En libérant Tin Oo, vice-président de la Ligue Nationale pour la Démocratie de Madame Aung San Suu Kyi, le régime militaire birman a une nouvelle fois cherché à contenter une communauté internationale toujours tentée de reconnaître les gestes de bonne volonté d’un régime qui compte pourtant parmi les plus brutaux de la planète. La levée de l’assignation à résidence du militant de 83 ans, en détention depuis 2003 pour subversion politique, ne peut être qu’une bonne nouvelle. Mais si le numéro 2 du principal parti d’opposition est désormais libre, Aung San Suu Kyi ne connaîtra pas le même sort. La « dame de Rangoun », lauréate du prix Nobel de la paix 1991, ne semble pas devoir être libérée avant l’organisation par les généraux des élections législatives promises pour cette année (et qui selon certaines sources pourraient se tenir en octobre). La cour suprême vient en effet de rejeter le recours déposé par ses avocats et de confirmer sa condamnation à dix-huit mois d’assignation à résidence. Une donnée qui devrait convaincre, si c’était encore nécessaire, la communauté internationale du peu de crédibilité du processus mis en place par la junte.
L’enjeu électoral a récemment mobilisé toute la stratégie de généraux passés maîtres dans l’art de souffler le chaud et le froid. La libération de Tin Oo, survenue le 13 février, n’a pas empêché le régime de condamner quatre opposantes birmanes à deux ans de prison le jour même de l’arrivée à Rangoun du Rapporteur de l’ONU sur les droits de l’homme en Birmanie, M. Tomas Ojea Quintana. Ces partisanes d’Aung San Suu Kyi avaient été arrêtées en octobre 2009 pour avoir distribué des textes religieux à des moines bouddhistes, un acte qui leur vaudra l’accusation d’avoir troublé l’ordre public. En les condamnant ce 15 février aux travaux forcés, le régime a cherché comme toujours à tester les réactions de la communauté internationale pour savoir jusqu’où il pouvait aller. Il faut espérer qu’en privant Aung San Suu Kyi de tout rôle au moment des élections il soit désormais allé trop loin.
Constant objet du mépris d’une junte qui reste cependant attentive à ses réactions, la communauté internationale a dans une large mesure voulu croire que le processus de « feuille de route vers une démocratie disciplinée » initié par le régime pouvait constituer une chance à saisir.
Les étapes précédentes de ce processus censé culminer avec l’organisation d’élections sont pourtant éloquentes quant aux véritables intentions du régime. Lors du référendum de mai 2008 – auquel il était interdit de voter non – la junte faisait approuver par 92,4% une nouvelle constitution permettant aux militaires de s’assurer du contrôle des ministères stratégiques, de 25% des sièges du futur parlement, et de l’immunité judiciaire pour tous les officiers en poste. Son adoption par référendum s’est faite au terme d’une campagne marquée par la répression politique et l’intimidation et à l’aide de pressions massives, de fraudes grossières et de radiations à grande échelle, notamment des moines qui avaient eu le tort de prendre part à la « révolution safran » de septembre 2007.
Surtout, la constitution ne prévoit aucun espace d’autonomie ou de reconnaissance culturelle aux nombreuses minorités que compte le pays (environ un tiers de la population birmane). Le schéma de domination du groupe ethnique dominant – birman - sur le reste de la population, à l’origine de tous les problèmes que connaît le pays, est ainsi reconduit. La constitution, de ce fait, met en péril la stabilité nationale. Une erreur que n’aurait jamais faite Aung San Suu Kyi, qui doit une grande partie de sa popularité à l’attention qu’elle a toujours portée aux revendications des minorités.
La « dame de Rangoun » est cependant restée pragmatique. S’abstenant d’exclure définitivement toute participation de son parti aux élections, elle s’était récemment contentée de déclarer qu’il était prématuré de se prononcer sur un boycott de celles-ci.
Mais peut-être Aung San Suu Kyi savait-elle aussi combien la marge de manœuvre des démocrates birmans est étroite. Malgré leur constant appel au dialogue, ceux-ci sont régulièrement vilipendés pour leur radicalité. On en oublierait presque qu’ils font face à un régime qui torture ses opposants, recourt au travail forcé et use du viol comme d’une arme de guerre dans les zones de Birmanie où vivent les minorités nationales.
La communauté internationale est désormais lasse de ce dossier difficile qui ne constitue une priorité que pour les voisins de la Birmanie. Aung San Suu Kyi écartée des élections, faut-il encore craindre qu’elle se satisfasse d’un processus qui entend jouer sur les formes démocratiques pour permettre aux militaires de se maintenir au pouvoir ?
La position de fermeté de l’Union européenne à l’égard des généraux a récemment paru menacée. Aung San Suu Kyi n’avait pourtant pas demandé qu’il soit mis fin à toute politique de pression sur le régime. L’opposante avait certes proposé au général Than Shwe de coopérer avec la junte en vue d’une possible levée des sanctions qui la visent. Mais si elle n’a pas pris le risque, à ce jour, d’en appeler directement à cela, c’est qu’elle sait bien que la faible pression mise sur le régime constitue une préoccupation pour les généraux désireux de normaliser leurs relations avec la communauté internationale. Le maintien des mesures existantes, contribuant à priver la junte de la reconnaissance à laquelle elle aspire, l’éloigne ainsi d’une victoire totale sur les forces démocratiques.
Le Parlement européen, par sa résolution du 11 février 2010, n’a pas attendu la décision du régime concernant le maintien en détention d’Aung San Suu Kyi pour indiquer que les circonstances actuelles ne permettaient pas de considérer les élections prévues par le régime militaire birman en 2010 comme libres et transparentes. Il a en outre marqué son soutien à un dialogue tripartite réunissant le régime militaire, les forces démocratiques et les représentants des minorités nationales. Il reste à espérer que son exemple soit suivi par la communauté internationale. La France en particulier peut renforcer son soutien aux démocrates birmans. La réception du premier ministre du gouvernement birman en exil par le président de la République française en plein cœur de la révolution safran de septembre 2007 avait été un geste important, qui peut être renouvelé. Notre pays doit renforcer ses liens avec le mouvement d‘opposition, tant il est évident que la solution au problème birman n’est pas de suivre docilement le calendrier du régime, mais d’écouter davantage les forces démocratiques.
Frédéric Debomy est président d’Info Birmanie,
Stéphane Hessel est ambassadeur de France, corédacteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme