Le sanctuaire des talibans pakistanais et de leurs alliés d’Al-Qaida, situé dans les zones tribales frontalières avec l’Afghanistan, au nord-ouest du Pakistan, est-il en train de se réduire ou n’a-t-il, au contraire, jamais été aussi fort ?
La récente décision d’Islamabad, sous forte pression américaine, de s’y attaquer directement en envoyant l’armée dans cette région semi-autonome a, en tout cas, déclenché une violence sans prédécent.
Plus de 90 personnes ont perdu la vie, vendredi 1er janvier, dans une attaque suicide menée dans le village de Shah Hasan Khel, du district de Bannu, voisin de l’agence tribale du Nord-Waziristan. Plus de 60 blessés étaient encore, samedi, dans un état critique et des personnes se trouvaient toujours sous les décombres de maisons qui se sont écroulées lors de l’explosion. Le nombre de morts pourrait encore s’alourdir. C’est l’un des attentats les plus meurtriers commis récemment au Pakistan.
L’essentiel des victimes se compte parmi les trois cents spectateurs qui assistaient à un match de volley-ball. Selon le témoignage du chef de la police du district, Mohammad Ayoub Khan, le kamikaze a conduit son 4×4 noir au centre de l’aire de jeu avant de faire sauter une charge estimée à 250 kg d’explosifs.
L’absence de moyens de secours et de personnels soignants dans cette région pauvre explique la lourdeur du bilan. Les habitants tentaient, la nuit tombée, de venir au secours des personnes blessées en éclairant les lieux avec des phares de voiture. Les familles cherchaient les corps de leurs parents, dont des femmes et des enfants.
On dénombre également, parmi les personnes décédées, des membres des forces de sécurité, police des frontières et paramilitaires, qui assistaient au match. Des témoins ont assuré qu’un autre 4×4 suspect était présent sur les lieux avant de prendre la fuite.
Selon les premiers éléments, cette sanglante attaque visait également les participants à une réunion d’un comité local antitalibans qui se tenait dans la mosquée située juste à côté du terrain de volley-ball. Ce « comité de paix » avait été formé il y a trois mois par des chefs tribaux locaux à l’instigation des autorités militaires d’Islamabad pour interdire l’accès du village et de ses environs aux talibans qui venaient tout juste d’en être chassés par l’armée pakistanaise.
Depuis, selon les membres de ce comité, qui revendiquait plusieurs centaines de combattants prêts à faire le coup de feu pour défendre leur district, les talibans de Miranshah, au Nord-Waziristan, avaient multiplié les menaces à leur encontre de leur village.
CHEFS LOCAUX ASSASSINÉS
« De tels actes terroristes ne peuvent affaiblir la détermination du gouvernement à combattre la menace terroriste jusqu’à son élimination totale », a déclaré, vendredi, le premier ministre pakistanais, Yousouf Raza Gilani.
L’opposition violente entre des chefs tribaux et le Mouvement des talibans du Pakistan (TTP) n’est pas nouvelle. En sept ans, depuis leur défaite à Kaboul, les talibans afghans et pakistanais alliés au réseau d’Al-Qaida ont fait leur ces zones tribales pakistanaises en tuant nombre de chefs locaux.
Entre 2006 et 2009, près de 150 chefs de village ont ainsi été assassinés pour s’être opposés à leur emprise. Leurs corps sont souvent mutilés, voire décapités et exposés en public avec des pancartes mentionnant leur statut de « traîtres » ou « d’espions à la solde des Etats-Unis » pour que la peur s’installe dans les populations.
Enfin, cette attaque contre le village de Shah Hassan Khel illustre peut-être les limites de l’offensive conduite, depuis octobre 2009, par l’armée pakistanaise contre le sanctuaire des « ennemis de l’intérieur » comme les qualifie désormais Islamabad, après avoir par le passé alterné les phases de négociation et de répression avec le TTP.
Les communiqués triomphants des autorités militaires pakistanaises se sont succédé ces dernières semaines pour attester des succès obtenus contre les talibans. Faute de source indépendante, aucune vérification n’a pu, à ce jour, être réalisée.
Selon les membres du « comité antitalibans » du village de Shah Hassan Khel, les talibans de cette zone n’avaient pas été tués mais avaient simplement fui vers Miranshah face aux hélicoptères de l’armée pakistanaise.
Si leur sanctuaire s’est réduit, les insurgés talibans ont montré, par cette attaque meurtrière, que leur marge de manœuvre et leur force d’action restaient intactes.
Jacques Follorou
Des attentats à répétition
1er janvier 2010
Plus de 90 morts dans une attaque suicide visant une mosquée et un terrain de volley-ball dans le district de Bannu, à l’ouest du pays.
28 décembre 2009
Près de 50 pèlerins chiites tués par un kamikaze lors d’une procession dans la grande ville du sud du pays, Karachi.
15 décembre
Quelque 30 personnes périssent après une explosion dans un marché, au Pendjab, à Dera Ghazi Khan.
28 octobre
Une attaque suicide sur le marché de Peshawar, au nord-ouest du pays, tue 120 personnes.