A partir de lundi 7 décembre, un millier de délégués se retrouvent à Nantes pour le 49e congrès de la CGT, doyenne des syndicats français. Après dix ans passés à sa tête, son secrétaire général sortant, Bernard Thibault, rempile pour un quatrième et probable dernier mandat. Dans la foulée de son prédécesseur Louis Viannet, il a conduit la mutation du syndicat au risque de s’exposer à un regain d’oppositions. Etat des forces avant le début des joutes.
QUE PÈSE LA CGT ?
Dans un paysage social marqué par l’un des plus faibles taux de syndicalisation de toute l’Europe, moins de 10 % et quelque 5 % dans le seul secteur privé, la CGT reste la première centrale syndicale. Aux dernières élections prud’homales de décembre 2008, elle s’est maintenue en tête avec 34 % des voix, devant la CFDT (21,8 %) Mais alors qu’en 1987, la CGT revendiquait un million d’adhérents, elle n’en avance que 654 000.
Autres faiblesses : le rééquilibage public-privé n’est pas achevé avec une implantation encore majoritaire dans le secteur public, (56,6 %). Et dans le privé, la CGT pèse davantage dans les secteurs en déclin. Comme les autres organisations, elle a du mal à s’implanter dans les petites entreprises, là où le travail est plus précaire, où se retrouvent les femmes à temps partiel et les jeunes. C’est l’une des raisons pour lesquelles, il compte peu de femmes (34,4 %)
Dans un entretien au Monde (10 novembre), Bernard Thibault déplorait que la CGT soit « implantée dans les secteurs où l’emploi recule et absente des secteurs où l’emploi se développe », reconnaissant, à cet égard, un « échec ». La CGT veut cependant croire au renouvellement. Pour 2009, elle annonce quelque 46 000 nouveaux adhérents dont 67,6 % venus du privé, 43 % de femmes et près d’un tiers de jeunes de moins de 35 ans alors que ces derniers ne pèsent que 15, 5 % dans le total des effectifs.
EST-ELLE DEVENUE RÉFORMISTE ?
Conscient d’avancer en terrain miné, Bernard Thibault évite les débats philosophiques, mais progresse dans le sillage de son prédécesseur Louis Viannet qui définit ainsi la mue vers un « syndicalisme de conquête » : « La ligne de clivage entre négociation et action ne signifie rien : aucune négociation ne peut déboucher sur quelque chose de positif si elle ne s’appuie pas sur la mobilisation des salariés ».
Les chiffres le montrent : la CGT signe moins d’accords que les autres syndicats. Au niveau national ou dans les branches professionnelles, elle paraphe 40 % des accords contre 68 % pour FO et 81 % pour la CFDT (chiffres 2008 du ministère du travail). Dans les entreprises, le pourcentage atteint cependant 54,3 %. Il est plus proche de celui de la CFDT ( 60,9 %) et supérieur à celui de FO (43,9 %).
Il n’a cependant échappé à personne que Bernard Thibault a été, à l’automne 2007 l’interlocuteur privilégié de Nicolas Sarkozy dans la réforme des régimes spéciaux de retraite. Les observateurs ont aussi noté que la CGT s’était rapprochée de la CFDT pour mener à bien la réforme de la représentativité qui recompose le paysage syndical au profit des grosses centrales.
Ils ont enfin noté que Bernard Thibault refusait la classification entre syndicats réformistes et contestataires proposée par l’UNSA lors de son dernier congrès (Le Monde du 28 novembre) . Son secrétaire général, Alain Olive, avait alors proposé la création d’un pôle réformiste incluant la CFDT, à la CFTC et la CFE-CGC mais excluant la CGT. « Inadequate », avait alors rétorqué le responsable cégétiste.
QUELLE OPPOSITION ?
Le regroupement, qui a pris pour nom « Comité pour une CGT de lutte de classes et de soutien à la candidature de Jean-Pierre Delannoy », métallugiste du Nord, revendique quelque 2000 signatures d’individus ou de structures et s’appuie sur des collectifs comme Où va la CGT ? Tous ensemble, le Front syndical de classes…
Pour ces opposants qui n’ont pas les moyens statutaires de présenter un candidat face à Bernard Thibault, la CGT est en dérive. Elle a abandonné la lutte des classes pour mieux s’adapter au libéralisme. Des preuves ? Son rapprochement avec la CFDT ou encore son investissement dans le syndicalisme européen : le 1er décembre, c’est un cégétiste, Joël Decaillon, qui a été élu au poste de numéro deux de la Confédération européenne de syndicats.
D’autres syndicats et militants émettent des critiques. Le leader des Continental, Xavier Mathieu, a traité, cet été, le numéro un de la CGT, de « racaille », lui reprochant de préférer les rencontres à l’Elysée au terrain des luttes. Dans un texte du 1er décembre envoyé à la confédération, la fédération des industries chimiques critique les états généraux de l’industrie qui avaient été réclamés par la CGT et ont été acceptés par Nicolas Sarkozy : « La CGT ne doit pas se laisser instrumentaliser dans une manœuvre politicienne », affirme le texte qui dénonce le manque de « vision claire quant aux objectifs de lutte ». Cette opposition, plus structurée qu’aux derniers congrès, risque de compliquer la tâche du secrétaire général.
QUELLE ORGANISATION ?
La réforme des structures est pour Bernard Thibault le grand enjeu du congrès. A l’heure actuelle, la confédération ne confédère pas grand-chose : les fédérations professionnelles, les unions départementales, les syndicats d’entreprise, chaque structure veut garder son indépendance, constituant parfois des baronnies concurrentes qui n’appliquent qu’imparfaitement les décisions du congrès. Bernard Thibault a décidé de réduire l’importance du bureau confédéral qui ne comptera plus que huit membres contre douze, transférant une partie du pouvoir à la commission exécutive (54 membres). Une façon aussi d’avoir les mains plus libres pour commencer à organiser sa succession.
Rémi Barroux