Copenhague envoyé spécial
Il y a des centaines de vélos dans l’enceinte de la Candy Factory (L’usine à bonbons), près de la gare de Norrebro. Ils ont été trouvés en pleine rue dans cette ville où tout le monde roule à vélo et où ils sont souvent abandonnés au terme de leur existence, cabossés, cassés, tordus. Alors les activistes du Bike Block (« le bloc des vélos ») les ont récupérés, et depuis quelques jours, ils soudent, vissent, frappent, redressent, rustinent, pompent, bref, travaillent d’arrache-pied. Dans la bonne humeur et en musique - un volontaire pédale sur une bicyclette fixe qui alimente une batterie animant une chaîne hi-fi.
Dans le bâtiment de brique, on peut se restaurer à la cuisine collective : le prix est libre, une assiette recueille les donations. L’ensemble abrite aussi un atelier secret où se prépare la mystérieuse Machine, ainsi que des DDT (« double double trouble ») : une plate-forme est placée entre deux paires de vélos, ceux-ci étant montés l’un sur l’autre, celui du dessus n’ayant pas de roues.
Tout cela tient de la cour des miracles, de l’entreprise de ferraillage, du camp scout et de l’assemblée révolutionnaire. Réparations et constructions visent à permettre à une troupe de cyclistes de former le Bike Block, une des pièces maîtresses de l’assaut du « peuple » contre le Bella Center, mercredi 16 décembre, lors des manifestations organisées par le Climate Justice Action (CJA), avec le soutien de la coalition Climate.
Le Bike Block est un projet du Laboratory of Insurrectionnary Imagination, un groupe d’artistes anglais qui veut que l’imagination des artistes féconde l’engagement des activistes, et réciproquement. « Beaucoup d’artistes sont talentueux, mais peu engagés, tandis que les activistes recourent souvent à des formes d’action tristounettes », explique Isa, un des membres du Laboratory. Il faut trouver, dit-elle, « des formes d’action qui rendent la résistance désirable ».
Les Bike Block se sont entraînés les jours précédant la manifestation. On les retrouve un après-midi, une soixantaine de vélocipédistes, majoritairement jeunes, sur un grand terrain dégagé. John anime la séance : casquette cubaine, barbe, voix forte et chaleureuse, gilet jaune fluo. Il rappelle les principes : action directe non violente, il s’agit de perturber la conférence à l’intérieur du Bella Center. Puis il décrit les « essaims » qu’il faut constituer - « On va bouger sans arrêt comme des papillons » -, évoque aussi les bandes d’oiseaux, et l’intelligence collective dont elles font preuve durant leurs vols, la même intelligence qu’il s’agit de retrouver dans le groupe.
Ensuite, on se forme en groupes de dix, les « essaims », qui s’entraînent à aller toucher un mur avant de se regrouper rapidement. Dans un autre exercice, les cyclistes tournent tous ensemble dans tous les sens, comme des autos tamponneuses qui veilleraient à ne pas se heurter. Il faut prévoir la confrontation : une partie de la bande reste à vélo, l’autre, à pied, joue les policiers. Les cyclistes se serrent les uns contre les autres, en ligne. La police charge. Les cyclistes lèvent leur vélo sur la roue arrière, et agitent le guidon pour faire tourner la roue, ce qui complique incontestablement la tâche du policier - comme on s’en rend compte quand on échange les rôles.
Les Bike Block vont-ils investir la conférence ? Sans doute pas. Mais ils symbolisent les formes pacifiques mais déterminées que veut prendre un mouvement de contestation de plus en plus radical dans ses idées.
Hervé Kempf