Vaste programme, vieux brouet sécuritaire, nationaliste et xénophobe.
2 novembre 2009. Les démagogues autoritaires qui sont au pouvoir lancent une vaste consultation sur l’identité nationale, qui est au débat démocratique ce que les tribunaux militaires étaient à la justice : une parodie sinistre placée sous le contrôle constant des représentants de l’Etat. En haut, les services du ministère de l’Immigration dictent les sujets abordés et, sur le site internet mis en place à cette occasion, sous couvert de modération, censurent les messages envoyés par des hommes et des femmes critiques. Admirable. En bas, les « forces vives du pays », comme l’écrit Eric Besson, doivent se réunir sous la direction de préfets aux ordres. Ces mêmes préfets qui, depuis 2005, jouent un rôle essentiel dans la traque des étrangers en situation irrégulière afin de réaliser les objectifs d’expulsions fixés par le ministre compétent, lequel est également chargé de promouvoir l’identité nationale. Ils rêvent de Marseillaise chantée à plein poumon par des citoyens fiers d’être français cependant que le pays serait pavoisé de drapeaux bleu-blanc-rouge puisque tous, en vertu d’une injonction unanimiste et antidémocratique empruntée au Front national - « la France, on l’aime ou on la quitte » -, sont sommés de chérir cette contrée. L’amour exigé d’un côté, des sanctions et des expulsions de l’autre ; deux faces d’une même politique où la seconde est la vérité de la première.
Dénoncer cette mascarade est nécessaire mais insuffisant. Il faut, de plus, exiger l’abrogation du délit d’outrage précité et revendiquer haut et fort le droit de siffler la Marseillaise et le drapeau tricolore lorsque ceux qui les utilisent violent les principes de liberté, d’égalité et de fraternité que ces emblèmes sont supposés incarner. Hier, il était juste d’agir ainsi lorsque ce chant et cet étendard devinrent ceux de la tyrannie et de l’exploitation coloniales, des disparitions forcées, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité - à Sétif et Guelma en mai 1945, à Haiphong en 1946, à Madagascar en 1947, en Algérie de nouveau à partir du 1er novembre 1954. De même aujourd’hui, pour signifier notre opposition à ceux qui portent la responsabilité politique et administrative des rafles d’étrangers, des dizaines de milliers de placements en centre de rétention administrative et des expulsions fixées à 27 000 pour l’année 2009. Enfin, autre registre, si demain des Français et/ou des étrangers sifflent l’équipe nationale de football, pour protester contre les conditions indignes de sa qualification à la Coupe du monde, et la Marseillaise, ils devront être défendus au nom de la liberté d’expression. Beaucoup louent le patriotisme des citoyens américains mais ils oublient ou ignorent ceci : profaner la bannière étoilée est un droit fondamental reconnu par la Cour suprême des Etats-Unis dans deux arrêts majeurs - Texas vs. Johnson du 21 juin 1989 et United States vs. Eichman du 11 juin 1990. A deux reprises, les juges ont estimé que les dispositions adoptées par plusieurs Etats pour sanctionner les outrages au drapeau étaient contraires au premier amendement de la Constitution fédérale, lequel interdit au Congrès de voter aucune loi restreignant la liberté d’expression. Républicains français, encore effort pour être démocrates !