« Tu as tué mon mari. Si tu n’avais pas changé la loi, il serait déjà parti à la retraite. Et il serait vivant ! » C’est par ces paroles qu’une des femmes dont le mari est décédé dans la mine Śląsk a accueilli le premier ministre Tusk. Les journalistes n’étaient pas présents pour l’entendre. L’entrée des locaux où avait lieu la rencontre avec les familles des mineurs victime de la tragédie leur avait été interdite. Ces femmes désespérées attaquaient avec rage le premier ministre car jusqu’à ce jour elles n’avaient aucune information sur le sort de leurs proches. Elles n’avaient même pas une liste des victimes.
Lorsque quelques années auparavant le président Poutine avait rencontré les familles des marins victimes de l’accident du sous-marin Koursk, il était de bon ton dans les médias polonais de faire des gorges chaudes en montrant à tout va les images de femmes de marins décédés sorties de la salle par les forces de l’ordre parce qu’elles exprimaient leur douleur et posaient des questions gênantes. L’entourage du premier ministre Tusk a fait mieux. On n’a pas laissé une telle chose se produire. La démocratie et la liberté sont d’un autre niveau en Pologne. Il n’était pas nécessaire de faire taire qui que ce soit. Tout a été fait pour éliminer ce genre de situation. Encore une fois les sbires du premier ministre lui ont épargné la peine de se trouver dans une situation où il aurait du répondre à des questions difficiles.
Depuis la tragédie de la mine Halemba [23 morts en novembre 2006], nous avons continuellement répété que ce n’était qu’une question de temps pour qu’une autre catastrophe mortelle ne se produise. Aucune leçon n’a été tirée du meurtre de Halemba. Les années suivantes la situation dans l’industrie minière n’avait pas changée. Comme par le passé on fait bon marché de la vie humaine en mettant les salariés en danger de mort dans la course pour augmenter les profits.
La falsification des détecteurs était courante, de même que le fait d’obliger les gens à travailler dans des conditions dangereuses, de leur faire courir des risques au mépris de leur vie. L’universalité de ce type de pratiques est d’autant plus terrifiante que le souvenir de la mine Halemba restait présent dans les mémoires, mais malgré tout on poursuivait impunément cette façon de faire. Qu’elle que soit la raison directe de la tragédie de la mine Slask, il est évident que le drame de Halemba n’a rien changé. Entre ces deux tragédies le nombre de signes confirmant qu’on jouait avec la vie humaine n’avait pas diminué. Exactement comme à l’époque, cette fois non plus il n’y avait eu aucune réaction. Il y a deux ans la Délégation de l’Agence de la Sécurité Intérieure de Katowice avait reçu deux rapports contenant des informations sur la falsification et la manipulation des données de mesure de méthane dans la mine Szczyglowice. Des preuves furent apportées : des confirmations de salariés témoins, des enregistrements prouvant que des membres de l’encadrement incitaient les témoins à changer leur déposition. Se souvenant de la tragédie qui avait eu lieu à la mine de Halemba, des médias locaux se sont engagés à faire la lumière sur l’affaire. Deux ans plus tard, rien n’a avancé. L’affaire a été bloquée. Les personnes chargées de s’en occuper ont été mutées. L’enregistrement se trouve toujours aux mains des experts. Deux ans se sont écoulés.
A ce moment là, deux syndicalistes ont commencé une enquête sur le sujet et ils ont été licenciés au motif d’avoir organisé une grève illégale. Ils n’ont pas retrouvé d’emploi depuis. Après leur licenciement, comme ils n’avaient pas cessé de chercher des preuves et de convaincre leurs collègues de dénoncer la vérité, une provocation a été organisée contre eux. Comme on ne pouvait nier directement que les détecteurs de méthane avaient été bouchés, la direction a inventé sa propre version des faits, selon laquelle ce seraient les syndicalistes eux-mêmes qui auraient manipulé les appareils… afin d’en faire des photos et de les livrer à la justice. Cette provocation absurde avait comme objectif de terroriser le salarié de base en lui montrant que celui qui oserait dire ou faire quelque chose serait immédiatement brisé. Que toutes les méthodes seraient utilisées à cette fin. Car s’il est possible de se débarrasser d’un délégué syndical protégé et de l’éliminer, que peut donc faire un simple salarié ? La méthode fut efficace, d’autant plus que même ceux qui avaient osé parler savaient que malgré leur déposition aucun responsable n’avait été inquiété.
Dans beaucoup d’autres cas les autorités compétentes ont été alertées, les médias informés afin qu’il ne soit pas possible d’étouffer les affaires. Les journalistes, qui avaient tant œuvré pour que la lumière soit faite sur Halemba, ont tenté de mener des enquêtes, de rassembler des preuves, de recouper les informations. Bientôt il fut dit que sans preuves « irréfutables » on ne pouvait rien faire. Qu’est-ce donc que des « preuves irréfutables ? » Dans ce cas seul un cadavre constitue une preuve. Après de nombreuses tentatives, ces journalistes ont abandonné.
La conversation suivante entre un syndicaliste et un directeur de mine datant d’il y a à peine quelques jours illustre à merveille les mécanismes à l’œuvre dans le secteur minier. Le syndicaliste venait d’apprendre que des mineurs restaient au fond après la fin officielle de leur temps de travail et que leur porion emportait leurs badges à la surface. Dans les documents, tout va bien. Puisque le badge est là, cela signifie que le salarié a terminé son travail et a quitté le fond. Lorsque le délégué syndical a demandé ce que la direction allait faire s’il arrivait la même chose qu’à Halemba, il n’a reçu aucune réponse. Lorsqu’il a menacé de dénoncer l’affaire devant le procureur, il a entendu cette réponse claire et brutale : « Bien sûr, tu peux dénoncer cela au procureur, mais tu sais bien que quelqu’un doit le confirmer ». Aucun directeur n’oserait agir de la sorte s’il ne se savait pas couvert par sa hiérarchie au plus haut niveau et s’il n’avait la certitude qu’en cas de contrôle le procureur étoufferait l’affaire.
Suite à la tragédie de la mine Slask d’autres informations voient le jour. Quelqu’un a filmé avec un téléphone portable un détecteur de méthane affichant un niveau supérieur au niveau autorisé. L’Agence de Sécurité Intérieure était au courant depuis 6 mois. Les contrôles effectués n’avaient rien donné. Depuis quelques temps les mineurs de Halemba affirmaient que si rien ne change, « une autre Halemba va avoir lieu ». Mais que pouvons nous faire si les institutions compétentes sont au courant des dysfonctionnements mais ne font rien pour éviter le drame ou estiment qu’il ne se passe rien de grave.
La raison de la catastrophe de la mine Slask n’est pas encore connue avec certitude. Avons-nous affaire à une deuxième Halemba ? Il est trop tôt pour le dire mais tout porte à croire qu’il en est ainsi. Dans les jours, les heures qui viennent, la question sera résolue. Mais déjà des voix se font entendre, les voix de représentants des élites politiques sous-estimant les informations sur les falsifications de détecteurs de méthane et sur la mise en danger de la vie des mineurs. Selon eux, si ces actes ont eu lieu, ce n’était pas dans cette mine, et si c’était dans cette mine, ce n’était pas sur ce front de taille ou pas à cet endroit. Ces allégations ne peuvent que soulever des inquiétudes. Peux être que suite à la tragédie de Ruda Slaska un ou deux directeurs vont perdre leurs postes. Mais cela ne changera rien. Car la gangrène qui tue le secteur minier provient des élites elles-mêmes.
Les mines en Pologne sont aux mains d’une mafia. Et celle qui détient les postes grâce au gouvernement actuel est une des pires qui soit. Cette mafia s’étend non seulement aux sociétés minières, aux institutions de contrôle, mais également au système juridique et policier. Le pouvoir de cette mafia est visible non seulement lorsqu’elle étouffe les scandales des accidents miniers et s’en sort sans dommage de catastrophes comme celles de Halemba et Slask, mais aussi dans l’impunité absolue dont elle bénéficie dans toutes sortes de vols, de délits et de corruption. Les scandales sont étouffés, les affaires finissent en non-lieu. Même lorsque les médias parviennent à médiatiser quelques affaires, cela ne dure pas. Le business continue. Comme dans la mafia classique, ceux qui sont dans le business se soucient comme d’une guigne de la vie des mineurs. Pour les responsables du système, les mineurs sont des naïfs qui se sont laissé faire. Si jamais ils y pensent, c’est uniquement dans le contexte des ennuis que peut leur causer la médiatisation d’un accident tragique.
Halemba n’a rien changé. La tragédie de la mine Slask ne va rien changer non plus. Il y en aura d’autres. Les élites responsables des mines l’ont prévu et se sont mises à l’abri. C’est un secret de polichinelle qu’ils se sont assurés de leur impunité auprès des dirigeants politiques actuels comme ils l’avaient fait auparavant auprès de équipes précédentes. Le bruit actuel autour des mines ne va pas durer, il suffit d’attendre. Même si cette fois, ce bruit devient vraiment fort. Lors de la tragédie de Halemba nous étions les seuls à parler de l’exploitation qui tue. Aujourd’hui, même ceux qu’on ne peut pas considérer comme les défenseurs des mineurs parlent de « capitalisme primitif et sauvage », de « meurtres », de « condamnation des mineurs à mort ». Mais ce sont toujours les mineurs qui payent. De leur vie.
Cette fois parmi les morts se trouvaient des jeunes qui commençaient à peine l’aventure du métier, comme d’autres qui auraient pu déjà être en retraite car ils avaient travaillé plus de 25 ans au fond — s’il n’y avait eu le changement de loi les obligeant à compenser par le travail leurs arrêts maladie pour obtenir la retraite complète. Pour les premiers, le gouvernement n’a pas d’argent pour investir dans les équipements de sécurité, ce qui les oblige à s’épuiser après chaque tonne. Pour les seconds le gouvernement a préparé cette loi qui les oblige à travailler jusqu’à la mort. Cela, c’est l’autre dimension de ce drame. Et la preuve que le « capitalisme sauvage » dont a parlé un présentateur de télévision ne commence pas « au fond », mais justement, c’est « au fond » qu’il finit. Et qu’il est décidé au contraire par ceux d’« en haut ».
Dans quelques semaines on va oublier le scandale. Des commissions spéciales et des politiques vont clamer que, comme d’habitude, « il n’y a pas de coupables ». Jusqu’au drame suivant. Mais alors, les politiques qui viendront en Silésie devront renforcer leur protection personnelle. Car après une énième tragédie, il se peut que les gens désespérés voudront eux-mêmes se faire justice.
Boguslaw Zietek