Tokyo Correspondant
La réévaluation de la monnaie nord-coréenne suscite des interprétations divergentes de la part des spécialistes de l’un des pays les plus fermés du monde. Cette mesure vise à juguler l’inflation et les transactions sur le marché noir. Elle tente aussi de redresser le won, non convertible hors de la République populaire démocratique de Corée (RPDC). Les transactions avec l’extérieur se règlent en yuans, en euros ou en dollars. Avant la réévaluation, 1 euro valait 200 wons au cours officiel, jusqu’à 5 800 au marché noir.
Annoncée le 30 novembre à la radio et par haut-parleurs, cette réévaluation - la première en dix-sept ans - a engendré confusion et frustration à travers le pays. Selon les sources sud-coréennes à la frontière entre la Chine et la RPDC, des expressions sporadiques de mécontentement populaire auraient été signalées ainsi que l’apparition de graffiti critiquant le régime.
La population avait jusqu’au 6 décembre pour échanger les vieilles coupures contre des nouvelles : 1 nouveau won équivaut à 100 wons anciens. Mais un « plafond » (de 100 puis de 150 000 wons) était fixé au montant échangeable individuellement.
Le régime a-t-il cherché à contenir le mécontentement ? A Pyongyang, des longues files s’étaient formées devant les magasins de produits importés pour se « débarrasser » des coupures anciennes. Les changeurs au noir étaient assaillis, le cours des devises montait en flèche.
« Le régime a déclaré la guerre aux forces du marché », estime Nam Ju-hong, expert de la RPDC, cité par le quotidien sud-coréen Chosun Ilbo (droite). L’émission de nouveaux billets vise, sinon à étouffer, du moins à contrôler un marché parallèle qui s’est développé, depuis 2002, à la suite de mesures accordant une plus grande autonomie aux entreprises. Si le régime a cherché par la suite à contrôler les transactions légales et paralégales, une bonne partie lui échappait.
Prélude à l’ouverture ?
En imposant un plafond aux montants échangeables contre les nouvelles coupures, le régime a ruiné les petits entrepreneurs et commerçants du marché parallèle qui avaient des bas de laine en wons. Les négociants en gros et l’élite, détenteurs de devises, s’en sortent mieux. Le reste de la population est trop pauvre pour être affectée. C’est la couche intermédiaire qui est frappée.
L’essor de l’économie parallèle, qui a encouragé une corruption devenue endémique facilitant la contrebande et un florissant marché noir, s’est traduit par une disparité croissante entre ceux qui « nagent dans le courant » et la majorité qui peine. Cette réévaluation est la plus draconienne des mesures visant à contrôler une économie souterraine dont les effets (écarts sociaux, initiatives individuelles entamant les idéaux collectivistes) comportent, aux yeux du régime, des risques politiques.
« Victoire sans lendemain qui pourrait entamer la légitimité du régime », comme le pense Rudiger Frank, spécialiste de la RPDC à l’université de Vienne, ou « prélude à une plus grande ouverture de l’économie », selon Paik Hak-soon de l’Institut Sejong à Séoul ? Cette réévaluation pourrait aussi chercher à réguler des échanges entre la Chine et la RDPC dont une bonne partie échappe aux autorités, entretenant un foyer d’illégalité à la frontière.
Philippe Pons